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jeudi, 05 juillet 2012

Bernanos : Les fantômes de la liberté

« Il n'importe pas de condamner ce monde. Il vaudrait mieux le plaindre. Il a besoin de pitié. Seule la pitié pourrait blesser son orgueil. La psychologie actuelle démontre très bien que l'orgueil n'est qu'une des formes du redoutable complexe d'infériorité. Le monde moderne est un monde humilié, un monde déçu, c'est ce qui le rend furieux. Le sentiment de la ridicule disproportion entre ses réalisations et ses promesses donne à cette fureur un caractère de férocité. Tous les ratés sont cruels. Le monde moderne est un monde raté. Il risque aujourd'hui de se jeter dans le suicide pour échapper à l'intolérable aveu de son impuissance ».

Georges Bernanos (« Le monde moderne est un monde humilié » - interview publiée le 10 février 1939 dans O Journal, et repris dans La France contre les robots)

A quel moment, quelle occasion, ai-je compris que j'avais un besoin pressant, criant, urgent de lire Bernanos, de lire Béraud, de lire Galtier-Boissière, de lire Jean Giono, de lire Louis Guilloux - nés successivement en 1888, 1885, 1891, 1895, 1899 ? C'était il y a dix ans, à peu près, que j'ai ressenti le besoin du témoignage de cette génération, pour me laisser par eux expliquer ce qu'avait été le monde avant que leurs fils ne s'en emparent, et ne se mentent à eux-mêmes, et en fassent celui dans lequel j'étais né.

Je me souviens bien avoir, dans les années soixante-dix, commencé à étudier la littérature latine, la littérature française, dans un vieux bon lycée de province qu'avaient construit des chrétiens. L'héritage... Malheureusement, cet héritage venait toujours buter contre cette date de 45, qu'on nous présentait alors comme un renouveau, un commencement, une ère grandiose, une libération.

Moi, j'étais le témoin de cette modernité-là déjà déconfite quelque trente ans plus tard, vraiment dégradée, de Pascal ou Chateaubriand en Jacques Prévert ou Boris Vian, de Madame de La Fayette ou Juliette Récamier en Benoite Groult ou Juliette Gréco, de Vivaldi en Gainsbourg, et de La Tour en Dali...

Et lorsque je me suis alors franchement posé la question de l'héritage, et de ce que je pourrais, moi, faire - me venait toujours cette sensation que c'était vraiment pitié qu'être né dans ces années 50, à l'heure de Kerouac, d'Edith Piaf et du Coca cola. Pitié. Qu'il n'y avait plus rien à faire, de toute façon, car  quelque chose de diffus, d'inexpliqué, comme une malédiction, mais de bien réel, était .

Et je tournais les yeux vers mes copains, et je les saluais.

Pitié, vraiment, mes copains, ces petits frères des soixante-huitards déjà rangés du bon côté de la barricade, déjà cohn-benditisés à souhait, prêts à voter Mitterrand avant même d'être encartés, vraiment. Un de mes excellents potes à l'époque répétait : "ce qu'il faut garder, c'est la dignité, et le sens de l'humour..." Vite dit. Je l'aimais bien quand même.

Nous essayions donc, du haut de nos seize dix-sept ans, de conserver dignité et sens de l'humour, tout en se récitant des pages de Nerval (Ah, Sylvie), comme on se parlerait, sur un terrain vague, du temps d'avant l'explosion d'une raffinerie. En ces années-là, je vis les hommes et aussi les femmes de mon pays commencer à vraiment polluer toutes leurs rivières, se précipiter en hordes dans des centres commerciaux pour acheter des yaourts dans des petits pots en plastique, et chanter La pêche aux moules avec Jacques Martin. Mes copines, alors. Mes copines ?

Pitié, elles aussi. Tragiquement pitié, ces copines, avec leur crédulité de jeunes libérées en mini-jupes, à un point que c'en était ridicule. A dix-huit ans, déjà fatigué d'Arthur Rimbaud comme il dut l'être de  lui-même, je lisais donc Kabîr et Toukaram en me demandant où était passé l'Occident dans tout ça. Déconfiture de la Royauté Technique. Technologique.

