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mardi, 14 juin 2016

#je suis chrétien

Le Christ nous offre à tous sa paix. Mais pour la ressentir, la recevoir, la garder, il faut accepter quelque chose de terrible : son sacrifice. Son sacrifice, sa Passion, sa Croix, comme un acte qui dépasse en foi, en espérance, en charité, tout ce que ce que nous pouvons, nous, avec nos simples vertus naturelles, accomplir. Tout, à jamais. Un acte plus haut, plus large, plus profond que les nôtres, qui fait de Lui sans que nous n’ayons quasiment rien d’autre à faire que cette simple reconnaissance, notre Seigneur, notre unique Seigneur, pour toujours.

Sans cette reconnaissance, cet agenouillement, on ne peut recevoir la paix du Christ. C’est ce que signifie « Nul ne vient au Père que par Moi ». Sans cette reconnaissance de l’action du Père à travers l’amour du Fils, et par l’accueil intérieur de l’Esprit qui procède d’eux, on ne se donne pas les moyens de recevoir sa paix et de ce fait, on se retrouve tel un juif, un musulman ou un athée qui, tous trois pour des raisons différentes, nient, contestent ou ignorent ce sacrifice. Et souffrent.

Car celui qui refuse le sacrifice du Christ en rémission de ses péchés n’a d’autre solution que d’apprendre à vivre avec ce péché ultime, c’est-à-dire avec la violence de son propre orgueil, de sa propre fierté qui, le radicalisant, l’ont perdu. Quelle fierté trouver en effet à être soi, devant un tel sacrifice ?  Et en effet, celui qui ne reconnait pas le sacrifice du Christ, le Christ ne peut pas prendre son péché, c’est-à-dire neutraliser sa violence et l’emmener, comme Il le promit au bon larron repentant, dans son paradis. Dès lors il doit, sa violence, la gérer comme il le peut, par des rites insuffisants ou par des lois toujours plus arbitraires. C’est l’engrenage fatal des sociétés non chrétiennes, où règnent la charia ou bien le code civil.

Et si le degré de cette violence monte, il faut alors des boucs émissaires. C’est ce que René Girard a très bien expliqué dans La Violence et le sacré.

Un monde sans pitié, disait Eric Rochant, dans un film déjà ancien, pour parler de notre société savamment déchristianisée par ses dirigeants depuis deux siècles. Il avait tort : L’humanisme a créé un monde sans repentir. On a pu, en effet, laisser la pitié aux hommes, elle ne leur servait dorénavant de rien, dans un monde où Dieu n’est encore toléré qu’à condition de n’avoir jamais engendré, comme l’enseigne si faussement Le Coran, ou de n’être qu’un Grand Architecte Lointain, comme le proclament si sèchement les Lumières. Elle ne leur sert de rien, s’ils n’ont plus de repentir.

Et donc, dans un monde qui n’a que l’humain pour finalité, le seul péché, le seul blasphème, le seul outrage, c’est de ne pas aimer l’humain quel qu’il soit. D’être, en quelque sorte, phobe. Xénophobe, homophobe, islamophobe, europhobe… Mais pour aimer à ce point, pour aimer ainsi, pour aimer tout le monde, pour aimer l’espèce, j’ai besoin de Dieu, évidemment ! Sinon je n’aime que moi-même et mon petit clan au sein de l’espèce, inutile de me conter des histoires. D’ailleurs ces petites communautés qui toutes revendiquent le droit d’être aimées, avec leur fierté, leur orgueil d’être ce qu’elles sont, de s’imposer à tous, sont-elles si aimables, si tolérantes elles-mêmes ?

L’homme en soi n’est pas suffisant pour être bon. De la même manière qu’un Dieu qui n’aurait pas engendré ne me sert de rien, un homme qui ne l’aurait jamais été ne vaut rien. Tout tient dans cette Trinité seule, rompez-là, rien ne vaut. Qu’en est-il de ces hashtags à bout de courses et de causes, #jesuisCharlie, #jesuisParis, #jesuisBruxelles,# jesuisgay, et désormais,  #jesuislapolice ?

Je ne suis rien de tout cela : pour ma part, #je suis chrétien et cela me suffit. Qu’un de ces idiots me tire dessus un jour, parce que je me serai trouvé au mauvais endroit, qu’il y réfléchisse bien : Il devra répondre de ma vie devant le Christ. Et puis, martyr pour martyr, il ne gagnera jamais dans son enfer que quelque mille vierges, quand il m’offrira à moi, et pour toujours, la vision béatifique qui est mon seul paradis…

Car c’est le Christ et le Christ seul qui a aboli par son sacrifice et pour chacun de nous cette distance que les sacrifices de toute nature, et les Jihad de toute sorte, et les commémorations en tous genres prétendent parcourir : est-ce vraiment si difficile à comprendre ?

