lundi, 19 janvier 2009
L'embourgeoisement du monde
Souffrir, dans ce monde lisse, est un délit.
Souligner l’incohérence, l’imposture, l’effroi,
Une trahison.
L’écart n’est conçu que validé par l’opinion.
Tandis que le développement des libertés prétendument individuelles
A fait de chacun de nous
L'objet, aussi original
Que le mobilier urbain qu’on voit dans nos rues
(Un banc, un lampadaire, une dalle, une poubelle),
La rivière de Char polluée, l’albatros de Baudelaire mazouté,
L’arbre de Giono réduit en cendres,
Le nuage opaque & crémeux qui plane sur chaque ville,
La surdité technologique,
L'amnésie médiatique,
Le ravissement démocratique
Disent, si évidemment,
Que cette espèce, comme les autres,
Est condamnée.
Un progrès ?
Nous payons au prix fort l’embourgeoisement du monde.
07:35 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : écriture, poèmes, poésie, littérature |
Commentaires
La rivière de Char est-elle de ce monde? J'espère que non, ainsi elle demeure pure.
Définition du genre humain : Un banc, un lampadaire, une dalle, une poubelle.
Vous avez quatre types... le banc repose sur une dalle et se sert du lampadaire pour attirer l'attention et de la poubelle pour virer ce qui ne lui plaît pas. Le lampadaire éclaire tout et voit tout. La dalle subit, la poubelle est souvent évoquée dans les livres, affiches, comme d'un truc dont il faudrait un peu s'occuper.
Le banc = le pouvoir dominant, bourgeoisie parvenue
Le lampadaire = la police (avec ampoule grillée je suppose)
La dalle = cette fameuse majorité inerte, froide, qui devient glissante dès qu'il pleut
La poubelle = le prolétariat
Écrit par : Léopold | lundi, 19 janvier 2009
@ Léopold : Merci pour l'analyse. belle analyse, au demeurant. Vertu inébranlable de la dialectique. Je ne suis pas si sûr que ça, cela dit, que la Sorgue ait été si abstraite pour Char. Vous connaissez sans doute son énervement contre Roland Barthes, qui dans l'analyse d'un de ses poèmes avait proposé je ne sais combien de sur-interprétations de l'usure de la marche d'une ferme (le quotidien, le seuil, la transgression, l'interdit ...). Et Char : "La marche était usée, je l'ai décrite comme elle était, ça ne voulait rien dire de plus." Soit la valeur symbolique comptait pour lui. Mais la réalité tout autant.
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
"Souligner l'imposture, l'incohérence, l'effroi" avec cette grâce-là me fait pleurer.
Écrit par : Sophie L.L | lundi, 19 janvier 2009
Et en même temps, vous le savez bien, fortes de quelque souffrance à étaler, les victimes se font publiquement concurrence; elles ont leur marché. Pour revenir à votre premier vers, je dirais : la souffrance non rentable est un délit.
Écrit par : Pascal Adam | lundi, 19 janvier 2009
Longtemps que je n'avais poussé la porte de cette maison.
Je ne suis pas déçu.
Toujours autant d'impertinence pertinente.
En langage moderne, en euphémisme faux-cul, en termes de crétinisme indécrottable, l'embourgeoisement se dit "croissance".
Croissance de quoi ? De décroissance humaine, peut-être..
Amitié
Écrit par : B.redonnet | lundi, 19 janvier 2009
@ Sophie : Mais pourquoi pleurer ?
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
@ Pascal : Il y a des souffrances que le monde reconnait, identifie : toutes celles qui le mettent en valeur, lui ; celles qui le rendent légitime; souffrances, en général, des minorités : la souffrance de l'exclus (ah, si j'étais un intrus !), de l'infirme, du chômeur, de celui qui a besoin, des handicapés, des minorités diverses (sexuelles, ethniques), des femmes battues etc etc... Celles-ci se font concurrence dans les médias, vous avez raison, parce qu'elles servent le système (et ont en effet un marché). Mais il y a des souffrance qui ne servent pas le système : si vous souffrez de l'étroitesse, du conditionnement, du prémaché, si vous souffrez du monde tel qu'il est, si vous souffrez du spectacle du monde tout court, le monde vous dira : vous dérangez. Cette souffrance qui est non seulement non-rentable, mais porteuse de sens là où on n'en veut plus, dans la société où nous nous trouvons, est un délit. Je persiste à le dire.
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
@ Bertrand.
Merci bien, Bertrand. A bientôt.
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
@ Solko. Entièrement d'accord avec ce que vous écrivez mais si nous voulons être tout-à-fait honnêtes, qu'avons nous fait pour que cela n'ait pas lieu ? Personnellement, il n'est pas un jour où je ne m'adresse des reproches ...
Écrit par : simone | lundi, 19 janvier 2009
Ah Solko: pourquoi pleurer? pourquoi souffrir du monde tel qu'il est, du spectacle du monde ? (je suis tout à fait d'accord avec votre commentaire adressé à Pascal Adam sur les souffrances qui servent le système et ont un marché; encore que... on pourrait nuancer et dire que c'est le système et le marché qui se servent de ces souffrances, mais bon! ) pourquoi aimer? pourquoi rire? pourquoi avoir peur? La question que vous posez: pourquoi pleurer quand j'ai lu votre billet ce matin je me la pose aussi, je ne suis pas spécialement fière de pleurer, mais je n'en ai pas honte évidemment. Pourquoi je pleure quand j'écoute la Passion selon Saint-Matthieu? Bon je n'ai pas pleuré des heures non plus en lisant votre billet ce matin!Enfin, ce que je voulais dire c'est qu'il y a des billets qui font réfléchir, d'autres qui font rire, d'autres qui font pleurer. Comme ça. comme une averse et hop il ne pleut plus. Parfois les billets font les trois à la fois.Parfois aussi certains billets font pleurer parce qu'ils s'échappent d'eux quelque chose de poignant. Pourquoi j'ai pleuré en retrouvant Celan? En tout cas je la trouve formidable cette phrase, deux mots, un point d'interrogation, tout y est:"pourquoi pleurer?"! Car en même temps pleurer c'est con, ça rime à rien, ça ne nous élève pas à des hauteusr himalayennes, et ça ne nous donne pas l'heure!
