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samedi, 22 juin 2013

L'émergence du cadavre en littérature

Plus que toute autre, la littérature du dix-neuvième siècle abonde en descriptions de cadavres. Il est peu de romans, à bien regarder, qui n’en recèlent au moins une : cadavres d’enfants, cadavres de soldats, cadavres de saintes ou de courtisanes, cadavres de vieux chrétiens et d'assassins sans foi ni loi : cadavres, si j’ose dire, en tous genres.

Qu’on en juge par ce constat : Parmi les vingt romans des Rougon-Macquart de Zola, quinze s’achèvent par l’évocation voire la description détaillée d’un cadavre. Comme si la description du corps –souvent dans un très sale état – du héros constituait un vrai dénouement. Celui de Nana demeure un modèle du genre :

« C’était un charnier, un tas d’humeur, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l'autre; et flétries, affaissées, d'un aspect grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l'on ne retrouvait plus les traits. Un oeil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le bouillonement de  la purulence. L'autre, à demi ouvert, s'enfonçait, comme un trou noir et gaté  ».

Le cadavre de la reine de Paris n’inspire plus ni regret ni compassion à ceux qui hurlent A Berlin sous ses fenêtres : on passe à autre chose, la grande Histoire – ou du moins la vision que s’en fait Zola – roule sur le cadavre condamné à l'oubli, et tel est le sens de sa fulgurante décomposition.

Le principe naturaliste de clore une narration par la desciption d'un cadavre, récurrent chez Zola, prend naissance dans l'imitation de Balzac et de son réalisme. Dans César Birotteau, La fille aux yeux d’or, La femme de trente ans, La peau de Chagrin, pour ne citer qu’eux, la description d'un mort parachève la théâtralité de tout le récit. Et le véritable dénouement n’est pas une action, mais un état post-mortem, souvent non exempt d’ironie, comme ici pour le Christ de la parfumerie :

« En présence de ce monde fleuri, César serra la main de son confesseur et pencha la tête sur le sein de sa femme agenouillée. Un vaisseau s’était déjà rompu dans sa poitrine, et par surcroit, l’anévrisme étranglait sa dernière respiration.

-Voilà la mort du juste, dit l’abbé Loraux d’une voix grave, en montrant César par un de ces gestes divins que Rembrandt a su deviner pour son tableau du Christ rappelant Lazare à la vie.

Jésus ordonne à la Terre de rendre sa proie le saint prêtre indiquait au Ciel un martyr de la probité commerciale à décorer de la palme éternelle. »

L’exhibition finale du cadavre n’a pas toujours été de mise : « N’exigez pas de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions », précise le narrateur de Manon Lescaut. On se souvient, de même, avec quelle jalouse pudeur Claire tire le voile sur le visage de Julie dans La Nouvelle Héloïse. Rousseau pourtant évoque les chairs du visage, qui « commencent à se corrompre », là où Prévost se contentait de parler d’un corps « exposé à devenir la pâture des bêtes sauvages ». 

Les romanciers du dix-neuvième siècle n’auront de cesse de prolonger cette tentation. La poésie, elle-même, s’emparera du motif : Une Charogne de Baudelaire, Souvenir de la nuit du 4 de Hugo, Le dormeur du Val de Rimbaud, pour ne citer que les plus institutionnalisés, Enfin, quand la tragédie du grand siècle interdisait qu’on mourût sur scène, tout drame romantique ne saurait se conclure sans un amas de cadavres dans les minutes qui précèdent la chute du rideau. L’acteur doit donc aussi jouer le cadavre, et c’est sur cette improbable figuration que s’achève le spectacle et que le drame trouve sa fin, dans le sentiment que le spectateur emporte.

Dans son grand Sermon sur la mort, Bossuet, au plus établi de l’âge classique, avait pourtant fait preuve d’une solennelle prémonition, rendant compte pour le futur de la difficulté de dépeindre un cadavre :

« La chair changera de nature, le corps prendra un autre nom ; même celui de cadavre ne lui demeurera plus longtemps : il deviendra un je ne sais quoi, qui n’a plus de nom dans aucune langue ».

