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mercredi, 22 juin 2011

Les quais de Lyon

Sous la plume désuète d'une auteur oublié (1), je trouve ceci : « Les rives des fleuves, bordés de maisons de deux ou trois étages qui trempaient leurs fondations dans l’eau, et auxquelles s’accrochaient des auvents et des galeries en bois faisaient saillies sur le courant. De distance en distance s’échelonnaient des petits ports en forme d’anse, où l’on accédait soit par des marches, soit par le pente naturelle du sol. Dans les eaux basses, ces petits ports se tapissaient de verdure. Les enfants y venaient jouer. En tout temps y régnait une activité prodigieuse. »

 

L'oeil peine à présent à retrouver, dans l'alignement uniforme des quais tracés pour les automobiles en bordure de la Saône, traces de ces anciens et populeux débarcadères. Le port, comme l'église, signait alors la territorialité même de chaque quartier; chaque quartier, qui était une paroisse, était également un ténement et un paysage particulier : Ainay, Bourgneuf, Saint-Jean, Saint-Antoine, Pêcherie, Saint-Georges, Quarantaine...

A la fin du dix-huitième siècle et surtout durant le dix-neuvième, lorsque naquit l'idée d'aménager des quais, on les conçut d'abord comme des promenades : Le long du Rhône, du pont Morand à celui de la Guillotière, le quai dit des Brotteaux offrait à l'oeil une long sillon, face à cet autre dit  de Bon-Rencontre, nom qui si poétiquement sollicite l'imaginaire. Ces premiers quais ne faisaient que reprendre le tracé d'anciens chemins de courtine, que le pas de générations de sentinelles avait tracés de veille en veille et de port en port parmi les hautes herbes, pour la sécurité des bons bourgeois endormis. 

Les façades de deux hôpitaux (Hôtel-Dieu, Charité) et celles d'une prison (Perrache) formaient ainsi une seule perspective en bordure du Rhône. On y déambulait doucement et Louisa Siefert, poétesse parnassienne, sut dans ces alexandrins trouver des mots qui, comme des pas, laissent entendre le rythme de cette marche : 

 

« Quand je vois ce long mur aux fenêtres grillées / Cet hôpital où sont tant d’âmes désolées  / Puis ce long mur encore pleins de sombres hasards  /   L’hospice des enfants trouvés et des vieillards  / Puis d’autres, puis enfin, sinistre, formidable,  /  La prison et plus loin le faubourg insondable,  / Oh ! je l’avoue alors, ne pouvant rien sauver, /  Comme le fleuve au bas, je voudrais tout laver ».

 

 

Avant que les bagnoles n’envahissent jusqu’à la nausée les abords des fleuves, les quais révélaient encore la densité des solitudes, au cœur même de la ville, suscitaient le recueillement des solitaires venus s'y égarer.  Il n’est pas nécessaire d’être poète, peintre ou romancier pour ressentir tout ce que ces lieux  ont à offrir de douceur, de rêve, ou de mélancolie. Je garde toujours au coeur l'onctuosité évaporée de ce que Jean Reverzy appelle le mal du soir :

« J’étais à Lyon sur les quais du Rhône et sous des platanes extrêmement parfumés. Le soleil se tenait entre d’extraordinaires images dont le relief et l’incandescence me stupéfiaient et à droite de la colline dont la seule image me rappelle l’odeur délicieuse des vieux bouquins de piété. Je me souviens que le Rhône découvrait de longs bancs de cailloux d’une blancheur absolue… Mais n’oubliez pas qu’à l’horizon fondait de l’or et de l’or… Dans la lumière inquiète et blanche du sunset, je vis s’éclairer des fenêtres ; ça et là tremblèrent de minuscules cristaux rouges. Un mystérieux esprit m’envahit, que j’appelle le Mal du Soir. »

 

 

