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samedi, 13 mars 2010

Né en 1930

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La génération de 1930… Je discutais ce matin-même avec une femme née en 1929 qui m’expliquait qu’elle aurait aimé être un peu plus âgée, car « enfant pendant la guerre », elle n’en avait pas mesuré « tous les enjeux ». A ses côtés, un homme qui, lui, m’affirmait qu’au contraire, il avait été bien content de naître à ce moment-là, car il était passé « entre les gouttes », comme ont dit. « Trop jeune pour une guerre, et trop vieux pour la suivante. » (Algérie). Naitre en 1930, c’est en tout cas habiter pleinement le vingtième siècle : en avoir d’abord subi dans son enfance la part la plus dramatique, auprès de parents frappés en plein front par la première guerre mondiale et précarisés par la crise économique qui s’abattait sur eux ; en avoir goûté l’essor économique, dans le contexte politique de l’après-guerre, fortement marqué par un optimisme et une foi dans le progrès quelque peu idéalisés, quelque peu intempestifs,  portés tout autant par un gaullisme aux affaires que par un parti communiste tout puissant dans la vie culturelle; avoir enfin bénéficié d’un formidable bond dans l’espérance de vie par rapport à ses parents, ceux de la génération « sacrifiée », bond dont il n’est pas certain d’ailleurs qu’il soit un acquis réel pour les générations suivantes; je connais d’ailleurs bon nombre de personnes de cette génération qui évoquent, les yeux encore humides, le destin de leurs parents dont une minorité statistique – surtout parmi les hommes (un quart, je crois) – dépassa l’âge de 60 ans, et avec une vive inquiétude le sort de leurs petits-enfants, et arrière petits-enfants devant lesquels s’ouvrent le XXIème siècle

En écoutant ce témoignage, je me disais que cette génération-là avait été, en effet, marquée par l’histoire. Pas par la sienne, certes. Par l’histoire de celle qui l’avait précédée, soit. Mais cette empreinte était encore là, et l’avait sans aucun doute intellectuellement marquée, lui permettant par là de se protéger de beaucoup d’illusions et de leurres.

Et puis j’ai appris en fin d’après-midi la mort de Jean Ferrat. Je me suis promené un peu sur le net et j’ai vu l’abondance « d’hommages » qui lui sont faits. On retrouve, un peu partout déclinée, sa même biographie, et les mêmes phrases, tirées de ses chansons : « Né le 26 décembre 1930 à Vaucresson, dans les Hauts-de-Seine, Jean Ferrat, né Jean Tenenbaum, a 11 ans lorsque son père, juif émigré de Russie, est déporté… »

J’avoue que ce chanteur, peut-être à cause du lyrisme bucolique avec lequel il offrit une seconde jeunesse à Aragon, ne m’a jamais invraisemblablement ému, parce qu’Aragon, lui-même… Ce qui émerge cependant de sa discographie, c’est bien pourtant cette empreinte historique, celle de Nuits et Brouillard à Potemkine, celle de La Montagne à Ma France, qui est la marque de fabrique de ce chanteur. C'est cet engagement qu'on dit de gauche. A mon sens, c'est pourtant bien plus un engagement dans l'Histoire que dans la politique, un engagement générationnel, somme toute, qu’on ne retrouvera plus par la suite avec l’arrivée des baby boomers et l'institutionnalisation de la société du spectacle. C’était la génération de Monique Serf (Barbara) qui chanta Gottingen, celle de Brel qui chanta Ces gens-là. Et je rajouterai, pour clore, que c'était aussi celle de mes parents, qui  ni l’un ni l’autre ne connurent l’an 2000.  Une génération en train de s'en aller à petits pas, et là réside peut-être le noeud  gordien de cette espèce de nostalgie qui s'exprime de ci de là devant la disparition de Jean Ferrat qui fut l'une ses icônes : une génération d'un autre siècle.

