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dimanche, 18 octobre 2009

Solko dans l'encrier

Causer toujours tout seul chez soi, c'est prendre le risque de finir par radoter, malgré la gentillesse des commentateurs & des commentatrices qui visitent régulièrement le taulier, comme on dit ça et là, et lui épinglent d'aimables messages sur le chêne de sa porte.  Aujourd’hui dimanche, je me suis donc paré de mon plus beau gilet et de ma redingote amidonnée, puis j'ai posé mon haut-de-forme poussiéreux sur mon crâne. Auparavant, j'avais enfilé ma paire de guêtres la moins rapée. Ensuite je me suis parfumé avec un peu de bergamote, ce qui me restait au fond du flacon pour marquer les jours d’exception (trois fois par an, guère davantage). Un petit coup de peigne, et hop ! Pressé comme j'étais, j'ai oublié de refermer le tiroir du chiffonnier...  Car figurez-vous donc que je suis invité à débobiner du maxillaire dans un blogue voisin et ami. Ce qui montre bien la convivialité et l’urbanité règnant encore par les étages de la blogosphère, où c'est tout à la bonne franquette; ce qui n’est plus toujours le cas dans ceux de la vie réelle, bien hélas, messieurs-dames.  

Adonc, et si le cœur vous en agrée, je vous convie à lire la suite ou plutôt un autre commencement, en cliquant d’un geste sûr et gracieux Là-dessus…

 

NATURE MORTE Still-Life with a Basket of Flowers d'Antoine BERJON 1814.jpg
Nature morte d'Antoine Berjon.

samedi, 17 octobre 2009

Demain l'enfant

Je serai l’enfant. Demain, je trottinerai sur des pistes, de nouveau accroché à une main ; une main de nouveau plus large, plus flétrie, plus impatiente, que la mienne. Comme autrefois, une main  plus âgée que la mienne.

Je parcourrai, accroché à cette piètre bouée, une invraisemblable quantité de kilomètres à petits pas, dans les rues polluées d’une ville menaçante dont tout le passé aura été recyclé.

A quel degré de son calendrier effrayant l'humanité sera-t-elle alors parvenue ?

2060, tout au plus…

Nous parcourrons des places, des portiques, des ponts.

 

«- Et là ? Et là ? dirai-je. Et là ? ferai-je

-Je ne sais pas, me dira-t-on. Je ne sais plus. Je n’en sais rien.»

 

Me dira-t-on...  Ma mère, mon père, ou quelqu'un d'autre.

 

Nous passerons devant de très vieux bâtiments lesquels, à force d’avoir égaré leur fonction première, seront devenus tels de vieux singes au pelage mat, au regard attristé, à la truffe asséchée, mendiant la mort : Des églises reconverties en centres prétendument culturels, des hospices en hôtels de luxe, des maisons communes en résidences surveillées, des écuries en salles d’exposition, des usines en musées pour touristes des cinq continents …

 

«-Et là, dira l’enfant, et là ? Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’était ?

-Je ne sais pas, dira la mère. Je n’en sais plus rien. Tu m’embêtes… »

 

Partout également, des tours vertigineuses dont certaines, délabrées avant que d'être achevées, abriteront une population sous constante surveillance administrative. Dans un monde uniforme et rendu imbécile par l’incessante propagande, des milliards de gens auront appris à se plaire en écoutant de simples sons, et en s’émerveillant de quelques couleurs projetées sur des murs. A force de ne lire que des verbes sans compléments dans des phrases simples, ils se seront familiarisés avec le fait de n’ambitionner que la morne satisfaction de quelques désirs tout aussi simples, et, eux aussi, sans compléments.

 

L’extrême puissance de leur paresse les ayant définitivement mutilés, leur renoncement à tout, anesthésiés, en quoi sera-t-il même nécessaire, pour les maintenir dans un état de servilité, de les menacer de quoi que ce soit ? Ils ne se souviendront plus de rien. De rien. Aussi, quand ceux à qui leurs ébats bio-technologiques auront donné naissance les interrogeront trop longtemps sur ce qu’il en était réellement des choses et des gens du passé, ils ne pourront, en tout état de cause, que les frapper pour qu’ils se taisent, à la fin.

 

- Et là, dira l’enfant. Là ?

