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mardi, 22 décembre 2015

Thomas

Avec Thomas a débuté l’hiver,

Saint Thomas qui, ne pouvant croire en entendant,

Fut sommé, charmé, de croire en voyant,

Voyageur intégral nous souffle sa Légende.

 

Dans l’église où l’on attend Noël

Furent hier sa fête, sa messe, sa préface,

Et les jours vont pouvoir s’étendre et croître de nouveau,

Lui dont le nom signifie  « abîme » ou « séparation ».

 

Les jours vont s’étendre et nous finirons bien, nous aussi,

Par laisser là nos doutes tout en boule sur un rocher,

Nous finirons bien par abandonner le péché

Pour sortir de l’abîme et de la séparation

 

Pour marcher sur ses pas vers l’Orient de chaos,

Jusqu’à l’été brûlant vers quelle Inde à rebours,

Païenne aux dieux têtus à renverser sans cesse

Et qui sait quel destin au terme nous attend ?

 

« Va en toute sécurité  Car je serai ton gardien »

Lui promit le Christ alors qu’il se mettait en route

Pour chasser le démon, tapi dans des images.

« Mon Seigneur, lui dit-il, mon Seigneur et mon Dieu »

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Thomas vu par le Caravage

mardi, 01 décembre 2015

Pureté du dogme et pureté des dogmes

Dis : « Il est Allah  Unique. Allah, Le Seul à être imploré pour ce que nous désirons.  Il n'a jamais engendré, n'a pas été engendré non plus. Et nul n'est égal à Lui. »

Cette sourate (112), dite de la pureté du dogme, est peut-être celle qui, de toute ma lecture du Coran a le plus glacé mon sang de chrétien jusqu’à, si je la lis en récitant le Notre Père, me faire monter des larmes aux yeux, tant tout ce qu’elle énonce de radical, de fanatique et d’irrémédiable nie violemment tout l’enseignement du Christ et tout ce que son Église tente de représenter depuis 20 siècles à travers ses sacrements, ses rites, et les multiples formes d’art qui firent notre civilisation. Rédigée 7 siècles après la crucifixion, cette affirmation tire un trait violent et méprisant sur le sacrifice de l’Agneau, en affirmant tout d’abord :

- que Dieu est unique, et non pas Trois (« Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit »)

- qu’on doit l’implorer pour ce que nous désirons, et non pas ce qu’Il désire (« Que ta volonté soit faite »)

- qu’il ne possède ni les qualités du Père (Il n’a jamais engendré) ni celle du Fils (il n’a pas été engendré).

Comment, dès lors, ce Dieu Unique peut-il aimer, chérir, pardonner, racheter ? Comment un monde heureux peut-il naître de sa loi ?

La rémission des péchés, élément parmi d’autres du credo de mon baptême, n’est possible que parce qu’un Père, au nom du sang versé par un Fils, et par l’opération d’un Saint-Esprit (de l’acceptation, en soi, et malgré tout ce que notre nature possède de mauvais, d’incomplet, d’un esprit  sanctifiant) pardonne au pécheur. On dit qu’Allah est miséricordieux : mais alors comment pardonne-t-il au musulman pécheur, en l’absence – la négation même - de ce lien de tendresse authentique et incarnée par Celui que des pécheurs juifs et  païens plantèrent de concert  un jour sur une Croix ?

Le Christ, face à la pureté du dogme offrit au monde la pureté de l’Incarnation et, en donnant le Notre Père, nous a initiés à bien plus qu’une simple sourate, puisque « nul ne connaît ce qu’est le Fils, sauf le Père, ni ce qu’est le Père, sauf le Fils » (Luc, 10 22). Chesterton, ce joyeux théologien britannique résume magnifiquement cela dans  son remarquable et pétillant Orthodoxie (1)

« Car pour nous, trinitaires (si je peux le dire avec respect), pour nous Dieu lui-même est une société. C'est en vérité un mystère insondable de la théologie, et même si j'étais assez bon théologien pour en parler directement, il ne serait pas opportun de le faire ici. Qu'il suffise de dire ici que cette triple énigme est aussi réconfortante que le vin, et aussi accueillante qu'un foyer anglais; cette chose qui bouleverse l'intelligence apaise complètement le cœur. Mais du désert, des régions arides et des soleils terrifiants viennent les enfants cruels du Dieu solitaire. Les véritables unitariens, cimeterre en main, ont laissé derrière eux le monde désert. Car il n'est pas bon pour Dieu d'être seul. »

Ce Dieu Unique, Lointain, à qui rien, sinon l’acceptation stricto sensu d’un texte et sa récitation à heures fixes, ne me relierait m’en rappelle un autre qui me laisse autant de marbre qu’Allah : le Grand Architecte de l’Univers des maçons.

Et tout mon sang se fige à nouveau lorsque je pressens les convergences possibles entre les partisans de ces deux conceptions de Dieu, qui ne cachent ni leur goût pour le politique et la gouvernance des foules,  ni leur orgueil de se borner à n'être ainsi que d’austères orphelins.

Depuis peu, l’espace public s’emplit d’un rite non chrétien qui n’est pas la prière des rues, mais la création de  sanctuaires improvisés de mémoriaux innocents établis à la hâte et « dans l’émotion », à la mémoire des victimes. Ce rite arrive des pays anglo-saxons, et plus spécialement de New York, depuis l’effondrement des deux tours du World Trade Center.

Bien qu’il existe des lieux consacrés pour cela, cela paraît louable au début, ces fleurs, ces bougies : quoi de mal martèlent les médias qui ne cessent d’en propager les images jusque dans les coins les plus reculés, quoi de condamnable à manifester une émotion légitime ?  Mais lorsqu’on voit tous les dirigeants politiques, du ridicule Hollande au roué Obama, en passant par la pusillanime Merkel et l’inexistante Hidalgo se prêter au jeu en déposant sa rose ou sa bougie, on finit par se demander si ces gouvernants de villes et d’Etats diversement corrompus n’encouragent pas cette « théologie civile », (2) ne l’appellent de leurs vœux, seraient même prêts à en devenir au nom de l' Universelle Démocratie et des Droits de l’homme les intransigeants évêques et les sourcilleux cardinaux.

En tout cas, cette forme de culte inédite sur les trottoirs, les places, les devantures de magasins, pour peu qu’elle ait jamais ait été spontanée, semble leur plaire, puisqu’ils en protègent et en favorisent la pratique jusqu’à crier à la profanation lorsqu’une manifestation publique de militants protestant contre leur convention pour la Planète en renverse quelques bougies. On ne les entend pas bramer ainsi lorsque des Femen envahissent une cathédrale ou que le président des maires de France songe à interdire les crèches dans les lieux publics ; le moins que l’on puisse donc en dire est que leur religiosité est à géométrie variable.