Le temps d’une halte sur un quai la cité est saisie avec recul. Devenu lui-même flâneur, liquide, le regard en ne s’attachant à aucun détail, compose un paysage intérieur dont il s’émerveille naïvement : Comme l’espace aérien vu de Fourvière, l’espace de la Saône, vu du quai Jayr, agit, pour ce personnage de Georges Champeaux (2) tel un révélateur :

 

« Accoudé au parapet du quai, il ne se lassait pas de suivre du regard les travaux du bas-port et le mouvement de la batellerie. Et peu à peu s’établissait en lui la conviction qu’il avait sous les yeux un des plus beaux paysages de la terre. Tout en bas, le serpentement de la rive droite de la Saône , une route de campagne qui devient le quai d’un faubourg, comme succèdent aux pimpantes villas emmitouflées de Saint-Rambert le château d’eau, les grues et les cheminées de l’Industrie. Puis c’est le tassement autour de la Gare d’Eau des vastes entrepôts aux larges toits en pente douce, d’où surgissent, puissants et harmonieux, les trois blocs équarris des minoteries. Et, emplissant le paysage de sa présence, déployant à ses pieds le geste souple de son corps voluptueux, la Saône nonchalante qui paresse et se prélasse, cependant que, rangés le long des bas-ports, les noirs remorqueurs plats, les sapines béantes, les « plattes » pavoisées du linge mis à l’étendage, les péniches pansues ceinturées d’une bande claire, avec la futaie grêle de leurs mâts aux pointes blanches de minarets, parent ses profondeurs de leurs reflets. Longtemps le père Chatard avait méconnu la beauté d’un tel spectacle. Mais voici que du fer et de la pierre comme des feuillages et de l’eau, affluait une sympathie pénétrante. Et c’était l’âme même de ce paysage composite qui commençait à l’imprégner – une âme qui mêlait au sortilège originel de la nature la majesté poignante de l’effort humain » 

 

Dans les fleuves se mirent la ville et toutes ses lumières. En n’exhibant que ses  reflets, le fleuve,  triomphalement, dénie la réalité de pierres et d’hommes, dont le rêve silencieux est captif. Dans ses Chemins de solitude, Gabriel Chevallier se souvient de tels instants d’oubli le long du quai de Tilsit :

« D’ailleurs, même aux instants où il ne se passait rien sur l’eau, il était doucement fascinant de regarder couler la rivière, qui reflétait des maisons vacillantes, des nuages furtifs, et des pans de ciel bleu. Une petite barque sollicitait la rêverie et laissait la pensée perdue, après que son sillage s’était effacé. Une voix soudaine m’appelait, qui me faisait tressaillir : « - Que fais-tu donc, qu’on ne t’entend pas ?  - Je regarde la Saône … »

 

Si vive, parfois, si intensément vraie, l’impression annihile le regard qui se fond en elle. Démiurge à la réalité temporelle qui  impose l’illusion de son reflet mortifère, le fleuve capte les existences : Dans Le Voyage du Père, (3) le personnage errant de lieux en lieux finit, malgré la robustesse de son esprit, par ressentir de si éminents vertiges sous la plume de Bernard Clavel :

« Il y avait ainsi beaucoup plus de lumière dans l’eau que sur le coteau d’en face où s’étageaient des maisons aux fenêtres éclairées. Plus les maisons étaient hautes et loin, plus leurs lumières se nimbaient d’un halo. Il n’y avait pas d’étoiles. La lueur qui montait de la ville semblait rencontrer comme un plafond cotonneux posé sur les toits les plus élevés. Quentin regardait tout cela sans rien voir vraiment. »

Enfin, les fleuves et les quais de Lyon ne seraient pas ce qu’ils sont sans leur cortège de noyés.  Me Debeaudemont dans L’Arbre Sec de Joseph Jolinon, la petite Noëlle du Ciel de suie de Béraud, pour ne retenir qu’eux, finissent ainsi leur mélancolique existence dans les fleuves :

« Et puis, ce fut l’arrivée entre deux agents de l’affreux brancard bâché de cuir, d’où coulait, pas à pas, une inépuisable traînée d’eau limoneuse et glacée ».