18:35 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jean ferrat, actualité, société, histoire | | |

samedi, 31 octobre 2009

Petition pour l'Hôtel-Dieu

Une pétition est en ligne pour placer le maire de Lyon Gérard Collomb et son équipe municipale en face de leurs responsabilités dans l'affaire du devenir de l'Hôtel-Dieu. Elle est organisée par un collectif de médecins, de professeurs, d'infirmier(e)s et de responsables d’associations de santé et vient tout juste de  recueillir les 1000 signatures. Ci-dessous le texte du collectif. Pour rejoindre les signataires, c'est juste à côté  (bandeau déroulant sur la droite).

 

Pour la création d’un Centre de promotion de la santé à l’Hôtel-Dieu :

 

Nous proposons à l’équipe municipale et à la commission de réflexion ad hoc un projet ambitieux - mais peu coûteux - pour l’unique hôpital public du centre ville, l’Hôtel-Dieu :


250px-JGSoufflot.jpgUn Centre multidisciplinaire de promotion de la santé, qui aurait pour missions de renforcer le lien social, la prise en compte des plus fragiles de nos concitoyens, notamment par l’éducation pour la santé, les médiations culturelles, le droit des usagers, etc…

Ce Centre regrouperait aussi les expertises en santé publique aujourd’hui dispersées dans l’agglomération, constituant de facto la base logistique des programmes de prévention.
A côté de ce pôle de compétences axé sur la promotion de la santé, nous proposons que soit installée au sein de l’hôpital une Maison médicale de garde, pour répondre à la fois aux urgences de première ligne et aux besoins de santé des plus déshérités : l’Hôtel-Dieu, dont la facilité d’accès est exceptionnelle, renouerait ainsi avec sa vocation originelle d’accueil et de soins des plus fragiles.

 

Ci-dessus : Jacques Germain SOUFFLOT, qui vous remercie de votre attention.

 

 

 

Lire ICI un article de Lyon Libé sur le sujet (28/09)

 

Lire également, sur ce blog :

 

 

Sale Vendredi d'Octobre

 

L'hôtel Dieu dans les flammes du pognon

 

D'un Dôme l'autre

 

Lieu planétaire et Espace universel

 

Rabelais & l'Hôtel-Dieu

Common indecency

 

 

 

 

 

samedi, 22 août 2009

Les fantomes de la charité

J'emprunte ce titre, que je trouve très beau, à Gérard Chauvy (1). Et ce pour évoquer un illustre incongru : j'ai nommé "le clocher de la Charité". Il est planté entre Rhône et Bellecour, tel un phare aussi élevé qu'éteint, et pour toujours inutile. Son étrange silhouette solitaire et connue de tous a développé un charme réellement magnétique. Parce qu'il ne sert plus à grand chose. A rien, même. Survivant indigne et obstiné, entre un Hôtel des Postes à l'esthétique stalinienne et les terrasses bistrotières partiellement bondées de la place Antonin Poncet, le clocher de la Charité est devenu au fil du temps le symbole parfaitement heureux d'un espace outrageusement gratuit, inutilisé, avec sa porte de bois à jamais close, telle une bouche qui s'est tue.  

En effet, quel passant (fort pressé ou non), sur le  parcours de la rue de la Charité, se souvient aujourd'hui des 14 corps de bâtiment et 11 cours intérieures du vieil hôpital qu'elle a longés durant quatre siècles ?

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Je ne suis pas spécialement un adepte de la mélancolie, ni de la nostalgie, ni du passéisme. Mais j'ai compris il y a fort longtemps qu'une ville n'existe véritablement qu'en esprit : à la fois dans l'espace et dans le temps, dans la chair de la pierre qui demeure comme dans celle de son histoire. Car il n'y a pas de réalité acceptable de façon brute, sans mémoire ni imaginaire. Réduire la perception qu'on peut avoir d'elles au simple espace qu'elles dévoilent au moment d'aujourd'hui, c'est abolir le charme des villes, et tel fut, tout spécialement à Lyon, le crime des bétonneurs. Décor plat, sans polysémie, simple lieu, la ville, alors, n'est plus la ville.

