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jeudi, 25 décembre 2014

Les origines de la représentation

Certains voudraient voir disparaître les crèches de Noël des espaces publics. Ce sont rarement des adeptes d’une autre religion, bouddhistes, juifs ou musulmans, non. Mais le plus souvent des laïcards fervents , adeptes de la diversité et de l’égalitarisme, qui se satisferaient de voir partout fleurir synagogues, temples et mosquées en nombre égal aux églises pour enfin, comme ils le font partout, poser leur  signe sacré ( =)  entre tous ces édifices, comme ils le posent entre toutes les différences qui s’imposent à leur esprit borné, au prix d’un arbitraire dont ils n’ont plus cure depuis longtemps.

La crèche est pourtant, si on veut bien s’en souvenir, l’ultime trace du renouveau théâtral en France lequel, au contraire de ce qu’en disent les humanistes qui le situent au XVIe siècle dans l’imitation du théâtre antique, se produisit dès le Xe avec les mystères religieux dont le plus populaire, celui de la Nativité, se figea au fil du siècle en une représentation de santons dont la crèche est, si l’on veut, le fossile parvenu jusqu’à nous. C’est toute l’Histoire Sainte qui était alors représentée, et c’est d’elle que le théâtre français est né.  Faut-il, au nom de la laïcité, interdire les trois coups dans les théâtres, qui représentaient en ce temps-là un salut au Père, au Fils et au Saint Esprit ? Bannir le mot marionnette du dictionnaire, sous prétexte qu’il descend de la Vierge de ces mystères médiévaux, la petite Marie, la marionnette ?

C’est bien le projet insensé de ceux qui, d’année en année, déposent des plaintes contre les crèches publiques. La religion catholique est essentiellement théâtrale, au sens le plus noble du terme, dans chacun de ses rites – la consécration de l’hostie qui est son cœur étant le plus beau. C’est sa spécificité, d’aucuns diraient son Génie. Ceux qui n’entendent rien à cette théâtralité catholique, parce qu’elle ne leur a pas été enseignée ou expliquée, sont tout prêts à trouver normal, (l’ère du normal est dévastatrice, pire qu’un pesticide de l’esprit) l’argument des laïcards, imbibés qu’ils sont de cette idéologie de l’égalité des traitements, du nivellement par l’arithmétique et des théories fumeuses du tout se vaut.  Ils ne voient pas l’avenir uniquement technologique que ces bons laïcards, réducteurs de symboles, chasseurs de paraboles et adeptes du langage binaire leur préparent, occupant sans vergogne tout l’espace public de leurs valeurs en toc et de leur théâtre de contrefaçon.

 

 La magie du moment de Noël, ce n’est ainsi ni les cadeaux, ni les sapins, ni les lumières ni la consommation, mais la représentation – au sens le plus strict – du mystère le plus sacré, celui de la Nativité. Et cette représentation, n’en déplaise à ceux qui voudraient que le monde commençât avec eux, est en France, depuis le Xe siècle, merveilleusement catholique

 

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les premières marionnettes

 

mercredi, 25 décembre 2013

Les fruits de ma patience

Si je n’ai jamais aimé Noël, le Noël des familles, comme on dit, c’est parce que ma famille n’en était pas une. Ma mère ayant quitté fort jeunette mon père avec moi sous le bras, comme un ballot qui, tout en rendant son existence plus légère, allait aussi considérablement l’alourdir, je voyais bien que la moitié de famille qu’on me donnait en spectacle devant les sapins enguirlandés de mon enfance n’en était pas une. Ou plus précisément la moitié d’une, ce qui revient – inutile de se raconter des histoires - au même. 

De l'autre moitié, aucune nouvelle : ceux-ci tenaient d'autant plus à me donner le change : Les adultes croient toujours qu’ils le peuvent. Et les enfants, souvent, les laissent penser ainsi, par impuissance de les persuader du contraire. J’ai pris du coup les sapins de Noël en horreur, et ce Père Noël  aussi rougeaud que ridicule avec. Quelle vision grotesque du père absent ! En regardant ma moitié de famille  (pour les cousins, ça en était une entière) former clan autour du résineux, il m’arrivait souvent de penser à l’autre moitié. Je me disais alors que j’étais à l’arrêt quelque part entre une tradition morte et une comédie légère, et je me demandais ce que serait mon futur parmi ces gentils comédiens, dans cette société sans fondement où il fallait pourtant grandir parmi des inconnus.