L'Occident n'était plus qu'une force technologique, à l'image de ses deux monstruosités : Hiroshima et le premier homme sur la lune. Tout le monde était d'accord pour trouver que la première était monstrueuse. Peu s'aperçurent que la seconde était pire. Mais d'hommes, de spiritualité, point régnant au pays des grandes surfaces et des temples de la consommation. Et certes, ce n'est ni le néant Sartre, ni le néant Beauvoir qui, à l'époque, auraient pu m'expliquer où était passé l'Occident que j'avais appris à l'école. Ces deux là, qui en étaient les fossoyeurs acharnés, avaient déjà décidé de n'avoir aucun descendant. Nada ! Ces deux là, opportunistes sans talent mais roués, étaient fins de race à l'extrême, monstres d'égoïsme et le sachant jusqu'à la moelle, ils appelaient ça existentialisme, deuxième sexe, libération, modernité, littérature et autres conneries mortifères. L'Institution Universitaire faisait alors s'achever la littérature du dix-neuvième siècle grosso modo à Proust, et débuter celle du vingtième à peu près aux alentours de Nathalie Sarraute. Comme s'il n'y avait rien eu entre. Rien. Pas un homme. Que des maudits

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18:17 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (69) | Tags : bernanos, littérature, politique, société, france, béraud, quatorze dix-huit | | |

mercredi, 04 juillet 2012

78,4 % (Lisbeth)

 C'est un classique du mois de juillet pour les étudiants et lycéens : l'attente des résultats. Nous avons tous connu cette sensation mitigée, faite de certitude et de doute, d'espoir et de crainte, d'envie de faire autre chose et d'incapacité à penser à autre chose justement, bref. Les résultats du bac cette année sont le 6 juillet. Plus que deux jours à poireauter. 

En attendant, histoire de prendre un peu de recul, et d'en rire, je republie ce petit croquis qui depuis 2009 demeure d'actualité :


78,4 % de réussite au bac du premier coup.  Les 80 %  qu'ambitionnait le ministre Chevènement à la fin des années quatre-vingts seront bientôt atteints. Alléluia. Moi qui ne connait qu'un dixième seulement des tripatouillages administratifs et des petits arrangements pédagogiques à l’origine du phénomène  (mais un dixième, c’est suffisant pour avoir une idée approximative de l'ensemble), je garde raison et ne m’enflamme pas : l’humanité, dans sa version occidentale (et plus spécifiquement franchoullarde)  n’est pas soudainement devenue plus intelligente, plus spirituelle, plus cultivée - si tant est que l’obtention du bachot ait jamais été un symptôme d’intelligence, de spiritualité et même, osons le mot, de culture. Et tous les petits Français ne sont pas des génies, loin s'en faut. Mais le chiffre est séduisant et brille sur le papier de tous les quotidiens : 78,4%... Et on se dit : qu'en sera-t-il après le fameux rattrapage ?

Tout à l’heure, j’étais dans un bar tenu, disons, par Lisbeth. Lisbeth est aussi volumineuse que son mari est long et sec. Lisbeth est vive, autant que son mari parait éteint. J’aime bien leur bar, parce qu’ils ne servent pas de repas à midi, ne font pas chier les gens ni avec de la musique ni avec la radio, ne demandent pas à être payés dès la consommation posée sur la table et savent encore, comme les gens d’un siècle désormais enfoui dans l'ère pré-technologique, rester tranquilles en silence ou en papotant discrètement derrière leur comptoir. Bref Lisbeth et son mari sont des gens, disons, normaux.

Mais aujourd’hui, grand émoi.

La fifille à Lisbeth vient d’avoir son bachot.

Lisbeth, elle ne tient donc plus en place et le clame à la terre entière, par portable interposé.

Elle fait, semble-t-il, le tour des mères des copines et des copains de Fifille, laquelle s’est déjà barrée, entre parenthèses, pour une semaine sur les bords d’un lac suisse, en raison de cet exploit remarquable. Laquelle, à entendre sa mère s’épuiser en longs récits, s’est déjà saoulée toute la nuit avec des poteaux. On la sent, Lisbeth, en pleine communion spirituelle avec Fifille, qu’elle voit déjà, débordante de vanité filiale et d'espoirs middle-class, sur les bancs d’HEC.

Seulement voilà.

Lisbeth découvre, au fil des appels, que tous les rejetons & rejetonnes des copines à qui elle annonce la bonne nouvelle ont aussi gagné le gros lot. Les bourgeons s'embourgeoisent.

