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dimanche, 11 octobre 2015

Les enfants de Renan

Entre francs rires et pleurs sincères, vu hier soir un reportage de vulgarisation scientifique sur Arte, de vulgarisation pour ne pas dire de propagande, Quand homo sapiens peupla la planète.  On nous y chantait pour une énième fois la mirobolante épopée de cette admirable et si touchante espèce humaine, échappée on ne sait comment de son berceau éthiopien pour conquérir et domestiquer la planète, au cours d’interminables et d’incessantes migrations. En voici le bref synopsis :

Les plus anciens membres de l'espèce «homo sapiens» ont été découverts en Afrique de l'Ouest. Des recherches récentes suggèrent pourtant que les hommes modernes seraient apparus simultanément dans plusieurs régions d'Afrique. En outre, ils auraient continué de se reproduire avec d'autres sous-espèces d'Homo, amplifiant leur diversité génétique. A la lumière des découvertes archéologiques les plus récentes et grâce à l'analyse désormais possible de l'ADN ancien, cette série raconte sous un nouveau jour comment l'espèce est apparue il y a environ 200 000 ans en Afrique pour peupler ensuite tous les continents.

Ce n’est certes pas la validité des découvertes génétiques évoquées ça et là (& résumables en quelques lignes) qu’on conteste ici, mais l’indigence affligeante du récit scientiste des origines que les scénaristes se permirent de bâtir dessus. Car sous leur plume, le roman de l’espèce déchiffré à partir de quelques antiques molaires et préhistoriques phalanges devint peu à peu un hymne ridicule au grand métissage et à la liquidation de la civilisation judéo-chrétienne, hymne, se dit-on, dont a besoin la mondialisation libérale pour emporter l’adhésion des naïfs. Ah, il fallait entendre ces aèdes-archéologues, ces globe-trotters homériques, chantres autocentrés de l’homme post-moderne numérisé de pied en cap, s’émerveiller de déchiffrer sur le  parchemin de leurs nucléotides des résidus d’hommes archaïques - que ces derniers fussent de la race l’espèce des néanderthaliens, des denisoviens, des erectus, & j’en passe. Pas de races, donc, mais une seule espèce constituée du brassage de multiples autres, et alors ?  Une seule espèce toute puissante, et, bien sûr, pas de Dieu.

Des larmes vous viennent au cœur au fil d’un discours ontologique aussi simpliste :peu me chaut, en effet, de savoir d’où vient cette maudite race qui est en train d’avaler le monde entier tout en se dévorant elle-même, ni quel est le mystère tapi au fond de ses chromosomes, si son avancée  (comme ils disent) broie toute volonté de salut personnel. Car elle est alors  bel et bien maudite !

Je me sens quant à moi bien plus concerné par le mystère et par l’histoire de mon âme et de son salut que par la machinerie de mon corps, bien plus par l’originalité de mon lien avec Dieu que par les liens de mes chromosomes avec l’espèce. La théologie de l’ADN, très peu pour moi, au regard de la société mortifère qu’elle produit sous nos yeux.

On peut dater de la fin du XIXe siècle, et des efforts du malencontreux Renan (qui avait pas mal de comptes à régler avec ses « vieux maîtres » comme il les nomme lui-même au début de ses Souvenirs, dans une affection feinte à leur égard) pour tordre le cou à Saint Thomas d’Aquin, cette confusion qui ne dit jamais ouvertement son nom entre l’argument scientifique et l’argument théologique. Ou, plus précisément, cette volonté  (cet orgueil?) de vouloir demeurer théologien tout en devenant scientifique. Que notre ancêtre soit un quelconque hominidé du Pléistocène, membre d’une tribu errant sans Dieu de continent en continent, ou bien l’Adam biblique chassé du Paradis en compagnie d’Ève errant lui aussi sans Dieu, cela ne change rien au besoin que j’ai, pour ma part, d’être chaque jour délivré de son péché, c'est-à-dire de sa mortalité, de son ignorance, de sa concupiscence et de sa malice. Me satisfaire d’être membre de cette espèce de 7 milliards d’idiots entassés dans les métropoles polluées de la planète tout en rêvant de démocratie planétaire pour tout échappatoire n’est pas en soi une consolation suffisante…

En quittant le séminaire de Saint-Sulpice, Renan avoue lui-même rétrospectivement ne pas avoir rejeté l’Église pour des raisons morales ou métaphysiques, mais sur un simple argument philologique (1) ; soit elle était à ses yeux infaillible, soit elle ne l’était pas, or la datation des textes bibliques se révélant plus que douteuse, il décida qu’elle ne l’était pas. Ça le regarde, après tout :

 « De la part de l’Eglise catholique, avouer que Daniel est un apocryphe du temps des Macchabées serait avouer qu’elle s’est trompée ; si elle s’est trompée en cela, elle a pu se tromper en autre chose ; elle n’est plus divinement inspirée ».

Mais si ce diable d’homme était parmi nous aujourd’hui, sans doute conviendrait-il que la datation des vieux fémurs est tout autant problématique que celle des textes sacrés, et que la raison humaine rencontre des limites équivalentes chez les nouveaux scientifiques et les anciens théologiens  - les deux faisant pareillement grand cas d’elle aux dépens de la foi. Je ne sais trop d’ailleurs quel discours il tiendrait face à nos européens si désenchantés d’eux-mêmes qu’ils en prennent une sorte de goût pour l’Islam le plus vigoureux et le plus bêtifiant qui soit. Pour ma part, on peut bien me raconter ce qu’on voudra sur l’authentique nature des premiers hommes, je crois que ce que j’ai hérité de plus précieux d’eux dans mes gènes (et qui me relie réellement à eux) demeure bien la blessure toute spirituelle de leur péché originel, et la nécessité qui me tient que Dieu m’en délivre incessamment ; ainsi trouvant plus de vérité à lire les Évangiles qu’à déchiffrer l’ADN de vieux fémurs, peu me chaut à vrai dire les débuts de l’humanité, tandis que nous arrivons aux temps de sa probable extinction. En compagnie de saint Thomas d’Aquin plutôt qu'en celle de Renan, je vois en effet que « l’ultime félicité de l’homme ne réside que dans la contemplation de Dieu », et c’est bien en elle que j’ai besoin de progresser.

(1)          Mes raisons furent toutes de l’ordre philologique et critique ; elles ne furent nullement de l’ordre métaphysique, de l’ordre politique, de l’ordre moral. Ces derniers ordres d’idées me paraissaient peu tangibles et pliables à tout sens. Mais la question de savoir s’il y a des contradictions entre le quatrième évangile et les synoptiques est une question tout à fait saisissable. – (Souvenir d’enfance et de jeunesse)

 

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 Ernest Renan, sulpicien, scientiste et breton

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