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vendredi, 12 novembre 2010

Remanier, remaniement

Pour un type qu’on dit speed, n’agissant que sur coups de tête, Sarkozy pour le moins prend son temps. On devrait (paraît-il) connaître la semaine prochaine la véritable nature du remaniement ministériel annoncé depuis le printemps. Si l’on en croit les bruits qui courent un peu partout, ça risque en effet d’être un sacré remaniement puisque le même est, par les fameux observateurs, donné reconduit, Fillon devant se succéder à lui-même dans le slip du premier ministre. Ce qui serait quand même une sorte de changement, tant tout le monde s’était fait à l’idée qu’il allait partir : le changement ne serait donc qu’une impression de changement, mais à une époque où seule l’impression compte, au fond quelle importance pourrait-on dire ? Et en effet, quel changement !

Dans le milieu strictement politicien, qui croit encore, de toute façon, qui croit sérieusement à cette idée de changement, un changement qui serait dû à M. Chose ou à Mme Machin ? Rien ne serait même in fine plus conforme à l’esprit de l’époque, que ce nouveau Fillon qui, en reconduisant chaque ministre actuel à son poste exact pourrait à son tour créer dans ce vieux pays un bel effet de surprise, en effet. Un changement à l'identique, au secrétaire d'état près.

En attendant d’en connaître comme tout un chacun la teneur, j’ai eu la curiosité d’aller voir ce que le petit Robert disait de ce substantif assez laid à entendre, remaniement. Le terme date de 1690, du bon siècle de Louis XIV et signifie « l’action de remanier, son résultat ». Remanier, lui, formé en 1300 (le bon temps de Philippe le Bel) de re + manier signifie « modifier un ouvrage de l’esprit par un nouveau travail en utilisant les matériaux primitifs». Je ne sais si un gouvernement est un ouvrage de l’esprit, mais je constate que Sarkozy serait en train, consciemment ou non, de renouer avec le sens primitif du terme s’il conserve bien le matériau Fillon. Comme en toute chose il faut connaître l’étymon, je suis allé voir ensuite manier, terme dont la formation nous ramène à l’an 1160, sous le règne de Louis VII le Pieux, l’époux d’Aliénor d’Aquitaine. Manier (de maneir, main) signifie tâter, palper. On voit que, plus on remonte le temps, plus les choses redeviennent concrètes, et presque sensuelles.

Mais au fond, que peut bien nous importer les tripatouillages de la sous-préfecture élyséenne ? Sarkozy « président du G20 » depuis aujourd’hui va nous jouer à nouveau la carte de l’hyperactif omniprésent sur tous les fronts, comme si en bon VRP il faisait à nouveau peau neuve. Je me souviens de sa bobine au JT de mai 1993 lorsque, ministre du budget et porte parole du gouvernement Balladur, il quitte l’école maternelle de Neuilly avec un chiard dans les bras, cerné de micros et de caméras. Changement ?

C’est plutôt bien une lente décomposition, dans la perpétuation spectaculaire d’une même crise, qu’un changement. Nos espérances de changement, qu’elles soient de droite ou de gauche, s’enlisent au fil de septennats devenus quinquennats dans le spectacle du non-changement européen, et dans la pratique généralisée de l’illusion du changement, gestion de crise oblige : pensez que Martine Aubry, fille de Delors, incarne aux yeux des gens un espoir d’alternance

Remaniement, changement, alternance : me vient à l’esprit ce paragraphe de Chateaubriand qui date de 180 ans.

