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samedi, 17 janvier 2009

Empreintes pour empreintes

"J'ai vécu à une époque où la formalité du passeport semblait abolie à jamais. N'importe quel honnête homme, pour se rendre d'Europe en Amérique, n'avait que la peine d'aller payer son passage à la Compagnie transatlantique. Il pouvait faire le tour du monde avec une simple carte de visite dans son porte-feuille. Les philosophes du XVIIIème siècle protestaient avec indignation contre l'impôt sur le sel - la gabelle- qui leur paraissait immoral. Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu'alors réservée aux forçats. Oh! Oui! Je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais en protestant contre ces bagatelles, le petit bourgeois engageait sans le savoir un héritage immense, toute une civilisation dont l'évanouissement progressif a presque passé inaperçu, parce que l'Etat Moderne, le Moloch Technique, en posant solidement les bases de sa future tyrannie, restait fidèle à l'ancien vocabulaire libéral, couvrait ou justifiait du vocabulare libéral ses innombrables usurpations :

Au petit bourgeois français refusant de laisser prendre ses empreintes digitales, l'intellectuel de profession, le parasite intellectuel, toujours complice du pouvoir, même quand il paraît le combattre, ripostait avec dédain qe ce préjugé contre la Science risquait de mettre obstacle à une admirable réforme des méthodes d'identification, qu'on ne pouvait sacrifier le Progrès à la crainte ridicule de se salir les doigts ! Erreur profonde ! Ce n'étaient pas ses doigts que le petit bourgeois français criagnait de salir, c'était sa dignité, son âme. Oh ! Peut-être ne s'en doutait-il pas, ou ne s'en doutait-il qu'à demi, peut-être sa révolte était-elle beaucoup moins celle de la prévoyance que celle de l'instinct. N'importe ! On avait beau lui dire :"Que risquez-vous ?  Que vous importe d'être instantanément reconnu, grâce au moyen le plus simple et le plus infaillible ? Le criminel seul trouve avantage à se cacher..." Il reconnaissait bien que le raisonnement n'était pas sans valeur, mais il ne se sentait pas convaincu. En ce temps-là, le procédé de M.Bertillon n'était en effet redoutable qu'au criminel, et il en est de même encore maintenant. C'est le mot de criminel dont le sens s'est prodigieusement élargi, jusqu'à désigner tout citoyen peu favorable au Système, au Parti, ou à l'homme qui les incarne. Le petit bourgeois français n'avait certainement pas assez d'imagination pour se représenter un monde comme le nôtre, si différent du sien, un monde où à chaque carrefour, la Police d'Etat guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d'hôtel responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. (...)

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Depuis vingt ans, combien de millions d'hommes, en Russie, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont été ainsi, grâce aux empreintes digitales, mis dans l'impossibilité non pas seulement de nuire aux tyrans, mais de s'en cacher ou de les fuir ?  Et ce système ingénieux a encore détruit quelque chose de plus précieux que des millions de vies humaines. L'idée qu'un citoyen, qui n'a jamais eu affaire à la Justice de son pays devrait rester parfaitement libre de dissimuler son identité à qui lui plaît, pour des motifs dont il est seul juge, ou simplement pour son plaisir, que toute indiscrétion d'un policier sur ce chapitre ne saurait être tolérée sans les raisons les plus graves, cette idée ne vient plus à l'esprit de personne. Le jour n'est pas loin peut-être où il nous semblera aussi naturel de laisser notre clef dans la serrure, afin que la police puisse entrer chez nous nuit et jour, que d'ouvrir notre portefeuille à toute réquisition. Et lorsque l'Etat jugera plus pratique, afin d'épargner le temps de ses innombrbles contrôleurs, de  nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer,  la joue,  la fesse, comme le bétail ? L'épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée."

Georges Bernanos - La France contre les Robots - (chapitre II) - 1945-  livre de poche biblio n° 3303

14:40 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : littérature, actualité, sécurité, surveillance, sarkozy, société, bernanos | | |

Commentaires

Je suis ébahie que ce texte soit si furieusement contemporain!

J'ai le même âge que lui et je vais aller relire cet auteur avec d'autres yeux.

Écrit par : La Zélie | samedi, 17 janvier 2009

La France contre les robots est tout de cet acabit-là. Ce qui a le plus vieilli, c'est son titre (je trouve).

Écrit par : Pascal Adam | samedi, 17 janvier 2009

Vous avez raison d'évoquer ce problème, beaucoup plus grave que la plupart d'entre nous l'imagine. Et maintenant les empreintes digitales ne suffisant plus, il faut du biométrique ! Ils nous grefferont bientôt une puce électronique dès la naissance afin de nous suivre partout.
Un jour où je m'insurgeais concernant ces caméras qui fleurissent ça et là quelqu'un m'a répondu : " cela ne peut pas me gêner étant donné que je n'ai rien à cacher."
Et la liberté, alors ? Je me souviens d'une époque pas si lointaine où un représentant de la loi ne pouvait demander à voir les papiers de quelqu'un s'il n'y avait pas eu délit préalable. Il fallait du reste que lesdits représentants soient au nombre de deux pour qu'une interpellation puisse s'effectuer. Le sieur Pasqua est passé par là et maintenant un simple " délit de sale gueule " est suffisant. La plupart d'entre nous par paresse intellectuelle sans doute ou simple manque de courage vivent avec des oeillères. Quand ils se réveilleront, il sera trop tard, nous serons immergés dans la dictature jusqu'au cou. Pour tout dire, je redoute beaucoup un second quinquennat sarkozien. C'est de la graine de dictateur à vie que cet homme là et comme les français ont perdu leur faculté de résistance ... J'espère ne pas jouer les Cassandre !