Le Noël des familles, c’est du côté de la crèche, donc, que j’allais le chercher. Oh, pas la crèche en papier domestique, tapie non loin du vilain conifère, non. Vitrine de la famille victorienne, faute d'être victorieuse. Celle des églises, qui réunissait autour d’elle de vraies familles parce qu’elle donnait à voir une Sainte famille. Qu’une famille puisse être sainte… ce phénomène était pour moi des plus mystérieux. Le Mystère de Noël, comme disait le prêtre : c’était peut-être incompréhensible, au moins n’était-ce ni surfait, ni surjoué. Au moins cettte famille avait-elle une histoire et de nombreux familiers : Je découvrais qu’à cette histoire, des générations d’hommes et de femmes s’étaient accrochées au fil des siècles partout dans le monde. Je m’y accrochais à mon tour. J’appris plus tard, bien plus tard, que Joseph était le patron des âmes perdues. Commença alors le début de ma réconciliation avec ma moitié de famille, car je trouvais que ça leur allait bien, les âmes perdues. S’ils étaient aussi ridicules, ils n'étaient pas les seuls dans ce vingtième siècle et cette Europe en pleine décomposition : Ils avaient donc quelques solides excuses. Et moi aussi, par la même occasion.

Tout ceci ne m’a pas rendu ce carnaval de Noël plus sympathique. Mais avec le temps, cela a pris une autre tournure. Aujourd’hui, je ne prête pas plus d’attention à ce ministre de la Consommation à la barbe  cotonneuse qu’à une enseigne de taverne. C’est ce qu’il est d’ailleurs. Une enseigne de taverne, c’est un peu mince pour faire rêver des enfants qui ont mal à l’âme, non ?  Or, dans les « familles » d’à présent, mono, duo, tri ou quadri parentales (un, deux trois, changez de cavaliers), ils sont légions. Et ce n’est qu’un début, vu la malignité perverse de ceux qui gouvernent le pays. Le carnaval des faux, encore et toujours, en charge de la satanique mascarade de parentalité pour les générations à venir. Demeure cependant un mystère.

Au moins un mystère n’abuse-t-il pas les enfants. Il n'y a rien d'autre à comprendre de celui de la crèche. Rien, pour la frêle raison. Et c'est parfait ainsi. Le mystère de Noël n’est donc ni à vendre, ni à réformer, ni à consommer. C’est ce que je ressentais hier soir durant la messe de minuit, dans cette église de mon quartier presque pleine où résonnaient les fruits de ma patience. Un divertissement suffisant, disait Giono, qui exprima ainsi le caractère aussi universel qu'indispensable du catholicisme - mais un tel développement n’en finirait plus. Je priais, comme souvent, pour mes morts. Ceux de ma moitié de famille, et les autres. Et lorsque le prêtre me montra l’hostie, je dis Amen, pour eux tous,  et aussi pour quelques vivants.

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Vatican - Crèche de Noël

mardi, 25 décembre 2012

J'entends l'appel des lieux profonds

Pour quelques amis athées

Ceux qui me connaissent savent que je n’aime pas parler de Dieu, de la foi, de la religion, parce qu’on a vite fait de tirer un parti personnel d’un tel discours : pour avoir rencontré dans mon existence bon nombre de gens particulièrement habiles en cet art, et avoir été quelque peu désabusé par leur pratique, je me tiens généralement éloigné de ce type de conversations qui, par ailleurs, finissent rapidement en controverses insolubles.

De retour de la collégiale Saint-Nizier ce soir de Noël, je me sens pourtant de dire ici quelques raisons de ce qui me fait catholique et non pas protestant, bouddhiste, hindouiste ou musulman, et non pas athée.

Ma naissance, tout d’abord. Je suis né dans une famille chrétienne bien que fortement désunie, passablement ruinée et fort peu pratiquante: on a tenu à me baptiser et cela garde à mes yeux un sens séculaire. Par mon baptême et bien au-delà de cette famille, je suis lié - en quelque ville que je me rende - à ces églises parfois somptueuses et parfois délabrées, à cette Eglise et à ce pape décriés par tant d’imbéciles incultes ou de mauvaise foi ; je suis lié à ces siècles d’histoires qui firent la chrétienté sur un plan artistique et culturel autant que spirituel, je suis lié à cette Croix qui fit du Christ ce qu’il est, bien au-delà de tout ce que les uns et les autres murmurent de lui.

