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vendredi, 15 juillet 2016

La religion qui ne dit pas son nom

En réaction aux attentats islamistes de plus en plus fréquents, de plus en plus meurtriers, l’espace public s’emplit d'un rite qu’on pourrait appeler civique, rite auquel la prière des rues si décriée des Musulmans n’a rien à envier en termes d’occupation des lieux : la création de mémoriaux improvisés, à la mémoire des victimes. L’allégorie de la République, sur la place parisienne du même nom, a ainsi été transformée pendant plusieurs mois en un véritable sanctuaire, avec des autels, des bougies, des fleurs et des lettres d’anonymes déposés devant elle comme devant une divinité. On a vu la même chose à Bruxelles, et dans tous les lieux où se sont manifestées « la terreur » et « la haine », termes employés pour ne pas nommer les soldats du Jihad, enfants du Coran fanatisés. Nul doute que la promenade des Anglais niçoise, transformée pour l’instant en scène de crime, va bientôt connaître le même traitement. L'élévation de ces chapelles improvisés qui écartent toute forme traditionnelle de transcendance et de sacré a commencé à New York, sur son tristement fameux Ground Zero, après l’effondrement des deux tours du World Trade Center. Quoi de condamnable, se dit-on a priori, à manifester en commun une émotion légitime devant ces meurtres de masse aussi insoutenables que délirants ?

Rien en effet, sauf que la propagation du phénomène et son instauration dans l’esprit des gens finit par interroger. D’attentat en attentat, et bien qu’il existât des lieux religieux consacrés au recueillement, au deuil et au culte des morts, l’habitude est prise, comme celle des #prayfor, #jesuis, drapeaux en berne, bâtiments tricolores et autres concours de caricature sur twitter. Non seulement prise, mais exaltée par les médias qui y voient un « mode de résistance au terrorisme », pour reprendre leurs éléments de langage douteux. C’est très étrange, oui, ces autels partout improvisés, ces manifestations spectaculaires quand les églises historiques de France demeurent en partie désertées, et qu’on ne cesse de nous entretenir de la nécessité citoyenne de bâtir des mosquées, des centres de la culture musulmane (1), d’accepter » le vivre ensemble ». Très.

L’information relayée par ces médias se borne à la mise en scène en boucle de l’émotionnel, mise en scène initiée le plus souvent par les réseaux sociaux  (jamais de débats théologiques posant la question du statut de la violence dans le Coran, géopolitiques s’interrogeant sur l’action de la France et des USA au Moyen Orient depuis une dizaine d’années, stratégiques sur le statut de l’Europe actuelle en pleine crise économique et politique, du rôle de la finance internationale dans la vente des armes). Quant aux dirigeants occidentaux, ils paraissent si bien s’accommoder de cette forme de culte inédite sur les trottoirs, les places, les devantures de magasins, qu’on finit par se demander à qui profite cette mise à l’écart du rationnel et cette mise à disposition de l’espace public à l’exaltation du sentiment, lesquels ne rencontrent leur pareil (en versus positif) que durant les grands tournois sportifs ; et lorsqu’on voit tous les dirigeants politiques de la planète se prêter à cette religiosité et en encourager tous les rites (2), on finit par se demander si ces gouvernants de villes et d’états n’appellent pas de leurs vœux la fabrication de cette « théologie civile » à l'usage de citoyens déchristianisés, pour en devenir au nom de la Démocratie, des Droits de l’homme et de leur globalisation les intransigeants évêques et les sourcilleux cardinaux, bref, des dirigeants [monarques ?] absolus.

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L’empire romain possédait ainsi ses divinités politiques, dont saint Augustin démontra magnifiquement l’incompétence, la vacuité et l’imposture au IVe siècle. On lit dans le livre VII, chapitre 33, de La Cité de Dieu que ces dieux choisis ne sont que des démons très impurs qui « mettent à profit des âmes défuntes ou, sous l’apparence de créatures de ce monde, désirent se faire prendre pour des dieux et, dans leur orgueilleuse impudeur, se délectent d’honneurs prétendus divins, mais en fait criminels et ignominieux (…) L’homme, continue le saint, se libère de leur souveraineté barbare et sacrilège lorsqu’il place sa foi en Celui qui, pour le relever, lui a fourni l’exemple d’une humilité aussi grande que l’orgueil des démons, cause de leur chute.»