L’aigle de Meaux stipulait que dire le cadavre est un artifice impossible. A moins d’être – ce qu’il s’interdit par nature – un rapport d’autopsie, le discours littéraire sur le cadavre n’a donc pour seule ressource que de modaliser à l’infini toutes les variations de la peur et du désir qu’il suscite chez le survivant. 

Si l’on s’intéresse d’un peu plus près à cette mode du cadavre dont la littérature du XIXème témoigne, on découvre assez vite quel problème littéraire elle pose à chaque écrivain : l’objet cadavre étant proprement indicible et indescriptible, à moins de s’en tenir à un rapport d’autopsie  (et encore), c’est donc davantage la somme idéologique des peurs, des désirs, des pulsions et des représentations imaginaires de chacun qui se projette et se donne à lire, en lieu et place du corps mort décrit. Dans leur volonté de dire le Réel, le Beau, le Laid, le Sublime ou le Fantastique, des générations d’auteurs n’ont ainsi pas manqué d’esthétiser, chacune à leur façon, cet objet incontournable, que les siècles antérieurs avaient, plus prudemment, tenu à distance.

Ainsi, Chateaubriand décrivant le cadavre d’Atala en 1801 réconcilie l’homme et la nature dans une harmonieuse mise en scène de la foi chrétienne et du le grand rassemblement fraternel des défunts devant la promesse de la Résurrection.

« Ses lèvres comme un bouton de rose cueilli depuis deux matins, semblaient languir et sourire. Dans ses joues d'une blancheur éclatante, on distinguait quelques veines bleues. Ses beaux yeux étaient fermés, ses pieds modestes étaient joints et ses mains d'albâtre pressaient sur son coeur un crucifix d'ébène. Elle paraissait enchantée par l'Ange de la mélancolie et par le double sommeil de l'innocence et de la tombe. Le nom de Dieu et du tombeau sortait de tous les échos, de tous les torrents, de toutes les forêts (…)  et l’on croyait entendre, dans les Bocages de la mort, le chœur lointain des décédés, qui répondait à la voix du solitaire ».

Ni tristesse, ni désespoir de la part de Chactas, le survivant, mais une sérénité raffermie lorsque qu’il offre de ses mains mêmes à « la terre du sommeil » la dépouille  « comme un lys blanc », dont « le sein s’élève au milieu du sombre argile »

Cette vision du cadavre chrétien connait une fortune considérable et de multiples imitations, à tel point que le peintre Girodet s’en empare pour triompher au salon de 1808 avec Les Funérailles d’Atala.

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Du romantisme au naturalisme, dans ce XIXème ébranlé par les soubresauts convulsifs de plusieurs révolutions, hanté par les spéculations spirituelles (spiritisme, martinisme) les plus extrêmes, la représentation du cadavre a ainsi évolué en même temps que celle que l’homme a pu se faire de sa propre condition et de son propre destin, au fur et à mesure également que la représentation issue du catholicisme perdait de son emprise sur les esprits. Qu’il s’agisse d’affirmer la foi chrétienne ou celle dans le positivisme, la description du cadavre est devenu au cours du XIXème siècle un lieu idéologique, qui draine ses figures de style, ses passages obligés et ses lieux communs ; promesse de rédemption chez l'un, siège même de la pourriture excrémentielle chez l'autre, il se charge de tenir sur les vivants un discours sans ambigüité et occupe du coup dans l'oeuvre une place inédite auparavant.

(à suivre) 

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jeudi, 25 octobre 2012

Le bruit

Je me demande dans quel silence tombait Madame de Chateaubriand quand elle se mettait à prier. Qu’on ne voit dans cela nulle mélancolie, nul regret d’un passé que je n’aurai de toute façon pas la force d’imaginer, mais la vraie interrogation d’un homme assiégé depuis longtemps par le bruit.

