mardi, 15 mai 2018
La sainte messe
Je ressens pour le rite extraordinaire de la messe un amour que je ne ressens plus du tout pour l'ordinaire. J'essaie d'en comprendre la raison :
Certes, il y a la beauté de la liturgie : le grégorien, la richesse du latin, les habits des prêtres... Cependant, même tournée vers Dieu, la messe ne se peut borner à une dimension uniquement spectaculaire. Certes, il y a le recueillement des fidèles qui est beaucoup plus grand (silence, agenouillements...). Mais rien ne m'empêche de me recueillir dans l'autre rite, et si personne ne s'agenouille, de m'agenouiller, et si les gens chuchotent, de faire silence moi-même... Certes, il y a le respect plus grand qui entoure la distribution de l'hostie : à genoux, dans la bouche. Dans l'autre rite règne la décision de chacun, à genoux, debout, dans la main, dans la bouche... Cela finit par ne ressembler à plus grand chose lorsque chacun fait ce qu'il veut - ou ce qu'il croit vouloir. Certes il y a la dimension historique de la chose : la messe traditionnelle a traversé le temps, c'est celle que donnaient le Curé d'Ars, Bossuet, Ignace de Loyola. La sainte messe, en vérité, dont parlent et Chateaubriand, et Jeanne d'Arc et saint Louis, comme un beau vaisseau flottant à travers et sur les siècles pour porter le sacrifice du Christ jusqu'à nous. Cela a, de toute évidence, une autre allure que la messe soixante-huitarde lue dans toutes les langues un peu partout.
Certes... Mais je cherche encore. La messe en latin est invariable, alignée sur un missel qui est un réservoire d'intelligence et de culture catholiques, codifiée par des gestes - élévations, génuflexions - aussi précis que les notes sur une partition de musique : le prêtre du XXIe siècle ne peut y donner libre cours à sa fantaisie, le laïc non plus : La sainte messe est autoritaire, au contraire de l'autre qui cède beaucoup la place à l'arbitraire du moment et du lieu. La sainte messe est universelle, ce qui la rend évidemment plus juste, plus catholique, oserai-je le dire, que la messe moderne. Tout en étant autoritaire comme le Père, la sainte messe est humble, comme le Fils. Certes...
Et j'en arrive enfin à ce que je cherche : La présence du dieu trinitaire y est plus respectée, et donc plus sensible : le Père a un autel, un maître autel, sur lequel le sacrifice du Fils est consenti. Le Saint Esprit qui procède des deux s'y déploie. La communion des saints, qui tous ne connurent qu'elle, s'y exprime pleinement.
Il ne s'agit pas de dénigrer un rite contre un autre, ni même d'en opposer un à un autre. On ne vole pas aux mêmes altitudes, c'est tout : le dieu trine vivant doit Lui-même y être pour quelque chose. Et cela doit se dire, se savoir et se partager. Fidèles, demandez à vos évêques et à vos prêtres la sainte messe dans vos paroisses...
17:46 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : messe, catholicisme, religion, grégorien, latin |
mercredi, 28 octobre 2015
De chair et de laiton (2)
A la messe de 18h30, les fidèles, peu nombreux, demeurent fort dispersés, du fond de la nef jusqu’aux tous premiers bancs. Le petit chignon blanc se trouverait-il parmi eux ? Dompter ce premier mouvement de curiosité pour une génuflexion au centre de la travée, tout d’abord, puis prendre place devant un siège, les yeux pressamment tournés en direction du prêtre qui joignait les paumes devant le milieu de l’autel : « Christe eléison…» Déjà ce dernier élevait les mains. Et tous entonnaient le Gloria. Il ferma les yeux.
Voilà quelques mois qu’il découvrait dans une fascination juvénile tous ces chants immémoriaux, que les atermoiements de Vatican II devant l’hostilité du modernisme avaient depuis plusieurs décennies dérobés à cette multitude d’hommes de bonne volonté à laquelle il se croyait encore agrégé, malgré son esprit encombré et la multitude de coups bas qu’il devait chaque jour livrer dans sa boite pour simplement parvenir à survivre.
