samedi, 18 octobre 2008
Louis Guilloux et la chronique
Bien que Le Pain des rêves se présente à nous comme un récit d’apparence autobiographique, tous ses personnages appartiennent à ce que Louis Guilloux appelle sa Chronique, et qui prendra jour en 1949 dans Le Jeu de Patience. Une chronique est « un recueil de faits historiques, rapportés dans l’ordre de leur succession » (Petit Robert). Le genre connaît ses heures de gloire durant le haut Moyen Age avec Froissart et Joinville, qui fixent dans leurs chroniques (Vie de Saint Louis) les exploits de leurs Rois, ceci afin de laisser trace de leurs passages dans l’histoire des hommes.
Dans Le Pain des Rêves, cependant il ne se passe rien. Rien de dramatique, rien qui soit digne d’être conté : un vieil homme coud. Il coud toute la journée, toute la semaine, tout le mois et toute l’année. Son petit-fils le regarde. Il regarde l’homme qui coud, « cette gravité plus pathétique que celle du penseur » et il rêve que son grand père est un roi. Ou plutôt, non, je corrige : « Ce n’était pas un roi, mais le Roi. Le roi lui-même enfermé depuis des années dans un cachot, autrefois une écurie, et qu’on venait de délivrer» Nous sommes à Saint-Brieuc, à la charnière entre le dix-neuvième et le vingtième siècle. Avec les démolitions des vieilles maisons du XVème siècle transformées en taudis, « l’esprit d’une nouvelle époque soufflait son chemin dans les ruines » L’enfant découvre l’école, les fêtes religieuses et militaires qui scandent l’année, le théâtre l’injustice sociale : il découvre ce qu’il appelle « la diabolique fantaisie du monde ». Sorte de petit chose l’enfant ne comprend pas pourquoi sa mère et son grand père sont si pauvres, pourquoi son frère est infirme, pourquoi, aux yeux de toute la ville, il fait partie des voyous de la rue du Tonneau. Puis le grand père meurt. Survient une étrange cousine, la cousine Zabelle, qui va s’occuper désormais de lui. Entre en scène un premier amour. Bientôt, l’enfant va entrer, lui, au lycée.
Toute l’intrigue du Pain des Rêves tourne autour de cette question que l’enfant qui grandit se pose malgré lui : pourquoi sommes-nous si pauvres ? Le récit explore ainsi toute l'ambiguïté offerte par le titre : Parle-t-on du pain dont on rêve ou du rêve dont on se nourrit ? du pain fait rêve ou du rêve fait pain ? La déchristianisation en cours du pays transforme le statut même du pauvre, le regard dont on l'enrobe comme celui qu'il pose sur lui-même et ses semblables.
Cela, Charles Péguy et Léon Bloy l'ont également noté. Rien de plus éloquent, à cet égard, que cette remarque de Bloy : "Le comble de la misère humaine, c'est la haine du pauvre par les pauvres." L'apprentissage de l'enfant-narrateur, dans cette France de 1905, consistera donc à placer tous ses efforts pour ne pas laisser cette misère morale le contaminer. "Je doute qu'aucun amour vaille celui des pauvres, écrit Guilloux. Le nôtre était un amour religieux. Nous savions que cet amour-là n'était possible qu'à l'intérieur d'une certaine catégorie, qu'il n'était propre qu'à de certains êtres, vivant dans des conditions définies : les nôtres. (...) Oui, nous savions, et peut-être même était-ce ce que nous savions le mieux, que cet amour tirait sa plus grande force du fait qu'ailleurs, nous n'étions pas aimés."
(Le Pain des rêves, première partie)
Si l’on peut parler, à propos du Pain des Rêves de chronique, c’est en référence à ce souci constant de Guilloux, à la fois de parler vrai et d’offrir à ses personnages l’abri de sa mémoire. Comme beaucoup d’écrivains de sa génération Louis Guilloux a conscience d’appartenir à un monde dont on a dit beaucoup de mensonges et qui est voué à la dissolution : le monde du petit peuple, celui dont il est issu. L’homme du peuple : le romantisme lyrique et le naturalisme scientiste qui, tour à tour, en ont fait un motif littéraire, un thème bourgeois, l’ont soit mythifié, soit caricaturé, soit transfiguré. Hugo, ce n’est « qu’un grand et beau mensonge » nous dit Louis Guilloux. Or, ce mensonge demande une réparation. Ecrit en pleine période d’Occupation allemande, Le Pain des Rêves, récit d’enfance, galerie de portraits, début de la longue chronique qui occupera toute la suite de l’œuvre, jusqu’à L’Herbe d’Oubli, aura été cette nécessaire réparation.
11:46 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : louis guilloux, le pain des rêves, saint-brieuc |
Commentaires
Merci infiniment. Je n'ose rien ajouter, consciente de me répéter et de savoir que je n'ai rien de pertinent à ajouter. Que dire l'intérêt de chaque ligne de vos billets. et mes mots sont faibles.
Écrit par : Sophie L.L | samedi, 18 octobre 2008
@ Sophie. Mais pourquoi dites vous "rien de pertinent" ? Comme si la lecture, l'appréciation n'étaient pas une forme de pertinence ??? ô combien précieuse !!! J'ai l'impression qu'ils sont tres rares, ceux qu'une oeuvre comme celle de Guilloux peut intéresser, à présent. Moi, j'y vais carrément, et comme aurait dit Stendhal, je les nomme "les happy few". Ceux dont les ailes ne sont pas emmêlées dans la potasse du temps présent, la mélasse de la culture post-moderne, de la société du spectacle, de la communication forcenée entre vivants qui n'ont quasiment plus rien à se dire, du mépris du passé, des auteurs ... ceux qui en deux mots savent encore lire, comme aurait dit Albert ... ! Au fait, pas de nouvelles, bonnes nouvelles ?
Écrit par : solko | samedi, 18 octobre 2008
Des éléments biographiques sur L Guilloux, pour compléter vos articles.
Écrit par : Le maitron | samedi, 18 octobre 2008
@ Solko & Le maitron:je suis touchée de l'apparition ici du Maitron pour qui j'ai beaucoup de respect depuis longtemps
Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 19 octobre 2008
"Le récit explore ainsi toute l'ambiguïté offerte par le titre : Parle-t-on du pain dont on rêve ou du rêve dont on se nourrit ? du pain fait rêve ou du rêve fait pain ?"
Si vous passez à SB : rendez-vous à la librairie Le pain des rêves rue Saint François, près du Champ de Mars, alias Les champs.
Écrit par : Pau | lundi, 20 octobre 2008
"Le récit explore ainsi toute l'ambiguïté offerte par le titre : Parle-t-on du pain dont on rêve ou du rêve dont on se nourrit ? du pain fait rêve ou du rêve fait pain ?"
Si vous passez à SB : rendez-vous à la librairie Le pain des rêves rue Saint François, près du Champ de Mars, alias Les champs.
Écrit par : Pau | lundi, 20 octobre 2008
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