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lundi, 18 janvier 2010

Otium dominical

Toute la journée de dimanche avec des notes, prises naguère, ces paragraphes surlignés sur des pages jaunies. Lecture et relecture de centaines de descriptions d’une même ville laquelle, bien qu’encore debout, me parait soudain en grande partie disparue avec tous ceux qui n'ont ainsi cessé de la nommer jadis. Etrange féerie des phrases, toujours ce pouvoir évocateur du rythme des phrases qui fait que soudain s’entend une voix là où n’est que du silence. Et ce mélange alors, d’une joie véritable et de diffuse tristesse, tout en retrouvant dans leurs mots, réduite presque à l’état de légende romanesque, ce qui fut la réalité sensible de leurs pierres, autrefois.

Vertige réelle des signes et des secondes, vertige des lettres de leurs mots, des chiffres de leurs dates. Il y a parmi eux des auteurs dont nul ne connait plus l'année de naissance, d’autres, dont on n'a jamais su dans quelles conditions ils ont disparu. Leur livre reste pourtant là, entre mes mains ou posé sur mon bureau, avec sa date de parution, ses pages écornées, ses taches de rousseur, son parfum. Cette date seule de parution atteste du passage sur terre de cet auteur disparu. Les caractères d'imprimerie seuls demeurent, à la manière d'une tombe, et rien d’autre. C'est drôle, l'histoire m'intéresse de moins en moins, de plus en plus, la mémoire de ceux qu'elle avala.

Leur roman ...

 

Et ce n’est même pas un testament. Et peut-être que ce ne fut qu'une œuvre de circonstance, une commande, une parodie, même. Ou rien qu’un court récit, pas toujours réussi, habité par un ambition de vivant, par l’air du temps, les modes, les influences et quelque expérience de vie en cours – un simple instant de jeunesse ou de maturité – traversé par une époque (avant-guerre) ou une autre (après-guerre). Où se mesure la fracture qui brisa bel et bien en deux moments et en deux mondes le même pays et les mêmes gens. Tels, de Charles Joannin, Périssoud militant lyonnais (1932); ou bien de Georges Champeaux, Le roman d'un vieux groléen (1909)...

Pour décrire le territoire commun, il y a les solistes, bien sûr, ceux dont la plume en quelques lignes fait se soulever tel coin de rue, tel monument, tel magasin, telle saison… Et puis les imitateurs, les choristes. Mais ce qui me frappe, un peu comme quand je lorgne une vieille enseigne ou bien l’intérieur d’une cour intérieure restée en son jus, c’est cette capacité qu’eurent tous ces écrivains du début du vingtième siècle à restituer une certaine ferveur poétique à partir de leurs immeubles et de leurs rues. C’était une société de lecteurs, chez qui la foi dans la littérature vibrait encore de son passé le plus récent – Balzac, mort depuis quelques décennies seulement – ou plus ancien – les auteurs, par exemple, latins. Ils habitaient leurs livres comme on habite une ville, et leur ville comme on habite une tête, dans un espace et un langage dont on sent bien que ni l'un ni l'autre n'étaient distendus (distordus). Et tout cela n'empêchait nullement la critique et la satire, l'humour ou la rêverie. Le lieu, par lequel ils se reliaient à la plus haute Antiquité en vénérant quelques  bouts de tuile gallo-romaine, était aussi celui de leur République et celui où ils pensaient leur mort à venir. Il est devenu le lieu de leur exil, du mien également.

Car dans le loisir studieux de ce dimanche, un songe continu m'a conduit sur leurs traces et comme relié à eux (reliure) - par le labour sinueux de leurs lignes. Grâce à eux - bien précieux-  j'ai, non pas réfléchi, à peine travaillé, mais, bel et bien, rêvé.

