vendredi, 06 juillet 2012
La mort hideuse de Maupassant
L’actualité se révélant répétitive et socialistement cousue de fil blanc, j’ai commencé avec ce mois de juillet ( et sans vraiment le préméditer) une entreprise de détour par le passé : une sorte de bulletin nécrologique des écrivains décédés en été. Après Céline, Hemingway, Bernanos, c’est devant le spectre encore laiteux de Maupassant, pourvoyeur sans pareil de nouvelles en tous genres devant l’Education nationale, que je vous suggère une petite génuflexion.
« J’apprends la mort hideuse de Maupassant, écrivit Léon Bloy le 6 juillet 1893. Quelques jours de bruit dans les gazettes, puis l’oubli éternel. C’est un des hommes qui m’ont fait le plus de mal. » (Il devient Gilles de Vaudoré dans Le Désespéré). Sur ce coup-là, le pamphlétaire s’était largement trompé : Guy (1) mérite-t-il cette étrange postérité, qui fait qu’on lit Le Horla parce qu’on y est contraint en troisième, Pierre et Jean ou Bel-Ami pour les mêmes raisons en première ? Pas davantage peut-être que ne le méritèrent Molière, Voltaire ou Baudelaire. Pareillement, méritait-il cet hommage posthume que lui rendit Valéry Giscard d’Estaing, qui déclara un jour, lui président, que Guy était son écrivain préféré ?
Un écrivain institutionnel, un écrivain qui fait partie des meubles, à la bibliothèque du coin comme à l’université : un de ceux, donc, les plus difficiles à lire, claquemuré entre Flaubert et Zola dans la famille des réalistes. A Limoges, à Nice, à Houilles, à Fleury sur Andelle, à Saint Martin de Fontenay, à Garéoult, à Chaumont en Vexin, à Bacqueville en Caux, à Fécamp, à Colombes, et sans doute ailleurs, ne trouve-t-on pas pour vous en ôter l’envie des collèges ou des lycées portant son nom, preuve de cet attachement indéfectible de Grenelle pour l’écrivain normand ?
Dans tous les manuels scolaires, le pessimisme de Maupassant passe inévitablement pour être « lucide ». Ce qui, en ce début de République des notables, n’a rien de profondément novateur. Il passe aussi pour être « moderne », bien qu’il appartînt au groupe qui pétitionna avec virulence dans le Temps contre la tour Eiffel : écrivain réaliste, sensuel, n’hésitant pas à publier contes et articles dans des journaux, et –dirait-on de nos jours – plus « décomplexé » que d’autres « à l’égard de l’argent ». Sartre, n’a-t-il pas péremptoirement affirmé que dans « la structure immuable de ses nouvelles, tout concourt à symboliser la bourgeoisie stabilisée de la fin du siècle, qui pense que rien n’arrivera plus, et qui croit à l’éternité de l’organisation capitaliste » ? Il passe enfin pour être « troublé », la preuve a-t-on longtemps avancé, ce goût inquiétant pour les contes fantastiques. Un pessimisme lucide, moderne et troublé, soit (à quoi il faudrait rajouter institutionnel) - une œuvre colossale faite de morceaux de bravoure et de coins obscurs, dont on se demande s’il existe beaucoup de gens à l’avoir lui extenso, une fin hideuse, en effet : Interné depuis une double tentative de suicide de janvier 92 (au pistolet et au morceau de verre) il meurt paralysé à pas même 43 ans, dans la clinique sans âme de l’aliéniste Emile Blanche
Maupassant caricaturé par Col-Joc, Les Hommes d'aujourd'hui (1885)
1. Oui, je dis Guy. Une marotte que j’emprunte aux élèves, qui ont de plus en plus tendance dans leurs copies à se permettre ce genre de familiarités avec les auteurs.
15:08 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : littérature, maupassant, giscard d'estaing, collèges et lycées maupassant |
Commentaires
fleury sur andelle^^
Écrit par : gmc | vendredi, 06 juillet 2012
Merci. C'est corrigé !
Écrit par : solko | samedi, 07 juillet 2012
J'ai tout lu, je crois de Maupassant, et pas sous la torture.