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Sixtine, le crucifix, devant un détail de l'Enfer de la fresque du jugement dernier

lundi, 06 juin 2016

La torpeur des ancêtres

Beau titre que celui du livre de Giovanni Careri, professeur d’esthétique spécialiste de la Sixtine, La torpeur des ancêtres. La série des ancêtres du Christ, qui se trouve dans les lunettes et les triangles, au sommet des parois et immédiatement sous la voute, fait partie des objets les moins étudiés de la Sixtine. Il faut dire qu’avant la restauration (1980-1992), elle était devenue quasiment invisible en raison de la suie des cierges accumulée. Giovanni Careri constate tout d’abord que ces ancêtres juifs du Christ (d’Abraham à Joseph, époux de Marie) ont été peints selon un ordre qui, par rapport à celui de la chronologie donnée par l’Ancien Testament, n’est pas linéaire paroi après paroi, mais zigzague entre une paroi et l’autre parallèlement à la série chronologique des Premiers Papes, située juste en dessous et elle aussi disposée de la même façon : Giovani Careri  y voit un parallèle volontairement établi entre «la généalogie charnelle » des ancêtres et la « généalogie élective des papes », soucieux de mettre en valeur la différence entre la façon « antique et juive » de transmettre l’autorité au sein de la lignée et celle « nouvelle et chrétienne », qui ne peut pas s’appuyer sur une logique de descendance familiale et s’appuie donc sur le lien de chacun avec le Christ. On est juif, en effet, par naissance, on n’est chrétien que par le baptême. Michel Ange aurait donc  cherché à représenter la rupture entre un temps linéaire durant lequel les ancêtres du Christ, tous juifs, se sont passés le pouvoir de père en fils, et le nouveau temps chrétien durant lequel chaque individu est en relation avec un centre, le Christ, dans un rapport qui n’est plus chronologique mais transcendant : « Le passage entre le modèle de parentèle tribale et ethnique du « temps juif antique » et le modèle nouveau et chrétien de « parentèle spirituelle » constitue l’un des nœuds décisifs pour comprendre les figures des Ancêtres. » écrit Careri qui constate ensuite que la représentation de ces ancêtres, très stylisée, ne manifeste pas non plus une chronologie : tous semblent avoir vécu au même moment, durant ce moment juif de l’Ancien Testament qui, étalé sur plusieurs siècles, plusieurs rois, fini par n’être qu’un seul moment, celui des ancêtres, celui des Juifs.  Moment de ce peuple élu, installé dans les incessants péchés commis contre Yahvé, et que la naissance du Christ viendra interrompre en fondant un nouveau cycle où « le Père » se donne aussi aux païens, à travers le coup d’éclat de sa nouvelle Alliance. En gros, donc, les ancêtres représenteraient les Juifs de l’Ancien Testament de manière vague et volontairement indécise ; d’ailleurs rien dans les dessins ne permet vraiment de reconnaître telle ou telle figure de l’Ancien Testament. Cette dissociation entre les personnages et leurs noms serait aussi la marque du passage d’une généalogie charnelle, propre du monde juif, à une parenté spirituelle spécifique du chrétien : Jésus ayant dû prendre place dans un système patriarcal de transmission de la légitimité tout en le renversant lui-même en se proclamant fils de Dieu, il a donc fallu opérer pour ces personnages de l'Ancien Testament une opération paradoxale : les inclure en tant qu’ancêtres du Christ dans l’histoire chrétienne en représentant en frise la chronologie de leur lignée, tout en les excluant de cette même histoire en tant qu’étrangers à cette révélation, incompatibles avec l’annonce universelle ouverte à « toutes les nations » prêchée par les apôtres, Paul au premier chef.

Careri insiste en parallèle sur les positions et les attitudes de tous ces ancêtres, qu’il trouve langoureuses, installés qu’ils sont tous dans la torpeur, l’inaction, l’attente et la « carnalité » (on dirait aujourd’hui la domesticité). Ces ancêtres sont représentés en train de s’occuper d’enfants, de travailler à divers métiers, mais jamais occupés à prier ou à méditer. Ils ont des activités domestiques, comme si, de générations en générations, effectivement, ils cultivaient dans l’ennui l’attente de quelque chose ou de quelqu’un. Ce qui revient à rejeter une fois de plus ces ancêtres dans les temps de l’avant révélation : il finit par attribuer à ces travaux domestiques illustrés par le cycle des Ancêtres une valeur négative de distraction par rapport à la révélation de la divinité du Christ qui se manifeste partout ailleurs dans les fresques de la Chapelle Sixtine.  Au fond, ces juifs sont dépeints comme uniquement préoccupés de la matérialité des choses, tels des étrangers au devoir spirituel dont, en tant que peuple élu, ils devraient se soucier. Dans cette existence monotone, ils vivent « selon la chair », pour paraphraser saint Paul, jamais « selon l’esprit ».

