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vendredi, 24 décembre 2010

Le Noël du Satinaire

Je pinsavo mo cotaire

Quand la minay a souna

Com’in bravo satinaire

J’ayen fini ma jorna

Quand Michi, notron aprinti

Sauti n a bas de son meti,

Coran come un ecervela

Laissi son corse a marqua

 

La première strophe place le contexte chez les satinaires (fabricants de satin) entre un maître (Dufour) et son apprenti Michel  : « Je pansais mes cautères quand minuit a sonné. Comme un honnête satinaire j’avais fini ma journée, quand Michel, notre apprenti sauta en-bas de son métier, courant comme un écervelé, laissa sa pièce en cours non marquée. »

 

Je li disi : « Nigodaimo

On et-ai don que te va ?

-Je vouai uvri  la liquairna

Per vair ce qu’i dion là-bas.

Accotà  si vo n’aite sor :

I dion que var lo Jagobin

Y’a un infan tot divin

 

A partir de la deuxième débute un dialogue oral par lequel le conteur réactualise l’Evangile. Nigodème (nigaud que j’aime) est une interpellation courante qu’on retrouve dans beaucoup de Noël. Le Noël fait naître l’enfant aux Jacobins qui est alors le plus important couvent de la ville et qui fut vendu comme bien national pendant la Révolution et démoli vers la fin de l’Empire (ce qui permet de dater le texte vers le milieu du XVIIIème) : « Je lui dis : « Nigodème, où est-ce donc que tu vas ?   -Je vais ouvrir la lucarne  pour voir ce qu’on dit là-bas. Ecoutez donc, maître Dufour, écoutez si vous n’êtes pas sourd ; on dirait que vers les Jacobins, il y a un enfant tout divin. »

 

Y dion que c’est lo Messie

Qu’est venu pair nos sauva,

Et que la Viarge Marie

Cette nuit l’a infanta ».

J’u craie prou, Dufor u dit,

Car i ne vodrai pa manti ;

Dufor est un home de bien

Ce qu’i dit, il u sa bien.

 

Pas de difficultés de compréhension dans cette strophe, sinon le cinquième vers, dans lequel le narrateur reprend la parole : « Je le crois bien, lui dit Dufour ». La strophe suivante donne la parole à ce dernier : « femme n’es-tu pas prête, le dernier coup va sonner. Mets par-dessus ta cornette ta coiffe de taffetas. Demande donc à la Fanchon où elle a mis mon manchon. Bernadine, qu’as-tu fait de la clé de mon buffet » :

 

Fuma, n’ai-ce tu pas preta,

Le dari co va souna

Betta dessu ta cornetta

Ta coiffi de taffeta ;

Demina vaire à la Finchon

Ont elle a beta mon minchon.

Bernadina, qu’a-tu fait

De la clia de mon bufait ?

 

Les termes techniques se multiplient dans la strophe suivante, alors que le canut s’endimanche à la mode du petit bourgeois de son temps : habit canelle, cravate de cambrésine, chemise à dentelle, souliers de maroquin, perruque à trois talons, joli chapeau brodé. Un pain blanc à l’anis, une queue de mouton et un morceau d’échine ( « o du china ») en guise de réveillon ( « noutron dina ») que la servante doit faire cuire à l’étouffée (« bete in etuffaie »)

 

Bailla mon habit canella

Ma cravata de cambrin

Et ma chemis’a dintella

Mo solas de maroquin.

Te prendra din celi carton

Ma perruqua a très talon ;

Et pui te me vargetera

Mon joli chapiau broda

 

Lioda, bete in etuffaie

Cela cova de muton ;

Faie in sorte qu’ale saie

Couita quand je revindron ;

Puis te betra l’o du china

Qui sera pair noutron dina

Te prendra cheu lo bolangi

Ain grou pin blan à l’ani.

 

Nous voici « sans transition » dans la strophe suivante à l'intérieur de l'église durant la messe : les antagonismes de classe resurgissent lorsque le satinaire désigne à sa femme (« vait-u din cela chapella ») leur crevé de marchand accompagné de son épouse qui fait la belle au milieu du banc .  « Ne disons pas de mal du prochain, notre marchand est assez bon chien : du moins s’il nous paye mal, il ne nous laisse pas chômer » conclut le canut ironiquement.

 

Vai-tu din cela chapella

Noutron creva de marchan ?

Sa fuma fai bian la bella

U milieu de celi ban !

Ne dion gin de ma du proochin !

Noutron marchan est prou bon chn :

Du moin s’y nous paye ma

Y nos laisse pas choma.

 

Le Noël s’achève par une strophe où il est fait allusion à un empereur, ce qui laisse à penser qu’elle fut rajoutée durant le Consulat, supposition renforcée par les mentions aux guerres avec l’Espagne et l’Angleterre : La prière traditionnelle à Saint-Joseph, patron de la bonne mort, clôt le texte.

 

Sainte Maria, de grâce

Pri par nos le Saigneur

Qu’avan que ceti an passe

No ayon un bon Amperor.
Que los Espagnos, los Anglais,

Fassaissiont vitemin la paix.

Que Saint-Joseph, votre mari,

Nos aidasse a bien muri.

11:35 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : noël, lyon, patois, llittérature, canut | | |