Au début, elle est vachement contente pour eux, ça se voit aux petits gloussements de dinde qu’elle émet. Et de partager leur expérience commune de mamans ravies. Quand même, on n'est pas si mauvaises que ça !

Une fois.

Deux fois

Trois fois.

Quatrième fois, une ombre se glisse dans la joie jusqu’alors limpide du visage grassouillet de Lisbeth.

Ah bon, il a eu son bac aussi ? Avec mention AB aussi ? Ah bon ? Les traits se figent.

Ah bon !

Elle se retourne vers, disons Robert, l’air dépité : T'entends ? ( non, il entendait pas, Robert. Il trainait son pas lent derrière le comptoir, un torchon sur le polo Lacoste, et pensait on sait pas trop à quoi, d'ailleurs... ) Cédric Machin l’a eu aussi, qu’elle gueule. Tout le café en profite.

Et ce n’est pas tout.

Voilà qu’elle apprend, non c’est pas possible, elle a toujours été nulle, que Charlotte Truc aussi a décroché le pompon, que l’autre idiot de Guillaume Bidule, aussi, et Magali, et Thomas, et Virginie, bref, tout le quartier a eu son bac, le bac à Fifille, "incroyable", qu'elle finit par lancer à son mari, c’est affreux …

Lisbeth, vaniteuse et décomposée se pose sur une banquette.

Bon, dit-elle à la dernière de ses interlocutrices, je fais quand même l’apéro prévu la semaine prochaine, le bac, ça reste le bac qu’elle fait, hein, euh…

78,4… De toute façon, croyez-moi, et c’est sans doute pas plus mal, ce Bac Big-Bazar vit probablement ses dernières années : un contrôle continu suffira bientôt pour faire la circulation routière dans les voies sinueuses de l’orientation scolaire.

Mais quel bon connaisseur du genre humain a dit un jour : « C’est important d’être heureux, à condition que les autres ne le soient pas ?

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lundi, 04 juin 2012

Au jubilé d'Elisabeth II

Il pleut sur Londres et la Tamise est grise sur tous les écrans du monde, quand la barge royale, rouge et mordorée entame sa lente navigation. La monotonie de cette retransmission convient bien à cette grisaille d’un dimanche après-midi, tandis que cette barge royale, rouge, mordorée et escortée, n’en finit plus de traverser Londres sous une pluie battante, jusqu’au Tower Bridge où elle s’arrime. C’est le jubilé d’une reine octogénaire (il faut se méfier des octogénaires) qui para pour l’occasion  sa robe et son chapeau de blanc, chipant à sa jolie bru, au centre d’une dramaturgie réglée à l’anglaise, la couleur symbolique de la jeune mariée et l’attention de tous les regards.

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Jusque tard dans le soir qui vient se prolonge ce double spectacle retransmis par la BBC ; d’une part, la famille royale regardant passer un à un chacun de ces mille bateaux emplis de grappes de gens vêtus de cirés et massés sous des parapluies; ces mêmes gens, d’autre part, adressant de grands signes à cette famille royale, et tout particulièrement à cette reine aux yeux perçants, immobile, silencieuse, rusée comme un pape, figée là durant des heures, à les regarder passer les cortèges de barques, tandis que d’autres s’impatientent et s’épuisent autour d’elle. Qu’a-t-elle donc en tête ? A quoi pense ce Chef d’Etat paradoxal, incarnation de la suprême autorité politique dénuée de tout pouvoir politique, en s'emplissant des God save the Queen qui jaillissent de chaque embarcation ? Sacrée sous Truman et Auriol, elle a vu passer neuf présidents de la République française, douze des Etats Unis, et douze premiers ministres anglais, qui vinrent chaque semaine lui conter en tête à tête les histoires de leur gouvernement.

Son autorité, elle la tient de son grand-âge, de son parcours individuel, de sa saisie des choses, de sa discipline de fer, du fil de sa longue existence.  Elle la tient aussi de la part de l’Histoire du monde qu’elle a vécue, à commencer par la résistance à Hitler où se ressourça la légende des Windsor. Mais où sont les Churchill, De Gaulle, Roosevelt, Staline, qu’elle a côtoyés naguère ?  Survivante. Elle la tient aussi de l’action d’un empire séculaire, peuplé de crimes et de zones d’ombres. Plus loin encore dans le passé, de ce principe éternel « qui s’en va » (comme disait Chateaubriand en regardant son vieux roi Charles X prendre le chemin de Prague et de l’exil), et qui - ce jubilé festif le prouve - s’accommoda mieux de l’insularité que de la continentalité.

