samedi, 24 janvier 2009
Lecteurs en situation
Le commentaire de Mère Grand sur Béraud hier m'a fait énormément plaisir. A lui seul, et avec ses mots, il témoigne de la force du temps. C'est cela. Au milieu de la cohue générale, il y a des lecteurs qui tiennent bon. Les livres ont besoin d'eux. De ces lecteurs qui n'oublient rien. Qui gardent. Conservateurs comme le sont les rocs durs d'Ouessant tout autour du Créac'h. C'est un lieu magique dans lequel j'ai lu quelques livres, autrefois. Je me souviens de La Mer, de Michelet, dévoré dans le fracas des vagues. Et puis aussi de René Char. Et puis de quelques Béraud. Le monde manque de plus en plus de lieux où lire un livre, tout en étant en harmonie avec lui. Quand j'étais brancardier de nuit à l'hôpital Saint-Joseph, j'ai voyagé durant des nuits en solitaire dans la nuit de ce seul bâtiment à présent détruit et dans les tomes d'Ulysse de Joyce. Je me souviens avoir lu Madame Bovary vers l'âge de dix-sept ans, à l'intérieur d'une ferme savoyarde où tout était resté en état, comme au dix-neuvième siècle. Homais était là, sous la tonnelle. Lorsque j'habitais à côté du Père Lachaise, j'allais évidemment lire sur une tombe ou sur une autre. Par boutade, je dis parfois à des élèves qu'on comprend toujours mieux un auteur quand on l'a, lui, sous les fesses, plutôt qu'un simple bout de bois. C'est ainsi que j'ai dévoré César Birotteau, par exemple. Régulièrement, chaque après-midi sur le banc de la tombe d'Hanska et d'Honoré. Et ces folles Spendeurs et Misères des Courtisanes. Pour Les Chimères, je n'avais qu'à traverser l'allée. Gérard était là. Sur sa pierre tombale, j'ai découvert ses Promenades et Souvenirs en Valois, d'où était sortie Sylvie. Il a fallu aller à Sète pour, devant celle de Valéry, et comme en une sorte d'hommage cette fois-ci, lui déclamer son Cimetière Marin. Très belle expérience de Guilloux à Saint-Brieuc. De Renan à Saint-Sulpice. De Giono dans un mas des Cévennes. Pour en revenir à Béraud, Béraud c'est Lyon. Ou l'île de Ré. Sur l'ile d'Ouessant, j'avais un peu triché. Mais peut-on faire autrement, parfois ? Sur l'Ile de Ré boboïsée et jospinisée que c'en est à pleurer - ce monsieur Jospin à la blanche crinière qui discute aux terrasses, assis sur la selle de son vélo à l'arrêt -, je me souviens avec une redoutable précision de cette longue promenade à vélo, de l'ancien bagne reconverti en je ne sais plus quoi à la maison des Trois Bicoques, et de là, au petit cimetière de Saint Clément les Baleines. Contre la haie de lauriers du cimetière, Marthe Deladune, Germaine et Henri Béraud demeurent tous trois, à présent côte à côte, à deux pas des Trois Bicoques. Le chiffre romain s’obscurcit sur la stèle nue de l’écrivain. Le buste qui le figure a le regard fixé vers l’Ouest, où finissent les terres. En ce lopin écarté de la pointe extrême de l’île, on le ressent frissonnant de l’orgueil crépusculaire de ces auteurs de l’ancienne France. Cet isolement stoïque et singulier sied bien, in fine, au pari assumé de cette œuvre. Le lecteur que le préjugé indiffère la découvrira, tel ce buste en pierre blanche, magnanime, sauve et debout, ainsi que l’aura maintenue jusqu’à nous le souvenir têtu de quelque Mère Grand. Alors merci.