Pour avoir, enfant, connu le silence nocturne des pièces et des champs de campagne, j’ai toujours été étonné par ces confidences de certains citadins, par lui, effrayés. Constatant, souffrant aussi de la façon dont nous sommes tous profondément, et de plus en plus, des êtres liés au bruit, je me demande oui, comme à la pensée d’une autre espèce, dans quel silence tombait madame de Chateaubriand quand elle se mettait à prier…

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Céleste Buisson de La Vigne (1774-1847)

mercredi, 22 août 2012

Orages désirés

On a toujours parlé du temps, bien sûr : du temps qu’il a fait, du temps qu’il va faire. Parler du temps, c’est mettre en place une conversation, un rapport sensuel au monde, partager l’instant. « Il y a des messages qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la conversation, à vérifier que le circuit fonctionne » professa le linguiste Jakobson lorsqu’il définit sa fameuse fonction phatique du langage. Le temps qu’il fait fait partie de ces énoncés creux, vides, dont la seule signification est donc d’établir une conversation. Le subtil Diderot fait débuter son magnifique Neveu, l’une des conversations littéraires les plus flamboyantes, les plus abouties, par la phrase restée célèbre, « Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais Royal ». Le Neveu de Rameau n’est pas seulement une conversation entre Moi et Lui, les deux protagonistes du dialogue. Il l’est également entre les facettes du Moi de Diderot, celles du Moi du lecteur : que le temps météorologique soit convoquée dans ce balancement rhétorique de deux présents signe le sens de l’à propos comme le coup de génie du directeur de l’Encyclopédie. « Il n’y a plus de saisons », disent plus prosaïquement les vieux sur les bancs

Depuis Charles d’Orléans, les saisons et le temps qu’il fait sont aussi un motif de poésie. Tout le Moyen Age s’entend dans son fameux « Hiver vous n’êtes qu’un vilain ». Les saisons de l’année devenant vite une métaphore des saisons de la vie chez les Renaissants, ce lien entre l’homme et le temps devient plus intime encore, se charge de murmurer ses espoirs, ses craintes et ses peines. La rose, aussi bien chez les poètes des Célébrations que chez ceux des Consolations devient l’incarnation poétique de cette fusion entre le temps qu’il fait et le temps qui passe.

Parler du temps qu’il fait, c’est aussi tenir le langage de l’amour ; le roman épistolaire le plus lu du XVIIIème siècle, La Nouvelle Héloise, inventa la météorologie romantique, celle qui permettait d’exposer les variations infinies du cœur et de la raison. Rousseau fut, avant Bernardin, avant Chateaubriand, l’un des premiers grands observateurs du temps en littérature.  La dix septième lettre de la Quatrième partie, et les jeux du soleil et du vent que Jean Jacques dépeint, demeure parmi les plus belles pages de la littérature française, où s’invente pour longtemps ce qui deviendra l’un des clichés les plus porteurs des romans à l’eau de rose à venir : la poésie du lac. Il faut ensuite attendre René et ses « orages désirés » pour que le romantisme de l’Enchanteur fasse enfin du temps qu’il fait un événement politique : le vieux monde s’effondre dans un délicieux crépuscule, la saison qui commence n’intéresse plus le mémorialiste qui s’enfonce dans sa tombe, un crucifix à la main, laissant aux hommes qui arrivent le soin de décrypter les temps nouveaux. C’est alors que Michelet invente le récit historique, la grande météorologie de l’espèce et de ses cycles, des ténèbres à la lumière puis de la lumière aux ténèbres, qui du Moyen Âge à la Révolution donne vie au peuple et sens à la nation.

A présent, quelques décennies plus tard, les hommes  ont cessé d’accorder sens au temps qu’il fait. Si les dépressions et les anticyclones sont encore d’actualité, ce n’est que pour forger une séquence médiatique parmi d’autres, la météo comme le sport ou la politique n’étant qu’un événement du calendrier : après l’été pluvieux et la canicule, donc, les orages. On se souvient de la tempête qui dévasta  naguère la France, du tsunami, le Japon. Ces heures-ci, nous n’aurons à nous mettre sous la dent que quelques orages de grêle et quelques promeneurs foudroyés. Qu’importe : cela suffit à faire l’évènement, comme l’élection de ce pitoyable et sinistre président, dont la rentrée normale se déroule de déjeuners de travail en réunions de palais où l’on se concerte entre soi, ou comme l’organisation de ces JO aux bords de la Tamise, dans lesquels la France ne glana que peu de médailles face à la Perfide Albion. Le temps qu’il fait devenu ainsi non-évènement donne la mesure de l’insipidité des temps qui sont les nôtres, et des gens que nous sommes devenus. Levez-vous ! Levez-vous donc, levez-vous vite orages désirés ! 

