vendredi, 16 janvier 2009
Dans la hauteur obscure des biblothèques
Quelles sont les dernières mains à s'être posées sur ces reliures ? Les derniers regards à s'être attardés sur ces pages ? Ces volumes dominent un monde qui les ignore, croupissant dans l'ombre éperdument fascinante d'un savoir toujours recommencé. Doivent-ils au hasard alphabétique du nom de leurs auteurs d'être perchés si haut ? Ou plutôt au désamour d'un public, de moins en moins féru d'érudition ?Ces sommets obscurs et silencieux des salles de lecture du dix-neuvème siècle sont véritablement des lieux à part. Neiges éternelles du savoir oublié, fossiles secrets et tétus, juste avant le plafond... L'ouvrage ancien, là-haut siégeant, tire-t-il cependant un peu d'honneur du fait que l'atteindre serait devenu méritoire ? Ou bien sent-il poindre en lui l'amertume de l'exil et de l'abandon définitif, depuis combien de temps délaissé en de telles cimes, tel un billet à la valeur démonétisée ?
L'échelle est un peu comme une baguette de sourcier. Quelles mains agrippent ses barreaux, et tatônnent dans le vide ? Quel regard un peu myope cherche l'appui sur un rayon pour l'y poser ? Quels pas craquent au sol ciré ? Odeur grinçante de ce parquet : A la recherche de quoi, déjà, cette échelle qui hésite ? Où donc, surtout ? De quel titre, jadis rangé ? Dans le labyrinthe des alphabets et des cotes, l'échelle, baguette de sourcier, oh véritablement ! Car tout là-haut, le cimetière des livres est devenu le cimetière des savoirs. Paradis, enfer ou purgatoire, qui sait ? Mais pour quel retour ? "La Bibliothèque est illimitée et périodique. S’il y avait un voyageur éternel pour la traverser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre – qui, répété, deviendrait un ordre : l'Ordre. Ma solitude se console à cet élégant espoir" (Borges)
09:09 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, écriture, romans, borges, bibliothèque |