00:18 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : écriture, littérature, lecture, culture, béraud, trois bicoques |
vendredi, 23 janvier 2009
Henri Béraud : La force du temps
Je quitte à l’instant l’œuvre de Béraud. Et il me semble qu’il ne l’a jamais écrite, à peu de gens près, que pour lui-même. Comme tous les écrivains. Je ne parle pas, bien sûr, des grands reportages ni des pamphlets polémiques. Comme Joseph Kessel, comme Albert Londres, auxquels il ouvrit bien des portes, il rédigea les premiers pour vivre. Quant aux seconds, dans le contexte rudement cauchemardesque de la seconde moitié des années trente, il estima que c’était son devoir d'être de la bagarre en les faisant publier.
Je parle d’une bonne quinzaine de livres, ce qui n’est pas absolument rien. Et je n’hésite pas à croire que si la littérature française doit sortir vivante de la vacuité sidérante et du conformisme accablant dans lesquels l’ont plongée aussi bien l’institution universitaire que les politiques éditoriales de ces quarante dernières années, la redécouverte de cette œuvre par de jeunes ou de nouveaux lecteurs aura un rôle déterminant à jouer.
Car il y a dans la phrase d’Henri Béraud quelque chose d’asséné et de brutal, de juste et d’élégant, et même souvent de raffiné, qui fait sa fête à tout amoureux de la langue française. Henri Béraud ne fut ni un idéologue, ni un penseur, ni un politique Contrairement à beaucoup d’hommes de sa génération, il sortit la vie sauve de l’enfer des tranchées de quatorze dix-huit. Comme beaucoup d’hommes de sa génération, il sut alors qu’il avait sacrifié son existence, car la société au sein de laquelle elle s’apprêtait à se dérouler avant que la boucherie ne commence, cette société, bel et bien, n’était plus. C’est pourquoi il jeta sur le monde un regard à la fois baroque et lyrique, l’un de ceux qui siéent mal au sérieux que lui demandait son temps : un regard de revenant désenchanté. Iceberg anachronique et têtu, n’explique-t-il pas encore, en 1944 ainsi sa conception politique : « Elle s’exprime toute dans l’amour de la France , la haine des Anglais et le refus de toute obédience étrangère » Cette politique qui, dit-il « a suffi à nos vieux rois, aux hommes de 93, à Napoléon, peut bien suffire à un fils de boulanger.»
L’effacement d’un grand auteur, quel qu’il soit, est toujours significatif de quelque chose. Dans une démocratie sur-médiatisée de pied en cap, le fait d’honorer chaque 11 novembre la mémoire d’un soldat inconnu est évidemment moins compromettant que le fait de perpétuer la mémoire d’un soldat qui fut trop connu et, surtout, inconsidérément bavard. Pour sa défense, c’était son métier de parler ainsi. Loin de moi l’idée d’attenter à la justesse d’une commémoration dont Béraud lui-même écrivit un jour que les Allemands nous en enviaient l’idée. Le fait est que, pour son malheur, Henri Béraud a appartenu à cette génération-là - que des cadets opportunistes auront singulièrement réduite au silence- et qui, parce que la gloriole la faisait rire, a laissé faire. Brasillach eut les honneurs d’un procès en bonne et due forme. Celui de Béraud, qui passa avant, lui, est une atroce caricature. .
«Pour moi la guerre n’est pas un sujet de littérature», écrivit un jour ce dernier. Elle fut, à vrai dire, cette guerre de Trente ans qui l'a conduit de l'an quatorze à l'an quarante-quatre, un horizon indépassable qui conditionna toute sa trajectoire parmi les hommes. Tandis que d’autres, de sa génération, se bornèrent à romancer leur guerre, il s’ingénia à démontrer qu’il n’y eut pas, qu’il n’y aura jamais d’autres guerres que la guerre économique entre les riches et les pauvres, en écrivant La Conquête du Pain, un ensemble de trois récits, fondé sur la dialectique du servage et de l’affranchissement. Témoin des bouleversements irrémédiables que le siècle imprimait à la société, il a dressé le tombeau éblouissant des jours qu’il vivait à mesure qu’ils s’écoulaient. Et sur le monde contemporain qu’il traversait avec effroi, il a passé son temps à rédiger des reportages, faisant de tout, même de sa propre mort, le prétexte d’une enquête.