 

Et pour finir, une toile et une photo. Je laisse à votre sagacité le soin d'en retrouver les auteurs ... 

  

(1) Emmanuel Vingtrinier 

(2) G. Champeaux, Le Roman d’un vieux Grôléen Lyon, Ed. de Guignol,1919

(3)Bernard Clavel, Le Voyage du père, Paris, Robert Laffont, 1965

 

 

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09:05 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : lyon, actualité, société, écriture, littérature | | |

vendredi, 27 mai 2011

Spéléo médicale et mendicité

Hier après-midi, à l’hôpital, me suis payé bien malgré moi une petite séance de techno-spéléo à l’intérieur d’un étroit tube blanc. Une demi-heure coincé là-dedans sans bouger le moindre orteil, dans un tohu-bohu incessant. J’ai eu le temps de me réciter deux fois la tirade de Chrysale des Femmes Savantes (« C’est à vous que je parle, ma sœur… ») qu’une prof de français comme on n’en fait plus nous avait fait apprendre en classe de cinquième (ça date pas d’hier !). Une page entière du fragment « Thalia » d’Hypérion (« Et comment des mots auraient-ils apaisé la soif de mon âme… »), apprise cette fois-ci pour un spectacle monté en 1985…  Rien ne se perd, décidément, et l’imagerie médicale, ça ramone drôlement les méninges : une mémoire intacte.

A moins que ça ne soit ce sacré produit qu’ils foutent dans la viande du dedans pour faire contraste, comme ils disent. En tous cas, avec tous les textes que j’ai appris jadis, je me suis tenu en bonne compagnie dans leur tube, sans broncher, patient modèle. Comme quoi le théâtre mène à tout. A un moment donné, me sont revenus Le rat et l’huître de La Fontaine et le Grand Chêne de Brassens. Nickel. Le tout entrecoupé de Inspirez, bloquez. Inspirez, bloquez, pour ponctuer le spectacle. 

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Quand le spectacle a été fini, le cathéter retiré, le pantalon renfilé, suis resté un moment sur cette large terrasse aérée où j’allais me promener chaque soir il y encore quelques jours.  Des types se baladaient en chemise ouverte dans le dos et sur-chausses, traînant leurs pieds à perfusion. Curieux comme on passe d’un état à un autre. Il y a là de très grands malades, qui ne sortiront plus. Je me demande s’ils « tiennent » par leur volonté, ou par celle de la médecine, tant ils sont pris en charge depuis longtemps, remis, soumis à ce temps qui dure, devenus un cas entre les mains d’experts. Le pire comme le meilleur, ici.

Hier, sur la place de la Croix-Rousse, j’ai aperçu de loin, sur un banc, un homme qui était mon voisin de service hospitalier il y a peu. Avec lui,  je n’avais échangé que quelques mots, mais quelles paroles, puisque nous  avions commencé à marcher à nouveau au même moment ; on s’encourageait du regard en se croisant, « c’est bon pour le moral ». Ça m’a vraiment troublé parce que, là, sur cette place, le voilà assis en train de faire la manche au soleil avec une casquette posée devant lui, l’air intériorisé. Remis apparemment, lui aussi. Je m’attendais si peu à le trouver là, dans cette situation de surplus, que je n’ai su quoi dire ni quoi faire. J’avais dans la poche un billet de 20 euros et une pièce de 2 euros. C’est idiot, mais je me suis vu lui donner ni l’un ni l’autre, comme si ça me dérangeait que nous ne soyons soudain plus du même bord après avoir connu le même sort, et sans avoir non plus pris le temps de sympathiser assez. Bref. Ne sachant plus quelle attitude adopter, je me suis honteusement dérobé. Le « monde », qui refait son effet.