Lorsqu’on est un intellectuel dans cette France protestante, maçonnique, républicaine, révolutionnaire, bref, sur ce territoire qui s’est autoproclamé depuis deux siècles  le pays des Droits de l’Homme après avoir été la fille ainée de l’Eglise pendant de nombreux autres, on a pris l’habitude de considérer la naissance et la Résurrection du Christ comme des événements dont on ne peut accepter qu’une lecture métaphorique, tant la réalité d’une conception sans rapports sexuels et d’une résurrection des corps heurte la raison. Cette France a pris goût - depuis Renan - à ne considérer le Christ que dans sa réalité historique, parce qu’elle ne parle plus que cette langue qui méconnait le symbolique et ignore le merveilleux. Partant de là, si l’on concède encore à Dieu d’agir sur la dimension spirituelle ou intellectuelle, il lui est refusé d’agir sur la dimension matérielle, sur laquelle la science seule est autorisée à se prononcer. Pas de naissance miraculeuse, donc, et pas de résurrection.

C’est pourtant de cette action miraculeuse seule qu’il s’agit. Dans le monde fermé où nous vivons, croire à du croyable n’a ni sens ni intérêt, vraiment : dans ce monde fermé, croire n’a de sens et d’intérêt qu’à partir de l’incroyable, afin de conserver ouverte, dans ce monde de la mort, la capacité de croire, telle une (re)naissance, toujours reconduite; voilà pourquoi nier ou remettre en cause la virginité de Marie comme la résurrection du Christ ne relève ni du blasphème ni de l’hérésie, mais plus simplement d’une inutile finitude imposée à la foi, qui est par nature d’aspect infini. Autant, comme le dit Don Juan, croire que 2 et 2 font 4, plutôt que de croire à la façon des protestants ! D’ailleurs avec ma raison, je crois que 2 et 2 font 4, et avec mon cœur, que le Christ est ressuscité. Car il en va de la foi comme de la raison : toutes deux ont besoin de ce qui leur ressemble.

Et puis, si l’on tient à demeurer dans l’histoire des hommes, comment dire le simple émoi que me procure la vision du prêtre consacrant l’hostie ? Joyce, à sa manière burlesque, en fit l’ouverture de son magnifique Ulysse : Buck Mulligan, porteur de son bol de mousse à raser, l’élève dans « l’air suave du matin » de Dublin, en chantant Introïbo ab altare Dei. Ce geste parodique a beau se vouloir évidemment dérisoire, voire blasphématoire, sa présence en ce début d'opus demeure la preuve de son importance fondamentale dans l’histoire occidentale, que l'irlandais Joyce était bien placé pour connaître.

 « Vous ferez cela en mémoire de moi » : La transsubstantiation de l’hostie est l’unique raison d’être de la messe, la pierre sur laquelle s’est construite l’Eglise. On ne demande rien d’autre à un curé, pas même son sermon.  Ce geste m’unit à l’assemblée des fidèles morts et vivants dans le brouhaha de qui chaque communion me plonge, et qui murmurèrent comme moi qu’ils n’étaient pas dignes de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri… Qu’on me cite un autre rite dans la société occidentale qui – les quelques discutables interprétations apportées par Vatican II mises à part – ait subi si peu de modifications qu’il puisse comme lui me transporter au temps de la Cène et faire que la Cène et sa pierre de Béthanie vienne à moi ? Ce rite est le geste le plus parfaitement poétique que je connaisse. Et c’est en homme de théâtre que je parle, étant entendu que le théâtre n’est pas art de fiction comme le roman, mais de représentation.

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Nicolas Poussin, L'Eucharistie

Alors d’accord pour le ridicule des chants d’entrée, les voix de faussets  débitant des lieux communs à la louche, d’accord pour les paroissiennes à l’enthousiasme forcé, et pour l’autosatisfaction bien pensante des familles se congratulant, d’accord pour l’égoïsme petit-bourgeois des heureux, d’accord aussi pour les errances de l’Eglise, errances parmi d’autres errances; je dis simplement que ce geste venu du monde antique et apporté par le Sauveur transcende tout cela, comme la croyance en sa naissance et sa Résurrection donne sens à la frontière entre foi et raison. Faute de comprendre tout ce que ce geste signifie, je sens alors tout ce qu’il vaut.  Il m’est souvent arrivé, en allant communier, de penser à cette mère de Villon qui ne savait pas lire, et pour qui il composa sa Ballade pour prier Notre Dame, tout comme à cette messe de Pentecôte par laquelle commence le roman de Jaufré, tout comme à cette phrase du Journal de Bloy : « J’entends l’appel des lieux profonds » (1)

