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dimanche, 21 août 2016

Anna Maria Taïgi

Dirait-on pas qu’elle s’apprête à entrouvrir les lèvres, à cligner du cil et à nous regarder, le visage ceint depuis si longtemps de sa coiffe ample et blanche ?  A frémir d’une narine et se mettre à respirer de nouveau ? Anna Maria Taigi est morte en juin 1837, dans son appartement romain non loin de l’église santa Maria in Via Lata, alors que Daguerre avait découvert la photographie depuis deux ans tout rond et qu’il n’avait pas encore déposé son brevet. Certes, elle ignorait tout de ce procédé qui s’apprêtait par étapes à envahir le monde jusqu’à y façonner des mœurs dont, de prophétie en prophétie, elle devinait toute la malignité à venir. Et tandis que je prenais ces clichés d’elle, seul dans la petite chapelle, j’aurais presque éprouvé le sentiment de violer son époque du bout de la mienne, si le calme et la sérénité qui entourent la chasse dans laquelle la tertiaire déchaussée de l’Ordre de la Sainte-Trinité attend la Résurrection n’étaient tels que je me sentis autorisé. Non loin se chantait une messe en corse, et les voix de basses qui montaient du chœur d'hommes paraissaient vouloir la bercer. 

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Je regardais ses pieds. Je l’imaginais trottinant au bras de Dominique le long du Corso pour rejoindre les deux chambrettes et la cuisine que le prince Chigi leur avait concédé à l'occasion de  leur mariage en son palais à l’angle de la place Colonna. Une histoire purement romaine. Elle à qui la Vierge avait annoncé : « Il est nécessaire que chacun se persuade, connaissant ta vie, qu’il est possible de servir Dieu dans tous les états et toutes les conditions », elle qui était née la même année que Napoléon, je l’imaginais, ce 24 mai 1814, s’écriant « Jésus-Christ est entré dans Jérusalem » au passage de Pie VII, de retour en ce somptueux Quirinal dans lequel le général Radet était venu l’arrêter quelque cinq années plus tôt, au nom d'un empereur à présent déchu. Chateaubriand retrace dans ses Mémoires l’épisode :

« A l’heure attendue, le général Radet pénétra dans la cour du Quirinal par la grande entrée ; le général Siry, qui s’était glissé dans le palais, lui en ouvrit en dedans les portes. Le général monte aux appartements : arrivé à la salle des sanctifications, il y trouve la garde suisse, forte de quarante hommes ; elle ne fit aucune résistance, ayant reçu l’ordre de s’abstenir : le pape ne voulait avoir devant lui que Dieu.

Les fenêtres du palais donnant sur la rue qui va à la porte Pia avaient été brisées à coups de hache. Le pape, levé à la hâte, se tenait en rochet et en mosette dans la salle des audiences ordinaires avec le général Pacca, le cardinal Despuig, quelques prélats et des employés de la secrétairerie. Il était assis devant une table entre les deux cardinaux ; Radet entre ; on reste de part et d’autre en silence. Radet pâle et déconcerté prit enfin la parole : il déclara à Pie VII qu’il doit renoncer à la souveraineté temporelle de Rome et que si Sa Sainteté refuse d’obéir, il a ordre de le conduire au général Mollis.

Le pape répondit que si les serments de fidélité obligeaient Radet d’obéir aux injonctions de Bonaparte, à plus forte raison, lui, Pie VII, devait tenir les serments qu’il avait fait en recevant la tiare ; il ne pouvait ni céder ni abandonner le domaine de l’Eglise qui ne lui appartenait pas, et dont il n’était que l’administrateur.

Le pape ayant demandé s’il devait partir seul : « Votre Sainteté », répondit le général, « peut emmener avec elle son ministre ». Pacca courut se revêtir dans une chambre voisine de ses habits de cardinal.

Lorsque Pacca revint, il trouva son auguste maître déjà entre les mains des sbires et des gendarmes qui le forçaient à descendre les escaliers sur les débris des portes jetées à terre… Dans la cour du Quirinal, le pape avait rencontré les Napolitains, ses oppresseurs ; il les bénit ainsi que la ville : cette bénédiction apostolique se mêlant à tout, dans le malheur comme dans la prospérité, donne un caractère particulier aux événements de la vie de ces rois pontifes qui ne ressemblent point aux autres rois » (1)

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Depuis le 10 juillet 1865, vingt-huit ans après son décès, la dépouille secrètement souriante d'Anna Maria Taïgi repose donc en saint Chrysogone, au bas du jadis populeux Trastevere, non loin du jadis fougueux Tibre. Ces corps de saints incorruptibles, que l’Eglise conserve un peu partout en ses chapelles éparses, on en oublierait qu’ils sont cadavres tant l’inspiration qu’ils délivrent porte en son sein un air de de calme et de lumière. Le 30 mai 1920, le jour de la Sainte Trinité, l’humble femme du peuple, femme de maison, mère de famille et tertiaire déchaussée, avait été solennellement béatifiée par Benoit XV, au lendemain d’un carnage atroce, dont elle avait prophétisé les grandes lignes. Les chants corses accompagnent son attente. Elle en prophétisa d'autres, qui ne sont pas encore venus. C’est étrange, comme elle porte en ses traits à la fois tout le détail de ce qui fit son époque, et quelque chose d’autre, qui ne passe pas. On tarde dans cette chapelle. On hésite à la quitter.