Voilà pourquoi j'aime ce titre ; "les fantômes de la charité". Irai-je jusqu'à croire que l'Hôtel des Postes et la place Antonin Poncet (dont négligemment, et comme dissous, évaporés dans le seul souci de nous-mêmes et dans le seul souvenir d'aujourd'hui, nous égratignons le sable rouge lorsque nous la traversons) sont hantés d'âmes errantes (celles de tant de petites mémés, de frères mendiants, de jeunes accouchées, de soldats amputés, de mendiants pestiférés, défuntés de siècle en siècle, le front en sueur et les doigts accrochés à des crucifix en ivoire ou en chêne dans le bel édifice de la charité lyonnaise d'antan?) Et pourquoi ne le croirais-je pas ?

Je suis vraiment cgranderoue20.jpgertain, en tout cas, qu'Herriot le laïc, dans le contexte politique assez tendu des années trente, a voulu la peau de la Charité, en raison du symbole qu'il représentait, celui de la vieille Aumône Générale de la cité sous l'Ancien Régime.  Herriot savait bien que le frère jésuite Etienne Martellange, qui en avait dessiné les plans, n'était pas Soufflot. Il n'a donc pas osé toucher à l'Hôtel-Dieu, en raison du dôme historique. Mais il a tenu à faire tabula rasa de la Charité. Et sans la pétition initiée dès 1932 par la Société d'Histoire de la Médecine, les Amis du musée de Gadagne, et relayée par le Nouvelliste, il n'en resterait aujourd'hui plus même plus le clocher dont je vous entretiens à présent. Car la construction nécessaire d'un nouvel hôpital (celui qui porte aujourd'hui le nom d'Edouard à Montchat) ne n’impliquait pas obligatoirement la destruction de onze cours intérieures et de quatorze corps de bâtiment historiques faisant, dans le prolongement de l'Hôtel-Dieu, un rempart de pierre ininterrompu au-dessus des eaux tumultueuses du Rhône. Les cours intérieures spacieuses - du moins celles rendues au public - sont-elles si nombreuses à Lyon ?

 

 La ville a donc perdu, comme si elle en avait des dizaines à sa disposition, un bâtiment du seizième siècle, une perspective de façades classiques qui se prolongeait en bordure de Rhône. C'est le même Herriot qui brada fort légèrement, au nom de la libre circulation des sacrées automobiles, l'ancien pont du Rhône. Les temps heureusement ont changé, et nul ne songe, avec l'expatriation prochaine des services hospitaliers hors de l'Hôtel-Dieu, de liquider dans la foulée les murs, les toits et les bâtiments. Du moins l'espère-t-on.

Gérard Chauvy : Lyon Disparu, 1880-1950, Editions lyonnaises d'art et d'histoire

 

 Autre bâtiment lyonnais disparu : l'Amphithéâtre des Trois Gaules

 

08:41 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : charité, lyon, histoire, culture, edouard herriot | | |

samedi, 18 juillet 2009

Le patriarche Bartholomée 1er à Lyon

Le 7 mai 1274, et pour plusieurs semaines, à l’appel efficace du pape Grégoire X (1271-1276) se réunit le deuxième concile général de Lyon.  De nombreux seigneurs, cinq cents évêques, soixante abbés de monastères, plus de mille ecclésiastiques et plusieurs représentants de l’église d’Orient se retrouvèrent à cette occasion sous les voutes toutes neuves de la primatiale Saint-Jean. Les chroniques stipulent que « toute la foule lyonnaise n’avait pu prendre place dans l’église, que les ponts et toute la place étaient noirs de monde ». Philippe le Hardi, roi de France, s’était lui aussi déplacé pour entendre le souverain pontife lire l’épitre que les prélats de l’église d’Orient lui avaient adressée, et qui admettait la réunion des églises grecques et latines sous son autorité. Il me plait d’imaginer dans la pénombre un peu humide la frêle stature de Grégoire X contemplant les croix des deux églises qu’on déposait aux deux extrémités du grand autel, et de l’imaginer, comme les chroniques le racontent, pleurant de joie non loin des remous de la Saône, tandis que George Acropolite, grand logothète, s’avançait, sans doute grave, au centre de la cathédrale et prononçait devant l’autel, sans doute ému, le serment par lequel il renonçait au schisme et acceptait la suprématie de Rome. Quel moment ! Il me plait d’imaginer ensuite le lent défilé des ambassadeurs des églises de la Grèce signant alors l’acte solennel qui avait été préparé, les chœurs et les canons éclatant, et toute cette théâtralité si magique, dont seul le catholicisme le plus séculaire a le secret.