06:15 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, rues de lyon | | |

mardi, 29 décembre 2009

Chose littéraire du temps jadis

Il n’y a rien à faire, on a beau me dire (et avec raison)  que je suis moi aussi un contemporain ; j’ai beau apprécier bien évidemment certains textes d’auteurs vivants - & dont certains sont si vivants qu’ils fréquentent même ce blog – je suis un indécrottable amateur des reliures écornées, des pages jaunies, des textes qui s’y lovent. L’occasion m’est donnée à nouveau de l’expérimenter puisque je prépare une « conférence » (ce mot est un peu barbare, on songe à « con fait rance » ; peut-être vaudrait-il mieux employer ce terme désuet de causerie) -  une causerie donc (comme celles que faisait le lundi le vieux Sainte-Beuve) mais qui aura lieu un mercredi (le 3 février exactement ; on aura ici l’occasion d’en recauser bien sûr.)

Occasion de se replonger dans l’arôme de toutes ces feuilles roussies, odorantes, de passer le doigt sur leurs pages et d’y sentir le relief laissé par le typo – la main de l’ouvrier au service de la pensée de l’écrivain – main & pensée étant à prendre au sens noble, noblesse du sens laissé doublement par ces caractères dans leur forme et dans leur signification doublement, l'une par l'autre et l'autre par l'une, élaborées : Ah, pour le coup, quelle joyeuse mélancolie ! Lyon vu de Fourvières, par exemple, édité en 1833 chez Léon Boitel, éditeur imprimeur quai Saint-Antoine, 36…. Je suis passé en coup de vent, ce week-end au Quartier Latin. Beaucoup de librairies universitaires et de sciences humaines, pssssst, en une quinzaine d’années, envolées !  Un magasin de fringues, de portables, de kebab à la place. Un Quartier Latin qui n’avait déjà au temps naguère de latin que le nom et qui bientôt… J’ai tout de même retrouvé en ce samedi où Paris était désert et froid, ce face à face si étonnant de Saint Nicolas du Chardonnet et du palais de la Mutualité, cette longue et chère rue des Ecoles qui, de la Sorbonne à Jussieu en passant par le Collège de France, étale son relief inégalement bossu et puis la rue Saint-Jacques non loin de laquelle s’éteignit le pauvre Lélian, la place du Panthéon, ce lacet de la rue de Vaugirard qui ceint le Luxembourg, la splendide rue de Tournon, la rue Garancière veuve dorénavant de ses éditeurs anciens - quelle place inutile tient ce foutu Sénat ! -, la place Saint-Sulpice, la chapelle vide de Delacroix… J’ai l’air de m’égarer ; pourtant non : on erre dans les rues de Paris comme dans les pages des vieux romans lyonnais et vice-versa, mémoire immatérielle, suavité…

Et donc cette conférence qui, à un moment ou à un autre, abordera le thème, bien sûr de la décentralisation littéraire, question qui fut chère au cœur de Léon Boitel et de tous ces romantiques lyonnais parfaitement oubliés sauf de quelques-uns et dont ce vieil ami Béraud fut parmi les derniers authentiques descendants.

Des livres empilés un peu partout, des citations à rassembler, à entrer dans l’ordi, un beau désordre, vraiment...  qui ressemble à celui de l’esprit, organiser, mettre en forme…

Pour ce travail tout en lenteur, le silence…

11:32 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : causerie, littérature, quartier latin | | |

dimanche, 13 décembre 2009

Les hiéroglyphes de la pensée

Lit-on encore beaucoup au Père Lachaise ? Du temps que j’étais parisien, j’allais très souvent m’y promener. Des dix années que j’ai passées là-bas, ce sont ces promenades et les lectures qu’elles suscitaient qui me manquent le plus, dorénavant.