La bonne littérature, c’est comme le bon vin ; nous sommes alors en 1830 et Charles X, le vieux légitimiste chassé de Paris part en exil à Prague, laissant le trône à Louis Philippe. Ni Sarkozy, ni Aubry, ni Fillon, ni vous ni moi n’étaient encore nés. Ni Debord qui théorisa la société du spectacle, ni Brzezinzski qui théorisa le divertissement. Pour parler de changement, on ne disait pas remaniement ou alternance, on disait Révolution. Et pourtant, déjà :

 

« Maintenant, qu'était devenu Charles X ? Il cheminait vers son exil, accompagné de ses gardes du corps, surveillé par ses trois commissaires traversant la France sans exciter même la curiosité des paysans qui labouraient leurs sillons sur le bord du grand chemin. Dans deux ou trois petites villes, des mouvements hostiles se manifestèrent ; dans quelques autres, des bourgeois et des femmes donnèrent des signes de pitié. Il faut se souvenir que Bonaparte ne fit pas plus de bruit en se rendant de Fontainebleau à Toulon, que la France ne s'émut pas davantage, et que le gagneur de tant de batailles faillit d'être massacré à Orgon. Dans ce pays fatigué, les plus grands événements ne sont plus que des drames joués pour notre divertissement : ils occupent le spectateur tant que la toile est levée, et, lorsque le rideau tombe, ils ne laissent qu'un vain souvenir. Parfois Charles X et sa famille s'arrêtaient dans de méchantes stations de rouliers pour prendre un repas sur le bout d'une table sale où des charretiers avaient dîné avant lui. Henri V et sa sœur s'amusaient dans la cour avec les poulets et les pigeons de l'auberge. Je l'avais dit : la monarchie s'en allait, et l'on se mettait à la fenêtre pour la voir passer. »

 

Il est indéniable que le rideau finira par tomber sur ceux qui nous gouvernent aujourd’hui, sans qu’il y ait besoin de tirer la ficelle plus que ça. Laisser simplement du temps filer : comme le temps vint à bout de ceux-là, il viendra aussi à bout de ceux-ci. Indéniable, également, que ceux-ci sur lequel le rideau se lèvera pour que le show continue ne produiront à leur tour qu’une impression de changement, puisque c’est malheureusement la nature même du spectacle de continuer, et que, mine pour mine et masque pour masque, faux-semblants pour faux-semblants, remanier un gouvernement reste plus faisable que remanier le spectacle tout entier.

 

200px-Louis_VII_le_Jeune.jpg

 Louis VII, dit le Jeune ou le Pieux 

Commentaires

J'avais envie d'écrire un texte pour "Non de non" sur ce remaniement et sur le battage médiatique autour de ce pseudo changement, mais tu l'as fait avec brio !

Remplacer des petits robots au discours pré-enregistré par d'autres petits robots équipés du même pré-enregistrement... Là encore, les journalistes ne sont pas à leur place : ils devraient éclater de rire, crier à l'arnaque, au jeu de dupe... mais non, ils préfèrent jouer la carte du "suspens" : Borloo ou Fillon ?. Berk : comme si on leur demandait d'écrire des scénarios de téléfilms...

Écrit par : stephane | vendredi, 12 novembre 2010

Bonjour,
J'aime beaucoup votre façon d'écrire. Merci pour votre passage sur mon propre blog. J'aurais aimé votre propre diagnostique mais je comprends que ce ne soit pas le ton de votre article ( que j'apprécie ).

A bientôt,

Écrit par : karine | vendredi, 12 novembre 2010

"Il fut un temps où les hommes avançaient non pour la gloire, une couronne ou la notoriété, non pour servir un pays ou se servir soi-même. Ils avançaient pour vivre, animés par une immense soif de découverte et de désir de repousser les limites de leur monde.
Ce temps est révolu.
Le souffle de ces derniers hommes, aventuriers, découvreurs, explorateurs, s'éteignit il y a six siècles dans les confins de l'océan Arctique."
(En exergue de "L'Homme tordu, Le roman d'Einar Thorvaldsson" de Guillaume Hintzy).