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Cela s’appelle un goût de l’Eternel. Car de son temps comme du nôtre, c'est bien Lui dirait-on que son âme, où qu'elle soit, est en train de contempler.

 

[1] Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe.

lundi, 08 août 2016

Confession d'un orgueil

Tout craintif et contrit, au berceau du péché, Mal su jusque de moi-même, Que suis-je de plus, que le Christ aime, Qu’on doive encore me pardonner ? 

Quel Dieu pour mon sang, vivant ? Mourrai-je en l’ignorant ?  

Dans le caveau de ma terreur, terré, Triste contre l’Auteur de toute vie, J’aspire à Celui de l’Hostie Mais par quelle louange L’aborder ? 

Quel Dieu pour mon sang, vivant ? Mourrai-je en l’ignorant ?  

Dans l’Enfer appesanti trône l’instable Orgueil d’une Toute-puissance inversée gorgée de prières falsifiées : Quel Amour me retint d’en franchir le seuil ? 

Quel Dieu pour mon sang, vivant ? Mourrai-je en l’ignorant ?    Toute transgression, lors, demeurera vaine, L’espoir d’en réchapper un seul instant aussi, Car c’est paradoxal, mais de haines en peines, L’enclos des révoltés est devenu celui des soumis 

Quel Dieu pour mon sang, vivant ? Mourrai-je en l’ignorant ?  

 L’âme libre se fige, glacée de ses erreurs : En quel puits va-t-elle bien jeter tout son péché  Avant d’ouvrir son cœur à son Seigneur ? Peut-elle-même se montrer, s’entendre, se regarder ? 

Quel Dieu pour mon sang, vivant ? Mourrai-je en l’ignorant ?  

La liberté n’est plus dans l’insoumission des corps Ni en la foi convenue de la duplicité Mais dans l’acceptation entendue de la mort Au sein de l’Unité faite Trinité. 

Dieu purifie mon sang, vivant… Ô mourir en le suivant ! 

La félicité file, elle fuse et germe Dans l’Ame stupéfaite d’être sue et retrouvée : Le doigt s’ouvre, la main se tend, l’œil se ferme, L’eau du Christ coule sur elle, qu’Il abrite en sa plaie, lavée. 

Dieu purifie mon sang vivant… Ô mourir en le suivant ! 

Les voici tiens, l’Histoire Sainte, et Béthanie, Jérusalem… Et tu frémis d’horreur et de Joie devant ce Golgotha. Et tu pries pour les prêtres qui portent le baptême, Ta vie te semble infime, et grande par la Croix. 

(Roland Thevenet Juillet 2015)

 

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Giovanni da Rimini, Histoire de la vie du Christ,

Palais Barbérini, Rome

22:02 Publié dans Des poèmes, Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christ, giovanni da rimini, palais barbérini | | |

jeudi, 04 août 2016

Paul, un imposteur ?

Il y a de cela une semaine, je me trouvais à cette heure en plein cœur de l’EUR à Rome, à l’intérieur d’un monastère enfoui dans un bois d’eucalyptus, et dédié à la mémoire du martyre de saint Paul. Et voilà qu’aujourd’hui, dans le dernier numéro de Dabiq nommé Break the Cross, je lis que les partisans de l’Etat Islamique s’en prennent violemment à l’apôtre Paul, entre autres attaques véhémentes contre tout ce qui fonde la foi catholique, qu’ils vomissent et exècrent au plus haut point. Pourquoi Paul, pourrait-on se dire, quand la plupart des baptisés français n’ont peut-être jamais lu ses épitres, et que le moins que l’on puisse dire est que son témoignage n’est plus guère d’actualité dans l'hexagone ?  Parce que, au risque de déplaire à ceux qui ne voient chez les terroristes de l’Etat islamique que des égorgeurs fanatisés, des psychopathes égarés, des marginaux invétérés, Daesh possède bien un discours théologique, qu’il puise et justifie par le Coran et les hadiths, ainsi que par bon nombre de penseurs soufis.

Un chapitre entier intitulé Paul l’imposteur, donc.

Ce qui justifie cette attaque, c’est tout d’abord son statut particulier « d’avorton », pour reprendre ses propres termes : Paul n’a jamais connu le Christ vivant. En tant que témoin privilégié de sa Résurrection, que les musulmans nient avec acharnement, il est donc, si on peut s'exprimer ainsi, l'apôtre à abattre. Et Daesh de citer l’Epitre aux Galates : « Je vous déclare, frères, que l'Evangile qui a été annoncé par moi n'est pas de l'homme ; car je ne l'ai ni reçu ni appris d'un homme, mais par une révélation de Jésus-Christ. » (Galates 1:11-12). Paul serait donc un falsificateur de l’Evangile du Christ, un menteur qui, en privilégiant la Deuxième Alliance (l’Incarnation) à la Première (La Loi) a perverti le premier christianisme. « Prétendant suivre l’enseignement du Christ, il enseigna des choses directement opposées à ce que Jésus institua, continuent nos théologiens de Dabiq. On pouvait s’y attendre de la part de Paul qui prêcha hardiment contre la Loi de Moïse en ces termes : « Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi » (Galates 3:13). Il soutenait à la place : « Si vous êtes conduits par l'Esprit, vous n'êtes point sous la Loi. » (Galates 5:18).  C’est donc à la fois en tant que témoin de la Résurrection et apôtre des Gentils que Paul se trouve tout d’abord placé sous la critique des islamistes.