C’est très étrange, oui, ces autels partout improvisés, quand les églises de France sont en partie désertées, et que tous les hommes politiques ne cessent de nous parler de l’Islam, de la nécessité de bâtir des mosquées, d’accepter » le vivre ensemble ». Très… Comme me paraît étrange cet appel très politique de Gérard Collomb, qui a annulé cette année la Fête des Lumières.  Prétendant revenir à la tradition, il demande aux Lyonnais de placer des lumignons sur leurs fenêtres en « hommage aux victimes », quand la tradition véritablement chrétienne voudrait qu’ils les placent en hommage à la Mère de Dieu (lequel n’aurait jamais engendré, mais c’est une autre histoire…). Nos politiques, comme des musulmans, ne veulent plus d’Intercesseur. Tant pis pour eux. C’est en l'hommage de Marie seule que je placerai mes lumignons : et qu’aux malheureuses victimes du fanatisme ambiant revienne Sa compassion maternelle, pour eux et pour nous  tous.

L’empire romain possédait ainsi ses dieux politiques, dont saint Augustin démontra magnifiquement l’incompétence, la vacuité et l’imposture au IVe siècle. On lit dans le livre VII, chapitre 33, de La Cité de Dieu que ces dieux choisis ne sont que des démons très impurs qui « mettent à profit des âmes défuntes ou, sous l’apparence de créatures de ce monde, désirent se faire prendre pour des dieux et, dans leur orgueilleuse impudeur, se délectent d’honneurs prétendus divins, mais en fait criminels et ignominieux (…) L’homme, continue le saint, se libère de leur souveraineté barbare et sacrilège lorsqu’il place sa foi en Celui qui, pour le relever, lui a fourni l’exemple d’une humilité aussi grande que l’orgueil des démons, cause de leur chute.»

Je sais que nous devons nous préparer au pire et que ce pire est inéluctable, tant nos dirigeants sont mauvais et tant il serait urgent d'en changer. On raconte que le pape Pie X, qui ne « bénissait que la paix » mourut de chagrin de n’avoir pu éviter la guerre de Quatorze, parce qu’il avait compris qu’elle était en sa plus grande part une entreprise pour déchristianiser l’Europe, ce que la page Wikipedia qui lui est consacrée appelle un tourment devant « les hostilités qu’il semble avoir pressenties et qui enflammèrent l’Europe ». A présent qu’elle est en partie déchristianisée [je dis en partie seulement car il n’appartient qu’à nous autres, Européens, de peupler à nouveau nos églises], l'alliance entre tous les partisans du Dieu Lointain, qu’il soit Grand Architecte ou Dieu Unique, nous menace sérieusement. La vassalisation de l'Europe en cours risque alors de s'opérer de façon de plus en plus totalitaire. D’une façon qui, du PSG qatari au grand culte républicain de Valls et consorts en passant par le régime de la terreur ne conservera plus rien de chrétien, et, assurément, plus rien de français non plus,  ni plus rien de bon.

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dans le regard de Pie X

 (1) Orthodoxie, chapitre 8, « Le roman de l’orthodoxie », 1908

(2) L’expression est de saint Augustin qui s’emploie à dénoncer la vacuité des dieux romains, exaltés par les puissants d’alors, au mépris de la religion du Christ.

lundi, 02 novembre 2015

Ars moriendi

Face à la mort, nous ne pouvons qu’être soumis. D’une  soumission impeccable, contraints que nous sommes d’accepter sa passivité aussi rigide que définitive, comme figurant dans un premier temps notre destin commun. N’être plus libre de ses mouvements ; de ses paroles ; de ses pensées ; de ses prières ; de ses remèdes ; de ses rencontres. Voilà de quoi heurter de plein fouet notre orgueil inconscient de vivant.

Dans un premier temps…

Y-a-t-il une suite ? Un second temps ? Un au-delà. Chacun à ce sujet avance sa théorie.

Au sujet de l’immortalité de l’âme, je me souviens m’être grisé vers quinze/seize ans des écrits de Lobsang Rampa dans la collection J’ai lu, comme une midinette se serait grisée de romance à l’eau de rose ou de romans-photos. Lire pour croire, croire pour se convaincre, se convaincre pour endurer les misères du temps. Connaître et nourrir son âme : Les sectes de tous poils comblaient alors une sorte de vide laissé par l’Eglise conciliaire qui, renonçant à la messe tridentine séculaire cessa en même temps de parler du surnaturel chrétien à ces fidèles des Trente Glorieuses obnubilés par la 4CV, les congés payés et la libération sexuelle ; Le New Age allait sortir tout armé de ce fossé théologique béant. Combien de copains de ce temps là, en quête de l’instant d’Eternité dont parla un jour Rimbaud suivirent Maharishi Mahesh Yogi, abusés par ces fous de Lennon, Donovan, Jane Fonda, David Lynch et autre Clint Eastwood. A présent, en ces temps de régression affective et spirituelle totalement infantilisants, ils iraient recevoir le câlin consolateur d’une grosse Amma enturbannée, entourés de Claude Lelouch (Le louche ?), de Marion Cotillard et autres Jean Dujardin. Un simple câlin. Voilà où mènent les croyances dans l’Eternité de l’Instant. Plus de trente millions d'adeptes extatiques par le monde.  Tragique cul de sac où tout est dit.

La mort, pourtant. Nous l’avons rencontrée chacun plus ou moins tôt, à travers celle de nos parents et de nos proches. Et très tôt, devant l’insecte écrasé ou le poisson décroché de l’hameçon, nous nous sommes aperçus que nous avions aussi le pouvoir de la donner. Le devoir de la subir un jour, le pouvoir de la donner chaque jour. Étrange compagnie. A peine avons-nous découvert son existence que nous n’avons cessé de la voir partout : cycle des mois et des saisons, feuilles mortes, poules et cochons exhibés dans les marchés, cadavres servis en boucle par les images de  l’actualité. Spectacle incessant que, pour continuer de vivre, nous avons rangé dans une case de notre cerveau. Ne pas déranger : Nous avons appris à faire comme si ça n’était pas, tout en faisant avec…

Il est faux de prétendre que la société post moderne cache la mort. Elle l’exhibe partout, au contraire, dans sa matérialité la plus cruelle et la plus trompeuse. Ce qu’elle cache, c’est la mort chrétienne, dont Bossuet se faisait le chantre et qui sentait si bon le petit Jésus. Mais à l’hôpital comme ailleurs, les professionnels encravatés ont pris le pouvoir. Ils déposent le cercueil sur des tréteaux, retournent fumer une clope au dehors en songeant à leur fin de mois, puis procèdent à la mise en bière. Le talent suprême de leur art du maquillage consiste à nous faire croire qu’ils nous montrent la mort dans sa nudité même, quand chassant toute trace de surnaturel, ils pulvérisent aussi toute trace de religiosité. Dans cet univers réfrigéré, on ne pense plus l’Au-delà. Dame ! On est gens de ce monde. Gens sérieux.