 

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Hubert Robert 

09:52 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature, écriture, demain l'enfant, solko | | |

vendredi, 25 septembre 2009

Louis Guilloux : d'une guerre l'autre

Nous saluons l'un des événements majeurs de cette rentrée littéraire, la parution dans la collection In quarto de Gallimard (et ce à quelques semaines de l'anniversaire de sa mort) de plusieurs récits de Louis Guilloux.  Le volume en question, préfacé par Philippe Roger, comprend la Maison du peuple & Compagnons, Labyrinthe, qu'on ne trouvait jusqu'alors que dans les "Cahiers rouges" de Grasset, ainsi que  Douze balles en breloques, OK Joe, Le sang Noir et L'herbe d'oubli (publiés par la Blanche et pour seulement quelques titres en folio). Les préfaces de Camus (La maison du peuple) et Malraux (Le sang noir) complètent le volume.

On pourra s'étonner du ridicule du titre (D'une guerre l'autre), calqué sur l'expression célinienne, devenue une véritable tarte à la crême et le trait d'un snobisme autant salonnard que pseudo-universitaire fort irritant, titre que Louis Guilloux, j'en suis certain, aurait détesté.  Il n'empêche. Pour ceux qui connaissent et apprécient l'oeuvre de Louis Guilloux comme pour ceux qui, à travers cette ré-édition partielle (pourquoi n'y figure pas Le Pain des Rêves ? ) la découvriront, c'est une excellente initiative. L'occasion également de rappeler les articles consultables sur ce blogue à propos de l'oeuvre, majeure,  de Louis Guilloux

 

 

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Les articles à propos de Louis Guilloux consultables au fil de ce blog :

 

- A propos de l'émission Apostrophes que B.Pivot lui a consacré :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/10/13/louis-guilloux-franc-tireur.html

- Une lecture du  Pain des Rêves :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/10/18/louis-guilloux-et-la-chronique.html

- Une lecture du Sang Noir :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/10/17/louis-guilloux-l-esprit-de-fable-3.html

-Une lecture de La Confrontation :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/10/15/louis-guilloux-l-esprit-de-fable-22.html

- Louis Guilloux et l'esprit de fable:

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/10/14/louis-guilloux-l-esprit-de-fable.html

 

lundi, 15 juin 2009

Anniversaire

Tiens ! ce n'est pas trop mon trip, les anniversaires. J'ai toujours préféré les fêtes. Je me rends pourtant compte à l'instant que Solko a aujourd’hui pile deux ans. Et comme la saint-Solko n'existe pas, reste que ça à fêter, l'anniversaire. Le petit Solko est né d'un coup de tête et d'une manip sur un ordi  (et hop!),  le vendredi 15 juin 2007. En consultant les archives, je me souviens que j'avais bidouillé certains articles pour les antidater. Notamment la "fête de la merde" (écrit en fait un an auparavant sur un cahier), billet qui sera réédité le 21 juin prochain, c'est désormais une tradition-maison. Le 15 juin, je ne sais pas trop pourquoi, j'antidatais aussi "temple" et "les épuisés", et je programmais le premier billet pour le lendemain 16 (compliqué tout ça, oui, je sais) "dater sa colère", tout premier billet, celui donc que je reproduis aujourd’hui et qui fut, fort modestement, placé sous les auspices de Baudelaire.

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10:37 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : solko, fusées, dater sa colère, anniversaire, baudelaire | | |

lundi, 11 mai 2009

La tête dans le miroir

Peu importe qui c’était. Moi, je ne le connaissais pas. Vous non plus. Son nom, brutalement a fait par deux fois la une des journaux. Cela s’est passé à Lyon. A  Lyon-Vaise plus précisément. Vers 2h 30, une nuit, un homme est réveillé par des cris provenant de l’appartement du dessus, au 12ème étage. Il dira, plus tard : « Les cris sortaient de sa gorge ». Evidence, pour dire ce qui le dépasse, et de loin. Et puis aussi : « je n’ai pas osé monter, des bruits pareils, ça fait vraiment peur ». L’homme, donc, appelle la police ; vérification d’identité. Ils frappent au-dessus, ça ne répond pas, ils s’en retournent. Routine ? « Je suis persuadé que la police a raté l’assassin à cinq minutes près », dira l’homme. « Juste avant que la police arrive, j’ai entendu la porte du-dessus se refermer, l’ascenseur descendre. » Ambiance. Ambiance Derrick, n’est-ce pas ?