Ils lui reprochent ensuite ce qui fonde sa spécificité, le fameux « Tout à Tous » énoncé dans le discours aux Corinthiens qui devient à leurs yeux une forme de laxisme, voire d’hypocrisie, «la justification habile d’un grave péché »  : « « Car, bien que je sois libre à l'égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre.  Avec les Juifs, j'ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs; avec ceux qui sont sous la loi, comme sous la loi quoique je ne sois pas moi-même sous la loi, afin de gagner ceux qui sont sous la loi; avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi quoique je ne sois point sans la loi de Dieu, étant sous la loi de Christ, afin de gagner ceux qui sont sans loi. J'ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver de toute manière quelques-uns. » (Corinthiens I - 9:19-22).

Enfin, sa vision du Christ sur le chemin de Damas, dont il fut, nous rappelle-t-on justement, le seul témoin, est assimilée à une vision satanique : comparé à la sagesse de Ibn Taymiyyah théologien salafiste du XIVè siècle appelé à la rescousse, qui eut la sagesse, lui, grâce à Allah, de repousser la vision «d’un grand trône sur une lumière », Paul est un enfant de chœur qui se laisse duper comme un débutant par le diable. « Si Paul a vraiment vu quelque chose sur la route de Damas, ce n’était pas Jésus mais Satan qui lui inspira à enseigner ce qui était interdit, l’abandon de la Loi, et la prière au Christ au lieu de la prière à Allah…Tout ceci n’est qu’un aperçu dans un océan de contradictions, fabrications et suggestions ignorantes trouvées dans les textes de source chrétienne. » concluent enfin les théologiens du salafisme contemporain. » Demeure l'impression, à leur lecture, que ce qu'ils regrettent en ce Paul converti, c'est qu'il ne tue plus des chrétiens, et préfère le martyre pour son propre compte à l'assassinat d'autrui. 

Après une telle lecture, je me demande deux choses :

  • Comment le pape François peut-il être aussi conciliant à l’égard de la violence islamiste ?
  • Cette critique de Paul, établie du point de vue unitarien [et qui n’est au fond qu’un moyen d’attaquer la Trinité en niant au Christ sa qualité de Fils et à Paul sa qualité d’apôtre par l’Esprit saint], ne peut-elle trouver de nombreux acquiescements parmi les autres ennemis de l’Eglise, unitariens comme les adeptes du Grand Architecte de l’Univers ou tout simplement athées ?

Pour toute réponse, je goûte cette paix propice, telle que dans l'abbaye des Trois Fontaines à Rome, et dans l'église de la Décapitation, je l'ai goûtée. Je ressens ces siècles d'histoire et de catholicité dont rien n'a pu m'arracher et cet instant d'empathie, d'abandon, d'amour qui m'a lié là-bas à cet apôtre si brillant, si juste et si droit que j'ai pu le prier secrètement d'avoir le privilège de témoigner un jour en sa faveur. Jamais je n'aurais pensé alors que l'occasion s'en présenterait si vite, et de cette manière sidérante qu'il fallût la mort d'un prêtre à l'autel de son Christ, et toute cette haine déversée à son encontre, pour qu'elle jaillît. Paul, l'apôtre des Gentils dont plus que jamais nous aurons besoin pour «lutter», comme disent les politiciens, «contre le terrorisme», qui lançait aux Corinthiens cette sentence si intelligemment énigmatique : « Nous sommes accablés de toute manière mais non écrasés, nous connaissons l'inquiétude, mais non le désespoir, nous sommes pourchassés, mais non dépassés, nous sommes terrassés, mais non anéantis. Nous promenons sans cesse en notre corps la mort de Jésus afin que la vie de Jésus se manifeste elle aussi en notre chair mortelle...»   ( 2 Corinthiens, 4, 8-11)

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décapitation de Paul, Enrique Simonet, 1887

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tête en bronze de Saint Paul, église des Trois Fontaines, Rome

16:27 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : saint paul, abbaye des trois fontaines, décapitation, dabiq | | |

mercredi, 27 juillet 2016

Songes-y, musulman...

Quand on s’en prend à un prêtre en train de célébrer, c’est le Christ-Même que l’on meurtrit.

Directement Lui.

Manière de dire à tous par-delà cet assassinat : « voyez, si ce Christ était votre Dieu, il aurait sauvé ce vieux prêtre,

Mais il ne l’a pas fait, comme il n’a pu se sauver Lui-Même sur la Croix… »

Raisonnement de musulman comme jadis raisonnement de juif,

Raisonnement d’imbéciles, donc,

Car c’est par la Charité seule que le Christ a vaincu Satan, non par la Force

Ni celle de la persuasion ni celle du muscle ni celle de la kalachnikov

Car Charité est seule Infinie, telle est la Leçon essentielle de la Croix

Contemple-la, Musulman,

Car c'est par la Charité que Christ vaincra ton ignorance.

