vendredi, 20 juillet 2012
Socialisme et publicité
Il parait que les socialistes veulent réintroduire la publicité à l’intérieur des programmes des chaines publiques. Ils ont raison. Au moins apparaissent-ils ainsi conformes à leur éthique de laveurs de cerveaux ; la publicité est le récit du monde libéral, et le socialisme l’adhésion la plus communément partagée à ces valeurs. Ils devraient faire comme les ricains qui sont plus francs du collier encore : de la pub, ils en placardent même sur les bouches d’égout, à ce qu’il paraît.
Et donc, le petit peuple qui regarde la télé après avoir réglé sa redevance payera encore plus d’impôts mais ne pourra plus suivre son polar du dimanche en entier. Cherchez l’erreur, quand en plus il lui faut subir la langue de bois et le bling-bling du président nouveau qui, comme le précédent, vient courir derrière les coureurs en voiture officielle pour faire sa pub, sur le Tour de France. Finalement cette gauche qui est venue est bien fidèle à ses mensonges : pas plus à gauche que mon testicule droit, mais faux-cul comme jamais la droite au fond ne sait l’être. Georges Ségura, le maire d’Aulnay s’insurge dans son coin : « on ne va pas laisser partir PSA comme ça ! », dit-il. Mais si, mais si. Sur la ligne cet après-midi, Cavendish était trop fort.
Cavendish gagne l'étape du jour à Brive
18:15 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : cavendish, société |
lundi, 16 juillet 2012
Sans le latin
Sans le latin est un ouvrage collectif dirigé par Cécilia Suzzoni, et que viennent de publier les éditions Mille et une nuits. Seize auteurs y rappellent l’importance diachronique du latin dans la création de la langue et de la culture française : Vérité oubliée, parce que niée jusque dans l’enseignement précaire à présent distillé dans les écoles. A l’heure où, pour la énième fois, la démagogie ministérielle propose de « refonder l’école », alors que les si vaines « sciences de l’éducation » s’apprêtent à reconquérir l’espace de la formation des maîtres, il serait salutaire de se demander pourquoi les « fondamentaux », comme on dit pudiquement rue de Grenelle et ailleurs, ont été si violemment sapé en une quarantaine d’années par les volontés hystériques de réforme et de changement des gouvernants successifs. Ce livre apporte des éléments de réponse. Voici la note de l’éditeur :
« Sans le latin, sans le latin, la messe nous emmerde » chantait Georges Brassens. Après lui, malheureusement, l’ennui a gagné du terrain, à commencer par celui de l’école, au point que c’est le sens même de notre langue qui finit par se perdre.
Le latin est la langue mère du français et la conscience culturelle de l’Europe. Que goûter de la culture, que comprendre de l’histoire, que savoir de la science et de son évolution, si l’on renie cette filiation?
Alors qu’on exalte le patrimoine avec fébrilité, on liquide, avec une logique soft de taliban, tout ce qui fait l’enracinement du français dans son passé. Sans le latin, c’est tout bonnement notre « roman familial » qui devient illisible. Raconter cette histoire, ce n’est pas idéaliser une sorte d’épopée nationale. C’est se montrer d’abord attentif aux avatars linguistiques et littéraires d’un français qui s’est édifié sous l’égide et la tutelle éclairée de la langue latine.
Chasser le latin, comme on le fait actuellement dans l’enseignement secondaire par toutes sortes de moyens directs ou détournés, c’est désapprendre le français. Organiser la disparition des filières qui permettaient de maintenir un bon noyau de langue et de culture latines chez les enfants de France, c’est rendre inaccessible aux générations futures notre patrimoine littéraire, philosophique et historique ; c’est ramener le français à un simple outil de communication, qui perd toute chance de s’affirmer dans un monde dont la plupart des communications sont désormais assurées dans un anglais pauvre mais commun. On peut rêver : quel président, quel ministre courageux oseront enfin renverser la tendance en instituant le fait latin à l’intérieur même de l’enseignement du français ? »
Seize auteurs, poètes, écrivains et professeurs attachés à des institutions prestigieuses, rappellent avec érudition et simplicité que le latin est encore une langue vivante non seulement en poésie et en littérature, mais aussi en médecine, en science, en droit, en politique, en philosophie, et ce dans tous les pays européens.