Sur France 2, on sentait, récurrente dans les commentaires de l’après midi, cette interrogation aussi ironique que française face à la popularité de la reine : « mais comment font-ils ? » Un journaliste ne cessait de parler d’un personnage et d’une cérémonie « décalés », comme d’un film qu’il ne comprendrait pas. Se rendait-il compte, lui, à quel point il l’était, décalé, cherchant autour de lui l’actualité de l’événement, c’est-à-dire à l’endroit même où il ne se passait pas. Un instant, une vraie question fut posée : Est-ce Elisabeth qui tient le sentiment monarchique à bout de bras dans la société anglaise, ou bien le sentiment monarchique encore vivace dans la société anglaise qui tient Elisabeth à bout de bras ?  Mais comme une telle question ne peut que demeurer sans réponse en société républicaine, on passa à d’autres remarques sans intérêts.

Sur la BBC, les choses allaient de soi devant cette parade fluviale comme sortie du moyen-âge. Et l’on sentait bien à quel point il fallait être frenchie pour se poser, oui, d’aussi ineptes questions. Sur la BBC, on parlait organisation de la journée, origine des bateaux, temps qu’il fait, et de micro-trottoir en micro-trottoir, du pourquoi et du comment on s’était retrouvé là, en famille, à regarder défiler l’évidence de sa propre histoire tout en guettant le passage de our Queen, une légende vivante disent-ils.

 Sur la BBC, c’était une journée historique comme il en existe trop peu : non pas parce que ce défilé de bateaux à rames devant monarque marquerait grandement l’épisode du siècle. Mais parce que la permanence des siècles passés marquait l’épisode du jour de son empreinte. Et rappelait que si l’autorité est une façon d’être bien plus éphémère et insignifiante que ne le sont les coups d’éclats du pouvoir, elle demeure, paradoxalement, bien plus signifiante et bien plus durable qu’eux.

Elisabeth en sait quelque chose : on peut le lire dans son malicieux silence devant les bateaux. Comme aurait dit Apollinaire, l’Européenne la plus moderne, c’est vous, Elisabeth…

 

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Marylin & Elisabeth, 1956


11:34 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jubilé, elisabeth ii, londres, bbc, monarchie, autorité, société | | |

vendredi, 01 juin 2012

Et toi, tu es de gauche ou de droite ?

SI être attaché à la transmission de la  culture dite classique, y compris – en Europe – celle du catholicisme, si se battre en vain pour qu’un patrimoine historique comme l’ Hôtel Dieu de Lyon ne devienne pas un hôtel de luxe du groupe Eiffage, c’est être un vieux réac de droite voire un facho alors je suis un vieux réac de droite et un facho.

SI s’opposer au principe d’endettement des Etats par la loi de 1973 ou au traité de Lisbonne qui, de Pompidou à  Hollande, a été accepté par tous les présidents de la République sans exception, si protester en vain sous formes de textes de toute nature contre la privatisation éhontée de la monnaie commune, c’est être d’extrême gauche, alors je suis d’extrême gauche.

Si  comprendre le fait que les plus pauvres commencent à flipper de se sentir sans la protection souveraine de leur monnaie historique et de leur frontière nationale et votent Le Pen en nombre croissant face à des marchés dérégulés, des états impuissants et des élites qui se foutent ouvertement ou normalement de leur gueule , c’est être lepéniste, alors je suis lepéniste.

Si critiquer les formes technologiques du divertissement de masses parce qu’on voit  trop à quel point elles servent de rempart contre la transmission de la culture universelle tout en étant attaché à la liberté de chacun, qui se revendique de plus en plus d’une communauté spécifique et des formes technologiques de divertissement, c’est être en contradiction avec soi-même, alors je suis en contradiction avec moi-même

Si considérer que des formes d’artisanat et de pensée reléguées aux oubliettes par le tout technologique furent des facteurs de civilisation autrement plus efficace que l’égalitarisme postmoderne, le consumérisme passif et le multiculturalisme mercantile, c’est être un nostalgique dépressif, alors je suis un nostalgique dépressif.

Si refuser la confusion entre la morale et le fait politique, et admettre qu'il n'y ait pas de solutions miraculeuses à tous les problèmes que soulèvent la nature humaine et le monde moderne, tout en continuant à les soulever, c'est être un contradicteur inutile ou un fataliste déprimé, alors je suis un contradicteur inutile et un fataliste déprimé. 