Quand on s’en prend à un prêtre en train de célébrer, on cherche à meurtrir le cœur vif du Chrétien

A le toucher en ce moment d’abandon à Dieu qui ne souffre aucune autre compagnie,

La compagnie d’Allah

La compagnie de Satan

La compagnie du crime,

Toutes mêmes compagnies.

On cherche à jeter le doute et la peine en s’infiltrant dans ce lieu de l’âme où cognent déjà toute l’indifférence du monde, toute la violence et toute la haine de Satan.

Double épreuve et double volonté de nuire

C’est un viol de l’âme collective,

La tienne également, songes-y Musulman.

 

Il aura fallu que j’apprenne le meurtre du vieux prêtre de Saint Etienne de Rouvray

Au lieu même du martyre de Pierre et de la bouche même du guide

Qui me conduisait à son tombeau sous la basilique de Constantin.

S’opéra pour moi vraiment le retour aux sources

Et Dieu – le Vrai, pas celui des millions de musulmans qui constituent la majorité silencieuse dont le crime a besoin pour poursuivre sa route –

Dieu me montra que de Pierre à ce prêtre de Saint-Etienne de Rouvray, nihil novi sub sole, vraiment,

Le cœur même plus endurci, blasé, diverti, l’homme de l’empire global demeure le même en sa nature pécheresse et mortelle que celui de l'empire romain,

Ami ou Ennemi du Seigneur, c’est selon, nulle place pour les âmes tièdes,

Et que là où la prétendue miséricorde d’Allah ne s’exerce que pour les fidèles qui suivent Mohammed

Celle du Christ se tend vers tous les pécheurs

Songes-y, musulman,

Et que oui, décidément, le Coran est bien d’essence satanique :

S’il y a des croyants parmi les musulmans,

Quelle autre solution ont-ils devant ce martyre

Que se convertir ?

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Caravage, crucifixion de Pierre,

Santa Maria del Popolo, Rome

mardi, 19 juillet 2016

Entrailles

Le diable n’a pas d’entrailles.  Il est esprit, pur esprit. C’est pourquoi il s’est installé dans celles de l’homme et de la femme, pour s’y cacher de la colère de Dieu. C’est aussi pourquoi le Fils a dû descendre jusque dans la chair de l’homme, sans s’y corrompre par le péché originel comme n’importe quel homme, en passant par les entrailles d’une Vierge. Et il l’en a délogé. Mais à quel prix !

Satan n’aime pas la chair, parce qu’il est tombé à cause d’elle. Satan est tombé pour avoir refusé de servir le salut de l’homme comme Dieu le lui demandait. Satan a bien compris, grâce à sa haute intelligence, que Dieu lui offrait ce moyen de servir plus petit que lui, comme il l’offre à n’importe quel ange, pour gagner en charité. Mais Satan l’a refusé. Ce que Satan n’a pas compris, c’est la nature exacte de Dieu, qui est certes Lumière, Infini, Gloire et Puissance, mais qui ne s’exprime qu’à travers le vecteur de la charité. En refusant la charité, Satan s’est coupé de Dieu à jamais et s’est damné dans ce lieu où Dieu n’est pas, qui possède une largeur, une longueur, une profondeur, mais curieusement aucune hauteur, et où il doit ramper et mordre incessamment la poussière. Le feu éternel de l’enfer, explique le Christ, n’est pas la destination naturelle des hommes, mais le lieu « préparé pour le diable et pour ses anges » (Matthieu, 25,41)

Satan s’est damné d’une certaine façon à cause de nous. Et c’est à cause de nous qu’il a damné ses légions d’anges. D’où l’objet de sa haine. Nous sommes haïs de Satan presque autant que nous sommes aimés de Dieu. Autant l’amour de Dieu travaille à notre salut, autant la haine de Satan travaille à notre perte. Il ne nous pardonnera pas sa damnation, cette erreur de sa part qu’il nous attribue, car il ignore et la justice, et la charité. Il ignore Dieu. Aussi, dès que nous ne sentons plus la charité en nos entrailles, nous sommes potentiellement exposés à ses attaques. Satan est comme un camion fou qui fonce dans la nuit et disperse entre ses roues la chair des hommes, qu’il hait plus que tout.