Ce concile, l’un des plus importants du Moyen Age, fut endeuillé par la disparition de deux bons docteurs : l’angélique Thomas d’Aquin, qui mourut en s’y rendant ; le séraphique Bonaventure, qui mourut quelques jours avant sa fin, au couvent des Cordeliers où il était hébergé. C’est à la perpétuation de cette mort inopinée qu’on doit l’église Saint-Bonaventure.

 

 Il me plait de songer aux pierres du Vieux Lyon et à celles de sa vieille primatiale, dont on ne se doute  jamais véritablement, nous, les vivants de bref passage, à quel point  elles  sont effectivement vieilles. Il me plait de songer à ces pierres sous ce jour historique et auréolé par une légende embaumée d’encens,  comme dans ces albums enluminés, où l’on nous racontait sur du papier épais, jadis, la vieille histoire du bon royaume de France.  Il me plait d’arpenter la rue Saint-Jean, de glisser ma mortelle silhouette entre les façades séculaires de ces bâtisses, de cheminer d’un bord à l’autre de la gargouille centrale, fermant les yeux sur les déambulations empesées des touristes obèses et bruyants qui s’y trainent, d’oublier les commerces de bric et de broc et de laisser littéralement mon imaginaire aller entendre sonner les cloches, comme au temps du concile de Grégoire, voir les bannières aux vives couleurs et les étendards rutilants, et renifler les encens.

Je raconte tout cela parce qu’aujourd’hui samedi 18 juillet à dix-sept heures, le cardinal Barbarin célèbrera une messe dont le patriarche œcuménique Bartholomée 1er, de passage à Lyon pour deux jours, prononcera l’homélie. Cet événement fort rare qui, pour beaucoup n’aura aucune incidence - voire même aucune existence, pour quelques-uns heureusement ranimera durant quelques minutes un fort vieux songe et une histoire haute en panache, le songe et l’histoire de tous ces hommes aujourd’hui bien poudreux qui ont édifié le palais épiscopal, dont seul demeure actuellement la cathédrale Saint-Jean ainsi que sur le bord de Saône, tout le reste de cette vieille cité gallo-romaine et chrétienne. L’histoire de leur culture, laquelle passe par celle de leur tradition et croise le chemin de leur religion - qu’on le veuille ou non, nous, modernes, notre héritage.

 

 

 

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 Le patriarche oecuménique Bartholomée Ier

 

mercredi, 24 juin 2009

Maurice Moissonnier

Il était né le 26 juin 1927 ; il est mort le 24 juin 2009, à deux jours de son anniversaire. Les lyonnais  connaissaient surtout Maurice Moissonnier en raison de son travail d’historien sur le mouvement de 1831 des canuts. Après un mémoire de fin d’études sur La Commune à Lyon, il a fait paraître successivement Les Canuts, Vivre en travaillant ou mourir en combattant, Joseph Benoit, confessions d’un prolétaire et surtout  La révolte des canuts (Editions sociales, 1975) qui, à la suite des ouvrages de Fernand Rude (Le mouvement ouvrier à Lyon – 1944 et C’est nous les canuts )  a fait autorité en la matière. Il a collaboré à de multiples revues, écrit de nombreux articles, participé à la rédaction de la France Ouvrière (Ed de l’Atelier, 1995) et aux publications de l’Institut CGT de l’Histoire sociale Rhône Alpes.