Sommaire
Avant-propos, par Cécilia Suzzoni et Hubert Aupetit, « Sans le latin... »
Préface par Rémi Brague, « Perdre son latin »
Conférences, avec les contributions de Frédéric Boyer, Rémi Brague, Jean Canavaggio, Michel Deguy, Vincent Descombes, Michael Edwards, Yves Hersant, François Hartog, Denis Kambouchner, Jacques Le Rider, Pierre Manent, Jackie Pigeaud, John Scheid, MGR Turek, Romain Vignest.
Postface par Yves Bonnefoy, « Le latin, la démocratie, la poésie »
« Faisons un rêve », par Cécilia Suzzoni et Hubert Aupetit
07:40 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : sans le latin, culture, littérature, mille et une nuits |
dimanche, 15 juillet 2012
Rien de neuf sous un ciel hollandais
Rien de très mirobolant dans la vie politique, que du très ordinaire : remarquez, qu’attendre d’autre sous la griffe d’un «président » qui fit de la « normalité » son cheval de bataille ? Me demande comment la postérité jugera cette « séquence » de la vie politique française, durant laquelle la minorité votante qui fabrique, sous la coupe des medias, les gouvernants du pays, n’aspirait qu’à la normalité. C’est vrai que l’image de Hollande serrant la main de la reine d’Angleterre comme s’il était un vieux pote à elle était d’un tragiquement normal…
« Les Français sont, j’allais dire, comme moi.. », a susurré Hollande durant son allocution. Il se prend pour qui ce mec ? Etre normal, tout comme être élu, ce n’est pas se croire le centre de gravité du pays: Me sens Français, moi aussi, par exemple, et pas du tout comme lui…
Dans le même ordre d’idée, il va falloir que ce gouvernement fasse avaler aux quelques-uns qui gardent encore la tête sur les épaules que la normalité, ce n’est pas non plus le vote des immigrés, le mariage gay, et autre journaliste de Paris Match bombardée par le bon vouloir d’une seule alcôve première dame de France. Encore, s’il n’y avait que cela…
Il va falloir faire comprendre aux 18 millions d’électeurs dits « de gauche », et qui firent le « sacre » de Monsieur Pommade que le socialisme, c’est aussi la complicité avec les patrons qui licencient, l’habile et sournois impôt pour financer les dettes souveraines, la médiocrité culturelle partout régnante, le règne de la marchandise, la langue de bois sur les valeurs et les discours les plus flous et les voeux pieux sur le reste... Ce soir, le président visite une galerie d'art en Avignon avant d'aller voir (se montrer) Six personnages en quête d'auteur de Pirandello. Cherche-t-il à faire son Aubry ? Il parait qu'après l'armée, il souhaite en ce mois de juillet se préoccuper de la culture. Quand un socialiste (surtout normal) veut s'occuper de la culture, moi, franchement, je crains le pire. Bref, la vie mondaine et culturelle de François II est passionnante. Rien de neuf sous un ciel de Hollande.
Heureusement, remarquez que le changement n’est pas tout à fait maintenant : pour ce jour, reste le Tour de France et les Pyrénées, quatorzième étape, Limoux-Foix…
10:14 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : françois hollande, pirandello, socialisme, tour de france, pyrénées, quatorzième étape, limoux foix |
samedi, 14 juillet 2012
Louis Calaferte (1928-1994)
« Si je parle si longuement des livres, c'est qu'ils favorisèrent en moi une sorte de système d'autodéfense à l'égard de ma condition » écrivit Louis Calaferte au début de Septentrion, dans ce passage très long et très beau qu'il consacre à la lecture :
« La lecture contribuait à tempérer au fond de moi cette anxiété dont j'ai longtemps souffert, de n'être qu'un raté » Ou bien encore : « Longtemps, mes rêves de la nuit ont été encombrés de librairies aux proportions fabuleuses où j'étais accueilli en ami bienvenu, où l'on mettait à ma disposition des bibliothèques cachées contenant des éditions introuvables ».