Tout ça me semble être en effet un reflet assez minutieux de l’irréalité dans laquelle la société européenne et sa schizophrénie latente nous plonge sans égards. Inégalité des conditions, égalité des sorts. Valeurs proclamés, comportements tenus. Va et vient. Face et pile. C’est sans doute pour ça que, contre toute décence commune (au sens le plus orwellien du terme) la situation du politicard Strauss-Kahn « émeut » des gens pourtant en apparence sensés, qui le plaindraient presque, dans son 630 m2. Un monde, disait Shakespeare, sorti de ses gonds. Et qui n'y est jamais retourné depuis...

09:41 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : irm, médecine, société, croix-rousse, politique, littérature, théâtre | | |

samedi, 07 mai 2011

Français, vieux et moyen

Dans le bœuf, le morceau qu’il préférait était le manteau, le nom qu’on donnait dans son quartier à la hampe. Comme le morceau n’est pas si gros, il se rendait chez le boucher dès l’ouverture, pour assurer sa part du jour avant que les mères de familles nombreuses ne fassent la razzia.

Il ne ratait jamais le tirage de l’Euromillions.  Parmi les dates des grandes victoires napoléoniennes, il avait choisi plusieurs numéros pour figurer les chiffres et les étoiles à cocher sur les grilles. Comme il ne jouait jamais, il guettait toujours sur l’écran la chute des boules, avec au ventre la peur que sa martingale sortît. A la fin, il poussait toujours un ouf de soulagement en constatant que sa combinaison n’était pas tombée. Ne l’ayant pas jouée, il s’estimait remboursé. Et le lendemain, buvait un verre de Viognier à la santé de cette putain de Française des Jeux, heureux, au PMU du coin.

Sitôt quitté le collège, il n’avait plus lu aucun roman. Durant son existence, il n’avait d’ailleurs terminé que peu de livres : quelques essais de libres penseurs l’avaient intéressé dans les années soixante, mais à présent qu’il s’approchait de la vieillesse, il songeait qu’il était inutile de se brûler les yeux pour si peu.  

Sa vie professionnelle avait filé sans brio, lui assurant juste la possibilité de traverser les temps de crise sans trop manquer, comme disaient jadis les braves gens qui l’avaient élevé et qui tous étaient morts. Mais sans non plus lui permettre de se mettre à l’abri. Le soir, avant de s’endormir, il entendait les quelques piétinements de Milou parmi la paille, dans le vieux fourneau qui lui servait de table de nuit et se murmurait en lui-même qu’au fond, ça n’avait pas été si mal d’être un rond de cuir, que ça aurait pu être pire.

Lorsque durant ses promenades, il croisait une bande de jeunes, il s’étonnait formidablement du fossé vaste qui désormais le séparait d’eux. Les vieux de sa jeunesse ressentaient-ils cet écart aussi vivement ? Ce qu’il avait pris jadis pour de la morgue ou du dédain, il comprenait à présent à quel point ça tenait de quelque chose d'imperceptiblement métaphysique : n'était-ce pas lié à cette chose que sans se l’avouer, depuis la disparition de sa vieille cousine (dernière de la famille à l’avoir ainsi quitté) il attendait à son tour  ?

Les milliards de petits pas qu’il avait effectués sur l’asphalte chaque jour de sa vie compteraient-ils beaucoup plus que ceux de Milou sur la paille ? Savoir ! Au fond, l’existence de cet homme avait quelque chose de romanesque qui lui appartenait en propre mais que ni lui, ni aucun de ses semblables n’écrirait jamais. Ce romanesque tenait certes du désenchantement qui s’était saisi de toute sa génération vers la fin du siècle dernier, devant la fadeur décrétée du Réel. Mais aussi, sans doute, d’une capacité inébranlable à maintenir vivant en lui une sorte d’illusion de grandeur, qui le rendait au soir de sa vie aussi imbécile qu’heureux. 