Sur ce il convient que je me taise. L’histoire sainte comme la moins sainte nous enseignent qu’en terme de foi, rien n’est acquis. Tout comme, d’ailleurs, en terme de raison. Ces quelques arguments, j’avais juste envie de les coucher sur écran, comme on dirait aujourd’hui, de retour de la messe de Noël, pour quelques amis athées.

 

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Godefroy, La Cène, musée de Chambéry

1 Bloy Quatre ans de captivité, 10 juillet 1902


vendredi, 13 janvier 2012

Bref sabbat

Fin de fêtes pour les sapins. Scènes désormais courantes de la consommation souveraine, qui n’émeut personne, plus même les enfants. C’est sur une place de Lyon, au côté d’un abribus, les gens balancent leur arbre que des bennes viennent charger au petit matin.

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Sauf que cette année, des loubes les enflammèrent le soir venu. Torche crépitant tout soudain, les sapins. Brûler la teuf, disent-ils. L’abribus a eu chaud quelques minutes. Une dizaine de pompiers quand c’est presque fini, dispersent les braises. Reste un cercle de sable noirci, trace d'un sabbat dérisoireet bref.

 

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jeudi, 13 janvier 2011

Père peinard

Tout à l’heure, un homme traînait à grand peine un géant aux arêtes nues, qu’il a balancé par-dessus la barrière. Le géant a rebondi sur le matelas de ses collègues déjà abandonnés dans cette sorte de décharge improvisée depuis quelques jours sur la place, avant de s’immobiliser dans une posture grotesque, le tronc renversé vers le ciel. En divers points de la ville,  s’entassent ainsi ce qui reste des sapins.

Le soir, des camions municipaux viennent ramasser leurs cadavres. Une odeur vive de résine s’échappe des bois secs, lorsque des dents de fer les broient. Quelques secondes de vacarme, puis plus rien. On a le sentiment que tout, ainsi, du monde qui rutile, sera peu à peu ingéré, absorbé. Orifice final, terme de tout événement. Décharge finale.

Deux employés balaient en sifflotant sur l’asphalte des débris de rameaux verts, épars, Quand le trottoir est nickel, ils sautent sur le marchepied du camion, leurs instruments en mains. Le camion benne s’ébroue, avant de disparaître au virage dans la relative obscurité de la ville, les feux arrière clignotant comme des clémentines

J’en connais un qui, quelque part, sourit à vives dents, allume enfin sa clope. Pour quelques mois, et pour de bon, père enfin peinard.

 

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vendredi, 24 décembre 2010

Le Noël du Satinaire

Je pinsavo mo cotaire

Quand la minay a souna

Com’in bravo satinaire

J’ayen fini ma jorna

Quand Michi, notron aprinti

Sauti n a bas de son meti,

Coran come un ecervela

Laissi son corse a marqua

 

La première strophe place le contexte chez les satinaires (fabricants de satin) entre un maître (Dufour) et son apprenti Michel  : « Je pansais mes cautères quand minuit a sonné. Comme un honnête satinaire j’avais fini ma journée, quand Michel, notre apprenti sauta en-bas de son métier, courant comme un écervelé, laissa sa pièce en cours non marquée. »

 

Je li disi : « Nigodaimo

On et-ai don que te va ?

-Je vouai uvri  la liquairna

Per vair ce qu’i dion là-bas.

Accotà  si vo n’aite sor :

I dion que var lo Jagobin

Y’a un infan tot divin

 

A partir de la deuxième débute un dialogue oral par lequel le conteur réactualise l’Evangile. Nigodème (nigaud que j’aime) est une interpellation courante qu’on retrouve dans beaucoup de Noël. Le Noël fait naître l’enfant aux Jacobins qui est alors le plus important couvent de la ville et qui fut vendu comme bien national pendant la Révolution et démoli vers la fin de l’Empire (ce qui permet de dater le texte vers le milieu du XVIIIème) : « Je lui dis : « Nigodème, où est-ce donc que tu vas ?   -Je vais ouvrir la lucarne  pour voir ce qu’on dit là-bas. Ecoutez donc, maître Dufour, écoutez si vous n’êtes pas sourd ; on dirait que vers les Jacobins, il y a un enfant tout divin. »

 

Y dion que c’est lo Messie

Qu’est venu pair nos sauva,

Et que la Viarge Marie

Cette nuit l’a infanta ».