De Satan et de toutes les formes qu’il prend dans le monde sensible et intelligible (le monde bas, le monde de la chair), l’homme n’a pas à avoir peur. Nous devons simplement comprendre comment Dieu nous protège de lui. Dieu nous protège de lui en nous faisant connaître la Charité. Tel est le sens de la phrase du Christ : « Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, pas plus qu’un mauvais arbre n’en peut porter de bons. Tour arbre qui ne donne pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C’est donc à leurs fruits que vous le reconnaîtrez » (Matthieu, 7, 18-20)

La preuve que le Christ est Fils de Dieu s’exprime tout entière dans la Croix : Ce que Satan lui-même n’a jamais compris, Le Christ est venu l’expliquer aux hommes. Il a vaincu Satan parce qu’il a montré à toutes les générations par sa chair crucifiée que la Lumière, l’Infini, la Gloire et la Puissance de Dieu ne s’expriment en réalité que par la Charité. Et c’est parce que Dieu est Charité que le Christ est son Fils. Le Christ est mort à 33 ans sur la Croix que Juifs et Romains ont plantée de concert sur le Golgotha, pour racheter tous les péchés des hommes qui souillaient leurs entrailles, après en avoir guéri en grand nombre ; Mahomet est mort à 63 ans d’une mauvaise grippe après avoir été chef de guerre et en avoir tué un grand nombre. Je ne nie pas qu’il y ait dans le bouddhisme une belle école de détachement et de confort spirituel, mais où s’y trouve la Charité ? Où s’y trouve Dieu ?

Le monde est infesté de gurus, d’imams, de bonzes, de prédicateurs et de francs-maçons plus ou moins complices les uns et les autres dans leur ignorance ou leur détestation du Christ : car aucun n’a accompli ce que le Fils de Dieu a accompli sur la croix, aucun. Qui que nous soyons, il nous faut bien l’admettre, à moins d’être fourbes, bêtes ou purement sataniques. Satan, si puissant soit-il, ne résiste pas à cette simple reconnaissance. Satan ne résiste pas à la Croix, et c’est pourquoi on peut sereinement affirmer non pas que le christianisme est la seule religion, il en existe des centaines. Mais que le christianisme est la vraie religion.

Satan ne résiste pas davantage à la Mère de Dieu, parce qu’elle l’a délogé un jour des entrailles des hommes d’où il dirigeait le monde, d’un simple acquiescement au saint Esprit, la Troisième Personne de la Divinité. Satan ne résiste pas à un seul Ave Maria convaincu. Dites-lui : « Et Jésus le fruit de tes entrailles est béni », et il fuira. Non que vous soyez spécialement saints vous-mêmes, loin s’en faut. Non que vous prononciez une parole particulièrement magique, tout au contraire. Mais songer que Dieu ait pu engendré, et que de ces entrailles qu'il abhorre ait pu naître le Fils de Dieu, le terrasse. Et la haine que Satan garde de la chair est moindre que l’amour que Dieu a pour elle, parce que malgré des siècles de dégradation, Il l’a faite à son image, et qu'Il est Charité.

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13:32 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christ, christianisme, charité, bouddhisme, islam, attentats, france | | |

vendredi, 01 juillet 2016

Ars vivendi

Devant l’incessant déferlement d’informations, l’homme contemporain est sommé soit de simplifier, soit de sélectionner, soit d’ignorer. Attitude défensive, dans les trois cas. Je simplifie, afin de ne pas m’encombrer inutilement l’esprit. Je sélectionne, afin de demeurer centré sur ce que je peux encore « maîtriser » du flot de discours qui m’environne. L’ignorance, enfin. L’ignorance afin de ne pas avoir besoin d’oublier par la suite : l’ignorance est la forme la plus immédiate de l’économie. N’est-elle pas encore ce qu’il y a de plus racé, de plus juste, de plus inévitable ?  Je ne saurai pas combien de gens sont morts dans cet attentat, ni quel fut le score final de ce match, ni le résultat de ce vote. Je ne saurai pas. D'hier à demain, j’ignorerai quelle forme particulière aura pris le chaos pour m’entraîner hors de moi-même et me laisser exsangue entre ses filets. Finalement, je choisis de demeurer vif sur ma propre rive, sans la moindre illusion sur les qualités intrinsèques de la moindre Nouveauté, tout occupé, tout enchanté de ma permanence.

Juillet, pourtant, ne nous quittera pas sans que notre permanence ait pris trente et un jours de plus par la figure, alors autant que chacun d’eux soit le plus doux possible, le plus spacieux, le plus étiré, le moins chargé des vociférations du monde qui se rétracte dans sa colère, en un mot, le plus dense, le plus singulier, le plus complet. Or pour savourer le plus singulier de chaque jour, rien de tel que d’ignorer tout ce qui cherche partout obstinément à le configurer à notre place, à le couvrir malgré nous de honte ou de ridicule, de colère ou de peur, d'espoir ou de remords. Que le silence demeure l'accueil le plus propre de ce qui en lui réside de plus divin ...

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Campagne, non loin d'Ars-sur-Formans

 

 

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mardi, 14 juin 2016

#je suis chrétien

Le Christ nous offre à tous sa paix. Mais pour la ressentir, la recevoir, la garder, il faut accepter quelque chose de terrible : son sacrifice. Son sacrifice, sa Passion, sa Croix, comme un acte qui dépasse en foi, en espérance, en charité, tout ce que ce que nous pouvons, nous, avec nos simples vertus naturelles, accomplir. Tout, à jamais. Un acte plus haut, plus large, plus profond que les nôtres, qui fait de Lui sans que nous n’ayons quasiment rien d’autre à faire que cette simple reconnaissance, notre Seigneur, notre unique Seigneur, pour toujours.