Parce qu’il fut identifié au régime honni de la Troisième République dans laquelle ses pamphlets lui attirèrent des ennemis en nombre incalculable, ses juges ont eu intérêt à ce qu’il disparaisse avec elle. Soit. Henri Béraud qui était l’habitant d’un autre monde, n'a pas voulu, lui-même, être du leur. Quiconque ne regarde cet autre monde qu’avec l’œil abstrait de notre époque ne comprendra rien à la beauté, à la puissance et au grand effroi dont elle porte la gravité jusqu’à nous : "Par ma jeunesse, je touche au temps des diligences. J’ai connu les grand’routes, quand il y avait encore des auberges et des rouliers. Mon enfance, que hante le souvenir des pataches à bâches vertes, des picotins aux relais, des palefreniers à blouses blanches et bleues et bonnets de coton, me fait plus proche de mon bisaïeul que de mon cadet, plus semblable à un Mil huit cent trente qu’à un Moins de trente ans. Et je me crois jeune !"
10:23 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (29) | Tags : littérature, lyon, béraud, histoire, troisième république |
lundi, 19 janvier 2009
L'embourgeoisement du monde
Souffrir, dans ce monde lisse, est un délit.
Souligner l’incohérence, l’imposture, l’effroi,
Une trahison.
L’écart n’est conçu que validé par l’opinion.
Tandis que le développement des libertés prétendument individuelles
A fait de chacun de nous
L'objet, aussi original
Que le mobilier urbain qu’on voit dans nos rues
(Un banc, un lampadaire, une dalle, une poubelle),
La rivière de Char polluée, l’albatros de Baudelaire mazouté,
L’arbre de Giono réduit en cendres,
Le nuage opaque & crémeux qui plane sur chaque ville,
La surdité technologique,
L'amnésie médiatique,
Le ravissement démocratique
Disent, si évidemment,
Que cette espèce, comme les autres,
Est condamnée.
Un progrès ?
Nous payons au prix fort l’embourgeoisement du monde.
07:35 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : écriture, poèmes, poésie, littérature |
samedi, 17 janvier 2009
Empreintes pour empreintes
"J'ai vécu à une époque où la formalité du passeport semblait abolie à jamais. N'importe quel honnête homme, pour se rendre d'Europe en Amérique, n'avait que la peine d'aller payer son passage à la Compagnie transatlantique. Il pouvait faire le tour du monde avec une simple carte de visite dans son porte-feuille. Les philosophes du XVIIIème siècle protestaient avec indignation contre l'impôt sur le sel - la gabelle- qui leur paraissait immoral. Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu'alors réservée aux forçats. Oh! Oui! Je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais en protestant contre ces bagatelles, le petit bourgeois engageait sans le savoir un héritage immense, toute une civilisation dont l'évanouissement progressif a presque passé inaperçu, parce que l'Etat Moderne, le Moloch Technique, en posant solidement les bases de sa future tyrannie, restait fidèle à l'ancien vocabulaire libéral, couvrait ou justifiait du vocabulare libéral ses innombrables usurpations :
Au petit bourgeois français refusant de laisser prendre ses empreintes digitales, l'intellectuel de profession, le parasite intellectuel, toujours complice du pouvoir, même quand il paraît le combattre, ripostait avec dédain qe ce préjugé contre la Science risquait de mettre obstacle à une admirable réforme des méthodes d'identification, qu'on ne pouvait sacrifier le Progrès à la crainte ridicule de se salir les doigts ! Erreur profonde ! Ce n'étaient pas ses doigts que le petit bourgeois français criagnait de salir, c'était sa dignité, son âme. Oh ! Peut-être ne s'en doutait-il pas, ou ne s'en doutait-il qu'à demi, peut-être sa révolte était-elle beaucoup moins celle de la prévoyance que celle de l'instinct. N'importe ! On avait beau lui dire :"Que risquez-vous ? Que vous importe d'être instantanément reconnu, grâce au moyen le plus simple et le plus infaillible ? Le criminel seul trouve avantage à se cacher..." Il reconnaissait bien que le raisonnement n'était pas sans valeur, mais il ne se sentait pas convaincu. En ce temps-là, le procédé de M.Bertillon n'était en effet redoutable qu'au criminel, et il en est de même encore maintenant. C'est le mot de criminel dont le sens s'est prodigieusement élargi, jusqu'à désigner tout citoyen peu favorable au Système, au Parti, ou à l'homme qui les incarne. Le petit bourgeois français n'avait certainement pas assez d'imagination pour se représenter un monde comme le nôtre, si différent du sien, un monde où à chaque carrefour, la Police d'Etat guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d'hôtel responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. (...)