Il est rare, en effet, de trouver une aussi vive adéquation entre les pages d’un livre et celles d’un site : je me souviens tout particulièrement de celle entre plusieurs romans de La Comédie Humaine - au premier lieu desquels Séraphita & Louis Lambert, et le relief cabossé, la statuaire tourmentée des hôtes célèbres ou anonymes du Père Lachaise, l’obstination têtue du vivre encore qu’on y ressent devant certains épitaphes, certains gisants, certains bustes, lorsqu’on est assis sur certains bancs. (1)

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dessin de Bertall (edition Furne de la Comédie Humaine)

Louis Lambert passe pour être une autobiographie romancée d’Honoré de Balzac. On a retrouvé, parmi les camarades de ce dernier au lycée Vendôme un certain Louis Lambert Tinant, fils d’un inspecteur de marine à Dunkerque. Mais cela ne prouve rien. Rien du tout. D’ailleurs à quoi bon prouver ? Louis Lambert, c’est avant tout l’histoire d'une Idée, celle de l’individu, telle que le romantisme encore teinté d’aristocratie de la Restauration de Charles X s’est plu à l’inventer pour faire mine de donner une âme à la haute-finance : c’est aussi une rêverie sur la naissance du langage et sa concomitance avec la naissance du sentiment de soi : « Quel âge a donc la parole humaine ? » se demande Louis en contemplant le bref instant de sa vie. Sur les traces du Lyonnais Ballanche, et du rouergat de Bonald, il lui assigne alors une naissance divine, que son catholicisme déjà malade pressent de nature orientale. Et comment passe-t-on d’un ressenti qui nous trouble jusqu’au plus profond de l’être, à un texte achevé ?

 

445991.jpg« Qui nous expliquera philosophiquement la transition de la sensation à la pensée, de la pensée au verbe, du verbe à son expression hiéroglyphique, des hiéroglyphes à l’alphabet, de l’alphabet à l’éloquence écrite, dont la beauté réside dans une suite d’images classées par les rhéteurs, et qui sont comme les hiéroglyphes de la pensée… »

Un jour que je lisais je ne sais plus quel roman de Balzac infiniment plus prosaïque que Louis Lambert, assis contre la grille sur le rebord de sa tombe, un octogénaire au regard vif et beau me demanda d’un ton très humble si j’étais balzacien, ce qui je crois, signifie thésard ou doctorant –. Dieu m’en garde, pensai-je à l’époque. Non, je n’étais qu’amateur de Balzac et encore, amateur assez perplexe et perdu dans le foisonnement de cette malheureuse Comédie que chacun, de Bardèche à Wurmser, avait, depuis plusieurs décennies, proprement tirée dans tous les sens !

Le vieux monsieur se présenta, lui, comme un amoureux de Nerval (2). Car depuis la fin des années soixante-dix – date à laquelle, m’avoua-t-il, la lecture de Gérard lui avait sauvé la vie –, il fleurissait sans avarice aucune le rectangle de sa tombe. Nous engageâmes la conversation, - une conversation très douce et fort érudite, qui rompait rudement avec l’odieuse sécheresse de ces années mille neuf cent quatre-vingts durant lesquelles le socialisme matois et décomposé de quelques rusés dirigeants français avait commencé à dresser la table dans le pays au libéralisme sauvage et mondialisé qui triompha depuis -. Il me proposa, puisque j’aimais l’auteur de Louis Lambert, de me faire découvrir la tombe d’Esther, celles de Lousteau, de Goriot, de Nucingen… L’idée, partout, bien sûr, l’Idée partout survivant aux tristes faits, sa gentillesse fut prompte à les dénicher parmi les reliefs amassés, les dernières demeures de ces mélancoliques personnages, même celle de la pauvre Coralie morte en 1822 ! Car chaque vestige, précisait-il, chaque tombe est telle un hiéroglyphe de la pensée. Il plissait les paupières humides de quelque réminiscence :

« -quelle pitié, l’abandon de ces travées... L'abandon de ce siècle…

-1822... Deux ans avant Louis, fis-je alors remarquer.