Maurice Moissonnier a été une figure fidèle du PCF français. Agrégé d’histoire, il a enseigné, au lycée Antoine Charrial, dans ce 3ème arrondissement de Lyon, à l’époque bien plus populaire qu’à présent. Son dernier ouvrage, inachevé, comprend deux tomes parus aux éditions Aleas (Lyon) : Tome I – Le front populaire ; Tome II, Déclin et mort du Front populaire. En raison de sa maladie, il a dû interrompre la rédaction des tomes suivants initialement prévus (Guerre et occupation, résistance et Libération). Je me souviens de Maurice Moissonnier comme d’un homme chaleureux, ouvert, passionné par le débat et la controverse : Pensées à sa femme Henriette, et à ses enfants.

 

 

22:11 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : maurice mossonnier, lyon, histoire, mémoire ouvrière, esprit canut | | |

dimanche, 31 mai 2009

La fabrique d'un quartier

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L'histoire des pentes de la Croix-Rousse et de leur architecture en conférence ...

 

vendredi, 08 mai 2009

Pollio (2)

Si les Grecs faisaient déjà référence au mythe de l’âge d’or, et en tout premier lieu Hésiode, ce sont les Latins et, en tout premier lieu Virgile, qui l’ont inscrit avec enthousiasme dans une perception déjà expérimentée de la nature et du temps, du déroulement raisonné des saisons dans lequel ils ont conçu l’histoire de leur développement technique comme celui de leur rayonnement intellectuel. Le trait de génie de Virgile, dans cette Quatrième Bucolique, c’est bien de transformer un mythe de la déchéance (l’âge d’or est derrière nous) en mythe de la résurrection (l’âge d’or est devant nous) ; voici donc que l’Age d’Or n’est plus un âge perdu, mais un âge à venir qui s’inscrit dans un calendrier des saisons immédiates parfaitement identifié ; avec lui, le temps de l’humaine condition n’est plus, comme chez les Grecs, marqué par la précarité et la fragilité de ce qui est périssable, mais par la confiance dans le devenir futur d’une civilisation capable de se rêver immortelle.

C’est ainsi que d’un point de vue poétique, la description de cet âge d’or à venir se fond dans celle d’une expérience sensuelle – et par-là purement bucolique – de la nature telle que l’enfant la découvre au présent : belle, colorée, odorante, soumise au désir de bonheur du poète inaugural. L’enfant, quittant son berceau, rencontre un monde sans danger, c’est-à-dire civilisé, sans ronces ni serpents. Un monde à sa convenance. Dans ce monde là, la jeunesse est studieuse et l’éducation se déplie autant à l’ombre des grands récits que dans les travaux des champs. La réussite exceptionnelle de ce texte tient ainsi au lien harmonieux qu’il crée entre la perspective de la civilisation humaine et  celle du cours de la nature, du déroulement des saisons et du déroulement de l’histoire humaine soudainement confondus. A la subtile et harmonieuse correspondance qu’il institue entre ce qu’Hannah Arendt appellera bien plus tard notre concept d’histoire et notre concept de nature, pour démontrer à quel point la crise de la culture et la disparition des humanités tiennent précisément au divorce que les temps modernes prononça entre les deux. Je poursuis donc ma traduction (vers 18 à 30).

 

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dimanche, 29 mars 2009

Un tigre en quarantaine

C'est en 1955 que la Banque de France commande à Jean Lefeuvre le projet d'un billet dédié à Georges Clemenceau (1841-1929). Le peintre dispose d'un an pour mettre au point les vignettes recto et verso. Le 5 avril 1956, il présente son projet, pour une valeur nominale de 50 000 francs : On y découvre un Clemenceau âgé dont le portrait, d'après photo, est reproduit à l'identique sur chaque face. Au recto, il siège au cœur de l'ambiance douce et feutré de son cabinet de travail, dans l'appartement qu'il avait loué en 1896 et où mourut le  24 novembre 1829 à 1h45 du matin, au 8 de la rue Franklin dans le 16ème arrondissement. L'appartement, précédemment occupé par Robert de Montesquiou, est à présent un musée. Sur le bureau, reproduction moderne d'un meuble réalisé au XVIIIème siècle pour l'abbé de l'église Sainte-Geneviève, un encrier, une loupe, des plumes d'oie, des documents épars, et trônant tout au fond devant la baie, une statuette du dieu Hanuman et un Bouddha en bois laqué. Sur la cheminée, des plâtres originaux de Rodinet et des moulages grecs. Au mur, plusieurs toiles, dont une huile de Daumier représentant Don Quichotte et Sancho Pancha. Le filigrane figure un rond de lumière inondant les lieux, par la baie fermée.