Dès lors que l’on ne réfléchit plus l’au-delà, la mort perd effectivement son sens millénaire et sacré : Elle n’est plus un passage, tout juste la dernière image de la pellicule de notre existence, comme le suggéra l’écrivain médecin Jean Reverzy : « Il existe sans doute une vision du monde et du moi accessible à l’être et au-delà de laquelle il ne peut aller : des pensées aussi révélatrices sont évidemment les dernières ». (1)

Constat plus sec, plus trivial, plus clinique, que celui de Thérèse d’Avila dans les plus hauts degrés d’oraison qu’elle connut : « L’âme est tellement abreuvée de l’eau de la grâce qu’elle ne peut avancer, elle ne sait d’ailleurs comment, ni retourner en arrière ; elle veut seulement jouir de cette gloire immense, semblable à une personne qui va mourir de la mort qu’elle désire et tient déjà le cierge bénit en main. Elle goûte dans son agonie des délices plus profonds qu’on ne saurait exprimer. »»… Et la sainte d’assurer que les martyrs, au milieu de leurs supplices, ne faisaient presque rien par eux-mêmes, car leur courage venait d’ailleurs. Pourtant, pas davantage que Reverzy, elle ne peut décrire cet ailleurs. Dieu et le Néant sont silencieux.

La croyance en l’Au-delà effacée des traces visibles que le monde dresse autour de nous, le sens de la mort disparait donc et, conséquemment, celui qu’on assigna longtemps à la vie. Depuis Julien Offray de la Mettrie et son Homme Machine prémonitoire, le monde s’est ainsi peuplé de personnes se retranchant derrière la posture du froid observateur médical, pour revendiquer fièrement le fait de ne plus croire en rien.

« L'âme et le corps s'endorment ensemble. A mesure que le mouvement du sang se calme, un doux sentiment de paix et de tranquillité se répand dans toute la machine ; l'âme se sent mollement s'appesantir avec les paupières et s'affaisser avec les fibres du cerveau : elle devient ainsi peu à peu comme paralytique, avec tous les muscles du corps. Ceux-ci ne peuvent plus porter le poids de la tête ; celle-là ne peut plus soutenir le fardeau de la pensée ; elle est dans le sommeil, comme n'étant point. » (3)

Toute la démonstration de l’athée se borne à assimiler l’image du corps avec celle de l’âme, à faire coïncider les deux en une seule figure existante, qui devient la machine. L’âme devenant le simple carburant du corps, la circulation sanguine, en quelque sorte. La Mettrie est le premier d’une longue lignée de penseurs prétendument objectifs qui, faute de trouver une réponse à la lancinante question de l’ailleurs, renoncent à poser la question. Après tout, ne sommes-nous pas bien chez nous ? Entre nous ? Contentons nous donc de voir ce que nous voyons et d’être ce que nous sommes, telle sera la normalité de monsieur Prudhomme un siècle plus tard, le credo des élites normaliennes de la fille ainée de l’église devenue République et ouverte à tous vents. On chercha ainsi à éteindre cette curiosité métaphysique qui fit la grandeur de l’homme antique, et à tordre le coup de l’héritage religieux qui fit toute la noblesse de l’homme médiéval. Jusqu’à créer cet homme [et cette femme] moderne, aussi prétentieux que ridicule, lequel n’aura même plus le panache du libertin romantique se jetant dans le Néant par révolte contre Dieu, non ! Cet homme moderne en vient tout simplement à ne plus y songer, faisant de son existence une morne routine réglementée par des agents de la circulation et des commissaires européens.

Une machine, donc. Le pré-cyborgisme infatué du bienheureux dix-huitième siècle.

Ainsi s’est systématisée en toute légitimité la posture qu’un Alphonse de Liguori repoussait avec horreur : « Ah Seigneur ! Combien de fois, malheureux que je suis, j’ai osé me livrer au sommeil alors que je me trouvais dans votre disgrâce… » (4) Nous nous livrons non seulement au sommeil, mais à tout le flot de l’existence [qui n’est qu’un vain sommeil] dans la disgrâce, si bien que ne sachant plus ce qu’est un véritable « état de grâce », comment pourrions nous même oser le désirer ?  Comment pourrions-nous même osé désirer le salut ? La gloire éternelle, pour nous même et pour nos proches  ?

Ayant ainsi convenu que cela ne se fait pas de parler de tout ce qui pourrait nous tirer de cette torpeur de gens bien élevés, nous refusons d’admettre le corollaire de cet oubli de la mort : que vaut la vie d’un homme dont la mort ne vaudrait rien ? Rien évidemment ! Il suffit de lire la presse pour s’en convaincre, et de la façon dont on y parle des défunts. Comme le reste, la mort est soumise à la statistique, et n’a d’intérêt que lorsqu’elle surgit en nombre. Quarante dans un autobus, deux cents dans un avion, des centaines de milliers dans un tremblement de terre ou un tsunami. Lorsqu’elle frappe collectivement la société de masse, la mort événementielle se rappelle à notre attention, et à celle des chaines d'info continue. Des politiques qui ne reculent devant aucun sacrilège, aucune obscénité, vont étreindre des survivants devant des caméras. Avec comme tout bréviaire notre déclaration des Droits de l’Homme que la Réalité ne cesse de démentir, nous organisons pour toute messe des marches silencieuses ou des hommages publics, tournés vers on ne sait quel ailleurs décentré de toute tradition. Nous marchons à l’aveuglette, une fleur à la main, soumis comme jamais à ce que les penseurs éclairés qui nous ont conduits en troupeau jusque là dénonçaient avec horreur dans les textes que nous étudions pour le bac de français: la superstition. La superstition vide, le contraire de la foi.

Un tel processus crée de toute évidence une barbarie intellectuelle et spirituelle sans précédent en Europe, devant laquelle l’Eglise s’inquiète (il serait temps) et les imams se réjouissent à l'entrée des mosquées. Car on a beau dire que la mort, ce n’est rien, ce n’est pas rien. Il n’y a pas de foi assumée sans une acceptation totale, inconditionnelle, de sa propre mort à venir. Telle est la foi chrétienne : je ne crois pas à l’immortalité de mon âme, cette dernière peut tout aussi bien être jetée dans la géhenne ou périr dans le Néant. Mais je crois dans le Jugement du Christ et je m’y soumets. La mort me redevient dès lors familière, fréquentable, apud ecclesiam, comme elle le fut au Moyen Age lorsque le cimetière était le lieu public par excellence, la grande place à côté de l’église, où se déroulait aussi le marché des vivants. (5)

 

Nous nous désolons d’être pécheurs, mais nous nous consolons de notre espérance en notre salut, et en celui de nos morts. Derrière le voile qui masque cet ailleurs aussi bien au regard affûté de Reverzy qu’à celui, extatique, de sainte Thérèse, nous croyons que nous attend l’Oint, le Prêtre blanc, le Christ. C’est cela, l’Occident : cet ars vivendi viscéralement identique à un ars moriendi, et rien d’autre. Tel est le sens du culte des morts qui nous occupe en ce mois naissant. Nous ne sommes plus tant préoccupés, comme la toute grecque et fort digne Antigone de simplement fleurir des sépultures en engraissant les petits revendeurs de chrysanthèmes, que de prier réellement du fond de l’âme pour nos morts et de leur donner joyeusement des intentions de messe tant que nous le pouvons encore, au nom même du dogme qui fonde la spécificité du catholicisme avec celui de la rémission des péchés, celui de la communion des Saints. Un art de vivre et de mourir, véritablement.