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Julie et Saint-Preux sur le lac Léman - Tableau de Le Prince (1824) au musée J.J. Rousseau à Mortmonrency)

mardi, 12 juin 2012

Les affaires de l'Europe

L’euro qu’il faut sauver, l’euro qu’il faut gagner…  Crise ou coupe, en ce mois de juin, on entend  partout parler de l’euro, que ça en vire au névrotique, à l'obsessionnel !  Moi je vous dis l’euro dépêchons-nous d’en sortir ou de le perdre pour au moins deux raisons :

D’abord parce que l’euro est tout le contraire de l’euphonie :  [øro], Ces deux voyelles fermées, vous trouvez ça doux au palais, suave à la lippe, franchement ? Obtus et fermé comme un cul de bœuf au moment de l’abattage, rien qui fleure la joie, l’ouverture. Le français aime le e muet, tous les poètes (les vrais, ceux qui, plus que le souci du dire, prennent le soin de l'écouter) le savent : La Fontaine, Racine, mais aussi Rimbaud, s’il faut pour être compris à tout prix être moderne

Pas de e muet, donc. Autrement dit, une Europe de consommation sans devenir et sans immédiat, un sigle de banquier et de président de l' UEFA, rien de plus. Pet de mouches. Murmurez-vous, pour vous en convaincre, et lentement, et les yeux clos, et en prenant votre souffle : [ europ].

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Jupiter et l'Europe, Gustave Moreau

Le e muet, rime féminine, reste en suspens. 

Il faut, mes amis, le deviner sur le bout de la langue, ce « e » : Europ

J’en arrive à la seconde raison.

Euro,c’est bourrin, euro, c’est masculin. C’est une une rime masculine, une rime en « o », les pires. Avec quoi voulez-vous faire rimer ça ? Avec ego ? Avec égaux ? Deux termes abominables, réfléchissez-y…  Tandis qu’Europe rime avec philanthrope…

Europe a le juste sexe, le juste ton, la juste proportion. Zeus, rappelons-le, captiva la belle nymphe. Depuis qu’un prof de latin m’apprit la chose en classe de seconde naguère, je n’ai jamais pu pisser contre l’ocelle basse d’un platane sans penser à Ovide narrant le verbe haut l’enlèvement d’Europe par Jupiter : plus de gueule que les commentateurs des matchs, que les Benzema, Ribéry et consorts, que la langue de bois des politiques ou les déplorations d’économistes, franchement !

Eu-ro-pe donc !

Depuis Delors et Maastricht (le père de Martine au Sénat), c’est sûr,comme je la regrettre,  « l’Europe aux anciens parapets… », c’est peu de le dire, Arthur !  

« La faire », disent, non sans culot , ceux qui la volent aux peuples et la défont d'éléction en élection sous nos yeux tristes…

Les footballeurs, eux, courent après les millions d’euros qui font les millions de malheureux, ironie du sort. Nadal soulève la coupe quand les banques espagnoles coulent les crédits de ceux qui le vénèrent outre Pyrénées. Les pauvres, ils appellent le sport un challenge pour les nations tandis qu’ils matent le gazon vert ou la terre battue à la TV. Ils peuvent, ah ils peuvent être fiers, Zbigniew Brzezinski, et ses potes de la Trilatérale qui l'ont kidnappée, l’essai est transformé, et pour des lustres !