Un peu comme son aîné, le briochin Louis Guilloux, qu'il cite souvent dans ses entretiens, Calaferte a promené toute sa vie ses blessures d'enfance dans le paysage littéraire français. Comme lui, il n'a cédé que de façon épisodique au parisianisme littéraire et ne s'est jamais relié à une quelconque chapelle. Né, pour mémoire à Turin le 14 juillet 1928, il a grandi à Lyon, dans la zone, comme il le rappelait, où il a souffert de la précarité de sa condition. Dès l'obtention du certificat d'étude, il est entré comme garçon de courses dans une entreprise textile, puis comme manœuvre dans une usine de piles électriques. De l'occupation allemande qui marqua sa jeunesse, il a tiré bien plus tard C'est la Guerre, l'un des ses derniers récits écrit en 21 jours (1993), quarante-et-un an après le Requiem des innocents (1952), le premier texte publié et lui aussi inspiré de son enfance difficile.
Louis Calaferte a débarqué à Paris en 1946, dans un dénuement complet, avec l'intention de devenir comédien. On trouve d'ailleurs trace de lui dans des rôles de figurants au théâtre du Vieux-Colombier ou à l'Odéon, où il croisa Jean Vilar, « un cafard galopant sur son manteau », raconte-t-il. Dans ce Paris d'après-guerre, Calaferte vit à l'hôtel, comme Genet, écrit beaucoup, se cherche. Grâce à Kessel, il entre chez Julliard avec son Requiem des Innocents, qui connaît un large succès. Malgré cela, il revient à Lyon dès 1953, s'installe à Mornant en 56, dans la fameuse maison où il composa durant cinq longues années de mutation intérieure Septentrion, roman dans lequel perce l’influence de Céline, et auquel le ministère de l'Intérieur offrit, en interdisant sa publication, une gloire immédiate. Parallèlement pour assurer son existence, il mène jusqu'en 1974, une activité de producteur-animateur à la radio lyonnaise, ensuite à l'O.R.T.F, puis à F.R.3.
Par bien des aspects, Calaferte s'est démarqué des auteurs de sa génération. « Je ne suis pas un inventeur de formes », disait-il, prenant à contre pied les adeptes du textuel et du structuralisme.. La seule influence littéraire qu'il se reconnut fut celle d’un bourlingueur, Cendrars, à propos de qui il parle de "révélation" : « Chez un bouquiniste, rue de Provence, j'ai volé un livre de Cendrars, je devais avoir dix-huit ans. A partir de ce moment-là, j'ai cessé de lire des romans, des choses sans intérêt. J'ai compris qu'il y avait deux littératures » On a souvent dit, par ailleurs, que Calaferte était un pessimiste, voire un désespéré, faisant à son égard le même raccourci qu'à l'égard de Léon Bloy. Comme Bloy, dont il se démarque avec vigueur, Louis Calaferte est croyant, pèlerin même, à sa façon. Outre ses Carnets, publiés chez Denoël et l'Arpenteur de 1956 à 1981, on peut lire à ce propos le dernier entretien qu'il a donné à Jean-Pierre Pauty, publié chez Julliard l'année de sa mort, et titré L’Aventure intérieure.