L’inconscience et le déboussolement des Occidentaux devant la radicalisation inévitable de l’Islam [on entend peu de penseurs s’en prendre à la matrice idéologique même du Coran, et qui n’est rien moins que l’anéantissement de tout ce qui n’est pas lui], l’abandon par ces mêmes Occidentaux de leurs autels, livrés par centaines dans les campagnes aux vols [le nombre de pillages d’églises va grandissant dans l’indifférence générale des baptisés], l’usure même du divertissement libéral [la mayonnaise de l’euro et son patriotisme de pacotille qui l’accompagna], l'indigence intellectuelle du concept même de laïcité [ne parlons pas de ses représentants !] ainsi que l’inévitable achèvement du calendrier consumériste qui se profile à l’horizon, tout cela ne plaide pas pour un futur très heureux : Grâce à l'incompétence et au cynisme de nos politiques, nous nous trouvons, à n’en pas douter, à la veille d’événements extrêmement graves et meurtriers. Pourtant, l’espérance doit nous demeurer vive et chevillée au cœur : « Bien des grands paradigmes de référence qui sont à la base de la civilisation européenne, ont leurs racines les plus profondes dans la foi trinitaire, rappelait au début de ce siècle le pape Jean Paul II. Cette dernière porte en elle une extraordinaire puissance spirituelle, culturelle et éthique, capable, entre autres, d'éclairer aussi certaines grandes questions qui se posent aujourd'hui en Europe, telles que la désagrégation sociale et la perte d'une référence qui donne un sens à la vie et à l'histoire.» Et plus loin, il rajoutait : « Il faut être conscient, entre autres, de la divergence notable entre la culture européenne, qui a de profondes racines chrétiennes, et la pensée musulmane. » (3)

« Prends en gré ma supplication, comme une immense clameur, pour que mes paroles soient de plus en plus dignes d'être exaucées de Toi, donne intensité et persévérance à ma prière. (…) Puisque Ta miséricorde est immense et que mon péché est grand, aie pitié de moi grandement, aussi grandement que l'est Ta miséricorde, alors je pourrai chanter tes louanges en contemplant ton nom, qui est Seigneur. Je Te bénirai d'une bénédiction qui durera aussi longtemps que les siècles, je Te louerai par la louange en ce monde et en l'autre » Ainsi priait Bruno de Cologne, dit aussi le Chartreux, en ce onzième siècle fondateur qui nous parait si éloigné, et avec lequel pourtant nos cœurs peuvent entrer en si belle résonance : « Je crois particulièrement, concluait-il en son Credo, que ce qui est consacré sur l'autel est le vrai Corps, la vraie Chair et le vrai Sang de notre Seigneur Jésus-Christ, que nous recevons pour la rémission de nos péchés, dans l´espérance du salut éternel. » (4)

 

[1] Comme celui de Lyon dans lequel Laurent Wauquiez a légitimement refusé d'investir l'argent de la région, mais que Gérard Collomb défend mordicus. 

[2] On se souvient du recueillement nocturne du président Obama, en compagnie de la maire de Paris et du ridicule président français, le 30 novembre 2015

[3] Jean Paul II, Ecclesia in Europa, 2003

[4] Profession de Foi solennelle de Saint Bruno le Chartreux (1030-1101), fondateur de l'ordre des Chartreux, à l'heure de sa mort le 6 octobre 1101 prononcée devant tous ses Frères réunis de l´ermitage Santa Maria de la Torre de Calabre en Italie.

 

mardi, 06 octobre 2015

Séraphins de l’Église militante

Beau titre de sagesse, que Léon Bloy octroie aux Chartreux de saint Bruno dont c’est aujourd’hui la fête, au détour des lignes de son Désespéré, Marchenoir, venu mendier dans le fameux monastère alpin « l’absence du dix-neuvième siècle » et son corollaire, « l’illusion du douzième ». A l’heure des e-tombes et autres saugrenues et sataniques profanations de l’Être et des êtres, il ne restera bientôt plus guère qu’eux, ces blancs Chartreux « si austères, si suppliciés, si torturés par les rigueurs de la pénitence sur lesquels s’apitoie, légendairement, l’idiote lâcheté des mondains », pour demeurer « les seuls hommes libres et joyeux dans une société de forçats intellectuels ou de galériens de la fantaisie, les seuls qui fassent vraiment ce qu’ils ont voulu faire dans cette allégresse sans illusion que Dieu leur donne et n’a besoin d’aucune fanfare pour s’attester à elle-même qu’elle n’est autre chose qu’une secrète désolation» (1)