-C’est exact, me dit mon spirituel guide, retroussant contre sa nuque son col de fourrure de martre élimé. Puis, comme si ma remarque l’avait ramené à la réalité :

-Nous ne trouverons pas Louis parmi ces allées… »

Il eut l’air presque désolé. Le pavé est froid soudain. Rentrons.

Je le quittais un peu plus tard, devant une colonne Morris de la rue des Pyrénées.

Et jamais ne le revis, bien que, à chaque fois que je passais devant la tombe de Gérard, s’y lût encore la trace du soin que cet étonnant et chimérique ami y avait déposé.

 

 

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Photos : tombes de Gérard de Nerval et d'Honoré de Blazac, Père Lachaise à Paris

(1) L’épitaphe d’Anna de Noailles (extrait des Eblouissements), particulièrement poignant : Hélas, je n’étais pas faite pour être morte !

(2) Tous les amants du Père Lachaise savent qu’Honoré et Gérard se font face. Honoré et Mme Hanska d’un côté. Gérard seul de l’autre.

 

 

Voir sur Vaste Blogue un billet de Tanguy Simon sur Balzac, lequel à vrai dire, motiva l'écriture de celui-ci.

 

ICI : toute la Comédie Humaine...

15:38 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : père lachaise, littérature, louis lambert de balzac | | |

mercredi, 18 novembre 2009

Louis XIV et le petit vin d'Alicante

Saint-Simon rapporte que peu avant de mourir, le mercredi 28 août 1715, Louis XIV « fit le matin une amitié à Mme de Maintenon qui ne lui plut guère, et à laquelle elle ne répondit pas un mot. Il lui dit que ce qui la consolait de la quitter était l’espérance, à l’âge où elle était, qu’ils se rejoindraient bientôt ». Dans la minutie et le souci du détail que le duc met à sa narration des derniers instants du monarque, se respire un arôme qui m’a toujours fasciné. On sent qu’il prend plaisir à écrire ce lent chemin du vieux monarque vers une extinction définitive, et que cette jouissance extrême ressemble à celle de lui avoir survécu.

Dans l’insignifiance et la précision d’une phrase comme : « On donna donc au Roi dix gouttes de cet élixir dans du vin d’Alicante sur les onze heures du matin », par exemple, n’entendez-vous pas le grand silence de la chambre de Saint-Simon, et comme son écriture devait occuper l’espace de cette chambre, et casser l’ennui profond dans lequel son esprit se trouvait ? Le long récit de l’agonie du monarque dut être sous sa plume, au sens propre, un divertissement. Un réel divertissement. Le seul possible, probablement, durant cette semaine qui alla de ce lundi 26 août où Louis XIV se sut condamné au dimanche 1er septembre à huit heures et quart du matin, où il expira.

 

Le 29 août, « le Roi mangea deux petits biscuits dans un peu de vin d’Alicante avec une sorte d’appétit » note le scrupuleux mémorialiste. Saint-Simon  se met bien sûr en scène lui-même à l’occasion de l’événement, notamment en exagérant l’importance de son action politique auprès du futur Régent et du Conseil qui l’institua. C’est le propre du genre, et Chateaubriand retiendra la leçon. Raconter la vie des grands c’est déjà être grand soi-même. Raconter leur mort, c’est les dépasser.

 

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« Le samedi 31 août, la nuit et la journée furent détestables. Il n’y eut que de très rares et de courts instants de connaissance. La gangrène avait gagné le genou et toute la cuisse » Il prête au vieux monarque des dernières paroles religieuses « O mon Dieu venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir » Il est d’ailleurs le seul, parmi les rapporteurs de l’événement, à placer de tels propos dans la bouche de Louis.