Là il faudrait presque un intermède. Une pub, comme il y en a après Derrick, vous savez ? Une pub pour les vélos d’appartement ou les barres de baignoires qui aident les personnes âgées à se relever dans l’eau glissante. Mais la maison n’a pas ça. On s’en passera. L’épisode reprend.

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Larry Clark, Tête coupée  (2003)

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mercredi, 07 janvier 2009

Une question qui fait sens

Je n'aime pas trop parler de ma vie privée, ni de mon "métier". Je le fais fort rarement. Un blogue n'est pas un journal. Parfois pourtant, lorsque cela me parait utile, je m'y résous. Comme ce soir.

Je suis resté assez tard au lycée, à cause d'une réunion avec des parents d'élèves. Je n'ai jamais bien aimé ces rituels mi solennels, mi puérils, même s'ils ont un caractère relativement nécessaire, au moins jusqu'en classe de première. (Je vois mal ce genre de choses se prolonger en BTS, alors que les étudiants y sont majeurs, encore que...) Bref. Dans un billet récent  (lien ICI), j'évoquais la disparition programmée de l'écriture manuscrite. Je ne pensais pas que les choses, à vrai dire, se manifesteraient si vite. Un parent, père de famille, la cinquantaine - son fils en 1ère S, ni bon ni  mauvais, comme on dit - me pose une question. J'avoue que j'en ai entendu pas mal en vingt ans de pratique. Des vertes et des pas mures; mais celle-ci : "Pourquoi vous obstinez-vous à exiger des copies manuscrites ? Mon fils perd trois heures (!!!!) à recopier ce qu'il a fait sur l'écran pour vous le rendre, alors qu'il n'aurait qu'à appuyer sur un bouton pour l'imprimer."

Voilà.

C'est un type de mon âge qui donne le premier coup de bélier.

Pour l'instant, c'est encore facile d'argumenter : J'aurais pu lui faire observer qu'à l'examen, on demande aux élèves d'écrire à la main. Pas eu envie de me justifier sur un sujet aussi évident. Je leur ai dit, à tous, que nous étions en train d'égarer collectivement, dans notre quotidien une pratique, celle de l'écriture à la main. Et que leurs enfants devraient se réjouir d'avoir encore le temps, l'occasion ou le loisir de la pratiquer. Le père m'a rétorqué que même les écrivains (je le cite) écrivaient à l'ordinateur. J'aurais pu m'offrir en exemple, puisque j'ai écrit moi-même plusieurs pièces de théâtres, des essais et des romans en utilisant un ordinateur, tout en écrivant aussi de nombreux passages sur des cahiers. En fait, je n'ai jamais complètement abandonné l'écriture à la main, pour des raisons que je ne peux développer ici, mais qui sont si évidentes. Je n'ai pas non plus envie d'abandonner la nourriture à la bouche, si j'ose dire - même si je sais que tôt ou tard viendra le temps des perfusions ... Car je voyais bien ce qu'il pensait - que j'étais sans doute contre la technique, contre Internet, contre les blogs, tiens, comme le disent tous ces habitués frénétiques de Delarue qui ne connaissent que le pour et le contre, si imbécile, des choses, qui ont, comme ils le disent si affreusement des opinions ... J'aurais pu  lui dire que j'avais acheté mon premier ordi en 1988, et que je n'étais pas le vieux con qu'il croyait. J'aurais pu l'envoyer faire un tour chez Solko, par exemple...

Mais bon. Pas eu besoin de tout ça. Car il y avait encore une majorité de gens sensés parmi ces parents d'élèves, visiblement, pour soutenir la même position que moi. J'ai juste - tout de même (les correcteurs de copies me comprendront) précisé, d'un ton assez ferme et je l'espère convaincant, que leurs enfants n'étaient que des élèves et non des écrivains. (incroyable ce raisonnement, spécieux, aberrant : les écrivains écrivent à l'ordi, donc mon fils peut faire ses copies à l'ordi...) Je n'ai pas non plus rajouté ce que je pensais de la plupart des imposteurs (et imposteures) que ce monsieur, dans sa liberté de penser, appelle, lui, des écrivains. Nous serions entrés dans un débat trop houleux, sinon.