Enfin si mettre sur le même plan la démagogie des racistes et celle des antiracistes, qui entretiennent un débat médiatique et juridique incessant sur les valeurs des uns ou les valeurs des autres, si dénoncer les discours sur la repentance comme ceux sur le révisionnisme, l’indignation militante ou l’intégration citoyenne, comme des moyens pour les gouvernants d'éviter de soulever la question économique, c’est-être un inconscient voire un salaud, alors je suis un inconscient voire un salaud.


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Photo de Jules Sylvestre

00:00 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : politique, france, europe, lyon, société, littérature | | |

jeudi, 26 avril 2012

Expliquer Le Pen

Tandis que dans les médias nationaux et régionaux se joue, comme à chaque élection d’importance, le psychodrame franco-français, que les résultats du premier tour sont commentés à l’aune des situations passés, lequel serait Pétain, lequel De Gaulle, et que ça et là fleurissent les noms d’oiseaux, je passe mes journées à écouter des étudiants dans la salle exigu d’un jury d’examen. Sans romantisme, sans excès, sans tromperie, je les aime bien ces étudiants. Je les regarde. J’écoute leur effort. Je jauge leurs lacunes. Parfois ils me surprennent. Souvent, ils m’endorment, comme sans doute, dans l’autre sens, je les ai surpris, je les ai endormis. Un jour, j’étais à leur place. Un jour, je ne serai plus.

Je les regarde donc. Je sais que ceux qui sont d’une famille, d’une communauté, d’un clan, ceux qui ont des parents s’en sortiront. Que les autres, auront du mal, dans la France de Hollande comme dans celle de Sarkozy, parce que la société est la société et qu’au contraire de ce que professèrent les Lumières, elle ne sera jamais bonne. Parce que dans la société, c’est l’entourage proche qui compte, parce qu’il n’y a désormais d’entourage lointain que médiatique, et que les déshérités, quelle que soit leur origine, seront toujours à la traîne et à la peine. Parce qu'ils auront besoin de toute leur force individuelle, il est criminel de les illusionner. C'est pourquoi le fait politicien n’est qu’un mensonge, spécialement en temps de crise, un leurre qui n’engraisse que ceux qui l'ont jeté. En vérité, c’est l’éducation qu’on a reçue, c’est l’entourage proche, c’est les moyens qu’on se donne ou non pour accéder à la culture, qui assurent ou non une survie. Tous ces étudiants que j’écoute, en rêvant souvent à autre chose, l’ont en partie compris. En partie, seulement.

Et c’est dans cette marge que se jouera chacun de leur destin. On ne peut compter que sur soi-même : à quelle  vitesse ouvriront-ils les différentes portes qui se dressent devant eux ? C’est ça qui sera déterminant, ça qui au fond leur appartient, qu'au fond, nul n'a le droit de toucher.

Des idéologues parfois fumeux peuvent bien me rejeter dans les cordes de la droite, je le maintiens : je n’aime pas la gauche qui vient. Je crains sa morale à trois sous, la toute puissance qu’elle va offrir à des notables roués et à leurs enfants héritiers, les leçons qu’elle donnera partout à tous les extravagants, son désir de faire nager tout le monde dans les mêmes eaux, son égalitarisme insensé, sa haine viscérale de tout élitisme, de toute culture du passé, sa revanche à prendre sur je ne sais quel ennemi, son désir de réparer je ne sais quelle blessure : Non, je n’aime pas cette gauche qui vient, et cela ne me rejette que dans les cordes de ma foi dans l’individu.

On peut toujours aller chercher des référents historiques dans les années trente, ces référents sont anachroniques car la situation a changé. Le nazisme est né de la Guerre de Quatorze, de la crise de 29, du fait que l’Allemagne ne possédait aucune colonie quand la France et l’Angleterre étaient encore des empires…  Hannah Arendt (encore elle), l’a très bien expliqué. Il s’est de surcroit développé avec et contre l’URSS qui n'est plus. Ce qui naîtra du désarroi des plus pauvres et des laisser-pour-compte dans cette Europe inédite et son système financier sans précédent dans l’histoire de l’humanité, ce qui brûlera le torchon dans cet ensemble de nations qui n’en sont plus vraiment, dans cet empire contrôlé par le FMI, l’OCDE et la BCE, en train de se rêver confédération des peuples quand elle n'est qu'une coagulation de consommateurs  endettés, cela, nul ne peut le dire.