Avec une joie morbide, les mémoires de Saint-Simon fouillent ensuite  le corps anéanti de Louis XIV, s’attarde sur les transferts de ses entrailles à Notre-Dame et de son cœur à l’église Saint-Louis des Jésuites de la rue Saint-Antoine.  Selon la relation de l’Arsenal, le cortège comprenait  deux carrosses (trois selon Buvat) ils étaient escortés de vingt pages portant des flambeaux, de trente gardes du roi, vingt valets de pied et trente suisses. Cela devient chez Saint-Simon : « Le vendredi 6 septembre, le cardinal de Rohan porta le cœur aux Grands-Jésuites avec très peu d’accompagnement et de pompe. Outre le service purement nécessaire, on remarqua qu’il ne se trouva pas six personnes de la cour aux Jésuites à cette cérémonie. »

Ayant lié en quelque sorte sa postérité littéraire au détail de cette longue agonie, il glisse en quelques lignes sur les cérémonies religieuses. Celles du vendredi 25 octobre à Saint-Denis tout d’abord « où tout se passa dans une confusion si grande et d’une manière si éloignée de celles de Louis XIII, d’Henri IV et de tous ses prédécesseurs, que je m’en épargnerai le récit » ; celle de Notre-Dame ensuite,  relatées en quelques lignes : « On fit le 28 novembre les obsèques solennelles du feu Roi à Notre-Dame avec les cérémonies. Maboul évêque d’Alet, y prononça l’oraison funèbre. Le cardinal de Noailles y officia, et donna à l’archevêché un grand repas aux trois princes du deuil, qui furent les mêmes qu’à Saint-Denis, et à beaucoup de gens de la Cour. »

 

PS. Ce billet a dû naître par association (surperposition) d'idées, parce que j'ai dû lire en fin d'après-midi qu'un acteur qui avait joué deux fois le rôle de Louis XIV s'était tué dans le tunnel de Saint-Cloud, au volant de sa voiture. Le château de Saint-Cloud, propriété de Monsieur, frère de Louis XIV, accueillit plusieurs fois Louis XIV, notamment lors des fêtes d'octobre 1678. C'est dans ce château que mourut la célèbre Henriette d'Angleterre dont Bossuet prononça l'oraison funèbre.

06:08 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : mémoires de saint-simon, littérature | | |

samedi, 18 juillet 2009

Le patriarche Bartholomée 1er à Lyon

Le 7 mai 1274, et pour plusieurs semaines, à l’appel efficace du pape Grégoire X (1271-1276) se réunit le deuxième concile général de Lyon.  De nombreux seigneurs, cinq cents évêques, soixante abbés de monastères, plus de mille ecclésiastiques et plusieurs représentants de l’église d’Orient se retrouvèrent à cette occasion sous les voutes toutes neuves de la primatiale Saint-Jean. Les chroniques stipulent que « toute la foule lyonnaise n’avait pu prendre place dans l’église, que les ponts et toute la place étaient noirs de monde ». Philippe le Hardi, roi de France, s’était lui aussi déplacé pour entendre le souverain pontife lire l’épitre que les prélats de l’église d’Orient lui avaient adressée, et qui admettait la réunion des églises grecques et latines sous son autorité. Il me plait d’imaginer dans la pénombre un peu humide la frêle stature de Grégoire X contemplant les croix des deux églises qu’on déposait aux deux extrémités du grand autel, et de l’imaginer, comme les chroniques le racontent, pleurant de joie non loin des remous de la Saône, tandis que George Acropolite, grand logothète, s’avançait, sans doute grave, au centre de la cathédrale et prononçait devant l’autel, sans doute ému, le serment par lequel il renonçait au schisme et acceptait la suprématie de Rome. Quel moment ! Il me plait d’imaginer ensuite le lent défilé des ambassadeurs des églises de la Grèce signant alors l’acte solennel qui avait été préparé, les chœurs et les canons éclatant, et toute cette théâtralité si magique, dont seul le catholicisme le plus séculaire a le secret.

Ce concile, l’un des plus importants du Moyen Age, fut endeuillé par la disparition de deux bons docteurs : l’angélique Thomas d’Aquin, qui mourut en s’y rendant ; le séraphique Bonaventure, qui mourut quelques jours avant sa fin, au couvent des Cordeliers où il était hébergé. C’est à la perpétuation de cette mort inopinée qu’on doit l’église Saint-Bonaventure.