Sans cette reconnaissance, cet agenouillement, on ne peut recevoir la paix du Christ. C’est ce que signifie « Nul ne vient au Père que par Moi ». Sans cette reconnaissance de l’action du Père à travers l’amour du Fils, et par l’accueil intérieur de l’Esprit qui procède d’eux, on ne se donne pas les moyens de recevoir sa paix et de ce fait, on se retrouve tel un juif, un musulman ou un athée qui, tous trois pour des raisons différentes, nient, contestent ou ignorent ce sacrifice. Et souffrent.

Car celui qui refuse le sacrifice du Christ en rémission de ses péchés n’a d’autre solution que d’apprendre à vivre avec ce péché ultime, c’est-à-dire avec la violence de son propre orgueil, de sa propre fierté qui, le radicalisant, l’ont perdu. Quelle fierté trouver en effet à être soi, devant un tel sacrifice ?  Et en effet, celui qui ne reconnait pas le sacrifice du Christ, le Christ ne peut pas prendre son péché, c’est-à-dire neutraliser sa violence et l’emmener, comme Il le promit au bon larron repentant, dans son paradis. Dès lors il doit, sa violence, la gérer comme il le peut, par des rites insuffisants ou par des lois toujours plus arbitraires. C’est l’engrenage fatal des sociétés non chrétiennes, où règnent la charia ou bien le code civil.

Et si le degré de cette violence monte, il faut alors des boucs émissaires. C’est ce que René Girard a très bien expliqué dans La Violence et le sacré.

Un monde sans pitié, disait Eric Rochant, dans un film déjà ancien, pour parler de notre société savamment déchristianisée par ses dirigeants depuis deux siècles. Il avait tort : L’humanisme a créé un monde sans repentir. On a pu, en effet, laisser la pitié aux hommes, elle ne leur servait dorénavant de rien, dans un monde où Dieu n’est encore toléré qu’à condition de n’avoir jamais engendré, comme l’enseigne si faussement Le Coran, ou de n’être qu’un Grand Architecte Lointain, comme le proclament si sèchement les Lumières. Elle ne leur sert de rien, s’ils n’ont plus de repentir.

Et donc, dans un monde qui n’a que l’humain pour finalité, le seul péché, le seul blasphème, le seul outrage, c’est de ne pas aimer l’humain quel qu’il soit. D’être, en quelque sorte, phobe. Xénophobe, homophobe, islamophobe, europhobe… Mais pour aimer à ce point, pour aimer ainsi, pour aimer tout le monde, pour aimer l’espèce, j’ai besoin de Dieu, évidemment ! Sinon je n’aime que moi-même et mon petit clan au sein de l’espèce, inutile de me conter des histoires. D’ailleurs ces petites communautés qui toutes revendiquent le droit d’être aimées, avec leur fierté, leur orgueil d’être ce qu’elles sont, de s’imposer à tous, sont-elles si aimables, si tolérantes elles-mêmes ?

L’homme en soi n’est pas suffisant pour être bon. De la même manière qu’un Dieu qui n’aurait pas engendré ne me sert de rien, un homme qui ne l’aurait jamais été ne vaut rien. Tout tient dans cette Trinité seule, rompez-là, rien ne vaut. Qu’en est-il de ces hashtags à bout de courses et de causes, #jesuisCharlie, #jesuisParis, #jesuisBruxelles,# jesuisgay, et désormais,  #jesuislapolice ?

Je ne suis rien de tout cela : pour ma part, #je suis chrétien et cela me suffit. Qu’un de ces idiots me tire dessus un jour, parce que je me serai trouvé au mauvais endroit, qu’il y réfléchisse bien : Il devra répondre de ma vie devant le Christ. Et puis, martyr pour martyr, il ne gagnera jamais dans son enfer que quelque mille vierges, quand il m’offrira à moi, et pour toujours, la vision béatifique qui est mon seul paradis…

Car c’est le Christ et le Christ seul qui a aboli par son sacrifice et pour chacun de nous cette distance que les sacrifices de toute nature, et les Jihad de toute sorte, et les commémorations en tous genres prétendent parcourir : est-ce vraiment si difficile à comprendre ?

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Sixtine, le crucifix, devant un détail de l'Enfer de la fresque du jugement dernier

mardi, 07 juin 2016

... Novo cedat ritui

I

Dieu ne date pas d’aujourd’hui,

Telle est même sa principale raison d’être encore.

Demeure, de demeurer,

Dieu des trois églises, militante, souffrante et triomphante,

 

Dieu ne date pas non plus d’hier,

Puits sans commencement de sa propre autorité,

Ainsi que par Lui tout a été fait

Tout sera fait, Amen.

 

Dieu ne date pas non plus de demain

Sectes et faux-prophètes sèment en vain

L’Eternel ni d’un siècle ni de l’autre les confondra toujours,

Ni de ce temps-ci, ni de celui-là.

 

II

J’entrais dans une église et m’agenouillai longtemps

Devant le Saint-Sacrement ensoleillé du dedans.

Le Fils de Dieu me vit

Et me dit :

 

Sais-tu combien d’hosties furent dévorées, depuis le Golgotha ?

Bien plus que l’Antiquité n’égorgea de taureaux et de moutons,

Mon corps est aussi victorieux qu’invisible

Aussi disséminé que glorieux.