Mais comme l’euro reste loin de cette Europe féminine et euphonique, celle de Montaigne en Italie, de Rousseau à Genève, de Chateaubriand à Prague, et de tous ces écrivains voyageurs, amants magnifiques,  qui l'ont chantée, l’Europe ! 

dimanche, 29 avril 2012

Le dernier abencérage

Plutôt que de nous traiter de noms d’oiseaux, nous devrions profiter avec bonhomie et sérénité de ce qui apparaîtra peut-être un jour comme la dernière campagne présidentielle vieille France. Tandis que Sarkozy jette ses dernières cartouches en faisant monter les polémiques afin de se ménager une sortie honorable, le parti socialiste s’apprête à jouer le pari le plus risqué de son histoire en transformant le pays en champ de tulipes dont il contrôlerait toutes les allées. Pendant ce temps-là, celui qui chantait « qu’il y a du soleil sur la France » passe pour de bon l’arme à gauche. Faut-il y voir un mauvais présage ? Et de quel ordre ? Roland Moréno, le français qui inventa la carte à puces à peu près à la même époque (oui, les années 70 furent très productives, ceux qui les vécurent en savent quelque chose) l'a suivi de peu. 

Pour ne pas faire retomber la mayonnaise, le 2ème tour français n’est pas achevé qu’on nous annonce déjà le début du show américain. Ce sera ensuite le tour de l’Allemagne. En perpétuelles élections, le monde ! En perpétuelle crise, pareillement... Je ne sais combien l’UMP + le PS + le FN + les petits candidats auront laissé de pognon dans l’affaire. Réinjecté, me direz-vous. Dans l’industrie du papier, celle des sonos, des locations de salles, des barrières de sécurité et des gradins. Rien ne se perd et tout est recyclé. A ce prix-là, tout de même, le téléspectateur attend un bon spectacle pour mercredi soir. Sous Valéry Giscard d’Estaing, nous n’avions déjà plus de pétrole, mais nous avions encore quelques idées. Depuis, nous n’avons plus ni frontières ni monnaie, et nous n’avons plus guère d’idées. Dettes, en revanche. Dettes. Et grands principes, toujours. 

Il paraît que Ségolène Royal s’est tirée de l’anniversaire de Julien Dray dès son arrivée en apprenant que DSK et Anne Sinclair étaient aussi invités. Valls et Moscovici ne se sont pas fait non plus prier pour prendre la tangente. Ambiance du prochain quinquennat. Pendant que Hollande fera son remake mollement mitterrandien à l’Elysée, Fillon fera le sien, chichement chiraquien, à l’Hôtel-de-Ville. La même chose en dégradé. Les ors de la sous-préfecture, disputés par de riches chinois et de non moins riches qataris, brillent donc de leurs derniers feux. Ce sont toujours les plus factices.

Hier, il paraît que Gérard Collomb, le bâtisseur de l'OL. Land, soutenait l'équipe d'Aulas auprès de Hollande au stade de France. Aulas a eu sa coupe, Hollande aura la sienne. Quid de Collomb ? Je ne sais pourquoi la tête de Hollande me fait tellement penser à celle de Louis-Philippe. Sans doute qu’il lui ressemble.  « Nous vieux témoins des hauts faits, nous sommes obligés de vous dire que vous n’apercevrez là que de pâles et misérables copies. » écrivait François René en avril 1831. Relire la quatrième partie des Mémoires d’Outre-Tombe, celle où le désenchantement lucide de Chateaubriand devant l’imposture du politique s’exprime avec le plus de causticité mais aussi avec le plus de clairvoyance. 

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Prunelle, un Collomb du temps de Louis-Philippe




mardi, 22 novembre 2011

Memento mori et autres postures

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L’Europe est vieillissante ; c’est un fait. La jeunesse, celle qui veut le bruit et la fureur et charrie l’énergie dans ses veines, gronde ailleurs : au Brésil, en Inde, en Afrique. Comme Chateaubriand l’écrivit un jour à propos du duc de Bordeaux : «Prolonger ses jours au-delà d’une éclatante illustration ne vaut  rien ; le monde se lasse de vous et de votre bruit ; il vous en veut d’être toujours là. » On aurait tout autant pu le dire à ce monsieur Rivier, dont l’enseigne occupa un jour si largement la  place des Terreaux. Son restaurant où se pressait la Bonne société de la Belle Epoque est dorénavant un magasin de fripes assez quelconque. Et l’on ne sait même plus le nom de l’artisan qui un jour, pour ravaler la façade, fit choir l’enseigne qui porta son nom au milieu des débris. Ni dans quel champ elle alla pourrir. Ce restaurant qui n'est plus, cela m'étonne et m'amuse de penser que Béraud, qui habita un certain temps au 4 de la place des Terreaux, dut s’y attabler en compagnie d’Albert Londres et de Charles Dullin au plus bel éclat de leur jeunesse,  avec cette même et somme toute ridicule privauté que les vivants du café Leffe d’aujourd’hui. 