Votre texte me rappelle une anecdote survenue à un de nos copains instituteur. Il donne à ses élèves une dictée, un texte de Maupassant, la semaine suivante, il redonne une dictée, toujours de Maupassant, et un gamin au fond de la classe de dire :"ben, y n'a écrit que des dictées, ce c..là !".
J'imagine que le potache en question n'a jamais mis le nez dans un bouquin de son ennemi.
Écrit par : Julie des Hauts | vendredi, 06 juillet 2012
De la même manière aujourd'hui, Voltaire et son Candide est une espèce de pensée médiane pour bachelier new-age. Ah Candide ! Durant tout le temps où j'ai "enseigné" la littérature, je suis parvenu à ne jamais le faire lire aux élèves qu'on m'a confiés, ce qui est une sorte d'exploit, je crois :
Écrit par : solko | samedi, 07 juillet 2012
J'ai été contraint de lire Le Horla (et je l'ai lu ; la contrainte ne suffit pas, parfois). C'était en quatrième. Cette histoire, que je n'ai pas comprise le moins du monde, m'a terrifié et traumatisé. A tel point que je n'ai jamais rouvert un bouquin de ce guy. Je le prends, à tort ou à raison (à tort sûrement) pour un écrivain ennuyeux. Heureusement la littérature française ne manque pas d'autres très bons auteurs ennuyeux pour combler le vide !
Écrit par : Benoit | vendredi, 06 juillet 2012
On ne dira jamais assez les "dégats" que l'institution scolaire fait dans l'apprentissage de la lecture...
Écrit par : solko | samedi, 07 juillet 2012
Lire et étudier Le Horla en quatrième n'est pas indiqué , mais cela ne veut pas dire que ce récit soit ennuyeux ! Il n'est jamais trop tard pour essayer de comprendre et échapper au subjectivisme le plus niais : c'est "ennuyeux" pour qui, et à quel moment ? D'ailleurs aujourd'hui beaucoup de personnes fort limitées mais trendy (?) diraient "c'est chiant ". Ils le sont aussi , chiants , probablement " à l'insu de leur plein gré " .
Écrit par : L'amisanthrope | dimanche, 08 juillet 2012
De Maupassant, je garde en mémoire le souvenir torturant de La petite Roque, je m'en suis remis depuis.
Pour vous et vos lecteurs, cette curiosité que je trouve intéressante :
Lettre de Céline au critique américain Artine Artinian, 26 août 1938.
Les lettres américaines sont en retard d'environ 50 ans sur les lettres européennes - qui ont fait depuis un demi-siècle leur maladie naturaliste. Maupassant n'offre plus pour nous actuellement aucun intérêt - tout a été dit rabâché - en thèses, en des cours en controverse sur le sémillant nouvelliste. Je crois évidemment que les romanciers américains sont encore à la traîne de Maupassant - cela leur passera.
Maupassant a été l'inspirateur de l'article "enlevé" "sensible" "pimpant" dont tous les journalistes actuels, du monde entier, usent et abusent -
Quant au fond même, il est nul. Comme tout ce qui est systématiquement "objectif" -
Tout doit nous éloigner de Maupassant -
La route qu'il suivait, comme tous les naturalistes, mène à la mécanique - aux usines Ford - au cinéma - Fausse route !
Céline, Lettres, La PLéiade, 2009.
Écrit par : Danny | dimanche, 08 juillet 2012
en des cours, en controverses
Écrit par : Danny | dimanche, 08 juillet 2012
Maupassant est mécanique mais Céline l'est tout autant, mais dans un genre hystérique qu'il a vite fini par caricaturer... et je ne parle pas de ses épigones insupportables de nombrilisme. La filiation entre Céline et auto-fiction.
Écrit par : Francesco Pittau | dimanche, 08 juillet 2012
Quand on aime, on ne compte pas !
Pour vous répondre Francesco, je ne ferai que reprendre ces quelques extraits d'Au Régal Des Vermines de Nabe, que je fais miens. Je ne cherche évidemment par ce choix, vous vous en doutez, trouver un quelconque modus vivendi.