Si je parle dans ce billet de ce qui n'est, après tout, qu'une anecdote, c'est que cette anecdote fait sens. Il commence à y avoir, dans ce pays, un certain nombre d'adultes assez sots pour affirmer publiquement (puisque c'est leur opinion...) qu'écrire à l'ordi (comme ils disent) est plus propre et plus pratique qu'écrire à la main. Hygiénisme et consumérisme n'étant pas mes tasses de thé, je m'abstiendrais de dire quoi que ce soit à propos de ces gens qui ont, tout comme Florent Pagny, leur liberté de penser. Mais je souligne simplement le fait, en tant que professionnel de l'écriture et de la correction - comme d'autres le sont d'un autre domaine, la culture du maïs ou la vente des frigidaires -, que la jeunesse de ce pauvre pays devient de plus en plus - dans son ensemble - inapte à l'écriture manuscrite (c'est un constat) avec la complicité parfaitement inconsciente de leurs géniteurs (encore un constat) et que si on entérine une telle chose, non seulement la perte sera considérable mais surtout, il n'y aura aucun retour possible, avant plusieurs générations..

lundi, 15 décembre 2008

Edouard Cortes

ConnCABRGGDDCAZDDRACCA9COO3OCA2ETQNLCAKRVE2UCAQST5LVCAN3R40UCA28NFGBCA2I1558CABVTLMFCASSMPK8CASVGEOSCAI67ZX0CAQUMI9TCA9KOOS7CAJ0VIN4CAMJSI3ACA8MS9S6CAVXWL94.jpgaissez-vous Edouard Cortès ? Son père, Antoine Cortès, fut un peintre de la Cour espagnol réputé. Son grand père, André avait été artisan. Il est, en quelque sorte, un peu chez lui ici puisque c'est un détail de l'une de ses toiles (Le théâtre du vaudeville à Paris) qui a servi pour le "logo" de Solko. Une vie de jeune prodige que la sienne : dès l'âge de treize ans,  Cortès apprend la technique des paysagistes, grâce aux bons soins de son père. A vingt-cinq ans  -on est alors en 1907 -,  Cortes  organise déjà une vente aux enchères de ses Vues de Paris à l’Hôtel Drouot. Etonnant, non ? La vente remporte un vif succès. Dès lors qu'il flaire un marché, Cortes se spécialise. Il va bientôt exceller dans ces scènes parisiennes, dont les coloris brillants, les contrastes de lumière autour d'une dominante rouge, jaune ou bleue se reconnaissent entre mille. Il a également rapporté de chacun de ses voyages en Bretagne ou en Normandie de nombreuses études. En 1915, il est engagé volontaire pendant la guerre et se retrouve affecté dans l’Infanterie. Dans les tranchées, il exécute plusieurs dessins des positions ennemies. Il réalise un grand nombre d’études sur la vie militaire et sur les paysages de guerre qu’il traverse. De retour à Paris en 1919, il envoie à nouveau ses travaux aux divers Salons. En 1920, le marchand de tableaux autrichien Hugo Arnot, qui avait exposé les peintures de Monet en 1911 et 1912, commence à acheter celles d’Edouard Cortès. Cortès devient une valeur sur le marché : Dès 1921, ses Vues de Paris et ses Intérieurs Bretons sont disputées par les plus célèbres collectionneurs. Les toiles de Cortès, bientôt imitées par Antoine Blachard (1910- 1988) Henri Schaeffer (1900-1975) demeurent parmi les plus parlantes d'un genre ; comme disent les galeristes, on aime ou on n'aime pas. Certains parlent de neo-impressionisme de cartes postales. Il y a bien de ça, en effet, car Cortès ne recule jamais devant le détail accrocheur: bec de gaz, tramway, enseigne lumineuse. Mais le peintre ne se moque pas non plus du chaland. Les ciels orageux, l'asphalte mouillée, les chaudes lumières des vitrines, Cortès en fait sa griffe personnelle, sa signature : Voici de quoi se promener un moment dans les rues pluvieuses ou enneigées de Paris

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L’année suivante, il participe aux trois expositions organisées dans le Grand Palais des Champs-Elysées. La critique l'encense une fois de plus. Dans l'entre deux-guerres, il reçoit de très nombreuses récompenses. Sa notoriété devient immense. Au cours de la seconde guerre mondiale, il s’installe en Normandie avec sa famille, à Cormelles-Le-Royal. Dans les années 50, il retourne à Lagny, d’où il ne partira plus. Il meurt en 1969.  Ci-dessous, une toile adjugée récemment chez Hantman's Sales Higlight  48 000 euros, et titrée Boulevard parisien. Du pur jus !