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C’est certes dérangeant de se souvenir que, comme le duc de Bordeaux ou monsieur Rivier, nous passerons à notre tour. Certains âges de la vie jugent même la chose révoltante.  En même temps, il y a dans la mort quelque chose de consolant,  et j’entends bien ce lucide et caustique plaisir avec lequel Chateaubriand écrivit : « il vous en veut d’être toujours là ».  Heureux me dis-je celui qui, après avoir été insouciant à vivre, parvient à l’être autant à mourir, même si c’est assurément plus difficile.

On apprend beaucoup de choses dans le monde, en effet, mais nulle part à passer la main. Imaginerait-on une école de ce genre, dont la devise écrite au tableau chaque jour serait celle du Memento Mori, et le diplôme de fin de cursus un congé définitif ? Se dire qu’on va mourir, n'est un plaisir - voire un luxe- que  pour celui qui estime que ça ne va pas se passer sur l’heure, je veux dire, à l’instant. Je sais que je vais mourir, mais je sais que je goûterai, là, encore quelques instants. Je les savoure. J’hume. Derrière ce memento mori, j'entends bruire mon souffle et résonner le pas sûr de ma vie. Et j’apprécie. Là réside la secrète et profonde délectation de la mélancolie. Si les  2000 vers du Testament de Villon sont si justes, si caustiques et si beaux, c’est parce qu’ils dégorgent de la joie de se savoir mortel et vivant à la fois. Le plus pauvre des pauvres, sûr tout soudain de son trésor.

S’il y a un point commun entre Villon et Chateaubriand , c’est que tous deux - est-ce assez singulier dans la littérature ! - ont adopté le point de vue de leur propre cadavre,  une parole issue de leur propre tombe :

« Item, vueil qu’autour de ma fosse

Ce qui s’ensuit, sans autre histoire,

Soit escrit en lettre assez grosse… », 

quémande le premier. S'il n'y avait cette joie, ce plaisir ironique de celui qui n'est pas encore mort et chante encore, ce serait certes ce qu'on appelle une posture. Sur quoi le second renchérit, de ce même ton, mettant à nu le plaisir vif du vivre encore  :  «Vous qui aimez la gloire, soignez votre tombeau ; couchez-vous y bien ; tâchez d’y faire bonne figure, car vous y resterez. » 


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vendredi, 12 novembre 2010

Remanier, remaniement

Pour un type qu’on dit speed, n’agissant que sur coups de tête, Sarkozy pour le moins prend son temps. On devrait (paraît-il) connaître la semaine prochaine la véritable nature du remaniement ministériel annoncé depuis le printemps. Si l’on en croit les bruits qui courent un peu partout, ça risque en effet d’être un sacré remaniement puisque le même est, par les fameux observateurs, donné reconduit, Fillon devant se succéder à lui-même dans le slip du premier ministre. Ce qui serait quand même une sorte de changement, tant tout le monde s’était fait à l’idée qu’il allait partir : le changement ne serait donc qu’une impression de changement, mais à une époque où seule l’impression compte, au fond quelle importance pourrait-on dire ? Et en effet, quel changement !

Dans le milieu strictement politicien, qui croit encore, de toute façon, qui croit sérieusement à cette idée de changement, un changement qui serait dû à M. Chose ou à Mme Machin ? Rien ne serait même in fine plus conforme à l’esprit de l’époque, que ce nouveau Fillon qui, en reconduisant chaque ministre actuel à son poste exact pourrait à son tour créer dans ce vieux pays un bel effet de surprise, en effet. Un changement à l'identique, au secrétaire d'état près.