09:02 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (29) | Tags : louis calaferte, littérature, lyon, culture, quatorze juillet |
mercredi, 11 juillet 2012
La promesse de l'aube
La perfection n’est pas d’ce monde : ainsi s’exprime le bon sens des vieux. Le parfait, l’accompli, c’est pourtant ce vers quoi nous aspirons tous dans la fraîcheur, le silence, la contemplation ravie, la promesse de l’aube. La pulsation parfaite nous maintient ensuite à travers tous les désagréments de chaque jour.
Toute journée qui se déroule n’est que la réduction progressive des virtualités offerte par chaque aube. Les pêcheurs le savent mieux que quiconque, dont les pas solitaires et bottés frappent les premières minutes de chacune, à l’instant qu’ils s’éloignent des demeures pour gagner sans bruit les berges des torrents.
Sur les places, le soir, hommes et femmes s’amassent et boivent. La chaleur restreinte du jour les a cuits, ils ne sont plus que vide. Dans la démence de l’alcool ou du rut, leurs cris cherchent de l’absolu, comme si c’était matière. Mais ils ne trouvent que nuit.
L’aube reviendra. Un chat errant le pressent sur les toits, le corps tendu vers cette lueur qu’une lune moqueuse – oui, c’est bien l’astre travesti par excellence – lui renvoie lorsqu’il galope sur les toits.
06:58 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, poésie, aube |
mardi, 10 juillet 2012
Le petit garçon
En face du balcon la ligne d’un immeuble, un immeuble de neuf étages en béton. Sur la moquette, le petit électrophone, un Teppaz avec une pointe qui, dansante, grésille. Cette voix brusque et tendre qui affirme : « Attends, je sais des histoires… ». Il y a bien un homme, c’est le gardien de l’immeuble, et il a l’air idiot. Des histoires ?
De l’autre côté de la porte de sa chambre, une porte en contreplaqué, sa mère qu’il aime va et vient, soucieuse. Parfois elle entrouvre et le regarde, qui écoute cette voix et cette musique, l’esprit vide, l’esprit bien. Leurs yeux se croisent. Il lui sourit. Elle referme la porte. Cela fait des années qu’ils sont comme ça, tous les deux.
Des histoires de gens qui s’aiment. Il n’y pense pas. Il est juste bien à écouter cette voix chaleureuse de Reggiani, comme si une histoire enfouie devait peu à peu surgir de son for intérieur à lui, qui s’ennuie, s’il parvenait à apprendre à se taire. Difficile de se taire, quand on s’ennuie. Il y a tellement d’autres histoires à retenir au collège. L’esprit toujours trop bruyant. A penser. A dire. S’il apprenait à se taire… L’engouement qu’il éprouve pour cette chanson n’est pas un simple effet de mode, non. Une histoire, plutôt, d’où découlerait sa propre vie.
Mélodie. La voix de Reggiani est chaleureuse. Elle lui parle, elle le captive. Il s’y noie. Elle lui raconte en sens inverse une histoire qu’il reconnaît sans la connaître, ça qui lui fait du bien. Une uchronie, diraient certains savants. Cette inversion étrange qui crée un équilibre, un sentiment intime de sécurité, là où le soir, il faut respirer très profondément pour ressentir le calme. Ce n’est qu’un F3, comme on dit, dans un HLM. Mais au moins y possède t il sa chambre sur les murs desquels il peut accrocher ses dessins.
Parti, resté, et lui-même ? Qu’importe le détail. C’était commode alors de se dire que seul l’amour compte. Une phrase du Christ, épinglé sur son petit bureau : « La haine n’a pas d’avenir ». La haine, l’amour : des sentiments nobles ! Des sillons du vinyle se dégage une dramaturgie simple et efficace : un tragédien de formation, ce Reggiani ! Sergio, un parleur, un enjôleur d’italien ! C’est étrange, parce qu’il a l’impression qu’autour de lui les gens ni ne s’aiment vraiment, ni ne se haïssent. Que le Réel est autre. Dans l’autobus, le matin, les gens montrent au chauffeur leur carte d’abonnement. Les gens reviennent le soir. Il faut trouver du travail.