 

(1) Jean Reverzy, Le Passage, ch. 12

(2) Thérèse d'Avila, Vie écrite par elle-même, ch 16, sur l'oraison d'union

(3) Julien Offray de la Mettrie, L'Homme Machine 

 (4) Alphonse de Liguori, Préparation à la Mort

 (5) Philippe Aries, L'homme devant la mort, tome I

mercredi, 28 octobre 2015

De chair et de laiton (2)

A la messe de 18h30, les fidèles, peu nombreux, demeurent fort dispersés, du fond de la nef jusqu’aux tous premiers bancs. Le petit chignon blanc se trouverait-il parmi eux ? Dompter ce premier mouvement de curiosité pour une génuflexion au centre de la travée, tout d’abord, puis prendre place devant un siège, les yeux pressamment tournés en direction du prêtre qui joignait les paumes devant le milieu de l’autel : « Christe eléison…» Déjà ce dernier élevait les mains. Et tous entonnaient le Gloria. Il ferma les yeux.

Voilà quelques mois qu’il découvrait dans une fascination juvénile tous ces chants immémoriaux, que les atermoiements de Vatican II devant l’hostilité du modernisme avaient depuis plusieurs décennies dérobés à cette multitude d’hommes de bonne volonté à laquelle il se croyait encore agrégé, malgré son esprit encombré et la multitude de coups bas qu’il devait chaque jour livrer dans sa boite pour simplement parvenir à survivre.

Agnus Dei, filius patri, qui tollis peccata mundi, oui, oui, miserere nobis ! Depuis les quelques mois qu’il se montrait assidu à cette messe dite en latin, l’officiant tourné vers Dieu, il acquiesçait de plus en plus à cette révélation véritable que la langue de l’Eglise militante portait jusqu’à lui avec ferveur et autorité, lui faisant parfaitement oublier ces prêtres lisant la messe en baskets, ces épîtres de Paul ânonnées par des paroissiennes à la voix nasale et haut perchée, ces hosties distribuées dans la paume comme autant de bonbons, et surtout ces chants aux paroles vides dans l’interprétation desquels chacun rivalisait de fausseté avec son voisin. La messe conciliaire et ses équipes paroissiales de scouts endiablés avaient bien failli lui faire perdre une foi qu’à quarante ans, contemporain des prières de Saint Clément et de Saint Irénée, il retrouvait là avec une cristalline intensité. Au « mitan de la vie », se disait-il, l’esprit aujourd’hui absent, alourdi, ailleurs, il était encore temps de « revenir » malgré tous les freins posés au dehors par l’actualité. D’autant plus que pour un chrétien, « il n’est jamais trop tard ».

Pourtant ce jour-là, la « Présence » lui échappait, pliant sous le poids de sa distraction du jour, du brouhaha de la salle des ventes, des plaisanteries stupides du commissaire. L’Evangile le consolerait-il ?

« Craignez celui qui après avoir ôté la vie, a le pouvoir de jeter dans enfer… ». L’enfer, il en était absolument convaincu, seule la dissociation de l’être pouvait, au moment de la mort, aveugler tellement une âme qu’elle se détournerait de la Grâce du Christ pour s’y jeter, abusée, comme dans le seul lieu encore abrité de Lui. Dissociation ou pire, dislocation. On est en fait réduit à l’enfer. Ne pas demeurer un être disloqué. « Cor mundum crea in me », chantait David. « et spiritum rectum innova in visceribus meis » (1). Or disloqué, il l’était. Fracassée, son âme, en de multiples puissances contradictoires qui livraient une guerre mortelle en son propre sein, le rendant sourd à Dieu.

Car voici qu’à présent son imagination portée sur la Croix d’autel lui en rappelait la matière toute bornée, étroite, profane, et que son entendement en fixait volubilement le prix estimé – selon qu’elle fut de bronze, de laiton, ou des deux à la fois. D’or, qui sait ? Celui qui est à la fois l’Oint, le grand Prêtre et la Victime innocente, l’Hostie pure et blanche, le Fils qu’il avait surpris, il n’y a pas deux heures de cela, telle une bricole d’autrefois jetée en pâture à des chiens de revendeurs au milieu d’une foule d’indifférents, non, quel tournis !

Le murmure lointain du prêtre qui débutait l’Offrande du pain s’estompait sous le cri des enchérisseurs, combien pour cette haute croix d’autel dix-neuvième ?  Son regard déboussolé se réfugia sur la nappe, splendide ouvrage damassé, et les cadres de canon dorés, et celles-là même que le Servant venait de déposer avec précaution, les deux burettes… Les plaisanteries douteuses du commissaire retentirent, de la verrière à la voute. Cette dislocation n’était pas l’enfer, certes, mais elle l’y conduirait s’il ne parvenait vitement à s’en défaire pour de bon. Eh ! Comment s’en défaire, puisqu’il s’agissait de la dislocation de soi-même, rien de moins…

Or tandis que son imagination vaquait ainsi, et que son entendement jugeait, sa faible volonté surnageait, agrippée au déroulement de l’office « Orate fratres ut meum ac vestrum Sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem » (2) L’heure était venue du canon.

Voir Dieu. Voir Dieu dans ce laiton, où Sa chair n’est évidemment pas. A quoi bon ? Le moment s’approchait de Le recevoir Lui, à l’endroit même où Il réside. Et que la foi suppléât non seulement à la défaillance des sens, comme le chanta un jour Thomas d’Aquin. Mais également à celle de la raison, de la puissante et basse raison de ce siècle qui ne jure plus que par ce qui compte et ne croit plus qu’en ce qu’il est. Le moment venait, et le trouvait désaccordé...

Et c’est alors que - presque par hasard - ses yeux se posèrent sur l’inconnue au chignon rond, blanc, luisant, à quelques mètres de lui, déjà agenouillée, qu’il découvrit absorbée tout entière dans une secrète méditation. Comme tout à l’heure, elle lui montrait une voie, la voie. Il ferma les yeux. Réconcilier la mémoire, l’entendement, la volonté, le cœur, l’âme, enfin unifiée : « Dominus, non sum dignus… » Telle est mon âme blessée, « ut intres sub tectum meum » (3) plus assurément encore conçue de péché que Ta croix ne l’est de laiton, à l’heure que je m’avance vers Toi ; vers Toi dont la Chair a défié toute mort et toute matière, y compris ce froment, Ta Chair que je comprends par la conscience que tu me donnes de Ta Résurrection.