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07:00 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : peinture, paris, edouard cortes, solko, vaudeville | | |

mardi, 06 mai 2008

Chose vue

Chose vue... Hugo en fut l'inspirateur et je ne peux pas m'empêcher de penser à ce propos à Jacques Seebacher qui en citait bon nombre de mémoire : A l'époque, cela m'impressionnait furieusement, cette façon d'être dans le présent, avec nous, et puis dans - non, pas le passé, - d'être aussi dans l'univers mental de quelqu'un d'autre, Hugo en l'occurrence. Tout à l'heure dans le métro, moi, un peu absent, balloté, pas vraiment éveillé, n'est-ce pas : le métro est-il un lieu conçu pour l'éveil ? Et puis j'entends soudain une voix proférant : « il faudrait pouvoir mourir ! » D'un ton très pragmatique, comme : « il faudrait pouvoir sortir de là, car on respire mal, vous ne trouvez pas ? »

Je tourne la tête. Assis là, derrière, « Quatre-vingt deux ans, dit-il... J'ai quatre vingt deux ans. » Un vieillard, ce qu'on appelait autrefois un digne vieillard, casquette vert sombre, regard humide et comme figé, joues qui ballottent un peu, grand front encore de lumière. A ses côtes, une femme, la trentaine, black et teinte en blond, rondouillarde dans une sorte d'imper bon marché. En face de lui, une autre femme, européenne du sud, la cinquantaine, des cheveux raides, le masque d'une qui a beaucoup bossé. Ni l'une ni l'autre ne réagit à cette amorce de discours. Je ne me souviens même plus du quatrième acolyte sur le siège, vous dire à quel point ils existent ... Lui, donc, casquette vert bronze sur le crane, peau emplie de gros grains bruns (je me rappelle de ces vieux exercices d'articulation – « Gros grand grain gris creux d'orge, quand te dégros grand grain gris creux d'orgeriseras-tu... ? ») Et lui, 82 ans : Il faudrait pouvoir mourir...

« Femme, dit-il, partie depuis longtemps. Vis seul. » Quatre vingt deux ans, en toutes lettres, cela nous ramène (je compte) à 1926 ! Epaisseur soudaine de ce regard, mais translucide, comme déjà expirée entre les papilles du temps. « Je vis seul et, précise-t-il, (c'est propre chez moi) « - Je mets des parenthèses pour reproduire le ton ; son ton.; le ton de ce vieillard. On sent que pour lui (1926), c'est important que ce soit propre chez lui. Chez lui !

Pas une simple parenthèse, mais un détail essentiel qu'il énonce pourtant avec une pudeur incomparable : « une femme vient de temps en temps passer la serpillère et moi, je fais le reste »

. Tout le monde, c'est sûr, s'en fout, moi aussi, d'une certaine façon, que ce soit encore propre chez lui... Que lui dire ? J'écoute : « Mais elle ne comprend pas le français... » (Détail qui ne manque pas d'importance, il ne dit pas, « elle ne parle pas le français », mais « elle ne comprend pas le français ») Nous, comprenons-nous ? Métro : des trentenaires partout, avec dans les oreilles leur ombilical et technologique cordon, abrutis - non pas, mais pire : absents. Et la grosse black qui commence à rigoler, genre : « il est pas timbré ce vioque ? » Avec ses fausses mèches qui puent l'artifice, comme lui pue la solitude... Aïe Aïe Aïe... 82 ans continue : « Et on m'a pris tout mon argent... » La black se met carrément à rigoler et moi, je la trouve soudainement atroce à vomir. Une tristesse me serre le cœur. 82 ans continue : « Il faudrait pouvoir mourir. » La femme en face de lui regarde ses pieds, la grosse black rigole comme une idiote et le métro poursuit sa course infernale, oui, on peut le croire. Infernale... J'ai encore à l'oreille, comme une chose plus entendue que vue cette plainte, car malgré tout c'en était une... Pas de morale à tirer de tout ça : cette solitude, qui contraint le monde, tout le monde, moi compris, et qui, à 82 ans est devenue dans sa nudité irrespirable, une sorte de vérité générale dont rigole une idiote et que je livre telle quelle à la sagacité de vos réflexions. Sagesse d'un conditionnel (il faudrait pouvoir) - et sagesse d'un aveu véritable : mourir. Et cette tragique infirmité qui, finalement, emporte une rame d'idiots jusqu'à la station d'après : Aurait-il fallu ? Je descends.