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En vis à vis du personnage privé, le verso évoque la vie publique et parlementaire du Tigre, ses joutes oratoires légendaires dans l'hémicycle depuis sa première élection à la députation de Paris, le 8 février 1871.

Se reconnait derrière lui le perchoir de l'Assemblée Nationale, où son éloquence s'illustra maintes fois. A sa gauche, Athéna, telle qu'elle est représentée sur la stèle figurant en Vendée non loin de sa sépulture, au lieu-dit La Colombier, sur la commune de Mouchamps. La déesse grecque de la Sagesse et de la Guerre souligne l'attachement du personnage à la culture hellénique ainsi que son action comme président du Conseil et ministre de la guerre en 1917-1918.

A sa droite, des livres et un  encrier en faïence blanche, qui témoignent la production littéraire de Clemenceau : Son roman, Les plus forts, entre autres, publié entre le 21 août et le 4 décembre 1897 dans L'Illustration, édité l'année suivante chez Fasquelle. Roman de plus de quatre cents pages, au style jugé ampoulé, empruntant au pire de Zola… Il fut un échec.

Sa carrière de journaliste, d'autre part, à La Dépêche du Midi, La Justice, Le Bloc, Le Temps, et L'Aurore où il trouva le titre du fameux « J'accuse » de Zola qui fit la une du 13 janvier 1898. Son expérience de biographe, enfin, avec le fameux Claude Monet, les nymphéas, publié un an avant sa mort, dans lequel il retrace la vie de son ami disparu.

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Le projet de Lefeuvre est adopté par le Conseil général de la Banque de France, et placé en billet de réserve. C'est cependant le billet de Molière qui, au dernier moment, le supplantera, la gravure du Tigre n'ayant pas donné les résultats attendus.

En 1958, Lefeuvre refait sa maquette et Piel retouche la taille-douce du verso. Le billet doit alors compléter la future gamme de Corneille, Racine, Pasteur et Voltaire. Mais 27 décembre de la même année, le nouveau franc est adopté et, pour ne pas désorienter doublement le public, on décide de surcharger l'ancienne gamme : Clémenceau est à nouveau remisé. Le 9 novembre 1962, un décret du 9 novembre indique qu'à partir du 1er janvier 1963, "la dénomination de Franc, doit remplacer celle de Nouveau Franc" : la Banque de France émet successivement le 50 F Racine, le 10 F Voltaire, le 100 F Corneille, le 5 F Pasteur, mais pas de remplaçant pour le 500 NF Molière : Au mois d'août 62, De Gaulle, répondant à une invitation d'Adenauer, vient de faire un voyage triomphal qui se conclura par la signature, le 22 janvier 1963, d'un traité d'amitié franco-allemand. Le choix du Père La Victoire est jugé diplomatiquement inopportun en cette période de réconciliation médiatico-populaire. A la même époque, une vignette  l'effigie de Foch est également mise en quarantaine. C'est sans doute pourquoi le 500 NF Molière, billet pourtant libellé en Nouveaux Francs, perdurera jusqu'en ... 1970 !

La Banque garde cependant son projet sous le coude et imprime de nouvelles épreuves de 500 francs. Pour aider les aveugles, on y adjoint deux points en taille-douce. Le billet est prêt à sortir quand la création du Système Monétaire Européen annihile toute possibilité de voir figurer sur un billet français le symbole d'une victoire militaire. Cette fois-ci, le Tigre est mis en cage pour de bon par un Giscard d'Estaing qui  oppose un veto catégorique « pour ne pas froisser Helmut Schmidt ». Le fameux billet à l'effigie de Pascal est mis en circulation. De façon symbolique, un spécimen est offert le 23 juin 1989 au musée Clemenceau par le Gouverneur de la Banque de France.