 

De tous à jamais la pierre angulaire 

Je suis

Le sacrifice de ton frère

Que tu n’as plus besoin de faire. 

 

Mais se laisser aimer demeure plus difficile que combattre

Agir bien plus simple qu’adorer.

Tel est l’outrage des hommes de ce temps,

Contre la croix, leur péché le plus grand.

 

III

Moi devant Toi, Corps supplicié, ressuscité,

Corps glorieux qui sauve ma vie chétive de tout commerce avec Dieu qui ne soit d’Amour,

Qu’ai-je à quémander, à vouloir ?

Il n’est plus de demande, seule vaut l’oraison :

 

Tel Job, je dois me taire à la fin

Même si par Toi je connais un jour l’immense gloire du salut,

Le siège de mes mots ignorera toujours la dimension du sacrifice.

Tantum ergo Sacraméntum

Novo cedat ritui...

 

Et me laisser devenir le berceau de cet enfant né,

La Croix de ce Messie supplicié

Le tombeau de ce Corps en allé

Le trône de ce Ressuscité.

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Raphaël, La dispute du Saint Sacrement, Chambre de la Signature,

Détail  (si l'on peut s'exprimer ainsi...)

lundi, 06 juin 2016

La torpeur des ancêtres

Beau titre que celui du livre de Giovanni Careri, professeur d’esthétique spécialiste de la Sixtine, La torpeur des ancêtres. La série des ancêtres du Christ, qui se trouve dans les lunettes et les triangles, au sommet des parois et immédiatement sous la voute, fait partie des objets les moins étudiés de la Sixtine. Il faut dire qu’avant la restauration (1980-1992), elle était devenue quasiment invisible en raison de la suie des cierges accumulée. Giovanni Careri constate tout d’abord que ces ancêtres juifs du Christ (d’Abraham à Joseph, époux de Marie) ont été peints selon un ordre qui, par rapport à celui de la chronologie donnée par l’Ancien Testament, n’est pas linéaire paroi après paroi, mais zigzague entre une paroi et l’autre parallèlement à la série chronologique des Premiers Papes, située juste en dessous et elle aussi disposée de la même façon : Giovani Careri  y voit un parallèle volontairement établi entre «la généalogie charnelle » des ancêtres et la « généalogie élective des papes », soucieux de mettre en valeur la différence entre la façon « antique et juive » de transmettre l’autorité au sein de la lignée et celle « nouvelle et chrétienne », qui ne peut pas s’appuyer sur une logique de descendance familiale et s’appuie donc sur le lien de chacun avec le Christ. On est juif, en effet, par naissance, on n’est chrétien que par le baptême. Michel Ange aurait donc  cherché à représenter la rupture entre un temps linéaire durant lequel les ancêtres du Christ, tous juifs, se sont passés le pouvoir de père en fils, et le nouveau temps chrétien durant lequel chaque individu est en relation avec un centre, le Christ, dans un rapport qui n’est plus chronologique mais transcendant : « Le passage entre le modèle de parentèle tribale et ethnique du « temps juif antique » et le modèle nouveau et chrétien de « parentèle spirituelle » constitue l’un des nœuds décisifs pour comprendre les figures des Ancêtres. » écrit Careri qui constate ensuite que la représentation de ces ancêtres, très stylisée, ne manifeste pas non plus une chronologie : tous semblent avoir vécu au même moment, durant ce moment juif de l’Ancien Testament qui, étalé sur plusieurs siècles, plusieurs rois, fini par n’être qu’un seul moment, celui des ancêtres, celui des Juifs.  Moment de ce peuple élu, installé dans les incessants péchés commis contre Yahvé, et que la naissance du Christ viendra interrompre en fondant un nouveau cycle où « le Père » se donne aussi aux païens, à travers le coup d’éclat de sa nouvelle Alliance. En gros, donc, les ancêtres représenteraient les Juifs de l’Ancien Testament de manière vague et volontairement indécise ; d’ailleurs rien dans les dessins ne permet vraiment de reconnaître telle ou telle figure de l’Ancien Testament. Cette dissociation entre les personnages et leurs noms serait aussi la marque du passage d’une généalogie charnelle, propre du monde juif, à une parenté spirituelle spécifique du chrétien : Jésus ayant dû prendre place dans un système patriarcal de transmission de la légitimité tout en le renversant lui-même en se proclamant fils de Dieu, il a donc fallu opérer pour ces personnages de l'Ancien Testament une opération paradoxale : les inclure en tant qu’ancêtres du Christ dans l’histoire chrétienne en représentant en frise la chronologie de leur lignée, tout en les excluant de cette même histoire en tant qu’étrangers à cette révélation, incompatibles avec l’annonce universelle ouverte à « toutes les nations » prêchée par les apôtres, Paul au premier chef.