J’u craie prou, Dufor u dit,

Car i ne vodrai pa manti ;

Dufor est un home de bien

Ce qu’i dit, il u sa bien.

 

Pas de difficultés de compréhension dans cette strophe, sinon le cinquième vers, dans lequel le narrateur reprend la parole : « Je le crois bien, lui dit Dufour ». La strophe suivante donne la parole à ce dernier : « femme n’es-tu pas prête, le dernier coup va sonner. Mets par-dessus ta cornette ta coiffe de taffetas. Demande donc à la Fanchon où elle a mis mon manchon. Bernadine, qu’as-tu fait de la clé de mon buffet » :

 

Fuma, n’ai-ce tu pas preta,

Le dari co va souna

Betta dessu ta cornetta

Ta coiffi de taffeta ;

Demina vaire à la Finchon

Ont elle a beta mon minchon.

Bernadina, qu’a-tu fait

De la clia de mon bufait ?

 

Les termes techniques se multiplient dans la strophe suivante, alors que le canut s’endimanche à la mode du petit bourgeois de son temps : habit canelle, cravate de cambrésine, chemise à dentelle, souliers de maroquin, perruque à trois talons, joli chapeau brodé. Un pain blanc à l’anis, une queue de mouton et un morceau d’échine ( « o du china ») en guise de réveillon ( « noutron dina ») que la servante doit faire cuire à l’étouffée (« bete in etuffaie »)

 

Bailla mon habit canella

Ma cravata de cambrin

Et ma chemis’a dintella

Mo solas de maroquin.

Te prendra din celi carton

Ma perruqua a très talon ;

Et pui te me vargetera

Mon joli chapiau broda

 

Lioda, bete in etuffaie

Cela cova de muton ;

Faie in sorte qu’ale saie

Couita quand je revindron ;

Puis te betra l’o du china

Qui sera pair noutron dina

Te prendra cheu lo bolangi

Ain grou pin blan à l’ani.

 

Nous voici « sans transition » dans la strophe suivante à l'intérieur de l'église durant la messe : les antagonismes de classe resurgissent lorsque le satinaire désigne à sa femme (« vait-u din cela chapella ») leur crevé de marchand accompagné de son épouse qui fait la belle au milieu du banc .  « Ne disons pas de mal du prochain, notre marchand est assez bon chien : du moins s’il nous paye mal, il ne nous laisse pas chômer » conclut le canut ironiquement.

 

Vai-tu din cela chapella

Noutron creva de marchan ?

Sa fuma fai bian la bella

U milieu de celi ban !

Ne dion gin de ma du proochin !

Noutron marchan est prou bon chn :

Du moin s’y nous paye ma

Y nos laisse pas choma.

 

Le Noël s’achève par une strophe où il est fait allusion à un empereur, ce qui laisse à penser qu’elle fut rajoutée durant le Consulat, supposition renforcée par les mentions aux guerres avec l’Espagne et l’Angleterre : La prière traditionnelle à Saint-Joseph, patron de la bonne mort, clôt le texte.

 

Sainte Maria, de grâce

Pri par nos le Saigneur

Qu’avan que ceti an passe

No ayon un bon Amperor.
Que los Espagnos, los Anglais,

Fassaissiont vitemin la paix.

Que Saint-Joseph, votre mari,

Nos aidasse a bien muri.

11:35 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : noël, lyon, patois, llittérature, canut | | |

lundi, 28 décembre 2009

Parole de profs

Se refaire un silence, comme on dit se refaire une beauté,  une santé ou une virginité. Un prof passe son temps à blablater devant des groupes d’élèves qui l’écoutent, ou font semblant, ou encore ne l’écoutent pas. La plupart des profs qui savent que leur parole est imposée se consolent en la songeant essentielle (phobie, par exemple, de ne pas finir le programme…)  ou bien, au moins, d’une quelconque  importance. La plupart tentent de la rendre intéressante.  Voire attrayante. Peu acceptent vraiment de comprendre à quel point la parole du savoir est devenue accessoire et, comme le reste, noyée dans la consommation. Paroles de classe qu’il faut tenir, comme  le soldat tient son rang.