Pourtant, il aimerait que sa mère cesse de tant travailler, comme ça. Tant qu’on travaille comme ça, on a l’impression que ça va. Que tout va bien. C’est ça qu’on tente de lui faire croire, et c’est ça qu’il croit peu à peu la plupart de la journée. Au mois de mai, la grève avait fini par s’éterniser. De temps en temps, comme par exemple en écoutant cette chanson, être à même de croire à nouveau à la haine, à l’amour, aux sentiments nobles.
C’est un absent qui lui parle. Quelqu’un qu’il imagine. Tout est opaque et il ne distingue pas bien les traits de ce visage. Reggiani, bien sûr, n’est qu’un masque. Un bon comédien. Si grandir sera s’éloigner davantage, il ne faudra pas oublier ce qui se dit, se chante et se mesure en lui tant qu’il écoute en boucle la promesse qui lui est faite, bien moins futile que celle, politique, de ce pauvre mois de mai…
Le petit garçon, Serge Reggiani, 1968
00:01 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : le petit garçon, serge reggiani, mai 68 |
vendredi, 06 juillet 2012
La mort hideuse de Maupassant
L’actualité se révélant répétitive et socialistement cousue de fil blanc, j’ai commencé avec ce mois de juillet ( et sans vraiment le préméditer) une entreprise de détour par le passé : une sorte de bulletin nécrologique des écrivains décédés en été. Après Céline, Hemingway, Bernanos, c’est devant le spectre encore laiteux de Maupassant, pourvoyeur sans pareil de nouvelles en tous genres devant l’Education nationale, que je vous suggère une petite génuflexion.
« J’apprends la mort hideuse de Maupassant, écrivit Léon Bloy le 6 juillet 1893. Quelques jours de bruit dans les gazettes, puis l’oubli éternel. C’est un des hommes qui m’ont fait le plus de mal. » (Il devient Gilles de Vaudoré dans Le Désespéré). Sur ce coup-là, le pamphlétaire s’était largement trompé : Guy (1) mérite-t-il cette étrange postérité, qui fait qu’on lit Le Horla parce qu’on y est contraint en troisième, Pierre et Jean ou Bel-Ami pour les mêmes raisons en première ? Pas davantage peut-être que ne le méritèrent Molière, Voltaire ou Baudelaire. Pareillement, méritait-il cet hommage posthume que lui rendit Valéry Giscard d’Estaing, qui déclara un jour, lui président, que Guy était son écrivain préféré ?
Un écrivain institutionnel, un écrivain qui fait partie des meubles, à la bibliothèque du coin comme à l’université : un de ceux, donc, les plus difficiles à lire, claquemuré entre Flaubert et Zola dans la famille des réalistes. A Limoges, à Nice, à Houilles, à Fleury sur Andelle, à Saint Martin de Fontenay, à Garéoult, à Chaumont en Vexin, à Bacqueville en Caux, à Fécamp, à Colombes, et sans doute ailleurs, ne trouve-t-on pas pour vous en ôter l’envie des collèges ou des lycées portant son nom, preuve de cet attachement indéfectible de Grenelle pour l’écrivain normand ?