Agnus Dei, filius patri, qui tollis peccata mundi, oui, oui, miserere nobis ! Depuis les quelques mois qu’il se montrait assidu à cette messe dite en latin, l’officiant tourné vers Dieu, il acquiesçait de plus en plus à cette révélation véritable que la langue de l’Eglise militante portait jusqu’à lui avec ferveur et autorité, lui faisant parfaitement oublier ces prêtres lisant la messe en baskets, ces épîtres de Paul ânonnées par des paroissiennes à la voix nasale et haut perchée, ces hosties distribuées dans la paume comme autant de bonbons, et surtout ces chants aux paroles vides dans l’interprétation desquels chacun rivalisait de fausseté avec son voisin. La messe conciliaire et ses équipes paroissiales de scouts endiablés avaient bien failli lui faire perdre une foi qu’à quarante ans, contemporain des prières de Saint Clément et de Saint Irénée, il retrouvait là avec une cristalline intensité. Au « mitan de la vie », se disait-il, l’esprit aujourd’hui absent, alourdi, ailleurs, il était encore temps de « revenir » malgré tous les freins posés au dehors par l’actualité. D’autant plus que pour un chrétien, « il n’est jamais trop tard ».
Pourtant ce jour-là, la « Présence » lui échappait, pliant sous le poids de sa distraction du jour, du brouhaha de la salle des ventes, des plaisanteries stupides du commissaire. L’Evangile le consolerait-il ?
« Craignez celui qui après avoir ôté la vie, a le pouvoir de jeter dans enfer… ». L’enfer, il en était absolument convaincu, seule la dissociation de l’être pouvait, au moment de la mort, aveugler tellement une âme qu’elle se détournerait de la Grâce du Christ pour s’y jeter, abusée, comme dans le seul lieu encore abrité de Lui. Dissociation ou pire, dislocation. On est en fait réduit à l’enfer. Ne pas demeurer un être disloqué. « Cor mundum crea in me », chantait David. « et spiritum rectum innova in visceribus meis » (1). Or disloqué, il l’était. Fracassée, son âme, en de multiples puissances contradictoires qui livraient une guerre mortelle en son propre sein, le rendant sourd à Dieu.
Car voici qu’à présent son imagination portée sur la Croix d’autel lui en rappelait la matière toute bornée, étroite, profane, et que son entendement en fixait volubilement le prix estimé – selon qu’elle fut de bronze, de laiton, ou des deux à la fois. D’or, qui sait ? Celui qui est à la fois l’Oint, le grand Prêtre et la Victime innocente, l’Hostie pure et blanche, le Fils qu’il avait surpris, il n’y a pas deux heures de cela, telle une bricole d’autrefois jetée en pâture à des chiens de revendeurs au milieu d’une foule d’indifférents, non, quel tournis !
Le murmure lointain du prêtre qui débutait l’Offrande du pain s’estompait sous le cri des enchérisseurs, combien pour cette haute croix d’autel dix-neuvième ? Son regard déboussolé se réfugia sur la nappe, splendide ouvrage damassé, et les cadres de canon dorés, et celles-là même que le Servant venait de déposer avec précaution, les deux burettes… Les plaisanteries douteuses du commissaire retentirent, de la verrière à la voute. Cette dislocation n’était pas l’enfer, certes, mais elle l’y conduirait s’il ne parvenait vitement à s’en défaire pour de bon. Eh ! Comment s’en défaire, puisqu’il s’agissait de la dislocation de soi-même, rien de moins…
Or tandis que son imagination vaquait ainsi, et que son entendement jugeait, sa faible volonté surnageait, agrippée au déroulement de l’office « Orate fratres ut meum ac vestrum Sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem » (2) L’heure était venue du canon.
Voir Dieu. Voir Dieu dans ce laiton, où Sa chair n’est évidemment pas. A quoi bon ? Le moment s’approchait de Le recevoir Lui, à l’endroit même où Il réside. Et que la foi suppléât non seulement à la défaillance des sens, comme le chanta un jour Thomas d’Aquin. Mais également à celle de la raison, de la puissante et basse raison de ce siècle qui ne jure plus que par ce qui compte et ne croit plus qu’en ce qu’il est. Le moment venait, et le trouvait désaccordé...