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00:45 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, france, société, politique | | |

jeudi, 05 mai 2011

Capital santé

Que la santé soit un capital, le prolétaire vivant parmi les autres à la force de ses seuls bras l’a toujours su ; ainsi, bien conscient de la portée économique d’un physique en pleine forme, s’est-on s’est toujours souhaité de concert la bonne année de pair avec  la bonne santé. Un proverbe malicieux que je relève dans un recueil de sagesse populaire le dit clairement : « Soigne ta peau, te la porteras longtemps »

Mais le rapport à la peau, c'est-à-dire à la santé, demeurait encore un rapport à soi, c'est-à-dire à l’être. On était en bonne santé. Ce qui a changé avec le capital santé, prolongement des chèques restaurant ou vacances, c’est que la santé est dorénavant un avoir qui s’entretient au même titre qu’un parc immobilier, un portefeuille d’actions ou un bon héritage. Comme l'expression, mon corps en bonne santé devient un lieu commun de l'époque, le capital-santé faisant partie du package indispensable à toute existence heureuse en social-démocratie globalisée.

Capital-santé : La notion s’est propagée durant ces foutues années 80, aussi incongrue à notre patrimoine culturelle qu’étrangère à notre patrimoine linguistique. Dans la forme, la suppression de la préposition entre le terme santé et le terme capital est une construction issue du marketing. Elle  fleurait bon son consumérisme ambiant et son modernisme dynamique, tout comme  les prix-fêtes, les cadeaux-fidélité, la ligne-visage, la laque-double action, la poudre spéciale-textiles délicats, l’assurance tous risques   Mais l’expression n’est pas seulement dissonante à l’oreille, elle est aussi lourde de trivialité en assimilant la bonne forme à une valeur capitalisable, autrement dit à un bien, une marchandise. Derrière la capital-santé se cache l’ombre massive de l’OMS et de ses recommandations : dans cette perspective, il ne suffit plus d’être bien dans sa peau pour soi-même, la santé devient une sorte de devoir (un de plus) à l’égard de la société de consommation : manger équilibré, limiter le sucre, surveiller le cholestérol, dépister le cancer à temps, ne pas fumer, ne pas boire et rester svelte… Bref, traiter son corps comme une partie de l’espace public, et non plus comme le lieu même de l’intime.

Au regard de la norme ainsi constituée avec sa cohorte de Diafoirus (pharmaciens, diététiciens, conseillers et spécialistes de tous crins), le « comportement sanitaire » de chacun d’entre nous devient conforme ou non à ce qu’on peut attendre d’un bon citoyen, au même titre qu’un comportement économique ou social.  

Parlera-t-on un jour de délinquant sanitaire ?

Les plus imprévoyants, déjà, les plus irresponsables (les pauvres et les incultes) qui perdent ou dissipent leur capital pour finir poivrots, tabagiques ou obèses sont de plus en plus mis à l’index. A l’autre bout de la table, on montre en exemple ceux qui savent rester sain en faisant fructifier leur capital, de liftings en transfusions sanguines complètes, de liposuccions en greffes d’organes : En matière de santé comme en tout, on ne fait crédit qu’aux riches. 

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10:46 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : politique, capital-santé, société | | |

samedi, 16 avril 2011

Dialogue avec Jean Rouaud

Grâce à Michèle PAMBRUN qui m'a communiqué le lien, une bonne heure d'entretien avec Jean Rouaud, à propos de son livre Comment gagner sa vie honnêtement, mais aussi de nombreux souvenirs et impressions : on y parle de Chateaubriand, de 2 CV, de comment bloquer un compteur EDF, de Claude Simon, d'auto-stop, de l'intertextualité, de la langue française, de petits boulots, de contrôleurs SNCF, de Bécassine, des Cévennes, du travail à la chaîne, du Capital, de la mort de la France, bref, de la vie poétique, passée, présente et  à venir. 