Et puis après ?

 

Les paroles des profs, comme le reste de leur personne, sont surtout regardées.

Paroles épiées jusqu’au trognon, par ennui ou désœuvrement. Très rarement par intérêt ou par passion. Avez-vous remarqué combien,  ici ou là, rien n’échappe au regard d’un groupe de gens qui s’ennuient ? Commères, jadis, derrière leurs jalousies : l’éternel humain n’a pas d’âge ni de renouveau, au contraire de ce qu’espère le populo. Surtout quand il croit à la modernité du monde et au renouveau du printemps. Regardez-les, par exemple, en train d’attendre le bus, et de quêter du regard dans la grisaille environnante du paysage ce qui pourrait les divertir un peu de cette attente désobligeante.  Les êtres humains  sont semblables sur les bancs de la classe. Le droit d’écouter leur MP3 en moins. Quand on coupe le MP3, ils sont enfermés dans le bocal, ils n’ont plus que cette parole de profs pour horizon…

 

La parole du prof est  sortie du dialogue, extirpée de l’échange, interdite de bavardage. Elle n’est jamais réplique, et condamnée au monologue, elle s’étire en toile de fond  comme ces couleurs ternes sur la tôle du hangar où seraient peints des textes de loi. Elle doit être à sa façon et séduisante, et volumineuse, et variée, et aussi mener quelque part comme les routes nationales ou les lignes de bus qui sillonnent les banlieues : autant dire qu’elle est vouée à l’échec de l’ordinaire.

 

Quand de plus cette parole se retrouve instrumentalisée, tel le muscle du prolétaire ou le sifflet de l’agent,  puisqu’elle devient la seule force de production de celui qui la détient  et qu’au terminus de chaque mois, elle lui amène le salaire, la parole a besoin de repos.

 

Le repos de la parole.  

Je dis : se refaire un silence, comme se refaire une beauté,  une santé ou une virginité.

19:50 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : noël, vacances | | |

jeudi, 24 décembre 2009

Noël en patois lyonnais

Maty, réveillez-vous, Maty, (1)

Metti la testa à la fenestra ;

Y a grend bru dans lo quarti

Levi vot par vay (bis)

Ce qui pot êtra (2)

 

-Que ! vos ay moda si madin ! (3)

Vot ne craigni pas l’oura fraicha !

-Ay dion que, dens l’etable a Martin, (4)

Dieu nos est nacquis (bis)

Den una crecha.

 

A queu brut ! Tu ne men pas ;

Je pencin que te vouloit rira !

Allen y vitte de co pas ;

Comme é tant de monde (bis)

Par les charrira ! (5)

 

Dieu say seyen et mai deden ! (6)

Y est donc vot qu’ête sa mare ?

Jo(y)ï un brenlo, si vot plait, (7)

Y acuragerat (bis)

Sa puvra Mara.

 

Dane que lui donny à teta,

Dite not qu’il est venu faira ;

Est-il venu per nos racheta ?

Cely pouvre enfant (bis)

Ell a d’affaira !

 

Ah ! qu’il est joli cet enfant !

Et ressemble una genty image !

Encor eun branle, si vot plait,

Y désennoyera (bis)

Sa puvra Mara.

 

(1752)

 

(1) Maty est la forme patoise de Mathieu. Le thème du Noël est courant : deux voisins s’interpellent, commentent les différents événements de la nuit, puis se rendent à la crèche et s’intéressent autant à la mère qu’à l’Enfant.

(2) Ce qui pot êtra : ce qui a le pouvoir d'advenir. Vay, au vers précédent, est une forme forézienne du verbe voir.

(3) Quoi ! Vous êtes parti si matin !

(4) Ay dion : on dit.

(5) Charrira : les chemins

(6) Les drôles s’exclament en découvrant Marie : « Dieu soit céans et moi dedans ! C’est donc vous qui êtes sa mère !»

(7) Jouez un branle : Le TLF indique : Ancienne danse du XVIe et du XVIIe siècle au mouvement vif, que les danseurs exécutaient en se donnant la main.

(8) Dane, pour dame. Le mot enfant, plus bas, est féminin. La strophe est savoureuse :

Dame, qui lui donnez à téter,

Dites-nous ce qu’il est venu faire ;

Est-il venu nous racheter ?

Ce pauvre enfant !

Il a du travail !

 

A tous les visiteurs et commentateurs, Joyeux Noël.