 

 Il me plait de songer aux pierres du Vieux Lyon et à celles de sa vieille primatiale, dont on ne se doute  jamais véritablement, nous, les vivants de bref passage, à quel point  elles  sont effectivement vieilles. Il me plait de songer à ces pierres sous ce jour historique et auréolé par une légende embaumée d’encens,  comme dans ces albums enluminés, où l’on nous racontait sur du papier épais, jadis, la vieille histoire du bon royaume de France.  Il me plait d’arpenter la rue Saint-Jean, de glisser ma mortelle silhouette entre les façades séculaires de ces bâtisses, de cheminer d’un bord à l’autre de la gargouille centrale, fermant les yeux sur les déambulations empesées des touristes obèses et bruyants qui s’y trainent, d’oublier les commerces de bric et de broc et de laisser littéralement mon imaginaire aller entendre sonner les cloches, comme au temps du concile de Grégoire, voir les bannières aux vives couleurs et les étendards rutilants, et renifler les encens.

Je raconte tout cela parce qu’aujourd’hui samedi 18 juillet à dix-sept heures, le cardinal Barbarin célèbrera une messe dont le patriarche œcuménique Bartholomée 1er, de passage à Lyon pour deux jours, prononcera l’homélie. Cet événement fort rare qui, pour beaucoup n’aura aucune incidence - voire même aucune existence, pour quelques-uns heureusement ranimera durant quelques minutes un fort vieux songe et une histoire haute en panache, le songe et l’histoire de tous ces hommes aujourd’hui bien poudreux qui ont édifié le palais épiscopal, dont seul demeure actuellement la cathédrale Saint-Jean ainsi que sur le bord de Saône, tout le reste de cette vieille cité gallo-romaine et chrétienne. L’histoire de leur culture, laquelle passe par celle de leur tradition et croise le chemin de leur religion - qu’on le veuille ou non, nous, modernes, notre héritage.

 

 

 

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 Le patriarche oecuménique Bartholomée Ier

 

mercredi, 24 juin 2009

Maurice Moissonnier

Il était né le 26 juin 1927 ; il est mort le 24 juin 2009, à deux jours de son anniversaire. Les lyonnais  connaissaient surtout Maurice Moissonnier en raison de son travail d’historien sur le mouvement de 1831 des canuts. Après un mémoire de fin d’études sur La Commune à Lyon, il a fait paraître successivement Les Canuts, Vivre en travaillant ou mourir en combattant, Joseph Benoit, confessions d’un prolétaire et surtout  La révolte des canuts (Editions sociales, 1975) qui, à la suite des ouvrages de Fernand Rude (Le mouvement ouvrier à Lyon – 1944 et C’est nous les canuts )  a fait autorité en la matière. Il a collaboré à de multiples revues, écrit de nombreux articles, participé à la rédaction de la France Ouvrière (Ed de l’Atelier, 1995) et aux publications de l’Institut CGT de l’Histoire sociale Rhône Alpes.

Maurice Moissonnier a été une figure fidèle du PCF français. Agrégé d’histoire, il a enseigné, au lycée Antoine Charrial, dans ce 3ème arrondissement de Lyon, à l’époque bien plus populaire qu’à présent. Son dernier ouvrage, inachevé, comprend deux tomes parus aux éditions Aleas (Lyon) : Tome I – Le front populaire ; Tome II, Déclin et mort du Front populaire. En raison de sa maladie, il a dû interrompre la rédaction des tomes suivants initialement prévus (Guerre et occupation, résistance et Libération). Je me souviens de Maurice Moissonnier comme d’un homme chaleureux, ouvert, passionné par le débat et la controverse : Pensées à sa femme Henriette, et à ses enfants.