Écrit par : Michèle | vendredi, 12 novembre 2010

CONTINUITE DU REMANIEMENT

Ce n'est pas d'hier
Que le monde est un spectacle
Dont les lambris rayonnent
En fonction du regard porté
Par la contemplation

That's entertainment
Chantent les modes
Depuis plus de 10 000 ans
Et l'origine du mouvement
Sourit d'un battement de cil
Ou d'un grondement de tonnerre

Rien ne change
Mais tout est différent
Magie et sortilège
Charme et malédiction
Rien de plus qu'un commentaire
Une ligne de teinture
Pour qualifier l'absence d'horizon

Écrit par : léon jean reno | vendredi, 12 novembre 2010

sry pour le pseudo ^^

Écrit par : gmc | vendredi, 12 novembre 2010

Remanier, manipuler. Jeux de mains, jeux de vilains, comme disait ma grand-mère...
Et vous savez fort bien que les sbires, les thuriféraires et autres flatteurs n'attendant que cela : un maroquin pour exister. Cela rend, avec du recul, certains "anciens" estimables . Alain Peyrefitte qui refusa en 76 le poste de premier ministre ; Jacques Delors qui exigea qu'on lui adjoignît la Direction du Trésor, ce que le Florentin, vous vous en doutez, n'accepta pas. Estimer Peyrefitte et Delors ! Si on m'avait dit qu'un jour j'écrirais cela, j'aurais ri, beaucoup ri... Vite, relisons Beaumarchais pour ne pas pleurer...

Écrit par : nauher | vendredi, 12 novembre 2010

Finalement, c'est très borgesien un changement qui reconduirait strictement l'identique. Qui a dit que Sarkozy était inculte? Sa détestation de La princesse de Clèves n'est lié qu'au temps qu'il n'a pas pu lui consacrer, plongé qu'il était dans la lecture de Borgès. Quel coquin!

Écrit par : Harmonia | vendredi, 12 novembre 2010

@ Stéphane : Imagine ce que peut en penser Béatrice Schönberg...

@ Karine : Un pronostic ? Dieu m'en garde !

@ Michèle : L'homme tordu ? Beau titre... Le roman est-il intéressant ? Connais pas du tout. Avec tous ces livres que je n'ai jamais lu, j'ai de quoi remplir quelques bonnes années encore !

@ GMC : Un pseudo sous l’éventail ou je me trompe ?

@ Nauher : Vous imaginez, le jour où on trouvera que finalement Fillon et Sarkozy...

@ Harmonia : Les politiques sont tous de grands filous. Suis d'accord.

Écrit par : solko | samedi, 13 novembre 2010

@ Solko : J'ignorais que Béatrice Schönberg pensait !!!

Écrit par : stephane | samedi, 13 novembre 2010

c'est juste^^

Écrit par : gmc | samedi, 13 novembre 2010

@ Solko : J'ai lu "L'Homme tordu" ce week-end, pour pouvoir vous répondre. Je l'avais pris à la bibliothèque parce qu'il y était question du Groenland.
De fait c'est le premier roman (très à la mode aujourd'hui les "premiers romans") d'un fin connaisseur de la culture inuit, qui a monté de nombreuses expéditions dans les "3 pôles" (le pôle nord, le pôle sud et l'Everest)
On peut vivre sans lire ce livre :)
Ce qu'il raconte c'est comment les Vikings (qui ont peuplé le Groenland pendant quatre cents ans)voient leur colonie disparaître lors d’une période glaciaire au XVe siècle, ne laissant plus sur place que les Inuits.
C'est très contemporain dans cette peinture de l'incapacité des hommes à comprendre et assimiler la réalité, c'est-à-dire que ce qu'on a connu jusque là est fini et qu'il faut changer.

L'Homme tordu dans cette histoire, c'est l'autre, celui qu'on craint, que l'on pense primitif (l'Inuit qui survit au froid, alors que le Viking est incapable de s'adapter aux nouvelles conditions climatiques).

Voilà, sans la nécessité de vous répondre, je n'aurais sans doute pas lu jusqu'au bout, et je ne regrette pas de l'avoir fait.

Écrit par : Michèle | lundi, 15 novembre 2010

Oui, les premiers romans sont très à la mode. J'ai lu sur le blog de JLK qu'il y a eu un nombre impressionnants de premiers romans sans lendemain, des carrières "avortées", des écrivains disparus. Merci de ce résumé. Je retiens le titre.

Écrit par : solko | lundi, 15 novembre 2010

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