" Le jour où vers quatorze ans, j'ai découvert Rigodon (("Je vois bien que Poulet me boude..."), je suis resté pétrifié, je suis rentré dans l'univers célinien avec une euphorie, une passion invraisemblable. Bien des choses m'étaient passées au-dessus, mais malgré les méconnaissances historiques, la voix écrite, le souffle, la sonorité de la phrase du Cuirassier a tout emporté sur son passage, je suis parti sur ces rails-là pour toujours, touché à la vie à la mort.
Je considère ceux qui ne sont pas sensibles à Céline comme des handicapés physiques !"
(...)
" C'est qu'il a tout. Tout ce qu'il y a de mieux chez tous les autres, il l'a. Céline est imparable : on dirait qu'il a inventé l'univers. "
Écrit par : Danny | dimanche, 08 juillet 2012
A propos du style célinien, Nabe toujours.
"Je pèse mes mots : Céline est à lui seul aussi important que le Jazz. l suffit de l'écouter. Hélas ! les types ne svent pas s'inspirer ! Ils ne savent pas retenir une leçon. Céline pourtant est bien le Maître dont on peut tout apprendre. Il ne suffit pas de mettre les trois points là où on suppose qu'il les faut pour sonner "célinien". Ce qui compte, c'est de saisir ses objectifs, tous les pièges dans lesquels il ne tombe jamais, et puis les structures de ses livres, ses raisons, sa démarche vers l'écriture, sa conception de la chose, sa perception cosmique, tout ce qui le fait écrire. Qu'on lui laisse donc son style : il est à lui, comment oser rivaliser ? Mais qu'on l'écoute religieusement, qu'on saisisse bien d'où il est parti, comment il en est arrivé là : ça c'est primordial pour un écrivain, ce qui lui permet de tenir son stylo. "
Écrit par : Danny | dimanche, 08 juillet 2012
Nabe enfin.
" Il y a une ruse pour essayer d'échapper à Céline. C'est de faire semblant de lui préférer d'autres types. Si on n'apprécie que lui, on est foutu. Moi je bénis Léon Bloy, Suarès et Powys (pour ne citer que ceux que j'adore vraiment et dont j'essaie de me rapprocher) d'avoir été assez charitables pour permettre d'écrire. Bien que je sache pertinemment au fond de moi-même (pourquoi hésiter à l'avouer) que ma vision est célinisée, je me félicite, avec tous les atouts que j'avais contre moi au départ, d'avoir réussi à sortir du guêpier célinien où mon écriture me poussait.
Il y a une tentation qui fait que Céline écrase tous les autres. Ecrire, c'est jouer avec cette tentation. "
Écrit par : Danny | dimanche, 08 juillet 2012
Je ne suis pas d'accord avec le commentaire de Francesco mais je ne veux pas renter en conflit après tout on est tous libre voir un avis diffèrent
Écrit par : mutuellesante.org | lundi, 09 juillet 2012
Pas eu de dégoût de Maupassant, pour ma part. Peut-être parce que j'ai commencé à le lire par "Boule de Suif", et que cette nouvelle m'a tout de suite murmuré à l'oreille une des vérités du monde humain, du moins quelque chose que j'avais pu vérifier, ne serait-ce que dans les cours de récré déjà si cruelles. Et puis peu de temps après (ce devait être au début des années 1970, tout ça), il y a eu "La chevauchée fantastique", le premier film que ma mère m'a emmenée voir au cinéma, dans une petite salle du Quartier Latin, sièges en bois et fumeurs dans les rangées... :) Et j'ai reconnu l'histoire de "Boule de Suif" - sauf que là, elle s'appelait Dallas, cette jeune fille épatante à mes yeux, parce que droite et courageuse là où les autres étaient si lâches.
Maupassant, pas moderne ? Demandez à Ford, et ne me dites pas que ce dernier n'était pas "moderne" lui non plus (ou revoyez "La raisins de la Colère")...
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 11 juillet 2012
J'ai lu jadis "Le voyage", comme à peu près tout le monde. J'étais jeune, je ne savais rien de Céline, le livre m'a plu, par ce qu'il avait de novateur, ce style si différent de ce que j'avais pu lire auparavant. Après, j'ai su des choses sur Céline et tout s'est effacé devant ça, le talent n'excuse pas tout.
Écrit par : Julie des Hauts | jeudi, 12 juillet 2012
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