Depuis vingt ans, combien de millions d'hommes, en Russie, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont été ainsi, grâce aux empreintes digitales, mis dans l'impossibilité non pas seulement de nuire aux tyrans, mais de s'en cacher ou de les fuir ? Et ce système ingénieux a encore détruit quelque chose de plus précieux que des millions de vies humaines. L'idée qu'un citoyen, qui n'a jamais eu affaire à la Justice de son pays devrait rester parfaitement libre de dissimuler son identité à qui lui plaît, pour des motifs dont il est seul juge, ou simplement pour son plaisir, que toute indiscrétion d'un policier sur ce chapitre ne saurait être tolérée sans les raisons les plus graves, cette idée ne vient plus à l'esprit de personne. Le jour n'est pas loin peut-être où il nous semblera aussi naturel de laisser notre clef dans la serrure, afin que la police puisse entrer chez nous nuit et jour, que d'ouvrir notre portefeuille à toute réquisition. Et lorsque l'Etat jugera plus pratique, afin d'épargner le temps de ses innombrbles contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, la joue, la fesse, comme le bétail ? L'épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée."
Georges Bernanos - La France contre les Robots - (chapitre II) - 1945- livre de poche biblio n° 3303
14:40 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : littérature, actualité, sécurité, surveillance, sarkozy, société, bernanos |
vendredi, 16 janvier 2009
Dans la hauteur obscure des biblothèques
Quelles sont les dernières mains à s'être posées sur ces reliures ? Les derniers regards à s'être attardés sur ces pages ? Ces volumes dominent un monde qui les ignore, croupissant dans l'ombre éperdument fascinante d'un savoir toujours recommencé. Doivent-ils au hasard alphabétique du nom de leurs auteurs d'être perchés si haut ? Ou plutôt au désamour d'un public, de moins en moins féru d'érudition ?Ces sommets obscurs et silencieux des salles de lecture du dix-neuvème siècle sont véritablement des lieux à part. Neiges éternelles du savoir oublié, fossiles secrets et tétus, juste avant le plafond... L'ouvrage ancien, là-haut siégeant, tire-t-il cependant un peu d'honneur du fait que l'atteindre serait devenu méritoire ? Ou bien sent-il poindre en lui l'amertume de l'exil et de l'abandon définitif, depuis combien de temps délaissé en de telles cimes, tel un billet à la valeur démonétisée ?