J’entendais Calvi dire tout à l’heure, la lippe entrouverte : « Mais Marine Le Pen ne peut prendre le pouvoir, elle est contre l’Europe, elle est contre l’euro, elle est contre les immigrés, elle est contre tout, elle n’est pour rien ». Je laisse chacun décoder les implicites de cette extraordinaire assertion.

Ceux qui comparent Marine Le Pen et ses électeurs à des fascistes ne font que réciter des leçons apprises. Ce sont des gens du passé, des gens d’un autre siècle qui égrènent leurs litanies apprises comme d’autres des chapelets. La vérité est qu’ils ne savent pas plus que les autres où nous conduisent la montée de cette « extrême-droite » et surtout le soutien qu’elle reçoit des couches populaires, montée qui, chronologiquement suit à pas lents la croissance du monstre qu’est cette création européenne chimérique, dans des sociétés que la technologie, la mondialisation libérale et le multiculturalisme sans relief ont remodelé de pied en cap, avec tous les dégâts collatéraux qu’on sait, et auxquels je pense souvent en écoutant et en aimant – encore une fois sans excès ni romantisme – ces étudiants qui parlent devant moi, tous plus stressés les uns que les autres. Et si je me fous de la gueule de Hollande et de tous ses militants qui ont déjà breveté la solution pour eux tous, d’eux, croyez moi, je ne me fous pas. 

vendredi, 20 avril 2012

Dans le fond...

Un commentaire du billet précédent m’invite à réfléchir sur mes billets à propos de l’élection en cours, que je cite d’abord avant d’y répondre : « Un président de la République ne devrait pas être élu au suffrage universel. Cette élection personnalise ce qui ne devrait pas l’être. Vous ne parlez jamais du fond, des grands enjeux, de tout ce qui nous a amenés à la situation que nous connaissons. Vous restez au cœur de ce spectacle que vous dénoncez. »

Comme il émane d’une lectrice fidèle de ce blogue, et que nous avons souvent eu des gouts et des points de vue communs, je tiens à y répondre plus longuement que par un simple commentaire.

Tout d’abord, je suis tout à fait conscient que je ne parle pas du fond, pour une raison évidente, c’est que je ne le connais pas, ne le vois pas, ne le sais pas. Comment pourrais-je en parler au su et au vu des informations dont je dispose, à la télé, sur le net et ailleurs ? Je suis conscient du fait que je suis désinformé, caractéristique première des « citoyens » de la société du spectacle que nous sommes. Les grands enjeux, me dites-vous, mais quels sont-ils ? Prenons en un dont tous les candidats causent et sur lequel je serais en théorie plus à même de dire quelque chose qu’un autre : l’éducation nationale. Lorsque j’ai écrit l’Ecole vendue, j’ai commencé à m’y intéresser et j’ai voulu toucher le fond, et je dois dire que ce que j’ai découvert en lisant les rapports de l’OCDE m’a convaincu de la sagesse du vieil adage populaire : « mieux vaut rester ignorant,  hein »…

 J’ai découvert en détail ce dont je ne me rendais compte que grossièrement et en surface jusqu’alors : c’est qu’effectivement, des grandes instances internationales avaient décidé que l’éducation des gens serait désormais un marché comme un autre, que tout ça ne posait aucun problème au gouvernement de gauche de l’époque, cette même gauche et ces mêmes politiciens (Hollande, Aubry, Royal, Mélenchon…) en laquelle je vois tant de gens placer à nouveau leurs espoirs, ce même SNES qui, au-delà de ses défilés aussi spectaculaires que ridicules sous des ballons gonflés et avec ses chansons de colonies de vacances dignes des pires karaokés, négociait ses privilèges avec le ministre de l’époque, et est prêt à recommencer dès l’élection de leur mentor sans scrupules.

Or vous savez comme moi que ce qui est vrai dans le domaine de l’éducation (grand enjeu) l’est aussi dans celui de la santé (autre grand enjeu). J’ai été saisi d’une sorte de vertige en pensant à ce qui devait en être dans les domaines que j’ignorais : industrie, banque, nucléaire, armée… Non, je ne sais rien du fond de ces dossiers, rien de rien.