La réconciliation demeurera l’ultime défi que cette humanité, qui se croit de tout triomphante alors qu’elle ne fit que de tout s’éloigner, devra relever. Mais seule, évidemment, elle en sera tout à fait incapable.

 

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Saint-Georges terrassant le dragon, porche de l'église Saint-Georges à Lyon

 

(1)              « Crée en moi un esprit pur et renouvelle un esprit droit dans mes entrailles »

(2)              « Priez mes frères pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre puisse être agréé par Dieu le Père Tout-Puissant. »

(3)              « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit… »

samedi, 24 octobre 2015

De chair et de laiton

Les enchères avaient beau fuser tout autour de lui, en son for intérieur le glaçait un mépris sans appel à l’égard de ces objets salis, ébréchés, dépareillés. Non, rien de saillant, de véritablement beau n’émergeant des lots, malgré les plaisanteries du commissaire-priseur qui n’épargnait ni son verbe ni ses mouvements pour rompre la somnolence de la salle, il songeait franchement à lever l’ancre, quand le maître des lieux annonçant soudain une croix d’autel en laiton et bronze, sur pied, du XIXe,  cette dernière lui  parut émerger pour de bon de nulle part. Les garçons de salle déposèrent l’objet au centre de la banquette, sur un morceau de tapis rouge où il demeura seul, à la fois étincelant et nu. Trois bras se levèrent à l’annonce de la mise à prix (30 €) : Trente, quarante, cinquante… enchaîna joyeusement le commissaire, son marteau pointé dans la direction du dernier enchérisseur, trois rangs derrière lui : une petite dame au chignon blanc, fluette et rose dans un manteau de laine bleu. Dans la brocante, elle aussi ? Jamais vu sa tête auparavant, mais depuis plusieurs mois déjà qu’il faisait faux bond à la verrière, elle pouvait bien s’être installée depuis peu dans le métier, même si de toute évidence, ça ne collait pas, non vraiment… Ali, du fond de salle, avait levé la main. Filoche, de devant la porte, aussi. N’étant pas lui-même brocanteur, il les avait repérés tous, Filoche, Ali, et tous les autres évidemment, leurs marottes, leurs lubies, leurs limites financières à chacun, tous les antiquaires massés au fond, et la poignée de collectionneurs, usagers des ventes sur catalogue et dispersés dans les premiers rangs, tous il les connaissait…

Soixante, soixante-dix… Le marteau pointa à nouveau la petite dame, dans une espèce de symétrie saisissante avec le menton du commissaire dont les sourcils arqués paraissaient suggérer : « quatre-vingts ?» 

Mais elle baissa les yeux d’un air tristement vaincu ; d’un air qui n’était pas affairiste pour un sou et se mura dans le  silence. Il leva alors la main, dans un geste aussi vif qu’irrationnel, et claironna le quatre-vingts  indispensable pour que le manteau ne tombât pas.

« Ah ! Quatre-vingts dans la travée ! » se réjouit le commissaire. Filoche et Ali laisseraient tomber ! Des croix, nom d’un chien, des crucifix ! Leurs stands aux Puces n’en étaient-ils pas suffisamment garnis ? Mais Filoche sur le côté, puis Ali dans le fond, vautours insatiables décidément… et voilà qu’on en était déjà à cent euros, puis cent dix, alors il s’entendit rugir : « cent vingt ! » – Devenait-il complètement fou ? La vieille dame, qui baissait jusqu’alors humblement les yeux, jeta brusquement sur lui un de ces regards qui avaient l’air de dire : « Non, non ; c’est inutile. Ne faites-pas cela ». Et puis : « ça finira par leur porter malheur, vous verrez ! »

On entendit alors une dernière enchère à cent trente, qui emporta l’adjudication. Avait-elle saisi son intention ? Elle avait l’air de le remercier d’un regard à la fois tendre et complice. D’Ali ou de Filoche, lequel avait finalement emporté le lot ?  Le regard de la vieille lui murmurait que ça n’avait pas d’importance. N’était-ce pas même mieux de les laisser à leurs affaires, ces gagne-rien du dimanche ; de toute façon, il ne siégeait plus sur ce laiton désacralisé depuis longtemps, le Christ. Sa silhouette n’était qu’une bricole comme une autre, naufragée de l’ancien temps…

Tout comme, soudainement, cette burette que le commissaire annonçait : décidément, c’est tout l’autel qui y passait ! Une burette, plaisanta-t-il, qui avait perdu sa sœur. En Espagne, ils y versaient du rouge, en France du blanc. Remarquablement ouvragée, du XIXe également… Une rage le saisit au ventre. Il aurait eu envie d’acheter la burette, et tout ce qui risquait de suivre à ce train-là forcément, les nappes, les Bible, les chasubles, les ostensoirs,  mais Ali, mais Filoche, mais d’autres encore se montraient déjà sur le coup, et le marteau voltigeait, jovial et profane, dans l’air. Alors, à quoi bon ?  S’il fallait racheter toutes les burettes, les crucifix, les chapelets, les chandeliers d’autel disséminés partout… Certes, c’était affligeant, cette dispersion effrénée des objets liturgiques, cette désaffection envers le sacré  palpable dans les corps et les visages des démons autour de lui… Il se retourna pour échanger un regard pressant avec la femme au manteau bleu. Mais sa chaise était occupée déjà par un broc bedonnant dans une chemise écossaise, qui, le journal plié en quatre dans la main, battait la mesure sur sa cuisse tandis que le commissaire adjugeait la burette.

Elle avait filé dans la rue, mais ni à gauche, ni à droite il ne la repérait, comment était-ce possible ? Une pensée saugrenue lui vint à l’esprit : s’il devait la revoir tantôt, cela ne pourrait se produire évidemment que dans une église…

Il fonça tout droit, bifurqua au Möwenpick, longea la rue de l’Ancienne-Préfecture quelque cent mètres, et vit se dresser dans le ciel gris le clocher savamment meriméen de Saint Georges de l’autre côté de la rivière : ne restait qu’à se glisser sous la voute, franchir la passerelle, emprunter la ruelle du Bon Rencontre.  Le porche était grand ouvert. Il arriva pile pour le Kyrie.