 

 

22:11 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : maurice mossonnier, lyon, histoire, mémoire ouvrière, esprit canut | | |

mercredi, 06 mai 2009

Le banc des philosophes

Rêve-t-on encore sous les tilleuls et les marronniers de l'allée d'Argenson ? Sur le banc des philosophes, on ne s'entretient plus guère avec soi-même, "de politique, d'amour, de gout ou de philosophie". Politique, amour, gout, philosophie sont  devenus trop techniques pour n'avoir pas perdu le rêve. Les comédiens, eux-mêmes, ont remisé la jolie pantomime. Ils ont bouffé le Paradoxe jusqu'à plus soif, jusqu'à plus faim, et jusqu'à plus douleur. Et dans des cours de théâtre aussi techniques que des ateliers d'écriture, fifils et fillettes de famille sont devenus techniques, techniques, techniques jusque dans l'improvisation. N'importe quel oblibrius, n'importe quel olibria, pourvu que son papa ou sa maman lui paye quelque cours et ait quelque entregent, finit ainsi  par se retrouver capable de lustrer son nombril en faisant quelque joli sourire à un parterre désoeuvré qui l'applaudit. La petite Hus et le gros Bertin se seront bien reproduits et les suceurs de micros auront foutrement bien clôné le monde. Les Lumières brillaient jadis par leur liberté de ton ; quelques rayons captés à la va-vite et conservés dans du formol furent suffisants pour bâcler une idéologie du progrès démocratique dont nous crevons tous en baillant, technologiquement vôtre. Rameau, Rameau, nous manquons terriblement d'insolence véritable, nous en crevons même. Méritons-nous mieux que notre président qui ressemble à Louis de Funes et sa première dame dont le postérieur circula par les écrans du monde, aussi vite que la lumière, nous qui défilons en cortèges, sous des ballons ? La politique c'est technique, comme le syndicat, comme le mannequinnat, comme la révolte, comme tout le reste.

"J'entends, dit le neveu de Rameau à la fin du dialogue, la cloche qui sonne les vêpres de l'abbé de Canaye"; Invariablement fixée à six heures, la représentation de l'opéra était, du temps de Diderot, ainsi annoncée dans les jardins du Palais-Royal, une demi-heure avant le lever de rideau. C'était aussi l'heure des vêpres que, selon Louis Sébastien Mercier, le beau monde appelait "l'opéra des gueux" : entre les deux, cet abbé avait fait son choix. Hélas, à l'opéra comme à la basilique, j'ai peur de ne trouver à présent que les colifichets de la société du spectacle : à l'heure des pandémies intellectuelles annoncées, tout se transmet et se retransmet, et l'on n'entend plus guère sonner les cloches au pays des écrans, pas plus qu'on n'entend venir les virus dans celui des masques en cellulose. Dans la pâleur du lieu commun, nos pensées ne sont plus nos catins, mais nos légitimes.

dimanche, 12 avril 2009

Saint-Jean endormi

Un troisième petit joyau du musée de Dijon, après le Glas et le lavement des pieds, ce tilleul sculpté de Martin Hoffmann, représentant Saint-Jean endormi, devant lequel on peut aussi rester longtemps à regarder, à ressentir, à rêver. Il y a une pérennité de l'œuvre d'art, antérieure à tout caprice, toute révolte, toute trépignation. Martin Hoffmann vécut et sculpta cela au début du seizième siècle. Du début de ce seizième siècle, aucun de ces registres paroissiaux, dans lesquels, fut un temps, j'ai cherché traces d'ancêtres baptisés par d'humbles curés de villages, ne m'a livré la certitude du moindre nom. La piste des aïeux s'égare, comme la poudre des os d'Hoffmann, dans l'autre sens, s'est dilapidée pour venir jusqu'à nous. Mais cela, cette étonnante statuette grande comme un hibou, fait le pont, c'est bien cela. On la croirait fabriquée pour l'un ou l'une d'entre nous, ces paupières rondes, ces longs doigts, ces boucles de cheveux. Le bois poli de ce tilleul : où sont les feuilles, les branches, les racines même qui portèrent fièrement l'arbre dont Martin Hoffmann fit un peu de la chair brune et patinée d'un saint : Le sommeil de Saint-Jean endormi, l'une des plus belles métaphores de la condition humaine, sans doute. Comme il nous est contemporain, ce sommeil de bois, vieux de cinq siècles et comme ininterrompu depuis, cet endormissement de chaque jour dans lequel s'allongent, s'étirent les chères illusions dont nous nous emplissons l'esprit. Et comme il est peu probable qu'il cesse bientôt, tant partout, sur l'humaine inconscience peuplant chaque coin de la planète (presque 7 milliards) la nuit s'est faite dense.