Pour nous être laissés mordre et emparer par le monde, nous ignorons dorénavant la matière vive du sain et saint silence. Et ce n’est pas les quelques heures de sommeil que nous autorise encore cette société gavée qui se moque de Dieu et a partout détruit la nuit qui sont à même de régénérer la paix égarée de nos fibres éperdues. Nous ne serons certes pas les premiers, nous faufilant sur le sentier pierreux grimpant jusqu’au monastère entre deux flancs de rochers non loin de l’eau blanche et  bondissante du Guiers-Mort, à appréhender l’immersion totale dans la paix intérieure à laquelle une telle retraite prépare : Le monde passe, la Croix demeure, et nous emboitons le pas à une multitude avant nous, parmi lesquels Chateaubriand et Ballanche mais aussi tant de pèlerins et de saints, saint Bernard et saint François de Sales, jusqu’au fondateur saint Bruno. François-René, dans ses Mémoires, dresse de l’endroit que la Révolution vient alors de dévaster un tableau navrant ; les bâtiments se lézardent sous la surveillance d’une espèce de « fermier des ruines » qui vient d’inhumer le tout dernier frère : Ballanche et lui contemplent « la fosse étroite fraîchement recouverte.   Napoléon, dans ce moment, en allait creuser une immense à Austerlitz ». Il songe aux enfants de Bruno en habits blancs, « Heureux, ô vous qui traversâtes le monde sans bruit, et ne tournâtes pas même la tête en passant ! » Un peu auparavant, dans l’autre chartreuse, la petite de Paris (celle dite de Vauvert, au Luxembourg - elle aussi tout juste assaillie par la bêtise et la fureur de cette même Révolution), la fresque de Le Sueur contant la vie de saint Bruno s’était dressée, livide devant lui : « Il y a deux espèces de ruines, notait, le cœur flétri, l’écrivain : l’une ouvrage du temps, l’autre ouvrage des hommes. C’est à cette seconde que la Chartreuse appartient, ouvrage des malheurs et non des années (…)  Sur les murailles, on voyait des peintures à demi effacées représentant la vie de saint Bruno : un cadran était resté sur un des pignons de l’église et dans le sanctuaire, au lieu de cet hymne de paix qui s’élevait jadis en l’honneur des morts, on entendait crier l’instrument du manœuvre qui sciait les tombeaux ». (2)

L’inconscience des Occidentaux devant la radicalisation inévitable de l’Islam [on entend peu de penseurs s’en prendre à la matrice idéologique même de Daesh, et qui n’est rien moins que l’anéantissement de tout ce qui n’est pas elle], l’abandon par ces mêmes Occidentaux de leurs autels, livrés par centaines dans les campagnes aux vols [le nombre de pillages d’églises va grandissant dans l’indifférence générale], l’usure même du divertissement libéral, l'indigence intellectuelle du concept même de laïcité [ne parlons pas de ses représentants !] ainsi que l’inévitable achevement du calendrier consumériste qui se profile à l’horizon, tout cela ne plaide pas pour un futur très heureux : Nous sommes, à n’en pas douteur, à la veille d’événements extrêmement graves et meurtriers. Pourtant, l’espérance doit nous demeurer vive et chevillée au cœur :

« Prends en gré ma supplication, comme une immense clameur, pour que mes paroles soient de plus en plus dignes d'être exaucées de Toi, donne intensité et persévérance à ma prière. (…) Puisque Ta miséricorde est immense et que mon péché est grand, aie pitié de moi grandement, aussi grandement que l'est Ta miséricorde, alors je pourrai chanter tes louanges en contemplant ton nom, qui est Seigneur. Je Te bénirai d'une bénédiction qui durera aussi longtemps que les siècles, je Te louerai par la louange en ce monde et en l'autre »

Ainsi priait Bruno de Cologne, dit aussi le Chartreux : du monde inutile et sombre où végètent nos consciences appauvries,  il y a, aujourd’hui que nous le célébrons, comme un joyeux contre-pied à prendre en longeant la rue aux pavés inégaux qui mène jusqu’au porche d’une quelconque église. Car si Dieu ne date pas d’aujourd’hui [telle est même sa principale raison d’être encore], il ne date pas non plus d’hier et, moins encore, de demain. Puits sans commencement de sa propre autorité, voie assurée de toute foi sans lendemains finis, Yahweth Sabaoth siège en cette matière dense qu’ignore le bruit que nous faisons, infimes, en vivant. Ce bruit, qui rend proprement déraisonnable, ce silence, qui rend proprement empli de sens, la fin du Credo de ce même saint Bruno :

« Je crois particulièrement que ce qui est consacré sur l'autel est le vrai Corps, la vraie Chair et le vrai Sang de notre Seigneur Jésus-Christ, que nous recevons pour la rémission de nos péchés, dans l´espérance du salut éternel. »

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Le Sueur, Saint Bruno priant, Louvre

(1) Léon Bloy, Le Désespéré

(2) Chateaubriand, Génie du Christianisme