En attendant d’en connaître comme tout un chacun la teneur, j’ai eu la curiosité d’aller voir ce que le petit Robert disait de ce substantif assez laid à entendre, remaniement. Le terme date de 1690, du bon siècle de Louis XIV et signifie « l’action de remanier, son résultat ». Remanier, lui, formé en 1300 (le bon temps de Philippe le Bel) de re + manier signifie « modifier un ouvrage de l’esprit par un nouveau travail en utilisant les matériaux primitifs». Je ne sais si un gouvernement est un ouvrage de l’esprit, mais je constate que Sarkozy serait en train, consciemment ou non, de renouer avec le sens primitif du terme s’il conserve bien le matériau Fillon. Comme en toute chose il faut connaître l’étymon, je suis allé voir ensuite manier, terme dont la formation nous ramène à l’an 1160, sous le règne de Louis VII le Pieux, l’époux d’Aliénor d’Aquitaine. Manier (de maneir, main) signifie tâter, palper. On voit que, plus on remonte le temps, plus les choses redeviennent concrètes, et presque sensuelles.

Mais au fond, que peut bien nous importer les tripatouillages de la sous-préfecture élyséenne ? Sarkozy « président du G20 » depuis aujourd’hui va nous jouer à nouveau la carte de l’hyperactif omniprésent sur tous les fronts, comme si en bon VRP il faisait à nouveau peau neuve. Je me souviens de sa bobine au JT de mai 1993 lorsque, ministre du budget et porte parole du gouvernement Balladur, il quitte l’école maternelle de Neuilly avec un chiard dans les bras, cerné de micros et de caméras. Changement ?

C’est plutôt bien une lente décomposition, dans la perpétuation spectaculaire d’une même crise, qu’un changement. Nos espérances de changement, qu’elles soient de droite ou de gauche, s’enlisent au fil de septennats devenus quinquennats dans le spectacle du non-changement européen, et dans la pratique généralisée de l’illusion du changement, gestion de crise oblige : pensez que Martine Aubry, fille de Delors, incarne aux yeux des gens un espoir d’alternance

Remaniement, changement, alternance : me vient à l’esprit ce paragraphe de Chateaubriand qui date de 180 ans.

La bonne littérature, c’est comme le bon vin ; nous sommes alors en 1830 et Charles X, le vieux légitimiste chassé de Paris part en exil à Prague, laissant le trône à Louis Philippe. Ni Sarkozy, ni Aubry, ni Fillon, ni vous ni moi n’étaient encore nés. Ni Debord qui théorisa la société du spectacle, ni Brzezinzski qui théorisa le divertissement. Pour parler de changement, on ne disait pas remaniement ou alternance, on disait Révolution. Et pourtant, déjà :

 

« Maintenant, qu'était devenu Charles X ? Il cheminait vers son exil, accompagné de ses gardes du corps, surveillé par ses trois commissaires traversant la France sans exciter même la curiosité des paysans qui labouraient leurs sillons sur le bord du grand chemin. Dans deux ou trois petites villes, des mouvements hostiles se manifestèrent ; dans quelques autres, des bourgeois et des femmes donnèrent des signes de pitié. Il faut se souvenir que Bonaparte ne fit pas plus de bruit en se rendant de Fontainebleau à Toulon, que la France ne s'émut pas davantage, et que le gagneur de tant de batailles faillit d'être massacré à Orgon. Dans ce pays fatigué, les plus grands événements ne sont plus que des drames joués pour notre divertissement : ils occupent le spectateur tant que la toile est levée, et, lorsque le rideau tombe, ils ne laissent qu'un vain souvenir. Parfois Charles X et sa famille s'arrêtaient dans de méchantes stations de rouliers pour prendre un repas sur le bout d'une table sale où des charretiers avaient dîné avant lui. Henri V et sa sœur s'amusaient dans la cour avec les poulets et les pigeons de l'auberge. Je l'avais dit : la monarchie s'en allait, et l'on se mettait à la fenêtre pour la voir passer. »