 Ne parlons pas de la crise, ah, la crise… J’ai commencé à travailler en 1973, j’avais dix-huit ans et j’ai commencé à en entendre parler dès l’an suivant. Depuis, ça n’a pas arrêté. Les socialistes comme les chiraquiens ont précarisé le monde du travail et la jeunesse tant qu’ils ont pu, sous couvert d’établir une « société des loisirs » qui est devenue la société du titty entertainment c’est à dire celle de l’abrutissement des masses. Mais là aussi, que dire et que faire ? Une fois que vous avez posé le diagnostic, quelle solution ?  Je reste au cœur du spectacle que je dénonce, bien sûr ! Que puis-je faire d’autre ? Est-ce moi qui m’y place ? Non. 

On peut toujours se réciter nos vieilles formules, elles sont inopérantes dans la société technologique moderne, qui se passe d’elles depuis longtemps, Hannah Arendt l’a fort bien démontré de son temps. Si bien que ce qu'il faudrait changer, ce n'est pas le président, c'est les gens eux-mêmes, mais ça...

La société du spectacle ? Mélenchon et son show grotesque à la Bastille n’y est-il pas, bien plus que moi, et au même titre que Le Pen qu’il dénonce  ? Et ce après avoir copiné comme je l’ai vu faire un jour sur le plateau de Ruquier avec ce même d’Ormesson que Patrick Verroust et Bertrand vouent aux gémonies ! Au-delà du y’a ka, faut qu’on, de quels enjeux dont il connaîtrait  le fond  nous parle ce sénateur ?

Tous les gens sérieux, c'est-à-dire qui ne sont pas politiciens, le disent : les marchés sont incontrôlables à cause de la technique qui délivre des ordres de vente de façon autonome et supranationale. Le fond ?  Je suis dans la situation où leur société me place : incapable d’en dire quoi que ce soit de pertinent, du fond ! En situation de regarder des opportunistes se saisir des strapontins qui se libèrent pour y poser leurs croupions et s’emplir les poches ! (Au fait, à propos du salaire de président, je vous ferai remarquer qu’en ne le baissant que de 30%, le Hollande si vertueux garde les autres 70% d’augmentation due à Sarkozy – ce n’est qu’un détail)  Donc qu’on ne me dise pas qu’Hollande est plus honnête que Sarkozy sur ce terrain ! Ce haut-fonctionnaire teint est du même acabit, de la même taille. Il y a même une chose que Sarkozy aura faite de bien : désacraliser la fonction présidentielle qui n’est qu’une posture, vous en conviendrez ! Eh bien l’autre, qui se prétend normal, avec toute sa cour, va s’empresser de la restaurer dans sa dignité républicaine, vous verrez !  Tant il est tout prêt de reprendre ce visage de cire à la Tonton (spectacle, spectacle…) et entrer en je ne sais quel Panthéon, une tulipe ridicule à la pogne.  Voter pour ça ? Réchauffé, tout ça. Faux. Mauvais spectacle.

 

Il n’y a qu’un domaine où je pourrais parler du fond, parce que je le connais bien, c’est le domaine littéraire. Mais la belle langue n’est pas bienvenue dans le monde moderne qui se gargarise de sigles, d’abréviations, de parler des banlieues, d’une syntaxe démembrée et approximative sur laquelle je me suis abimé les yeux pendant des années en corrigeant des copies.  Parler du fond, ce serait peut-être m’en tenir à ça, en effet. Tel est mon fond, ma bonne Etiennette ! Il n’y aurait donc de vrai que la vie spirituelle…

 Mais ce blog est littéraire et polémique,  et vous savez à quel point, en bon béraldien que je suis, je considère la polémique comme un genre littéraire au même titre qu’un autre.

Elire un président au suffrage universel est une erreur, dites-vous ? Je n’en sais rien. Peut-être, dans un pays où tant de gens à qui on donne le droit de vote ne lisent plus rien, ne comprennent qu’un langage rudimentaire, et pour certains ne font plus la différence entre un député élu et un ministre nommé… Il faudrait alors revenir au système des grands électeurs… Mais qui fera le tri entre ceux qui seront dignes ou pas de voter ?  A vrai dire, je n’en sais rien.