L'échelle est un peu comme une baguette de sourcier. Quelles mains agrippent ses barreaux, et tatônnent dans le vide ? Quel regard un peu myope cherche l'appui sur un rayon pour l'y poser ? Quels pas craquent au sol ciré ? Odeur grinçante de ce parquet : A la recherche de quoi, déjà, cette échelle qui hésite ? Où donc, surtout ? De quel titre, jadis rangé ? Dans le labyrinthe des alphabets et des cotes, l'échelle, baguette de sourcier, oh véritablement ! Car tout là-haut, le cimetière des livres est devenu le cimetière des savoirs. Paradis, enfer ou purgatoire, qui sait ? Mais pour quel retour ? "La Bibliothèque est illimitée et périodique. S’il y avait un voyageur éternel pour la traverser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre – qui, répété, deviendrait un ordre : l'Ordre. Ma solitude se console à cet élégant espoir" (Borges)
09:09 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, écriture, romans, borges, bibliothèque |
mercredi, 14 janvier 2009
Le lait de la fiction en série
Je m'interroge sur ces images (Nimbus, les héros de Monjournal) vers lesquelles j'ai laissé glisser durant ces deux jours mon esprit. Tous, nous avons bu, par une mamelle ou par une autre, le lait de la fiction en séries. On nous l'a fait boire, plutôt. On nous l'a fait boire et puis nous y avons pris goût. Car au fond, nous ne demandions rien. Combien de fois m'est-il arrivé de voir un petit gamin dans un manège, par exemple, qui tournait, semble-t-il, davantage pour le plaisir de sa mère ou de son père que pour le sien. Je me souviens très bien que quand on me demandait si je voulais monter sur le manège, où lire l'histoire d'Akim, au commencement de moi-même, je ne savais pas vraiment. Peut-être même, je ne voulais pas. Après, cependant, venait le goût ; un goût relatif, vite dépassé par un autre. Il y a un moment ou j'ai reconnu que toutes ces séries étaient de très mauvaises fictions, ou j'ai reconnu le lieu commun et le formatage (comme on dit à présent) dans les phylactères. Mais le pli était pris. Et le plaisir, d'une certaine façon, trouvé. J'avais bu au lait de la fiction en séries. Et puis ça a continué. C'est même devenu très puissant, avec la télévision. Inutile de commenter ce ridicule effet Belphegor qui a traversé la France de nos parents (Juliette Gréco était elle vraiment aussi épouvantable que cela ? Je n'ai vu le film entier que trop tard pour partager ce grand frisson collectif). Mais d'autres séries. J'ai vu des "copains", à l'époque, qui sont passés sans transition d'Akim à Salut les Copains, par exemple. Le grand lait de la fiction en séries, c'était aussi les films-cultes. Des studios Dysney aux studios Spielberg, d'Hitchkock à Woody Allen, ces films dont certains m'ont vraiment ébloui (je pense à Vertigo, par exemple), mais qu'il fallait, d'une manière ou d'une autre avoir vus. Et qui prenaient subrepticement la place des livres qu'il fallait avoir lus. On pourrait peut être dater, dans l'histoire des Français, le moment où lire les Pensées de Pascal, la Nouvelle Héloïse, la Chartreuse de Parme, est devenu moins important que d'avoir vu le dernier Gérard Oury, Woody Allen ou Almodovar. Bien sûr, il y a ceux (de plus en plus rares) qui ont continué à faire les deux de front. Mais enfin... Même chez les profs, parfois on peut douter. Ce moment, c'est le grand tournant des années Pivot.
Ah ! Pivot ! L'alibi Pivot ! Le souriant autant que sourcilleux fossoyeur de la déjà-moribonde littérature française... Combien d'Apostrophes aura-t-il fallu pour qu'il habitue ainsi les gens à têter au vilain sein de la fiction en séries, à têter le Nimbus ou l'Akim qui venait tourner manège sur le petit écran de la semaine, avec le fameux label "vu la télé" collé sur le veston éditorial, une sorte de label-bio avant l'heure, finalement. Ah, Pivot... Le mauvais élève parvenu, le cancre revanchard, le commercial qui endosse le petit tailleur de l'intello pour écrabouiller ce qui reste d'esprit dans la France de Giscard puis dans celle de Mitterand et finir, finalement, en académicien de la rive gauche... Et nous voici avec le triomphe de Bienvenue chez les Ch'tis, avec Dany Boom qui va bientôt passer, ô comble de misère, ô comble de stupeur ! pour la France à lui tout seul, avec un Djamel Debbouze ou une Marion Cotillard dans son sillon. Au temps du professeur Nimbus, d'Akim et de Marco Polo, le mécanisme était déjà en route et tous les producteurs de lait avarié déjà plus au moins aux commandes, certes. Mais il y avait encore un certain sens de la hiérarchie de l'esprit, autrement dit un reliquat de culture chez les faiseurs d'opinion publique de tous crins. Et c'est au fond cela que je regrette le plus : pas ces histoires, que je ne relirai jamais, bien que je reconnaisse les avoir lues avec ce plaisir ambigu dont je parlais plus haut; mais la hiérarchie à laquelle Nimbus et Akim m'initiaient à leur façon. Nimbus et Akim qui, au contraire de Dany Boom ou Djamel Debbouze, n'ont jamais pété plus haut que leur cul.