 

( à suivre)

01:23 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, france, christ en laiton, religion | | |

mardi, 13 octobre 2015

Neque ex voluntate carnis neque ex voluntate viri

Dans son explication de l’oraison de quiétude, Thérèse d’Avila préconise « de ne pas se préoccuper de l’entendement, qui n’est qu’un importun à la recherche de grandes pensées ».  La phrase d’abord me fit rire, car s’y résument bien la malice et la présomption humaine à l’œuvre dans beaucoup de travaux de l’esprit, puis je me demandai quelles grandes pensées l’entendement de mes contemporains, plus préoccupés de réaliser de grands meurtres ou de grands profits que de grandes oraisons, pouvait bien encore générer. Et moi-même ? Qu’ai-je de grand dans l’entendement, tout pollué qu’il est malgré le grand soin que je prends à les éviter, par les préjugés ou les certitudes de l’époque, tout alourdi qu’il se trouve par des contradictions insurmontables, des paradoxes infranchissables ? Et puis, parvenu au bord du second millénaire, quel grand mystère l’entendement humain, sur un plan individuel ou collectif, croit-il encore être à même de percer ? 7 milliards à brasser du vent sur une planète au bord de l’asphyxie, à survivre dans des fables existentielles dignes de piètres héros de polars ou de bandes dessinées…

Il n’empêche que cet importun, comme le souligne facétieusement Thérèse, dès lors qu’on tente de lui échapper un bref instant, fait grand cas de cette volonté d’en finir, en effet, s’agite en tous sens, et, faute de grandes pensées, engendre un grand trouble.

La patronne du Carmel Réformé conseille tout autant de laisser la mémoire s’agiter dans son coin sans davantage la suivre à la trace: dans l’oraison de quiétude, seule la volonté doit demeurer vive à la conscience, telle une étincelle, la volonté indéfectible de s’unir à Dieu. Voilà diront beaucoup de contradicteurs en souriant un projet bien désuet ! Dieu ?

J’ai à ce propos recueilli cet après-midi dans le prologue de l’Evangile selon Jean une remarque capitale à propos de ceux qui croient en Son nom, et « qui non ex sanguinibus neque ex voluntate carnis neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt » (« qui ne sont nés ni du sang, ni d’un vouloir charnel, ni d’un vouloir humain, mais de Dieu lui-même »). Car sauf le respect que je dois à mes deux parents, je ne suis jamais tout à fait parvenu à croire que je n’étais né que d’eux-mêmes, de leur choix, de leur volonté, de leur esprit, de leur matière ou de leur décision, ce qui a toujours laissé pénétrer dans l’antichambre de mon intelligence une certaine lueur d’espoir quant à la nature véritable de mon être spirituel ; une faille, somme toute, dans l’orgueil de l’espèce qui se veut seule pourvoyeuse de ses gènes.  Cela dit en toute véritable humilité : car on ne peut être humble que devant le Très-Grand, puisque ailleurs, paraît-il, nous sommes malgré nos distinctions tous égaux.

La nécessité de cette lueur d’espoir, de cette faille, de cette fêlure, donc, me fait tenir ce despotique droit à l’enfant revendiqué de plus en plus par tout un chacun dépendant de la loi commune (droit de procréer,  même combat que le droit de vote ? ) pour une ignominie qui masque son véritable visage contre les gens à naître. C’est le triomphe de la voluntate carnis etde la voluntate viri en lieu et place de celle de Dieu, ou même de l’amour. Et j’y lis un des derniers soupiraux qui se referme sur la conscience humaine de ces petits à naître, jusqu’à les emprisonner dans cet humain forever jusqu’à clore le couvercle dans une malédiction satanique et sans borne. Mais revenons à Thérèse.

J’ai commencé depuis un bon moment la lecture de sa « Vie écrite par elle-même ». J’y avance à grand peine, car Thérèse, ce n’est ni Leiris ni Rousseau. Sa matière est exclusivement intérieure et l’on ne cesse, du coup, de s’en échapper pour peu que l’esprit ne s’accroche à chaque mot. Ainsi cette phrase, relevée parmi d’autres, à propos de la conscience des conséquences du péché que la sainte rencontra tandis qu’elle atteignait un troisième degré dans l’oraison : « Quand donc, ô mon Dieu, les puissances de mon âme seront-elles unies entre elles pour célébrer toutes ensemble vos grandeurs ? quand donc mon âme cessera-t-elle d’être ainsi partagée sans pouvoir être maîtresse d’elle-même ? »

Ce désir d’unité ainsi soufflé à l’oreille, on reste rêveur, songeur, on pose le livre, on devient facilement méditatif soi-même, à contempler ses propres écartèlements… La plume de Thérèse pousse sans ménagement son lecteur au recueillement, comme un chant venu du dedans, mais sans les boursouflements fumeux du lyrisme romantique ni les à-coups secs du raisonneur empreint de sa logique.

En ce sens, elle est parfaitement désorientante, surtout pour l’époque dont le credo totalitaire dans la machinerie du corps se méfie des volutes de l’esprit et se garde bien d’évoquer les plus subtils encore chatoiements de l’âme. Qu’on puisse consacrer sa vie à « trouver un amour de Dieu dégagé de tout intérêt personnel » est quelque chose qui échappe aussi bien aux sophismes des incrédules qu’aux objurgations des fanatiques. Pourtant, lorsqu’elle dépeint « le peu d’estime que mérite une comédie aussi mal jouée que celle de la vie présente », ne parle-t-elle pas pleinement de notre monde ? La prose de Thérèse est telle une oasis qu’on ressent dans l’intimité vive de soi, et tout en même temps une caresse perdue ou oubliée surgie d’un temps lointain et presque incompréhensible. Elle relate les degrés d’une oraison comme projetée du dehors et du dedans sur un même écran : d’où le charme opérant et toujours difficile de cette lecture. 

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Les remparts d'Avila

dimanche, 11 octobre 2015

Les enfants de Renan

Entre francs rires et pleurs sincères, vu hier soir un reportage de vulgarisation scientifique sur Arte, de vulgarisation pour ne pas dire de propagande, Quand homo sapiens peupla la planète.  On nous y chantait pour une énième fois la mirobolante épopée de cette admirable et si touchante espèce humaine, échappée on ne sait comment de son berceau éthiopien pour conquérir et domestiquer la planète, au cours d’interminables et d’incessantes migrations. En voici le bref synopsis :

Les plus anciens membres de l'espèce «homo sapiens» ont été découverts en Afrique de l'Ouest. Des recherches récentes suggèrent pourtant que les hommes modernes seraient apparus simultanément dans plusieurs régions d'Afrique. En outre, ils auraient continué de se reproduire avec d'autres sous-espèces d'Homo, amplifiant leur diversité génétique. A la lumière des découvertes archéologiques les plus récentes et grâce à l'analyse désormais possible de l'ADN ancien, cette série raconte sous un nouveau jour comment l'espèce est apparue il y a environ 200 000 ans en Afrique pour peupler ensuite tous les continents.