Dans tous les manuels scolaires, le pessimisme de Maupassant passe inévitablement pour être « lucide ». Ce qui, en ce début de République des notables, n’a rien de profondément novateur. Il passe aussi pour être « moderne », bien qu’il appartînt au groupe qui pétitionna avec virulence dans le Temps contre la tour Eiffel : écrivain réaliste, sensuel, n’hésitant pas à publier contes et articles dans des journaux, et –dirait-on de nos jours – plus « décomplexé » que d’autres « à l’égard de l’argent ». Sartre, n’a-t-il pas péremptoirement affirmé que dans « la structure immuable de ses nouvelles, tout concourt à symboliser la bourgeoisie stabilisée de la fin du siècle, qui pense que rien n’arrivera plus, et qui croit à l’éternité de l’organisation capitaliste » ? Il passe enfin pour être « troublé », la preuve a-t-on longtemps avancé, ce goût inquiétant pour les contes fantastiques. Un pessimisme lucide, moderne et troublé, soit (à quoi il faudrait rajouter institutionnel) - une œuvre colossale faite de morceaux de bravoure et de coins obscurs, dont on se demande s’il existe beaucoup de gens à l’avoir lui extenso, une fin hideuse, en effet : Interné depuis une double tentative de suicide de janvier 92 (au pistolet et au morceau de verre) il meurt paralysé à pas même 43 ans, dans la clinique sans âme de l’aliéniste Emile Blanche
Maupassant caricaturé par Col-Joc, Les Hommes d'aujourd'hui (1885)
1. Oui, je dis Guy. Une marotte que j’emprunte aux élèves, qui ont de plus en plus tendance dans leurs copies à se permettre ce genre de familiarités avec les auteurs.
15:08 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : littérature, maupassant, giscard d'estaing, collèges et lycées maupassant |
jeudi, 05 juillet 2012
Bernanos : Les fantômes de la liberté
« Il n'importe pas de condamner ce monde. Il vaudrait mieux le plaindre. Il a besoin de pitié. Seule la pitié pourrait blesser son orgueil. La psychologie actuelle démontre très bien que l'orgueil n'est qu'une des formes du redoutable complexe d'infériorité. Le monde moderne est un monde humilié, un monde déçu, c'est ce qui le rend furieux. Le sentiment de la ridicule disproportion entre ses réalisations et ses promesses donne à cette fureur un caractère de férocité. Tous les ratés sont cruels. Le monde moderne est un monde raté. Il risque aujourd'hui de se jeter dans le suicide pour échapper à l'intolérable aveu de son impuissance ».
Georges Bernanos (« Le monde moderne est un monde humilié » - interview publiée le 10 février 1939 dans O Journal, et repris dans La France contre les robots)
A quel moment, quelle occasion, ai-je compris que j'avais un besoin pressant, criant, urgent de lire Bernanos, de lire Béraud, de lire Galtier-Boissière, de lire Jean Giono, de lire Louis Guilloux - nés successivement en 1888, 1885, 1891, 1895, 1899 ? C'était il y a dix ans, à peu près, que j'ai ressenti le besoin du témoignage de cette génération, pour me laisser par eux expliquer ce qu'avait été le monde avant que leurs fils ne s'en emparent, et ne se mentent à eux-mêmes, et en fassent celui dans lequel j'étais né.
Je me souviens bien avoir, dans les années soixante-dix, commencé à étudier la littérature latine, la littérature française, dans un vieux bon lycée de province qu'avaient construit des chrétiens. L'héritage... Malheureusement, cet héritage venait toujours buter contre cette date de 45, qu'on nous présentait alors comme un renouveau, un commencement, une ère grandiose, une libération.
Moi, j'étais le témoin de cette modernité-là déjà déconfite quelque trente ans plus tard, vraiment dégradée, de Pascal ou Chateaubriand en Jacques Prévert ou Boris Vian, de Madame de La Fayette ou Juliette Récamier en Benoite Groult ou Juliette Gréco, de Vivaldi en Gainsbourg, et de La Tour en Dali...
Et lorsque je me suis alors franchement posé la question de l'héritage, et de ce que je pourrais, moi, faire - me venait toujours cette sensation que c'était vraiment pitié qu'être né dans ces années 50, à l'heure de Kerouac, d'Edith Piaf et du Coca cola. Pitié. Qu'il n'y avait plus rien à faire, de toute façon, car quelque chose de diffus, d'inexpliqué, comme une malédiction, mais de bien réel, était là.
Et je tournais les yeux vers mes copains, et je les saluais.