08:49 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : jean rouaud, littérature, france, société | | |

samedi, 19 mars 2011

La catastrophe, c'est nous

Nous. Pas forcément les riches ou les pauvres, ceux d’ici ou ceux d’ailleurs, les ceci ou les cela, les mêmes qui seraient mieux que les autres, et les autres qui seraient meilleurs que les mêmes,  non, non, nous, nous, tous. Nous : Cet ensemble dément de 7 milliards de personnes, ce nombre obtenu par la grâce des excédents du capitalisme, et dépendant de lui, que ça leur plaise ou non, ces gens jaillis sur la planète, peuples devenus masse comme en terrain désormais dompté, assiégé, nous les prédateurs.

La catastrophe ce n’est pas l’eau, la terre, le feu, non, c’est bel et bien nous, ce nombre pour qui il fallut construire des autoroutes, des gratte-ciel, des cargos, des avions, des supermarchés et des centrales atomiques,  des couche-culotte aux cercueils par milliards, pour qui il fallut tout démultiplier partout, nombre fondu en cette désorganisation économique toute puissante, cette machine administrative sans borne, quittant, oui, ayant quitté « la maison natale », terre, la conscience de cette maison, nous, la catastrophe que nous sommes devenus, qui ne voulons plus mourir jamais à coup sûr mais consommer : « détruire, dit le Petit Robert, détruire par l’usage ». 

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08:36 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : société, politique, japon, actualité | | |

samedi, 12 mars 2011

Bourgeois, chômeurs et mendiants

« Est bourgeois ce qui vit de persuader. Le commerçant en sa boutique, le professeur, le prêtre, l’avocat, le ministre, ne font pas autre chose. Vous ne les voyez pas changer la face de la terre ni transporter des objets. »

C’est Alain qui dans Les Dieux (1934, ch. 6) propose cette définition du bourgeois exclusivement fondée sur la maîtrise du verbe.  Il déduit de là l’importance de la politesse pour le bourgeois. Si le prolétaire, écrit Alain, « méprise la politesse », c’est qu’il n’exerce pas « le métier de demander » c’est qu’il « n’obtient par la politesse, rien de la terre, rien du fer, rien du plomb ».

Autrement si le bourgeois se distingue aussi clairement du prolétaire, c’est par sa capacité à maîtriser le signe.

Ce qui étonne ou pêche  dans ce raisonnement, c’est cette idée de signe, qui paraît se contenter du mot, alors qu’on ne peut ignorer en 1947 que tout est signe, le nombre comme la lettre, et la leçon ou le sermon comme le billet de banque ou le carnet de chèques. Au regard d’Alain pourtant, le signe monétaire semble occuper une place bien moindre que le signe linguistique : « On comprend que le mendiant soit en quelque sorte le pur bourgeois, car il n’obtient que par un art de demander par des signes émouvants ; les haillons parlent. Et le chômeur par les mêmes causes, est aussitôt déporté en bourgeoisie ».

Tout cela tient du sophisme ou de la métaphore : assimiler le bourgeois au mendiant ravale certes sa superbe face à l’artisan ou au paysan qu’il ignore ou méprise ; il n’empêche que ça reste un sophisme de philosophe ou une métaphore de poète. Car si l’on considère que la finance est un discours, on voit bien qu’il y a bien une langue que ni le chômeur ni le mendiant ne savent parler et qui font irrémédiablement d’eux des non-bourgeois, condamnés à recevoir de lui la pièce, dans un jeu de persuasion-séduction dont jamais ils (mendiants et chômeurs) ne maîtriseronnt toutes les règles. 

L'exemple de Martine et des mendiants (suivre ce lien) en constitue le vivant apologue.

 

13:48 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, société, bourgeoisie, alain, littérature | | |

vendredi, 28 janvier 2011

Sur la scène

J’ai trop souvent l’impression, lorsque je me rends au théâtre, que cet art a cessé d’être le grand rassembleur qu’il fut jadis, pour n’être plus, parmi d’autres, qu’un anodin représentant en images. Voilà pourquoi, contraint par l’époque, je peux passer de longs mois à ignorer son chemin qui me fut cher.