Ce n’est certes pas la validité des découvertes génétiques évoquées ça et là (& résumables en quelques lignes) qu’on conteste ici, mais l’indigence affligeante du récit scientiste des origines que les scénaristes se permirent de bâtir dessus. Car sous leur plume, le roman de l’espèce déchiffré à partir de quelques antiques molaires et préhistoriques phalanges devint peu à peu un hymne ridicule au grand métissage et à la liquidation de la civilisation judéo-chrétienne, hymne, se dit-on, dont a besoin la mondialisation libérale pour emporter l’adhésion des naïfs. Ah, il fallait entendre ces aèdes-archéologues, ces globe-trotters homériques, chantres autocentrés de l’homme post-moderne numérisé de pied en cap, s’émerveiller de déchiffrer sur le  parchemin de leurs nucléotides des résidus d’hommes archaïques - que ces derniers fussent de la race l’espèce des néanderthaliens, des denisoviens, des erectus, & j’en passe. Pas de races, donc, mais une seule espèce constituée du brassage de multiples autres, et alors ?  Une seule espèce toute puissante, et, bien sûr, pas de Dieu.

Des larmes vous viennent au cœur au fil d’un discours ontologique aussi simpliste :peu me chaut, en effet, de savoir d’où vient cette maudite race qui est en train d’avaler le monde entier tout en se dévorant elle-même, ni quel est le mystère tapi au fond de ses chromosomes, si son avancée  (comme ils disent) broie toute volonté de salut personnel. Car elle est alors  bel et bien maudite !

Je me sens quant à moi bien plus concerné par le mystère et par l’histoire de mon âme et de son salut que par la machinerie de mon corps, bien plus par l’originalité de mon lien avec Dieu que par les liens de mes chromosomes avec l’espèce. La théologie de l’ADN, très peu pour moi, au regard de la société mortifère qu’elle produit sous nos yeux.

On peut dater de la fin du XIXe siècle, et des efforts du malencontreux Renan (qui avait pas mal de comptes à régler avec ses « vieux maîtres » comme il les nomme lui-même au début de ses Souvenirs, dans une affection feinte à leur égard) pour tordre le cou à Saint Thomas d’Aquin, cette confusion qui ne dit jamais ouvertement son nom entre l’argument scientifique et l’argument théologique. Ou, plus précisément, cette volonté  (cet orgueil?) de vouloir demeurer théologien tout en devenant scientifique. Que notre ancêtre soit un quelconque hominidé du Pléistocène, membre d’une tribu errant sans Dieu de continent en continent, ou bien l’Adam biblique chassé du Paradis en compagnie d’Ève errant lui aussi sans Dieu, cela ne change rien au besoin que j’ai, pour ma part, d’être chaque jour délivré de son péché, c'est-à-dire de sa mortalité, de son ignorance, de sa concupiscence et de sa malice. Me satisfaire d’être membre de cette espèce de 7 milliards d’idiots entassés dans les métropoles polluées de la planète tout en rêvant de démocratie planétaire pour tout échappatoire n’est pas en soi une consolation suffisante…

En quittant le séminaire de Saint-Sulpice, Renan avoue lui-même rétrospectivement ne pas avoir rejeté l’Église pour des raisons morales ou métaphysiques, mais sur un simple argument philologique (1) ; soit elle était à ses yeux infaillible, soit elle ne l’était pas, or la datation des textes bibliques se révélant plus que douteuse, il décida qu’elle ne l’était pas. Ça le regarde, après tout :

 « De la part de l’Eglise catholique, avouer que Daniel est un apocryphe du temps des Macchabées serait avouer qu’elle s’est trompée ; si elle s’est trompée en cela, elle a pu se tromper en autre chose ; elle n’est plus divinement inspirée ».

Mais si ce diable d’homme était parmi nous aujourd’hui, sans doute conviendrait-il que la datation des vieux fémurs est tout autant problématique que celle des textes sacrés, et que la raison humaine rencontre des limites équivalentes chez les nouveaux scientifiques et les anciens théologiens  - les deux faisant pareillement grand cas d’elle aux dépens de la foi. Je ne sais trop d’ailleurs quel discours il tiendrait face à nos européens si désenchantés d’eux-mêmes qu’ils en prennent une sorte de goût pour l’Islam le plus vigoureux et le plus bêtifiant qui soit. Pour ma part, on peut bien me raconter ce qu’on voudra sur l’authentique nature des premiers hommes, je crois que ce que j’ai hérité de plus précieux d’eux dans mes gènes (et qui me relie réellement à eux) demeure bien la blessure toute spirituelle de leur péché originel, et la nécessité qui me tient que Dieu m’en délivre incessamment ; ainsi trouvant plus de vérité à lire les Évangiles qu’à déchiffrer l’ADN de vieux fémurs, peu me chaut à vrai dire les débuts de l’humanité, tandis que nous arrivons aux temps de sa probable extinction. En compagnie de saint Thomas d’Aquin plutôt qu'en celle de Renan, je vois en effet que « l’ultime félicité de l’homme ne réside que dans la contemplation de Dieu », et c’est bien en elle que j’ai besoin de progresser.

(1)          Mes raisons furent toutes de l’ordre philologique et critique ; elles ne furent nullement de l’ordre métaphysique, de l’ordre politique, de l’ordre moral. Ces derniers ordres d’idées me paraissaient peu tangibles et pliables à tout sens. Mais la question de savoir s’il y a des contradictions entre le quatrième évangile et les synoptiques est une question tout à fait saisissable. – (Souvenir d’enfance et de jeunesse)

 

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 Ernest Renan, sulpicien, scientiste et breton

mardi, 06 octobre 2015

Séraphins de l’Église militante

Beau titre de sagesse, que Léon Bloy octroie aux Chartreux de saint Bruno dont c’est aujourd’hui la fête, au détour des lignes de son Désespéré, Marchenoir, venu mendier dans le fameux monastère alpin « l’absence du dix-neuvième siècle » et son corollaire, « l’illusion du douzième ». A l’heure des e-tombes et autres saugrenues et sataniques profanations de l’Être et des êtres, il ne restera bientôt plus guère qu’eux, ces blancs Chartreux « si austères, si suppliciés, si torturés par les rigueurs de la pénitence sur lesquels s’apitoie, légendairement, l’idiote lâcheté des mondains », pour demeurer « les seuls hommes libres et joyeux dans une société de forçats intellectuels ou de galériens de la fantaisie, les seuls qui fassent vraiment ce qu’ils ont voulu faire dans cette allégresse sans illusion que Dieu leur donne et n’a besoin d’aucune fanfare pour s’attester à elle-même qu’elle n’est autre chose qu’une secrète désolation» (1)