Ce Clemenceau de réserve, inconnu du grand public et victime du déclin historique du nationalisme face à la construction européenne, demeure cependant, dans l'histoire fiduciaire aussi mouvementée que passionnante de ce pays, comme l'un des chefs d'œuvre de l'école française du billet,  que les collectionneurs s’arrachent avec d’autant plus de fougue que, n’ayant finalement jamais été édité, il n’en existe que peu d’exemplaires.

 

 

mercredi, 25 mars 2009

La Galoche

La Galoche : Telle est le nom qu'on donna autrefois à une ligne de chemin de fer reliant la Croix-Rousse à Sathonay. On la surnommait ainsi en raison des nombreuses secousses dont elle gratifiait ses voitures durant le trajet. Elle avait été ouverte à la circulation le 30 juillet 1863, et, prolongée jusqu'à Trévoux le 1er juin 1882. C'est la Cie P.L.M (chemin de fer de Paris Lyon Méditerranée) qui en assura l'exploitation à partir de 1897. Deux liaisons, l'une pour les marchandises, l'autre pour les voyageurs étaient assurées. La Galoche fut très populaire à la Croix-Rousse. On la prenait le dimanche matin, pour aller à la pêche, et pour la promenade familiale qui, passant par Caluire, Cuire et Montessuy, se poursuivait par Sathonay, puis gravissait les collines surplombant la Saône, desservait Fontaines, Rochetaillé, Fleurieu, Neuville, Genay, Massieux, Parcieux et après un voyage de 35 kilomètres, s'achevait à Trévoux.

A l'origine, la gare se trouvait à côté du terminus du funiculaire de la rue Terme (actuel tunnel routier), afin de faciliter la correspondance des voyageurs. Du coup, c'est les locomotives qui devaient traverser le boulevard, à très faible vitesse, et précédée d'un agent. Un train de la Galoche pouvait ainsi rester un bon quart d'heure au travers du boulevard, et cela plusieurs fois par jour. « On avait le temps, explique Pétrus Sambardier, d'aller faire une partie de boules avant que la circulation soit libre. » (1)

Une telle contrainte d'exploitation fut jugée trop pesante par le P.L.M., et le 19 mai 1914, le terminus de Lyon Croix-Rousse fut déplacé au nord du boulevard, à l'angle de la place des Tapis et de la rue de la Terrasse, où se trouvaient initialement la gare marchandises et le dépôt. Ces deux dernières installations furent quant elle reportées simultanément au-delà de la rue Hénon. Les voyageurs traverseraient désormais à pieds :  Le « Café des Voyageurs », sur le boulevard, demeure le seul souvenir de ce temps-là.

Le 16 mai 1953, en effet, la Galoche devait transporter ses derniers voyageurs. Et quelques années plus tard, la gare fut démolie. Voici un extrait du Progrès, daté du 27 août 1957 :

« Curieuse désolation apocalyptique à la gare de la Croix-Rousse. Les toitures ne conservent qu'une vague charpente, le verre pilé crisse sous les pas, les murs se dégradent, les pieds se prennent dans des planches fendues cachant des clous traîtres... Plus de rails, un seul camion chargé de gravas. La gare de la Croix-Rousse est livrée à la casse. Tandis que tout s'écroule le long de la rue de Villeneuve, la SNCF fait élever pour cinquante ménages de ses employés un premier H.L.M. D'autres s'érigeront, comme lui le long de cette rue également pour le personnel de la SNCF. Face à la place des Tapis et le long de la rue de Cuire, va se construire un immeuble de quatorze étages pour soixante-dix foyers, avec au rez-de-chaussée des bureaux pour les PTT. Partant de la place des Tapis, un grand boulevard (2) longeant puis coupant les vieilles voies, prendra les Croix-Roussiens en partance pour le week-end et les lancera en direction de Trévoux. Les espaces libres de toute construction seront voués "au vert". Parcs et squares fleuris viendront concurrencer les ombrages du boulevard de la Croix-Rousse. Adieu, tortillard croix-roussien. »

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(1) Pétrus sambardier, "La vie à Lyon"
(2) Le boulevard des canuts.