samedi, 24 janvier 2009
Lecteurs en situation
Le commentaire de Mère Grand sur Béraud hier m'a fait énormément plaisir. A lui seul, et avec ses mots, il témoigne de la force du temps. C'est cela. Au milieu de la cohue générale, il y a des lecteurs qui tiennent bon. Les livres ont besoin d'eux. De ces lecteurs qui n'oublient rien. Qui gardent. Conservateurs comme le sont les rocs durs d'Ouessant tout autour du Créac'h. C'est un lieu magique dans lequel j'ai lu quelques livres, autrefois. Je me souviens de La Mer, de Michelet, dévoré dans le fracas des vagues. Et puis aussi de René Char. Et puis de quelques Béraud. Le monde manque de plus en plus de lieux où lire un livre, tout en étant en harmonie avec lui. Quand j'étais brancardier de nuit à l'hôpital Saint-Joseph, j'ai voyagé durant des nuits en solitaire dans la nuit de ce seul bâtiment à présent détruit et dans les tomes d'Ulysse de Joyce. Je me souviens avoir lu Madame Bovary vers l'âge de dix-sept ans, à l'intérieur d'une ferme savoyarde où tout était resté en état, comme au dix-neuvième siècle. Homais était là, sous la tonnelle. Lorsque j'habitais à côté du Père Lachaise, j'allais évidemment lire sur une tombe ou sur une autre. Par boutade, je dis parfois à des élèves qu'on comprend toujours mieux un auteur quand on l'a, lui, sous les fesses, plutôt qu'un simple bout de bois. C'est ainsi que j'ai dévoré César Birotteau, par exemple. Régulièrement, chaque après-midi sur le banc de la tombe d'Hanska et d'Honoré. Et ces folles Spendeurs et Misères des Courtisanes. Pour Les Chimères, je n'avais qu'à traverser l'allée. Gérard était là. Sur sa pierre tombale, j'ai découvert ses Promenades et Souvenirs en Valois, d'où était sortie Sylvie. Il a fallu aller à Sète pour, devant celle de Valéry, et comme en une sorte d'hommage cette fois-ci, lui déclamer son Cimetière Marin. Très belle expérience de Guilloux à Saint-Brieuc. De Renan à Saint-Sulpice. De Giono dans un mas des Cévennes. Pour en revenir à Béraud, Béraud c'est Lyon. Ou l'île de Ré. Sur l'ile d'Ouessant, j'avais un peu triché. Mais peut-on faire autrement, parfois ? Sur l'Ile de Ré boboïsée et jospinisée que c'en est à pleurer - ce monsieur Jospin à la blanche crinière qui discute aux terrasses, assis sur la selle de son vélo à l'arrêt -, je me souviens avec une redoutable précision de cette longue promenade à vélo, de l'ancien bagne reconverti en je ne sais plus quoi à la maison des Trois Bicoques, et de là, au petit cimetière de Saint Clément les Baleines. Contre la haie de lauriers du cimetière, Marthe Deladune, Germaine et Henri Béraud demeurent tous trois, à présent côte à côte, à deux pas des Trois Bicoques. Le chiffre romain s’obscurcit sur la stèle nue de l’écrivain. Le buste qui le figure a le regard fixé vers l’Ouest, où finissent les terres. En ce lopin écarté de la pointe extrême de l’île, on le ressent frissonnant de l’orgueil crépusculaire de ces auteurs de l’ancienne France. Cet isolement stoïque et singulier sied bien, in fine, au pari assumé de cette œuvre. Le lecteur que le préjugé indiffère la découvrira, tel ce buste en pierre blanche, magnanime, sauve et debout, ainsi que l’aura maintenue jusqu’à nous le souvenir têtu de quelque Mère Grand. Alors merci.
00:18 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : écriture, littérature, lecture, culture, béraud, trois bicoques |
Commentaires
Je suis plutôt avare de compliments mais personne ne parle mieux des auteurs que vous. Aucune pédanterie, aucune affèterie mais les mots du coeur qui eux, ne trompent pas. Tout simplement, MERCI !
Écrit par : simone | samedi, 24 janvier 2009
Eh bien pour ma part je ne suis pas avare de compliments!mais personne, comme le dit très bien, Simone, ne parle mieux de ceux qui ont écrit, de ceux qui lisent et aussi tout particulièrement de ce qui se passe entre les uns et les autres. Et comme c'est beau "l'orgueil crépusculaire de ces auteurs de l'ancienne France"...Merci, merci Solko, nous sommes chanceux de vous lire.
Écrit par : Sophie L.L | samedi, 24 janvier 2009
Comme j'avais un film à voir aux Halles cet après-midi, j'ai fait un saut à la Fnac mais pour Henri Béraud ... bernique !
Pas un seul. Il faudra que je cherche ailleurs et qui sait ? Pourquoi pas sur les quais si j'ai le temps de fureter. En tout cas, vous m'avez vraiment donné envie de le lire. Bon, cela dit, je ne compte plus le nombre de fois où je suis revenue bredouille de ce temple de la culture commerciale. Comme si les deux mots pouvaient cohabiter !
Écrit par : simone | samedi, 24 janvier 2009
Chez vous la première phrase, la primordiale, est une porte qui aiguise la curiosité mélancolique. Merci.
Écrit par : lephauste | samedi, 24 janvier 2009
Très beau billet, merci Solko. Je vous canonise de votre vivant. Saint patron des lecteurs.
Merci pour Giono déjà, et Béraud, Béraud attend sur l'étagère. A Lyon je crois que son templier perdu m'accompagnera.
Avant de partir, très vite:
"Le monde manque de plus en plus de lieux ou lire un livre"
L'accent est allé lutiner je ne sais où, ces drôles sont intenables, vous le savez bien mieux que moi.
A bientôt (la Cloche tient toujours?...)
Écrit par : Tang | mardi, 27 janvier 2009
Bien sûr ça tient toujours. Bonne journée à vous. Ah ces accents !
Écrit par : solko | mardi, 27 janvier 2009
rhaaa pendu le templier, pas perdu, vous me l'avez pourtant fait remarquer!!!
Pour la Cloche je m'inquiétais davantage de son sort que de notre prochaine rencontre, je n'ai pas été très adroit.
Écrit par : Tang | mardi, 27 janvier 2009
Les commentaires sont fermés.