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02:07 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : musée de dijon, martin hoffmann | | |

vendredi, 10 avril 2009

La crypte des Capucins

Plongé dans la relecture des reportages de Béraud, je redécouvre cette description de la crypte des Capucins, à Vienne, tirée du Feu qui Couve (qu’il dédie à la grande mémoire d’Albert Londres, mort deux années auparavant), une série d’articles publiés en 1934. En voici un extrait :

« Sur le sol, au pied des murs, à même les dalles, une centaine de sarcophages sont alignés. Pour la plupart, ce sont des cercueils de bronze, simples boîtes noircies par le temps, toutes roides, portant leurs croix en relief, et qu’un long séjour dans cette ombre glacée à tavelées de taches de rousseur. Sur chaque bière, un écusson de cuivre, poli avec soin, dit le nom et les titres du mort. J’ai vu Westminster, Saint-Denis, l’Escurial, le Panthéon romain, tous les charniers royaux. Aucun ne donne au visiteur un pareil frisson. Ceux qui reposent là, dans cette cave saturée de misère,, furent des personnages. Tous, puissants et redoutés, vécurent dans l’appareil de la plus belle cour d’Europe, parmi les évêques, les maréchaux, les chambellans, dans le bruit des armes et l’or des palais. Et maintenant ils sont là, rangés contre ce mur gris, pareils aux morts d’un amphithéâtre. Pauvre gloire, vœux d’éternelle pauvreté, qui dans cette paix, évoquent la terrible simplicité des tombeaux de Latran.

Ainsi s’alignèrent un à un, dans cet auguste et terrible lieu, ceux qui firent l’empire et ceux qui l’ont perdu. Le sarcophage de Marie-Thérèse domine tous les autres, comme, au cœur de la cité, sa statue domine le front des palais. Autour d’elle dorment ces Atrides aux destins affreux et grandioses que furent les Autriche Loraine et les Habsbourg, tous, ou presque, depuis ceux du Saint-Empire jusqu’à ceux de la monarchie expirante. Tous, les jeunes et les vieux, les empereurs des vieilles guerres comme les archiducs dévorés de passions et d’impatience, comme leurs femmes douloureuses et leurs enfants morts d’être nés trop vieux.

Ils dorment tous là, sans dalles, sans grilles et sans fleurs, ceux qui, de Mathias à François-Joseph, portèrent la toison d’or et les cent trente-trois carats du Florentin. Voici, aux côtés de la grande Marie-Thérèse, la veuve de Napoléon et le Roi de Rome. Plus loin, c’est l’infortuné Maximilien, puis Ladislas, tué à la chasse. Voici la Rose de Bavière, que poignarda Luccheni, puis ses fils, les derniers, les tragiques archiducs. Sur ces minces couvercles, où sèchent quelques fleurs, on peut se pencher ; et malgré soi, l’on pense que, si quelque sacrilège osait remuer les bières, on entendrait, sur leur fond de métal, rouler le poignard de Genève ou les balles de Mayerling et de Sarajevo. »

 

 

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01:40 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : crypte des capucins, henri béraud, vienne | | |