Solko

05:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : noël, patois lyonnais, littérature | | |

samedi, 05 décembre 2009

La dé-fête des lumières

Pour comprendre en quoi cette dixième fête des lumières lyonnaise est tout sauf réjouissante, il faut relire ce passage lumineux de L'Enseignement de l'Ignorance  (Jean Claude Michéa, Climats - 1999) :

 

C’est ainsi par exemple qu’en septembre 1995, - sous l’égide de la fondation Gorbatchev – cinq cents hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premier plan constituant à leurs propres yeux l’élite du monde, durent se réunit à l’Hôtel Fairmont de San Francisco pour confronter leurs vues sur le destin de la nouvelle civilisation. Etant donné son objet, ce forum était naturellement placé sous le signe de l’efficacité la plus stricte. Des règles rigoureuses forcent tous les participants à oublier la rhétorique. Les conférenciers disposent tout juste de cinq minutes pour introduire un sujet : aucune intervention lors des débats ne doit durer plus de dix minutes.

Ces principes de travail une fois définis, l’assemblée commença par reconnaître – comme une évidence qui ne mérite pas d’être discutée – que dans le siècle à venir, deux-dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale. Sur des bases aussi franches, le principal problème politique que le système capitaliste allait devoir affronter au cours des prochaines décennies put donc être formulé dans toute sa rigueur : comment serait-il possible, pour l’élite mondiale de maintenir la gouvernabilité des quatre-vingts pour cent d’humanité surnuméraire, dont l’inutilité a été programmée par la logique libérale ?

La solution qui, au terme du débat, s’imposa comme la plus raisonnable fut celle proposée par Zbigniew Brezinski sous le nom de tittytainment. Par ce mot valise, il s’agissait tout simplement de définir un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète .

 

Il convient ensuite de se souvenir qu'en septembre 1995, Raymond Barre vient d’être élu maire de Lyon. Il appartient, comme on peut le voir sur ce lien ou sur cet autre, à la commission Trilatérale fondé par Zbigniew Brzezinski en 1973 «club encore plus impénétrable que le Siècle, qui regroupait en 1992 environ 350 membres américains, européens et japonais, et qui constitue un des lieux où s’élaborent les idées et les stratégies de l’internationale capitaliste. »

Depuis 1989, Michel Noir avait déjà développé cette politique d’éclairage des ponts et de certains bâtiments, qui avait séduit les Lyonnais.

 

Le 8 décembre 1999,  pour le 10° anniversaire du plan lumières, on testa un éclairage exceptionnel : Illumination de l'hôtel de ville, illumination du théâtre des Célestins. La fête fut étendue au week-end précédent ou suivant. Elle durerait désormais 4 jours et fut baptisée « Fête des Lumières ». Un battage médiatique en bonne et due forme sur les chaînes nationales assura le succès de cette première opération

Ainsi redéfinie, elle s’inscrit dans la stratégie commerciale de la ville de Lyon, au même titre que le foot-business qui assure à l'OL une série de sept championnats. Aujourd’hui cette fête à dix ans. Elle n’a, contrairement à tout le discours traditionnel qui la sous-tend (voir plus bas des récits littéraires de plusieurs écrivains du XXème siècle) plus grand-chose de lyonnais sinon qu’elle se déroule dans les rues de cette veille capitale des Gaules, dont la pierre et le pavé sont  pris en otages avec tous ses habitants.

Dans le numéro de Lyon citoyen de décembre 2009 (gratuit mensuel en papier glacé de 40 à 50 pages distribué dans toutes les boites aux lettres), le roué Gérard Collomb, successeur de Raymond Barre et 7 fois champion de France avec le non moins rusé Aulas, inclut sa présentation du programme de l’édition 2009 à un appel pour le moins ridicule à être tous « ensemble pour 2016 » (voir page 7 sur le lien plushaut) . Curieusement, deux manifestations caractéristiques du programme défini en 1995 s’y retrouvent instrumentalisées au profit d'un auto-sacramental dont nous commençons à être las  : le divertissement et le foot comme programme de gouvernance…

Dans le même numéro, on découvre un interview de Stéphane Bern venu faire la pub du maire de Lyon, et qui affirme tranquillement que la fête « devient de plus en plus culturel. » On y trouve un programme des « événements » qui du 5 au 8 vont transformer la ville en une gigantesque crèche, à l’intérieur de laquelle la déambulation silencieuse de millions de badauds s’effectue en rangs serrés, d’un show tournant en boucle à un autre show tournant en boucle.