Et puis soudain, cinq, six spectacles, une sorte de boulimie presque involontaire, comme à la recherche d’ébranlements considérables dans la température des fondations éboulées.

 

Rejoindre le lieu d’où voir, et cet instinct égaré : « Le désespoir en dernier lieu de mon Idée qui s’accoude à quelque balcon lavé à la colle ou de carton-pâte », larmoyait Mallarmé (1) – et larmoyer est à entendre ici sous un jour positif –, tenter la clé du spectacle.

 

Longtemps, la culture des gens de théâtre – à cela la vive crainte que le bourgeois toujours leur porta – fut de ne rien conserver de lui-même : là, un soir efface l’autre, et chacun mérite la nouvelle et seule énigme d’une représentation ; on dit que c’est ainsi que le pape succède non pas à son prédécesseur, mais à Pierre lui-même. Comme si rien de trop ne comptait jamais, brûler les planches, flamber son cœur en guise de martyre, jouer fut longtemps le seul mystère du comédien.

Et dans un geste aussi aristocratique que catholique, centon échappé de la crèche, par le parvis de la cathédrale jusqu’au miroir de sa loge, l’homme de théâtre garda cela comme un honneur, à travers les siècles de possession. Telle fut sa coquetterie, qu’une maison jalouse dût ne durer, par nature qu’un instant.

 

Malgré l’aride travail qu’avait été l’édification de la précédente, assembler les poutres de la prochaine avec la ferveur d’un débutant, le compagnonnage d’un averti, le métier de l’artisan au déclin. Tant d’œuvres perdues, soit. Mais tant d’œuvres surgies de cette perte, consubstantielles.  Tant d’autres, dans tous les sens du terme, passées. Tel, ce que la naissance doit à la mort.

 

Il est, de nos jours, question de captation de spectacles. Le metteur en scène, économe de son talent, devient réceptacle de son seul répertoire. Puisqu’il naquit  de l’électricité, l’électricité le grille, en quelque sorte. Et,  comme au cinéma, fige l’essor de sa parole. Moi, spectateur, il me faut alors redoubler de vigilance ; réserver mes applaudissements à quelques rares secondes : lorsque, quand même, loin de la performance, le souffle de l’acteur ranime mon instant.

 

 

(1) Mallarmé, Crayonné au théâtre

11:07 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : théâtre, littérature, société, mallarmé, spectacle vivant | | |

jeudi, 13 janvier 2011

Père peinard

Tout à l’heure, un homme traînait à grand peine un géant aux arêtes nues, qu’il a balancé par-dessus la barrière. Le géant a rebondi sur le matelas de ses collègues déjà abandonnés dans cette sorte de décharge improvisée depuis quelques jours sur la place, avant de s’immobiliser dans une posture grotesque, le tronc renversé vers le ciel. En divers points de la ville,  s’entassent ainsi ce qui reste des sapins.

Le soir, des camions municipaux viennent ramasser leurs cadavres. Une odeur vive de résine s’échappe des bois secs, lorsque des dents de fer les broient. Quelques secondes de vacarme, puis plus rien. On a le sentiment que tout, ainsi, du monde qui rutile, sera peu à peu ingéré, absorbé. Orifice final, terme de tout événement. Décharge finale.

Deux employés balaient en sifflotant sur l’asphalte des débris de rameaux verts, épars, Quand le trottoir est nickel, ils sautent sur le marchepied du camion, leurs instruments en mains. Le camion benne s’ébroue, avant de disparaître au virage dans la relative obscurité de la ville, les feux arrière clignotant comme des clémentines

J’en connais un qui, quelque part, sourit à vives dents, allume enfin sa clope. Pour quelques mois, et pour de bon, père enfin peinard.

 

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06:08 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : société, noël, sapins, actualité, consommation | | |