 

Il est indéniable que le rideau finira par tomber sur ceux qui nous gouvernent aujourd’hui, sans qu’il y ait besoin de tirer la ficelle plus que ça. Laisser simplement du temps filer : comme le temps vint à bout de ceux-là, il viendra aussi à bout de ceux-ci. Indéniable, également, que ceux-ci sur lequel le rideau se lèvera pour que le show continue ne produiront à leur tour qu’une impression de changement, puisque c’est malheureusement la nature même du spectacle de continuer, et que, mine pour mine et masque pour masque, faux-semblants pour faux-semblants, remanier un gouvernement reste plus faisable que remanier le spectacle tout entier.

 

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 Louis VII, dit le Jeune ou le Pieux 

lundi, 12 juillet 2010

Le vicomte et le chansonnier

Un beau billet du Tenancier, à lire ICI, à propos d’un ouvrage sur Béranger : une véritable explication de livre, comme il  existe des explications de textes, si on veut, mais aussi une petite fable qui m’a reconduit à l’amitié entre Béranger et Chateaubriand, telle que ce dernier en  parle dans le tome quatre de ses Mémoires. C’est durant l’hiver 1830 que les deux hommes s’étaient rencontrés. « Tout ce qui touche à la renommée de la France m’est cher, et vous avez élevé la chanson jusqu’à la gloire » Derrière le phrasé un rien cérémonial se glisse une vraie reconnaissance du vieux légitimiste. Leur relation durèrent jusqu’à la mort de Chateaubriand qui, encore en 1844, se rendait à Passy pour causer quelque temps avec le chansonnier, dans la petite maison qui fut son dernier logis. « Je déteste deux choses en lui : l’impiété et le cynisme. Le reste me ravit » : Un aveu que François-René fit de peu de gens.

 

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Béranger, Hôtel-de-Ville de Paris

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samedi, 27 juin 2009

Chronique de la fin du mois de juin et de la common decency

Ambiance lourde de fin, planant sur la ville, alors que les débats de comptoirs deviennent, les dernières journées de juin aidant, des débats de terrasses : fin de quoi ? On ne sait trop. Passé le solstice d’été, les jours déclinent, et peut-être est-ce cette fin qu’on commence à ressentir avec ce qui nous reste de feuilles et de racines dans le système nerveux, nous les humains. Les jours déclinent, et voilà que nous retournons vers l’hiver aussi surement qu’un nouveau-né marche vers sa mort, dût-il vivre centenaire. L’hiver approche, donc, et l’on sait déjà qu’il sera fatidique non seulement à de nombreux petits vieux, mais aussi un peu à tout le monde, grippe porcine annoncée. Le gouvernement, toujours prévoyant, a commandé l’enregistrement d’un trimestre entier de cours, de la primaire à la terminale, pour le cas où on se verrait obligé de fermer les écoles. La télévision sur l’estrade, et hop ! L’institut et le prof dans la boîte, et hop ! J’apprends en porcinant. Depuis le temps que les élèves prennent leurs profs pour des postes de télé, ils pourront enfin – s’ils ne meurent tous pas du vilain virus annoncé – les mater d’une oreille distraite et les écouter d’un œil dissipé, en bouffant des peanuts et des sucreries.

Remarquez faut pas rigoler trop haut, car on ne sait toujours pas jusqu’à quel point tout ça, c’est de l’esbroufe ou non. Nous sommes trop déshabitués aux grandes épidémies des temps jadis.  « Le choléra, note le grand Chateaubriand dans la quatrième partie de ses Mémoires, sorti du Gange en 1817, s’est propagé dans un espace de deux mille cents lieues du nord au sud, et de trois mille cinq cents d e l’orient à l’occident : il a désolé quatorze cents ville, moissonné quarante millions d’individus. On a une carte de la marche de ce conquérant : il a mis quinze années à venir de l’Inde à Paris ; c’est aller aussi vite que Bonaparte : celui-ci employa à peu près le même nombre d’années à passer de Cadix à Moscou, et il n’a fait périr que deux ou trois millions d’hommes. »

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