 Un dernier mot, sur la dénonciation. Je ne suis pas dans une posture de dénonciation, non pas, ce serait ridicule vu le peu d’influence que j’ai. Je me maintiens en bonne santé avec ces billets polémiques, c’est tout. Me tiens à l’écart des postures que je vois d’autres prendre, cette foire électorale que la gogôche est en train de nous faire vivre et dont j’ai peur qu’on en paye le prix fort rapidement. Hollande ne vaut pas ce prix.

Gardons notre bonne et joyeuse santé intellectuelle. En amical partage avec les quelques uns et quelques unes qui, s’ils rendent visite à Solko, y trouvent un peu leur compte.

Amicale pensée à vous, Michèle, et à tous. Et bonne journée. 

13:00 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (33) | Tags : politique, société | | |

mercredi, 18 avril 2012

La gazette de Solko n°25

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09:17 | Lien permanent | Commentaires (38) | Tags : londres, fadela amara, fmi, politique, société, gaette de solko | | |

jeudi, 05 avril 2012

Le salaire du président

C’est la famille recomposée dans toute sa gloire. Avec Hollande et Royal à Rennes, les journaleux nous entretiennent d’une « superbe affiche », un peu comme si l’OM et le PSG s’étaient réconciliés. François et Ségolène craignent si peu le ridicule qu’ils en seraient presque touchants dans ce story-telling à deux francs six sous qu’est la conquête de l’Elysée version 2012. C'est le fifils Thomas qui a dû verser sa larme en les regardant. Si c'est pas du bling-bling carla brunesque digne d'une série TF1, tout ça...

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Outre cette pitrerie, la journée fut marquée, nous dit-on, par l’annonce de la première mesure de Hollande, sitôt installé dans le bureau de son méchant prédécesseur : baisser son salaire et celui de ses ministres de 30%. Et vlan, ça c'est de la justice sociale et du dévouement  (dénuement). Voilà qui va réjouir le cœur de tous les pauvres revanchards et mettre du beurre dans leurs épinards. C'est du socialisme ou je ne m'y connais pas. Des pauvres revanchards, ça peut servir par les temps qui courent, y'en a plein les bureaux de vote.

Une anecdote à ce sujet : je discutais hier matin avec une collègue «de gôche» (y’en a plein dans l’éducation nationale, que c’est pitié!) de la mort de Richard Descoings et lui faisait remarquer qu’on n’entendait guère les Martel, Demorand, Domenech et autres Barbier qui s'insurgèrent contre le salaire de Sarkozy protester contre « l’indécent salaire » du directeur de sciences po (24 000 euros net plus une prime variable par mois) quand celui du président de la République, objet de tant de polémiques, était de 19 000…par mois. Tu plaisantes, s’indigna-t-elle, celui de Sarko est de 190 000 par mois…  J’eus beau lui dire que non, le président n'était pas footballeur ni Dany Boom, elle vérifia sur son iphone et dut admettre qu’en effet le directeur de sciences po gagnait plus que le président de la république dont elle avait multiplié par dix le salaire en imagination…

 Cette anecdote pour souligner les fantasmes qui galopent dans l’esprit des gens. Pour moi, que la première mesure de Hollande concerne ce fantasme me révèle trois choses sur le bonhomme : 

- son habileté relative à enfumer les gens en se faisant passer pour plus humble ou plus modeste que l'immooonde Sarko, ainsi que la piètre estime dans laquelle il tient de fait ce « peuple de gauche » si prompt à avaler la moindre de ses couleuvres (remarquez, il semble avoir raison de les prendre pour des c…, non ?) 

le fait qu’il n’ait plus trop besoin de pognon, lui, faisant partie des nantis de gauche qui payent l’impôt sur la fortune depuis longtemps comme ses potes sénateurs, présidents de région, comme DSK, Descoings et autres. Si ça continue ils vont bientôt enfiler des salopettes bleues en distribuant leurs tracts rose-fushia sur les marchés....

 - son ambition très sarkozienne, in fine : le Paris de Henri IV valait bien une messe, celui de Hollande vaudrait bien une ristourne de salaire, d’autant qu’il a sans doute déjà trouvé le moyen de remédier à ce manque à gagner par un système de primes. Vous savez bien, contribuables, que l’Etat est une bonne mère…

 

richard descoings,politique,société,rennes



05:14 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : ségolène royal, françois hollande, ps, richard descoings, politique, société, rennes | | |

mercredi, 28 mars 2012

Gazette de Solko n°23

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05:40 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : collomb, politique, chikungunya, culture, société | | |