Selon l’auteur, Michel Ange participerait alors à une dévalorisation du Juif, en écho aux thèses préconisées par Jérôme Savonarole, le prêcheur dominicain dont il avait écouté les discours passionnés à Florence. Ces Juifs de la Sixtine incarneraient au fond la force d’inertie immémoriale qui oppose une résistance coupable au processus de revitalisation chrétienne. Careri – et c’est le point final de sa thèse – avance le fait que les Juifs de la Sixtine pourraient même représenter le « chrétien négligent » ou assoupi, celui qui, malgré la Révélation persévère dans sa « tiédeur » : les ancêtres du Christ seraient au fond les âmes tièdes, évoquées par Michel Ange dans ses derniers poèmes pour désigner ces chrétiens mélancoliques, hésitants, face à l’appel de leur Seigneur.  Pour ma part, si je trouve l’analyse brillante, je juge les conclusions quelque peu divagantes. C’est certes très politiquement correct, dans les milieux universitaires, de réhabiliter la figure historique du Juif au regard de la seule histoire moderne : il suffit cependant de relire la confrontation violente du Christ lui-même avec le Sanhédrin dans saint Jean, et toutes les étapes de la condamnation à la Croix qui en suivit, pour comprendre que cette opposition frontale entre le système de la Loi tribale (qu’on retrouve en partie chez les musulmans) et celui de la grâce individuelle est bien présente dans l’Evangile et ne fut pas inventée par Michel Ange. Elle croise alors cette opposition théologique entre la Vérité de la Loi et les détournements que les détenteurs du Pouvoir sont toujours tentés de faire pour justifier leurs actions coupables. Appelons ça antisémitisme si ça nous chante, dans ce cas, cet antisémitisme supposé de Michel Ange ne fut que le retournement de l’antichristianisme partagé par les Juifs non convertis et les Romains des trois premiers siècles et qui, jusqu’à l’édit de Milan, engendra tant de martyrs. Par ailleurs, parler de Michel Ange comme d’une « âme tiède », n’est-ce pas confondre le peintre et ses personnages ? Une âme qui, avant la mort, demande « la vie éternelle », est-elle vraiment tiède ?  Reconnaître que la voie de l’Art ne fut que celle d’une passion humaine, d’une distraction, voire d’une négligence relève d’une autre forme de mélancolie que celle de la torpeur des ancêtres englués comme nous le sommes dans la matérialité du monde : il n’y a d'ailleurs rien de tribal en cette « mélancolie » qu’exprime Michel Ange dans ses derniers sonnets, au contraire. Elle n’est que goût du Christ, conscience de la nature même du péché, et aspiration contrite pour le ciel :

« Les fables dont le monde est plein m’ont dérobé
le temps qui pour contempler Dieu m’était donné ;
j’ai fait fi de ses grâces ; oui, c’est avec elles,
non sans elles, que j’ai chu dans le péché.


Ce qui rend autrui sage m’a rendu stupide,
aveugle et lent à reconnaître mon erreur ;
l’espoir me manque et néanmoins croît mon désir
que de tout amour-propre enfin tu me délivres.


Daigne m’abréger de moitié la voie du Ciel,
mon cher Seigneur ! Encore faudrait-il que pour
la moitié qui m’incombera, tu me secoures.


Avec les biens du monde fais-moi prendre en haine 
les beautés que j’ai cultivées et honorée
afin qu’avant la mort j’aie la vie éternelle. »

 

« Voici que le cours de ma vie en est venu
par tempétueuse mer et fragile nacelle
au commun havre où les humains vont rendre compte
et raison de toute œuvre lamentable ou pie.

 

Dès lors, je sais combien la trompeuse passion
qui m’a fait prendre l’Art pour idole et monarque
était lourde d’erreur et combien les désirs
de tout homme conspirent à son propre mal.

 

Les penser amoureux, jadis vains et joyeux,
qu’en est-il à présent que deux morts se rapprochent ?
De l’une je suis sûr et l’autre me menace.

 

Peindre et sculpter n’ont plus le pouvoir d’apaiser
mon âme, orientée vers ce divin amour
qui, pour nous prendre, sur la Croix ouvrit les bras. »


(Michel-Ange, Poèmes, traduits par Pierre Leyris, Gallimard, 1992)

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11:54 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel ange, ancêtres, christ, careri, sixtine, savonarole, antisémitisme | | |