Pour nous être laissés mordre et emparer par le monde, nous ignorons dorénavant la matière vive du sain et saint silence. Et ce n’est pas les quelques heures de sommeil que nous autorise encore cette société gavée qui se moque de Dieu et a partout détruit la nuit qui sont à même de régénérer la paix égarée de nos fibres éperdues. Nous ne serons certes pas les premiers, nous faufilant sur le sentier pierreux grimpant jusqu’au monastère entre deux flancs de rochers non loin de l’eau blanche et  bondissante du Guiers-Mort, à appréhender l’immersion totale dans la paix intérieure à laquelle une telle retraite prépare : Le monde passe, la Croix demeure, et nous emboitons le pas à une multitude avant nous, parmi lesquels Chateaubriand et Ballanche mais aussi tant de pèlerins et de saints, saint Bernard et saint François de Sales, jusqu’au fondateur saint Bruno. François-René, dans ses Mémoires, dresse de l’endroit que la Révolution vient alors de dévaster un tableau navrant ; les bâtiments se lézardent sous la surveillance d’une espèce de « fermier des ruines » qui vient d’inhumer le tout dernier frère : Ballanche et lui contemplent « la fosse étroite fraîchement recouverte.   Napoléon, dans ce moment, en allait creuser une immense à Austerlitz ». Il songe aux enfants de Bruno en habits blancs, « Heureux, ô vous qui traversâtes le monde sans bruit, et ne tournâtes pas même la tête en passant ! » Un peu auparavant, dans l’autre chartreuse, la petite de Paris (celle dite de Vauvert, au Luxembourg - elle aussi tout juste assaillie par la bêtise et la fureur de cette même Révolution), la fresque de Le Sueur contant la vie de saint Bruno s’était dressée, livide devant lui : « Il y a deux espèces de ruines, notait, le cœur flétri, l’écrivain : l’une ouvrage du temps, l’autre ouvrage des hommes. C’est à cette seconde que la Chartreuse appartient, ouvrage des malheurs et non des années (…)  Sur les murailles, on voyait des peintures à demi effacées représentant la vie de saint Bruno : un cadran était resté sur un des pignons de l’église et dans le sanctuaire, au lieu de cet hymne de paix qui s’élevait jadis en l’honneur des morts, on entendait crier l’instrument du manœuvre qui sciait les tombeaux ». (2)

L’inconscience des Occidentaux devant la radicalisation inévitable de l’Islam [on entend peu de penseurs s’en prendre à la matrice idéologique même de Daesh, et qui n’est rien moins que l’anéantissement de tout ce qui n’est pas elle], l’abandon par ces mêmes Occidentaux de leurs autels, livrés par centaines dans les campagnes aux vols [le nombre de pillages d’églises va grandissant dans l’indifférence générale], l’usure même du divertissement libéral, l'indigence intellectuelle du concept même de laïcité [ne parlons pas de ses représentants !] ainsi que l’inévitable achevement du calendrier consumériste qui se profile à l’horizon, tout cela ne plaide pas pour un futur très heureux : Nous sommes, à n’en pas douteur, à la veille d’événements extrêmement graves et meurtriers. Pourtant, l’espérance doit nous demeurer vive et chevillée au cœur :

« Prends en gré ma supplication, comme une immense clameur, pour que mes paroles soient de plus en plus dignes d'être exaucées de Toi, donne intensité et persévérance à ma prière. (…) Puisque Ta miséricorde est immense et que mon péché est grand, aie pitié de moi grandement, aussi grandement que l'est Ta miséricorde, alors je pourrai chanter tes louanges en contemplant ton nom, qui est Seigneur. Je Te bénirai d'une bénédiction qui durera aussi longtemps que les siècles, je Te louerai par la louange en ce monde et en l'autre »

Ainsi priait Bruno de Cologne, dit aussi le Chartreux : du monde inutile et sombre où végètent nos consciences appauvries,  il y a, aujourd’hui que nous le célébrons, comme un joyeux contre-pied à prendre en longeant la rue aux pavés inégaux qui mène jusqu’au porche d’une quelconque église. Car si Dieu ne date pas d’aujourd’hui [telle est même sa principale raison d’être encore], il ne date pas non plus d’hier et, moins encore, de demain. Puits sans commencement de sa propre autorité, voie assurée de toute foi sans lendemains finis, Yahweth Sabaoth siège en cette matière dense qu’ignore le bruit que nous faisons, infimes, en vivant. Ce bruit, qui rend proprement déraisonnable, ce silence, qui rend proprement empli de sens, la fin du Credo de ce même saint Bruno :

« Je crois particulièrement que ce qui est consacré sur l'autel est le vrai Corps, la vraie Chair et le vrai Sang de notre Seigneur Jésus-Christ, que nous recevons pour la rémission de nos péchés, dans l´espérance du salut éternel. »

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(1) Léon Bloy, Le Désespéré

(2) Chateaubriand, Génie du Christianisme

 

mercredi, 30 septembre 2015

Putain d'ta race

Très sincèrement, je ne crois pas que Nadine Morano soit raciste ; en disant (après de Gaulle) que la France « est un pays de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne »,  elle employait le mot race pour le mot couleur, ce qui est une de ses acceptions courantes parmi d’autres (1) d’avant le Touche pas à mon pote et autres campagnes médiatiques de propagande, ce que le slogan black blanc beur, une invention de la gauche socialiste, signifie sans qu’on s’en  émeuve plus que ça… Que la France soit un pays séculairement peuplé de blancs, de culture gréco-latine et de religion chrétienne, tous nos mondialistes révisionnistes auront du mal à nous démontrer sérieusement le contraire. Que ces propos prennent une telle proportion dans le landernau politique, de Cambadélis à Juppé et NKM, en passant par l’ex du Medef, dame Parisot en personne, en dit assez long sur les stratégies de communication dans lesquelles ce petit monde de Bélise et de Trissotin s’est lui-même empêtré, dans l’indifférence générale du plus grand nombre.

A l’heure où l’on s’apprête enfin à constituer une coalition contre les salafistes de Daesh, il y a peut-être d’autres débats à tenir en métropole que ces procès en sorcellerie incessamment montés depuis Jacques Pilhan et sa petite main par les fabricants de clivage et les meneurs d’opinion. Il est vrai que depuis Hollande, qui ignore tout de la polysémie, le terme infamant a été retiré de la constitution. Mais pas du dictionnaire. Quand saisira-t-on enfin l'Académie Française, non d'un socialiste ? 

(1) Ce sont les biologistes et les anthropologues du XIXeme siècle qui ont foutu la merde, en quelque sorte, dans les connotations du mot race.  « Race de vipères », disait des Juifs le Christ, qui lui-même était Juif. «Le premier dont ma race ait vu rougir son front », lançait le vieux Don Diègue  (vers qui enflamma pour d’autres raisons jadis les manuels de rhétorique). Et Hugo : « Une race naîtrait de moi ! Comment le croire? Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants? »  Et Proust : « Monsieur de Charlus, se rappelant qu'il était de race plus pure que la maison de France »…

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Jacques Pilhan, derrière Mitterrand. Une bonne vieille histoire de com', une ficelle usée