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dimanche, 19 octobre 2008

Médecin des pauvres.

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Le personnage narrateur de deux excellents romans lyonnais, peut-être les deux meilleurs qui soient, est un médecin, et un médecin des pauvres. Qu'en faut-il en penser ? Est-ce un hasard ?

Ciel de Suie, le troisième volet de la série de La Conquête du Pain d'Henri Béraud parait aux Editions de France, en 1933. Le Passage de Jean Reverzy est publié chez Julliard, en 1954. Béraud n'a alors plus que quatre ans à vivre, puisqu'il s'est éteint à Saint-Clément les Baleines, le 24 octobre 1958. Et Reverzy plus que cinq, qui est mort brutalement le 9 juillet 1959.

Entre les deux, une indéniable unité de ton dans la mélodie.

Béraud, tout d'abord, puis Reverzy :

 

 « Mon métier n'est pas d'écrire. Je suis médecin à la Croix-Rousse, médecin des canuts, une espèce de rebouteux en jaquette et chapeau melon. Mes clients sont mes amis. Ils m'appellent tantôt le Docteur comme s'ils n'en connaissaient point d'autre, et tantôt le Militant, à cause de mes opinions qui sont les leurs. Souvent, le soir, avant d'aller en vieux garçon que je suis vider un carafon de marc aux cafés de Bellecour, je m'attarde à trinquer avec eux. Ailleurs, on m'a fait la réputation d'un cynique, et même d'un méchant homme. Mes canuts trouvent que je suis trop franc :

- On vous l'a bien fait payer, disent-ils.  Quand je ne suis pas là, ils ajoutent.

- S'il avait su se taire, il ne passerait pas sa vie à soigner les pauvres !...  Les braves gens ! Ils connaissent, eux, le goût amer de la vérité. Je ne me plains pas. En agissant comme je l'ai fait, je savais que j'allais perdre. Qu'importent la quiétude et la douceur de la vie, s'il faut les payer du mépris de soi-même ? »

 

« J'étais un petit docteur attaché à une banlieue triste. Je savais un peu de médecine : la digitale ranime les cœurs, la morphine endort les douleurs, la pénicilline modère les fièvres. Quand je devinais un cancer, un peu attristé, je disais : vous entrerez à l'hôpital. (...) Fixé dans ma ville, j'étais devenu le médecin d'un quartier malheureux; j'avais accepté ce destin et un horizon de hautes maisons misérables. Des infiniment pauvres, des intouchables puis des ouvriers des employés chétifs avaient frappé à ma porte : tout le jour ils venaient s'étendre sur mon divan brûlé par leurs fièvres, verni par la sueur de leurs angoisses. Le soir, un cartable sous le bras comme les policiers, j'escaladais les exténuants escaliers de la misère : ces spirales semblent mener au ciel et finissent au corridor noir de l'enfer prolétarien. Je pensais que ces gens m'aimaient et comme quelque chose persistait en moi de cette bonté naïve de l'enfance, cela m'avait longtemps suffi. »

 

Ciel de Suie et Le Passage ont bien d'autres parentés :

- Le décor de la ville de Lyon, d'abord, de la ville de Lyon telle qu'elle était dans la première moitié du vingtième siècle. - La tristesse et la douceur des destins qu'ils narrent l'un et l'autre, ensuite : 

Palabaud, l'interminable agonisant dont l'agonie finale éclaire la métaphore du titre, Patrice et Noëlle, les amants inavouables dont le sacrifice final entre soudain en résonance avec la suie d'un ciel ô combien béraldien. Une pudeur dans la narration, enfin, pudeur qui fait évidemment de Reverzy un des fils secrets d'Henri Béraud. Mais enfin, laquelle de ces filiations aurait pu être significative, si cette première - le narrateur-médecin des pauvres, avec toute la symbolique dont elle est chargée pour le lecteur - n'avait été d'abord rendue à ce point explicite.

 

 Illustration "Médecin et son patient", tirage photo de Beato FELICE, 2ème moitié XIXème siècle.

09:46 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : béraud, reverzy, littérature, lyon, romans, ciel de suie, place des angoisses | | |

Commentaires

Pourquoi le tableau de Ravier a disparu? Où est le chemin de Morestel ?Cette apparition m'avait beaucoup plu avec son titre que je ne comprenais pas:"Par..."J'espère voir revenir ce billet- là...qui sans texte disait beaucoup de choses, renvoyait aussi au tableau de "à propos", suscitait plein d'émotions et de questions, ah zut alors! et je vais lire ce billet-ci.Merci.

Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 19 octobre 2008

@ Sophie : Le chemin de Morestel est en chantier, comme un peu la configuration de ce blog en ce moment. Y'a des ouvriers partout qui mettent du platre sur les parquets et je me suis renversé un pot de peinture laqué sur les pieds. Mais ne vous inquiétez pas pour ce chemin,ce n'est que partie remise.

Écrit par : solko | dimanche, 19 octobre 2008

Ah ces ouvriers! on n'est plus servis!!!!

Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 19 octobre 2008

A qui le dites-vous !
Depuis ce matin, c'est le branle bas de combat dans ce blog. Pas eu le temps de déjeuner ni de rendre visite à quiconque. Mais je dois vous quitter : il faut les surveiller comme lait sur le feu !

Écrit par : solko | dimanche, 19 octobre 2008

Il est bien ce branle-bas de combat et cette nouvelle mise en page qui incite à lire "le novembre des canuts". Ce que je viens de faire pour "la question du tarif". Comme les commentaires sont fermés là-bas (bizarre cette phrase) et que rien ne m'agace plus!! que l'impossibilité de dire à l'auteur: voilà, j'ai lu et apprécié beaucoup, eh bien je le fais ici! j'aime bien aussi ce "chapeau":"la bibliothèque est en feu"; et j'ai lu "Un pascal dans la neige".Vous savez tout!

Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 19 octobre 2008

@ Sophie : Vous essuyez en effet, si j'ose dire, les platres. Comme novembre approche, j'ai en effet remis en valeur, en regroupant une trentaine d'articles, ce que j'avais écrit l'an dernier sur la révolte de 1831 et qui était un peu perdu "au fond du blog". Façon de rendre hommage à l'historien Fernand Rude et à la réédition de ses travaux. Merci d'apprécier cette disposition de saison. A bientôt.

Écrit par : solko | dimanche, 19 octobre 2008

Les commentaires sont fermés.