 

22:00 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : chose vue, solko, métro | | |

mercredi, 20 février 2008

Le foot, c'est que du bonheur...

« Fuyez le lieu commun…  » : tel était le conseil de James Joyce aux jeunes écrivains. « Dès que vous entendez quelqu'un en proférer un auprès de vous, fuyez ». Facile à dire ! Mais fuir où et par où ? Et où aller ? En quel lieu de la Terre, Seigneur, en quel lieu de l'esprit ?  Léon Bloy n'essaya pas de fuir ceux de son temps, lui. Au contraire, il les regardait bien en face, yeux dans les  yeux, et en dressa une exégèse méticuleuse qui parut en deux tomes. Petite pioche dans l'index : Dieu n'en demande pas tant ; les affaires sont les affaires ; les enfants ne demandent pas à venir au monde ; tout le monde ne peut pas être riche ; bien faire et laisser dire ; être  poète à ses heures

Les  locutions patrimoniales de la Belle Epoque étaient des formules bourgeoises, dixit Bloy dans sa préface.

A l'époque, ces formules circulaient de bouches en bouches ; de boutiques en boutiques et de paillassons en paillassons. On ramassait les premiers à l'école. On en trouvait aussi dans les colonnes des journaux, certes. Et dans les pages des meilleurs romanciers sans doute aussi. Cependant, la vitesse de propagation du virus demeurait sans doute raisonnable.  Aujourd'hui, le lieu commun est d'origine essentiellement médiatique. En bonne place, on trouve évidemment les lieux communs politiques, et nous connaissons tous certains candidats de second tour qui eurent récemment l'art et la manière d'en gaver les Français pour une saison. Les lieux communs journalistiques. Les lieux communs du show-business, et ceux du monde économique.  Les lieux communs cinématographiques.  Ecrans, véhicules commodes. Ne pas se laisser contaminer par eux, depuis que la libre expression de tout un chacun et l'égalitarisme souverain les ont faits se répandre avec une même audace dans tant de bouches, c'est une entreprise quasiment aussi impossible que de respirer de l'air pur dans une métropole un jour de pic de pollution.

Tiens, ce soir, Lyon-Manchester, Ligue des champions à Gerland.  A la limite, on s'en fout de qui va gagner, parce que de toute façon, depuis déjà une bonne dizaine d'années, non ? … « Le foot, c'est que du bonheur! »

Le foot, c’est que du bonheur ;   Remarquez comment on a ôté le « ne » et gardé le « que », histoire de donner un air positif à ce qui reste en grammaire, même restrictive, une négative. La phrase a du coup l'air positif qui convient à l'époque (le foot c'est du bonheur). Pourtant ce n'est pas que ça, mais cela il ne faut pas le dire. Chacun sait que c'est aussi des magouilles, par exemple. Allez voir Courbis il en sait quelque chose. Et puis du fric - oh beaucoup de fric ! - Mais dans le stade, comme dans l'église, non, ça ne se dit pas. On dira donc que c'est le jeu, rien que lui qui (n)'est que du bonheur.

Du coup des tas de petits gamins essayent de trouver le bonheur en tapant le plus jeune possible dans le ballon. Taper dans le ballon le plus jeune possible, c'est un peu comme sucer le micro dès son plus jeune âge, ça laisse quelques espoirs à des parents de s'assurer une retraite paisible. J'ai écrit une connerie ? Oui. Parce que l'argent, bien sûr, ça ne fait pas le bonheur. L'exploit sportif, si. Le foot, c'est que du bonheur...

 

19:00 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : football, lieu commun, léon bloy, solko | | |