Écrit par : Sophie L.L | lundi, 19 janvier 2009
Oh ben moi je trouve ca bien que vous pleuriez, et même je vous file un paquet de kleenex qui trainait dans une de mes poches.
Surtout pleurer tout seul, c'est très beau à imaginer et çà m'inspire même une idée qu'il faudra développer.
Votre embourgeoisement du monde est assez vrai, et joliment écrit.
"le ravissement démocratique": parfaitement dit.
Écrit par : Tang | lundi, 19 janvier 2009
@ Simone : Cela ne sert rien de vous faire des reproches. Le jour où, dans une manif de profs, je me suis vraiment rendu compte que je défilais contre les décisions de l'OCDE (34 pays du monde, dont la Chine!), contre des politiques dont certaine savaient été mises en place bien avan tma propre niassance, j'ai cessé de m'en faire (des reproches). Lire Bernanos aide à comprendre cela, aussi. Le processus est mis en place depuis un bail. C'est à nous de mesurer nos responsabilités individuelles, certes. Mais pour se reprocher vraiment quelque chose, il faut être capable de mesurer avec justesse les moyens dont on dispose. Or le problème est bien notre impuissance. Cela exigerait un développement trop long. Mais je peux vous garantir que quelque soit votre degré de culpabilité, ce n'est pas vous qui avez amené le monde là où il est.
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
@ Solko. Hier, j'ai assisté à une représentation de la courte pièce : ACTE de Lars Norén et me suis dit que si j'avais à une époque donnée mis en application ce que je pensais alors, j'aurais très bien pu dans la vraie vie, me retrouver à la place de cette fille ...
Quand on choisit d'être raisonnable, on laisse faire un tas de choses. La situation actuelle est la conséquence de notre volonté de ne rien voir, de ne surtout pas faire de vagues ...
Écrit par : simone. | lundi, 19 janvier 2009
@ Sophie : Pleurer de cette façon est une faculté qui m'est inconnue. Sans doute est-ce pourquoi je posais la question.
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
@ Simone : Ne pensez-vous pas que le théâtre donne à des personnages une visibilité, un courage ou une lacheté, etc... que nous n'avons pas dans la réalité. Ce n'est pas pour me débiner que je dis ça. Mais encore une fois, pour reprendre mon exemple, qu'est-ce que je peux faire vraiment, seul ou avec des centaines de milliers de collègues, contre l'OCDE ? La politique est un rapport de force. Les prolos, comme on disait à l'époque, de 36 ont acquis des droits parce que le patronat avait peur qu'ils deviennent bolchéviks et a cédé devant cela (relisez la presse de l'époque) . C'est l'existence de l'URSS qui a fait plié le patronat français devant les ouvriers de 36. Eux aussi. Mais pas seulement eux. S'il n'y avait eu que leurs manifs et leurs occupations d'usine, c'était plié. D'ailleurs, regardez depuis quand les mouvement ssociaux sont mis en echecs en France. Les années 90, si je ne m'abuse. Simone, que pouviez-vous devant l'effondrement de l'URSS (autre exemple) ? L'engouement pour le Mondial en 98? Le déferlement de la télé réalité ? La malbouffe partout ? Je ne dis pas ça pour vous décourager. Au contraire. Pour que vous arrêtiez de vous dire, vous répéter : "c'est notre faute". La France est un timbre poste, vous savez. De Gaulle autant que les soixante-huitards ont beaucoup exagéré sa dimension.
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
@ Simone : Cela dit, je ne dis pas qu'il faut "laisser faire". Mais agir dans la juste appréciation de nos forces. La parole, déjà, en est une, très relative, fort décriée, presque impuissante. Mais tout de même.
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
@ Solko - Oui, mais c'est une succession de petites lâchetés qui permet aux autres de réussir ... Aucune commune mesure entre ceux qui ont fait le Front Populaire - qui nous ont gagné des avantages au prix de leur vie parfois et tous les rase-mottes actuels !
Écrit par : simone. | lundi, 19 janvier 2009
@ Simone : Debout les rase-mottes de la terre ...
Écrit par : solko | lundi, 19 janvier 2009
Ah ! ah ! ... vous avez raison, mieux vaut en rire.
Bonne nuit, Solko.
Écrit par : simone | lundi, 19 janvier 2009
Eh bien vous m'avez fait pleurer, et là, comme Simone, bien rire! Merci Solko, et merci à vous deux d'ailleurs!
Écrit par : Sophie L.L | lundi, 19 janvier 2009
Mais je suis tout à fait d'accord, Solko. C'est même ce que je dis aussi.
Écrit par : Pascal Adam | lundi, 19 janvier 2009
"Il faut fleurir là où on a été planté"
Saint François de Sales "Traité de l'Amour de Dieu"
et en profane
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "
Alfred de VIGNY
Écrit par : Rosa | mercredi, 21 janvier 2009
"Souffrir, dans ce monde lisse, est un délit."
Ah, merci Solko, c'est tellement juste et tellement bien dit! J'aurais aimé écrire ce vers...
Écrit par : Myriam | dimanche, 25 janvier 2009
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