« L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit. Plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L’extrémité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. » écrit Guy Debord dans la 29ème remarque de sa Société du Spectacle : Dirait-on pas qu’il est venu se promener à Lyon ces dernières années ?

La promotion gratuite de l’événementiel sera assuré entre autres par de nombreux blogueurs qui se précipiteront dans les rues pour remplir d’images leurs pages et leurs colonnes. Dans tout cela ne percera jamais l’ombre d’une analyse ni l’ombre d’une critique du moins sur le fond et l’histoire de cette manifestation.

La lecture du programme est cependant éclairante, si l’on peut dire.

En pas moins de 23 pages, on détaille les manifestations inspirées par la municipalité avec la collaboration  des associations de quartier (bénévoles ou bien plus ou moins subventionnées) enrôlées dans la préparation de la fête, dans tous les quartiers et arrondissements de la ville : Presqu’île,  vieux Lyon, colline de Fourvière, Croix-Rousse, parcours au fil du Rhône, Montchat, Duchère, Gerland… Quelle belle et touchante unanimité...

Il faut attendre la 24ème page pour qu’on signale, sous un titre pour le moins ambiguë (Autour de la Fête) les événements religieux (veillée spirituelle et accueil, montée aux flambeaux  avec le cardinal Barbarin, et liste des messes à Notre Dame de Fourvière.)

La fête traditionnelle se trouve ainsi excentrée et satellisée  « autour » de la fête technologique, laquelle par ailleurs ne cesse de revendiquer sur les dépliants touristiques sa filiation avec elle, qui lui sert de caution. Paradoxe du spectacle, aurait dit Guy Debord. Magnifique illustration de l’entertainment, également,  tel qu’il fut définit à l’origine par ses concepteurs. La tradition, tout comme l’innovation technologique, se retrouvent récupérées et instrumentalisées à peu de frais dans une opération qui n’est plus que politico-commerciale, et qui ne manquera pas de servir de communication au staff électoral de la mairie .

  
Aux Lyonnais qui sentent confusément qu’on leur a dérobé « leur fête », demeure la liberté d’allumer quelques lampions déposés sur le rebord d'une mélancolique fenêtre. Même ceux-là, hélas, n’auront d’autre alternative que d’être récupérés par le spectacle, puisque que comme le dit dans sa langue de coach simpliste et de mage inspiré le mégalo-maire de Lyon (qui s’apprête à vendre l’Hôtel-Dieu par ailleurs) dans son opuscule de propagande municipale : « Le soir du 8 décembre posons des lumignons sur le rebord de nos fenêtres ; tout en perpétuant notre tradition nous montrerons à quel point nous pouvons nous mobiliser et participer. L’avant-veille le 6 à 19 heures, nous avons rendez-vous avec le feu d’artifice reporté le 14 juillet en raison des intempéries ; il aura toute sa place lors de la Fête des Lumières. Ensemble, nous allons revivre cette fête, passion au cœur. La passion, celle qui engendre l’enthousiasme dont dons avons tant besoin… »

( On croirait entendre Zbigniew Brezinski – voir plus haut- troublant, non ?)

A partir de ce soir, tout le périmètre du centre ville sera fermé. Il n'y a bien que les commerçants qui se frottent les mains devant cette  grand messe du commerce. La piètre équipe municipale également, qui gère l'image de la ville comme si c'était une entreprise, et qui n'a plus à présenter à la population que ce genre d'événementiel pour redorer son blason.  Pour le reste, la plupart des gens que je connais me disent : "vivement le 9 !"

 

Si vous avez le temps, voici quelques témoignages d'écrivains du vingtième siècle  décrivant des impressions d'enfance sur les Illuminations du 8 décembre. Des descriptions plus politiques, également, sur les luttes qui opposèrent les laïcards et les cathos. Tout ceci ne manque pas de sel, et est à suivre au fil de ces différents liens :

 

- témoignage de Marcel E Grancher

- témoignage de Charles Joannin et suite

- témoignage de Tancrède de Visan et suite.

- témoignage de Pétrus Sambardier

- Contre les Lumières  (Solko, 2008)

- Procedo, cessi, cessum

- Le 8 décembre du temps de l'O.T.L.

 

19:13 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : politique, lyon, fête des lumières, noël | | |