Et c’est alors que - presque par hasard - ses yeux se posèrent sur l’inconnue au chignon rond, blanc, luisant, à quelques mètres de lui, déjà agenouillée, qu’il découvrit absorbée tout entière dans une secrète méditation. Comme tout à l’heure, elle lui montrait une voie, la voie. Il ferma les yeux. Réconcilier la mémoire, l’entendement, la volonté, le cœur, l’âme, enfin unifiée : « Dominus, non sum dignus… » Telle est mon âme blessée, « ut intres sub tectum meum » (3) plus assurément encore conçue de péché que Ta croix ne l’est de laiton, à l’heure que je m’avance vers Toi ; vers Toi dont la Chair a défié toute mort et toute matière, y compris ce froment, Ta Chair que je comprends par la conscience que tu me donnes de Ta Résurrection.
La réconciliation demeurera l’ultime défi que cette humanité, qui se croit de tout triomphante alors qu’elle ne fit que de tout s’éloigner, devra relever. Mais seule, évidemment, elle en sera tout à fait incapable.
Saint-Georges terrassant le dragon, porche de l'église Saint-Georges à Lyon
(1) « Crée en moi un esprit pur et renouvelle un esprit droit dans mes entrailles »
(2) « Priez mes frères pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre puisse être agréé par Dieu le Père Tout-Puissant. »
(3) « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit… »
22:04 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, vatican ii, messe tridentine, latin, kyrie eléison, gloria |
jeudi, 23 mai 2013
Locustarum examen
Le printemps, c’est la saison des asperges, des cerises, des fraises et des examens : au marché de la Croix-Rousse, les maraichers se plaignent tous de la pauvreté de leur récolte. L’éducation Nationale, elle, demeure ponctuelle dans sa production saisonnière de pensums. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’on crève de chaud par 40°, il y en a pour tout le monde, élèves, étudiants, professeurs. Ecrits puis oraux, avec des lots conséquents de copies et d’exposés tous la plupart du temps similaires puisqu’à l’école on n'apprend depuis toujours, c’est bien connu, qu'à faire, dire et penser comme tout le monde, tantôt en rangs, tantôt en ronds..
Ce matin donc, je m’en vais examiner.
Et comme j’aime bien savoir ce que je fais quand je fais quelque chose, j’ai suivi la piste à travers les siècles de ce terrible mot examen, utilisé aussi bien dans le domaine judiciaire que le médical, l’économique ou le scolaire. J’ai donc ouvert mon Gaffiot – une Bible irremplacée, et voici ce que je découvre : Le sens premier du terme latin examen est essaim d’abeilles, puis par dérivation troupe. Gaffiot, décidément, toujours à propos ! Il donne comme exemple Juvenum examen (Horace, Odes, 1, 35 [J’ai toujours aimé la précision des citations, Félix Gaffiot herborise autant qu’il fait de la grammaire]), qu’il traduit par troupe de jeunes gens. Au passage, apprécions ce locustarum examen, si tragiquement véridique, recueilli chez Tite Live, 42, 10,7 : nuée de sauterelles.
Comment le mot en vient-il à son troisième sens dans l’Enéide du bon Virgile (12, 725) ? Ne me le demandez pas, Gaffiot n’en dit rien. Il enregistre, simplement : aiguille ou languette d’une balance, et de là, action de peser, contrôle.
Le moderne Robert donne comme étymon le latin exigere, peser. Sans plus.
Mais Gaffiot, à l’article exigo, rappelle que ce même verbe à lui-même pour étymon ago (agir). Le premier sens de exigo (ex ago) étant pousser hors de, chasser, puis, mener à terme et enfin mesurer, régler.
Ainsi se comprend le fait que le terme ancien ait pu signifier en même temps les troupes ou les nuées (ce qui sort hors de) et l’instrument qui sert à peser. Finalement, le mot français examiner contient la forme latine verbale (contrôler) et nominale (les troupes). Examiner, cela revient à peser les sauterelles, pour ne pas dire autre chose.
C’est sans rapport aucun, mais je trouve très engageante cette vue de Lyon, prise du haut de la montée de la Grande Côte.
06:22 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : latin, examen, gaffiot, éducation nationale, lyon, croix'rousse, etymologie |