Pitié, vraiment, mes copains, ces petits frères des soixante-huitards déjà rangés du bon côté de la barricade, déjà cohn-benditisés à souhait, prêts à voter Mitterrand avant même d'être encartés, vraiment. Un de mes excellents potes à l'époque répétait : "ce qu'il faut garder, c'est la dignité, et le sens de l'humour..." Vite dit. Je l'aimais bien quand même.
Nous essayions donc, du haut de nos seize dix-sept ans, de conserver dignité et sens de l'humour, tout en se récitant des pages de Nerval (Ah, Sylvie), comme on se parlerait, sur un terrain vague, du temps d'avant l'explosion d'une raffinerie. En ces années-là, je vis les hommes et aussi les femmes de mon pays commencer à vraiment polluer toutes leurs rivières, se précipiter en hordes dans des centres commerciaux pour acheter des yaourts dans des petits pots en plastique, et chanter La pêche aux moules avec Jacques Martin. Mes copines, alors. Mes copines ?
Pitié, elles aussi. Tragiquement pitié, ces copines, avec leur crédulité de jeunes libérées en mini-jupes, à un point que c'en était ridicule. A dix-huit ans, déjà fatigué d'Arthur Rimbaud comme il dut l'être de lui-même, je lisais donc Kabîr et Toukaram en me demandant où était passé l'Occident dans tout ça. Déconfiture de la Royauté Technique. Technologique.
L'Occident n'était plus qu'une force technologique, à l'image de ses deux monstruosités : Hiroshima et le premier homme sur la lune. Tout le monde était d'accord pour trouver que la première était monstrueuse. Peu s'aperçurent que la seconde était pire. Mais d'hommes, de spiritualité, point régnant au pays des grandes surfaces et des temples de la consommation. Et certes, ce n'est ni le néant Sartre, ni le néant Beauvoir qui, à l'époque, auraient pu m'expliquer où était passé l'Occident que j'avais appris à l'école. Ces deux là, qui en étaient les fossoyeurs acharnés, avaient déjà décidé de n'avoir aucun descendant. Nada ! Ces deux là, opportunistes sans talent mais roués, étaient fins de race à l'extrême, monstres d'égoïsme et le sachant jusqu'à la moelle, ils appelaient ça existentialisme, deuxième sexe, libération, modernité, littérature et autres conneries mortifères. L'Institution Universitaire faisait alors s'achever la littérature du dix-neuvième siècle grosso modo à Proust, et débuter celle du vingtième à peu près aux alentours de Nathalie Sarraute. Comme s'il n'y avait rien eu entre. Rien. Pas un homme. Que des maudits
18:17 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (69) | Tags : bernanos, littérature, politique, société, france, béraud, quatorze dix-huit |
mercredi, 04 juillet 2012
78,4 % (Lisbeth)
C'est un classique du mois de juillet pour les étudiants et lycéens : l'attente des résultats. Nous avons tous connu cette sensation mitigée, faite de certitude et de doute, d'espoir et de crainte, d'envie de faire autre chose et d'incapacité à penser à autre chose justement, bref. Les résultats du bac cette année sont le 6 juillet. Plus que deux jours à poireauter.
En attendant, histoire de prendre un peu de recul, et d'en rire, je republie ce petit croquis qui depuis 2009 demeure d'actualité :
78,4 % de réussite au bac du premier coup. Les 80 % qu'ambitionnait le ministre Chevènement à la fin des années quatre-vingts seront bientôt atteints. Alléluia. Moi qui ne connait qu'un dixième seulement des tripatouillages administratifs et des petits arrangements pédagogiques à l’origine du phénomène (mais un dixième, c’est suffisant pour avoir une idée approximative de l'ensemble), je garde raison et ne m’enflamme pas : l’humanité, dans sa version occidentale (et plus spécifiquement franchoullarde) n’est pas soudainement devenue plus intelligente, plus spirituelle, plus cultivée - si tant est que l’obtention du bachot ait jamais été un symptôme d’intelligence, de spiritualité et même, osons le mot, de culture. Et tous les petits Français ne sont pas des génies, loin s'en faut. Mais le chiffre est séduisant et brille sur le papier de tous les quotidiens : 78,4%... Et on se dit : qu'en sera-t-il après le fameux rattrapage ?