Écrit par : Simone. | samedi, 17 janvier 2009

Il ne nous reste plus que le rire franchement. A Chatelet sur un espace de moins de 10 m² j'ai dénombré 4 caméra l'autre jour. Ca m'a fait rire, il n'y avait pas grand chose d'autre à faire. De toute façon il y a longtemps que je pense à ces cameras. Peut être que je vais me décider à écrire après tout.

Mais recentrons un peu, depuis le temps que je me promets d'acheter cet essai et que je n'en fais rien! Il n'est d'extrait que je n'aie lu sans émerveillement devant tant de justesse. Celui-ci ne dénote pas.

S'y glissent deux petites coquilles que je me permets de vous signaler Solko:
"instantannément"
et:
"d'ouvrir notre portefeuille toute réquisition" (la préposition a sauté entre les deux espaces)

Merci encore pour la copie, pour ma part je reconnais très humblement que bien souvent les extraits que je placarde ne sont pas forcément des copies faites à la main, j'utilise pour les plus longs d'entre eux un logiciel de reconnaissance de caractères... qu'il faut surveiller de près tout de même.

Écrit par : Tang | samedi, 17 janvier 2009

@ Zélie : Vous êtes sûre que vous n'exagérez pas ? Bernanos est né en 1888 : cela vous ferait 120 ans ?

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

@ Pascal : C'est le mot "robot", qui passe mal. Encore que pour certains tenants du post-moderne à tous crins, le mot "France " sonne aussi vieillot. C'est terrible. Car c'est beau. La France contre les robots.

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

@ Simone : Nous vivons encore dans une impression de liberté (encore faut-il en avoir les moyens financiers). Mais cette liberté est en effet partout contrôlée. Surveillée. C'est atroce.

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

@ Tang : Vous avez raison de le dire : il reste ça. Rire. Savoir aussi que les caméras ne sont pas éternelles ni immortelles. Une bonne partie de l'emploi de la technologie aura déjà en effet réellement bien abruti deux ou trois générations d'hommes et de femmes.
Rire, et puis lire. Bernanos fait du bien. "La France contre les robots" contient beaucoup de passages comme celui-ci, comme le dit Pascal. Merci de votre lecture attentive. Je frappe moi-même ce que je copie, d'où les erreurs dues à mon azertysme. Je corrige.

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

Etonnant j'ai toujours trouvé le titre très bon, robot ne m'a jamais gêné. Certes je ne l'utiliserai pas de nos jours pour désigner ce qu'il désigne, mais dans le titre cela va très bien.

PS: Je ne doutais pas que vous copiiez vous même les extraits... Rire, lire, et écrire. Et tout ce qui permet de n'être pas un robot. Le plus dur "tant d'aimer ceux qui le deviennent, nous-mêmes parfois.

Écrit par : Tang | samedi, 17 janvier 2009

Solko, je parlais du texte:
Georges Bernanos - La France contre les Robots - (chapitre II) - 1945.

Écrit par : La Zélie | samedi, 17 janvier 2009

"c'est la loi qui crée le crime", solko, tout le monde l'oublie, cette jolie phrase...

Écrit par : gmc | samedi, 17 janvier 2009

@ Zélie : Ah bon. Je suis rassuré et déçu à la fois !

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

@ GMC : Taoiste et anar : n'aggravez pas votre cas, GMC, si un espion passe par ce chemin, votre compte est bon !

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

@ Tang : Oui. Aimer d'un amour qui ne soit pas celui d'un robot.

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

azertysme ? ... vous avez dit azertysme ... Voilà ce que c'est que d'avoir les yeux au bout des doigts !

Écrit par : simone | samedi, 17 janvier 2009

@ Simone : Et de voir rouge !

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

Solko, déçu?

Écrit par : La Zélie | samedi, 17 janvier 2009

anar? vous savez quand même qui a dit cela, solko?

Écrit par : gmc | samedi, 17 janvier 2009

@ GMC : Du tout, non.

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

@ Zélie : Tout le monde n'a pas une lectrice de 120 ans ! Imaginez, si tel avait été le cas. Mais tout ceci est une boutade, bien sûr.

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

c'est un juif qui a connu une certaine notoriété au début de l'ère chrétienne, il s'appelait saul de tarse.

Écrit par : gmc | samedi, 17 janvier 2009

@ GMC : Ah vous savez, je ne passe pas mon temps dans les épitres de Paul. Et je vois que vous, vous ne passez pas le votre que dans les apocryphes de Thomas.

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

@ GMC : La citation était, en tous cas, fort bien venue pour commenter ce passage de Bernanos.

Écrit par : solko | samedi, 17 janvier 2009

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