06:17 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : littérature, actualité, professeur nimbus, bernard pivot |
lundi, 12 janvier 2009
Le professeur N...
Nous discutions ensemble, un ami dont je n'avais pas eu de nouvelles depuis quelque temps et moi-même, hier, par téléphone. Et, après avoir raconté beaucoup de conneries, nous avons conclu qu'on pourrait au fond couper l'humanité vivant à présent sur la Terre en deux catégories : l'une regrouperait ceux qui ont connu ce monsieur, et l'autre ceux qui ignorent absolument qui il est.
05:23 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : culture, littérature, politique, société, actualité, retrouvailles |
vendredi, 09 janvier 2009
Personne n'est quelque chose
Curieuse journée. Superpositions diverses d'impressions qui se conjuguent, mêlent les gens, les lieux, les époques. Hier matin, je vois un prof à la photocopieuse du lycée : trente-trente cinq ans, le capot de la machine relevé, son cartable entrouvert sur la petite table à côté. Bien en poste. Chez lui. Me rappelle soudainement une prof qui est depuis six ou sept ans partie à la retraite, à cette même place, ce même lieu, faisant la même action. Autrefois. Ce même air installé. Autrefois. Moi-même, entre ces deux-là, me revoyant alors, à présent, ensuite, me devinant plus tard, puis jamais. Moment d'épiphanie. Parole de Joyce, remontant à la surface. Grâce de la littérature :
« Toute la population d'une ville disparaît, une autre la remplace, qui passera aussi. Maisons, files de maisons, rues, kilomètres de trottoirs, piles de briques, pierres. Ca change de mains. Ce propriétaire-ci, celui-là. On dit que le mort saisit le vif. Un autre se glisse dans ses souliers, quand il reçoit sa feuille de route. Ils achètent ça à prix d'or, et après, ils ont encore tout l'or. De la filouterie, quelque part, là-dedans. Amoncelé dans les villes, miné par les siècles. Pyramides dans le sable. Bâties avec le pain et les oignons. Esclaves de la muraille de Chine. Babylone. Les grosses pierres restent. Tours rondes. Le reste, débris, banlieues envahissantes, bâclées en série, maisons poussées comme des champignons, bâties de vent. Asiles de nuit. Personne n'est quelque chose. » (Ulysse, chapitre II)
20:05 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : james joyce, littérature |
jeudi, 08 janvier 2009
Chronique du vin chaud en hiver, de la marionnette et des petits glougloux
Il fait froid partout en Europe. Il neige sur le Sud de l'hexagone. Rien de tel qu'un petit coup pour se réchauffer. J'ai entendu dire ça et là que ce n'était pas exactement comme cela que ça se passait, et que l'alcool ne réchauffait en vérité rien du tout. Au contraire, même. Que ce n'était qu'une impression fausse et que le répéter tenait du lieu commun. N'empêche qu'hier soir, après cours, nous sommes allés boire un vin chaud au café la Cloche, rue de la Charité, - dont les problèmes sont encore en attente de solution - et n'en déplaise aux jeteurs de sorts, ça fait quand même du bien par où ça passe, un bon vin chaud. L'autre jour, au théâtre des Célestins, j'étais allé voir « Les embiernes recommencent », un spectacle d'Emile Valantin sur et avec Guignol. Trois textes, de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième, exhumés par ses soins.
Si j'en parle à présent, c'est à cause de cette affaire de grand froid, qui a mis tout le pays en branle-bas de combat, même les Bretons et les Marseillais, jusqu'à congeler la sardine du Vieux Port. Par association d'idées, en quelque sorte. Car c'est bien connu, l'ivresse, c'est bel et bien l'antithèse de la mort : celui qui boit, même avec excès, ne prouve t'il pas qu'il est bien vivant ? C'est ainsi que le lien entre le vin et la marionnette est bien plus fort qu'on ne le croit de prime abord. Francis Ponge ne dit-il pas dans Le Vin que "la flamme du vin transforme les corps articulés plus ou moins en guignols, pantins, marionnettes ?" Regardez par ailleurs cette photo inoubliable, celle du Bonhomme Cep Vermeil : Dirait-on pas, ce brave-là, une marionnette à gaine brandissant sa racine merveilleuse, sa trique magique, sa dive bouteille, toute sa fortune et tout son credo ?