Tout à l’heure, j’étais dans un bar tenu, disons, par Lisbeth. Lisbeth est aussi volumineuse que son mari est long et sec. Lisbeth est vive, autant que son mari parait éteint. J’aime bien leur bar, parce qu’ils ne servent pas de repas à midi, ne font pas chier les gens ni avec de la musique ni avec la radio, ne demandent pas à être payés dès la consommation posée sur la table et savent encore, comme les gens d’un siècle désormais enfoui dans l'ère pré-technologique, rester tranquilles en silence ou en papotant discrètement derrière leur comptoir. Bref Lisbeth et son mari sont des gens, disons, normaux.
Mais aujourd’hui, grand émoi.
La fifille à Lisbeth vient d’avoir son bachot.
Lisbeth, elle ne tient donc plus en place et le clame à la terre entière, par portable interposé.
Elle fait, semble-t-il, le tour des mères des copines et des copains de Fifille, laquelle s’est déjà barrée, entre parenthèses, pour une semaine sur les bords d’un lac suisse, en raison de cet exploit remarquable. Laquelle, à entendre sa mère s’épuiser en longs récits, s’est déjà saoulée toute la nuit avec des poteaux. On la sent, Lisbeth, en pleine communion spirituelle avec Fifille, qu’elle voit déjà, débordante de vanité filiale et d'espoirs middle-class, sur les bancs d’HEC.
Seulement voilà.
Lisbeth découvre, au fil des appels, que tous les rejetons & rejetonnes des copines à qui elle annonce la bonne nouvelle ont aussi gagné le gros lot. Les bourgeons s'embourgeoisent.
Au début, elle est vachement contente pour eux, ça se voit aux petits gloussements de dinde qu’elle émet. Et de partager leur expérience commune de mamans ravies. Quand même, on n'est pas si mauvaises que ça !
Une fois.
Deux fois
Trois fois.
Quatrième fois, une ombre se glisse dans la joie jusqu’alors limpide du visage grassouillet de Lisbeth.
Ah bon, il a eu son bac aussi ? Avec mention AB aussi ? Ah bon ? Les traits se figent.
Ah bon !
Elle se retourne vers, disons Robert, l’air dépité : T'entends ? ( non, il entendait pas, Robert. Il trainait son pas lent derrière le comptoir, un torchon sur le polo Lacoste, et pensait on sait pas trop à quoi, d'ailleurs... ) Cédric Machin l’a eu aussi, qu’elle gueule. Tout le café en profite.
Et ce n’est pas tout.
Voilà qu’elle apprend, non c’est pas possible, elle a toujours été nulle, que Charlotte Truc aussi a décroché le pompon, que l’autre idiot de Guillaume Bidule, aussi, et Magali, et Thomas, et Virginie, bref, tout le quartier a eu son bac, le bac à Fifille, "incroyable", qu'elle finit par lancer à son mari, c’est affreux …
Lisbeth, vaniteuse et décomposée se pose sur une banquette.
Bon, dit-elle à la dernière de ses interlocutrices, je fais quand même l’apéro prévu la semaine prochaine, le bac, ça reste le bac qu’elle fait, hein, euh…
78,4… De toute façon, croyez-moi, et c’est sans doute pas plus mal, ce Bac Big-Bazar vit probablement ses dernières années : un contrôle continu suffira bientôt pour faire la circulation routière dans les voies sinueuses de l’orientation scolaire.
Mais quel bon connaisseur du genre humain a dit un jour : « C’est important d’être heureux, à condition que les autres ne le soient pas ?
13:54 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : bac, bachot, baccalauréat, éducation nationale, lisbeth, politique, éducation, actualité, société |