Careri insiste en parallèle sur les positions et les attitudes de tous ces ancêtres, qu’il trouve langoureuses, installés qu’ils sont tous dans la torpeur, l’inaction, l’attente et la « carnalité » (on dirait aujourd’hui la domesticité). Ces ancêtres sont représentés en train de s’occuper d’enfants, de travailler à divers métiers, mais jamais occupés à prier ou à méditer. Ils ont des activités domestiques, comme si, de générations en générations, effectivement, ils cultivaient dans l’ennui l’attente de quelque chose ou de quelqu’un. Ce qui revient à rejeter une fois de plus ces ancêtres dans les temps de l’avant révélation : il finit par attribuer à ces travaux domestiques illustrés par le cycle des Ancêtres une valeur négative de distraction par rapport à la révélation de la divinité du Christ qui se manifeste partout ailleurs dans les fresques de la Chapelle Sixtine.  Au fond, ces juifs sont dépeints comme uniquement préoccupés de la matérialité des choses, tels des étrangers au devoir spirituel dont, en tant que peuple élu, ils devraient se soucier. Dans cette existence monotone, ils vivent « selon la chair », pour paraphraser saint Paul, jamais « selon l’esprit ».

Selon l’auteur, Michel Ange participerait alors à une dévalorisation du Juif, en écho aux thèses préconisées par Jérôme Savonarole, le prêcheur dominicain dont il avait écouté les discours passionnés à Florence. Ces Juifs de la Sixtine incarneraient au fond la force d’inertie immémoriale qui oppose une résistance coupable au processus de revitalisation chrétienne. Careri – et c’est le point final de sa thèse – avance le fait que les Juifs de la Sixtine pourraient même représenter le « chrétien négligent » ou assoupi, celui qui, malgré la Révélation persévère dans sa « tiédeur » : les ancêtres du Christ seraient au fond les âmes tièdes, évoquées par Michel Ange dans ses derniers poèmes pour désigner ces chrétiens mélancoliques, hésitants, face à l’appel de leur Seigneur.  Pour ma part, si je trouve l’analyse brillante, je juge les conclusions quelque peu divagantes. C’est certes très politiquement correct, dans les milieux universitaires, de réhabiliter la figure historique du Juif au regard de la seule histoire moderne : il suffit cependant de relire la confrontation violente du Christ lui-même avec le Sanhédrin dans saint Jean, et toutes les étapes de la condamnation à la Croix qui en suivit, pour comprendre que cette opposition frontale entre le système de la Loi tribale (qu’on retrouve en partie chez les musulmans) et celui de la grâce individuelle est bien présente dans l’Evangile et ne fut pas inventée par Michel Ange. Elle croise alors cette opposition théologique entre la Vérité de la Loi et les détournements que les détenteurs du Pouvoir sont toujours tentés de faire pour justifier leurs actions coupables. Appelons ça antisémitisme si ça nous chante, dans ce cas, cet antisémitisme supposé de Michel Ange ne fut que le retournement de l’antichristianisme partagé par les Juifs non convertis et les Romains des trois premiers siècles et qui, jusqu’à l’édit de Milan, engendra tant de martyrs. Par ailleurs, parler de Michel Ange comme d’une « âme tiède », n’est-ce pas confondre le peintre et ses personnages ? Une âme qui, avant la mort, demande « la vie éternelle », est-elle vraiment tiède ?  Reconnaître que la voie de l’Art ne fut que celle d’une passion humaine, d’une distraction, voire d’une négligence relève d’une autre forme de mélancolie que celle de la torpeur des ancêtres englués comme nous le sommes dans la matérialité du monde : il n’y a d'ailleurs rien de tribal en cette « mélancolie » qu’exprime Michel Ange dans ses derniers sonnets, au contraire. Elle n’est que goût du Christ, conscience de la nature même du péché, et aspiration contrite pour le ciel :

« Les fables dont le monde est plein m’ont dérobé
le temps qui pour contempler Dieu m’était donné ;
j’ai fait fi de ses grâces ; oui, c’est avec elles,
non sans elles, que j’ai chu dans le péché.


Ce qui rend autrui sage m’a rendu stupide,
aveugle et lent à reconnaître mon erreur ;
l’espoir me manque et néanmoins croît mon désir
que de tout amour-propre enfin tu me délivres.


Daigne m’abréger de moitié la voie du Ciel,
mon cher Seigneur ! Encore faudrait-il que pour
la moitié qui m’incombera, tu me secoures.


Avec les biens du monde fais-moi prendre en haine 
les beautés que j’ai cultivées et honorée
afin qu’avant la mort j’aie la vie éternelle. »

 

« Voici que le cours de ma vie en est venu
par tempétueuse mer et fragile nacelle
au commun havre où les humains vont rendre compte
et raison de toute œuvre lamentable ou pie.

 

Dès lors, je sais combien la trompeuse passion
qui m’a fait prendre l’Art pour idole et monarque
était lourde d’erreur et combien les désirs
de tout homme conspirent à son propre mal.

 

Les penser amoureux, jadis vains et joyeux,
qu’en est-il à présent que deux morts se rapprochent ?
De l’une je suis sûr et l’autre me menace.

 

Peindre et sculpter n’ont plus le pouvoir d’apaiser
mon âme, orientée vers ce divin amour
qui, pour nous prendre, sur la Croix ouvrit les bras. »


(Michel-Ange, Poèmes, traduits par Pierre Leyris, Gallimard, 1992)

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