Pour en revenir à Gounod, si, comme tout le monde, je me souvenais de son Ave Maria, j'ignorais bien qu'il était aussi le compositeur d'un opéra inspiré du Médecin malgré lui de Molière. Sganarelle, comme Guignol, on ne connait que lui. Ces valets de comédie, rajoutez-y Scapin et Figaro, ont quelque chose d'éternellement réjouissant, de neuf à jamais, allez savoir pourquoi! Passent, comme le chante le bon Guillaume, les jours et passent les semaines... or donc, dans le premier acte de cet opéra-comique oublié (1), Emilie Valantin a déniché une Chanson à boire bien moins interprétée aux quatre coins du monde que ne le fut l'Ave Maria, mais tout aussi plaisante et, à la fin de son spectacle de Guignol, elle est parvenue, ce qui est une forme de miracle, à la faire chanter au public - tenez vous bien - du théâtre des Célestins.
Au passage, je dois dire que j'aime beaucoup le travail d'Emilie Valantin. Il y a toujours une grâce particulière à regarder ses marionnettes : comment elles se déplacent, s'assoient, s'immobilisent, vous regardent, et se jouent de l'illusion théâtrale dont elles sont nées. L'an dernier, j'avais raté son spectacle à la Comédie Française, la Vie du grand dom Quichotte et du gros Sancho Pança d’Antonio José da Silva. Mais je ne vais pas me lancer dans une discussion sur la marionnette, outrecuidante. A propos de celles de M. Signoret (au passage Vivienne à Paris, Anatole France a tenu ces propos délicieux, dans ses si élégants souvenirs (La Vie Littéraire) : "j'ai vu deux fois les marionnettes de la rue Vivienne et j'y ai pris un grand plaisir. Je leur sais un gré infini de remplacer les acteurs vivants. S'il faut dire toute ma pensée, les acteurs, me gâtent la comédie. J'entends les bons acteurs. Je m'accommoderais encore des autres! mais ce sont les artistes excellents, comme il s'en trouve à la Comédie-Française, que décidément je ne puis souffrir".
Ce n'est pas la chose la plus intelligente que Breton et sa tribu aient faite, de liquider aussi stupidement Anatole, qui les valait bien, tous. Quitte à s'en prendre à un cadavre d'académicien, dans les années 23-24 il y avait assurément bien pire. Preuve de leur total manque de discernement, à ces surréalistes. Enfin, je m'égare. Est-ce le vin ? Est-ce le froid ? Est-ce la marionnette ? Il est temps de conclure. Comme ni sur Daily Motions, ni sur You tube, je ne trouve la moindre trace des glougloux de Gounod, je vous laisse imaginer l'air, pour accompagner les paroles, que voici. Et c'est ainsi qu'Alexandre est Grand.
(doux)
Qu’ils sont doux
Qu’ils sont doux
Qu’ils sont doux
Bouteille jolie
(joyeux)
Qu’ils sont doux
QU’ils sont doux
Vos petits glougloux
Vos petits glougloux
(silence 2 temps)
Ah *Bouteille, bouteille
Bouteille, ma mie
(Très joyeux)
Ah !
Pourquoi, pourquoi
Pourquoi vous videz-vous
Mon sort ferait bien des jaloux
Si vous étiez toujours remplie !
Qu’ils sont doux
Qu’ils sont doux
Qu’ils sont doux
Bouteille jolie
Qu’ils sont doux
QU’ils sont doux
Vos petits glougloux
Vos petits glougloux
(Doucement)
Qu’ils sont doux …
( Très festif)
Qu’ils sont doux.
Vos petits glougloux
Vos petits glougloux
(1) Opéra comique en 3 actes, créé le 15 Janvier 1858 au Théâtre-Lyrique de Paris.
07:00 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : vin chaud, froid, neige, hiver, vialatte, littérature |