vendredi, 10 avril 2009
La crypte des Capucins
Plongé dans la relecture des reportages de Béraud, je redécouvre cette description de la crypte des Capucins, à Vienne, tirée du Feu qui Couve (qu’il dédie à la grande mémoire d’Albert Londres, mort deux années auparavant), une série d’articles publiés en 1934. En voici un extrait :
« Sur le sol, au pied des murs, à même les dalles, une centaine de sarcophages sont alignés. Pour la plupart, ce sont des cercueils de bronze, simples boîtes noircies par le temps, toutes roides, portant leurs croix en relief, et qu’un long séjour dans cette ombre glacée à tavelées de taches de rousseur. Sur chaque bière, un écusson de cuivre, poli avec soin, dit le nom et les titres du mort. J’ai vu Westminster, Saint-Denis, l’Escurial, le Panthéon romain, tous les charniers royaux. Aucun ne donne au visiteur un pareil frisson. Ceux qui reposent là, dans cette cave saturée de misère,, furent des personnages. Tous, puissants et redoutés, vécurent dans l’appareil de la plus belle cour d’Europe, parmi les évêques, les maréchaux, les chambellans, dans le bruit des armes et l’or des palais. Et maintenant ils sont là, rangés contre ce mur gris, pareils aux morts d’un amphithéâtre. Pauvre gloire, vœux d’éternelle pauvreté, qui dans cette paix, évoquent la terrible simplicité des tombeaux de Latran.
Ainsi s’alignèrent un à un, dans cet auguste et terrible lieu, ceux qui firent l’empire et ceux qui l’ont perdu. Le sarcophage de Marie-Thérèse domine tous les autres, comme, au cœur de la cité, sa statue domine le front des palais. Autour d’elle dorment ces Atrides aux destins affreux et grandioses que furent les Autriche Loraine et les Habsbourg, tous, ou presque, depuis ceux du Saint-Empire jusqu’à ceux de la monarchie expirante. Tous, les jeunes et les vieux, les empereurs des vieilles guerres comme les archiducs dévorés de passions et d’impatience, comme leurs femmes douloureuses et leurs enfants morts d’être nés trop vieux.
Ils dorment tous là, sans dalles, sans grilles et sans fleurs, ceux qui, de Mathias à François-Joseph, portèrent la toison d’or et les cent trente-trois carats du Florentin. Voici, aux côtés de la grande Marie-Thérèse, la veuve de Napoléon et le Roi de Rome. Plus loin, c’est l’infortuné Maximilien, puis Ladislas, tué à la chasse. Voici la Rose de Bavière, que poignarda Luccheni, puis ses fils, les derniers, les tragiques archiducs. Sur ces minces couvercles, où sèchent quelques fleurs, on peut se pencher ; et malgré soi, l’on pense que, si quelque sacrilège osait remuer les bières, on entendrait, sur leur fond de métal, rouler le poignard de Genève ou les balles de Mayerling et de Sarajevo. »
01:40 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : crypte des capucins, henri béraud, vienne |
Commentaires
Espérons avoir un jour "Le feu qui couve" entre les mains.
La devise des Habsbourg était A.E.I.O.U.
"Austriae est imperare orbi universo"
Écrit par : michèle pambrun | vendredi, 10 avril 2009
@ Michèle : Regardez régulièrement sur ebay. Il y a en ce moment une gerbe d'or pour 5 euros et plusieurs reportages (peut-être même celui-ci)
Écrit par : solko | vendredi, 10 avril 2009
Je viens de voir que s'y trouve aussi "Quinze jours avec la mort". Un livre incroyable de Béraud, ça.
Écrit par : solko | vendredi, 10 avril 2009
Ah, un réveil nocturene, un passage chez vous et voilà j'ai acquis le passage et mille autres trésors dont deux belles béralderies... Mais chut... Nous en reparlerons.
Bien me resiav me chouquer.
Écrit par : tanguy | vendredi, 10 avril 2009
C'est une belle description vraiment... Et la photo que vous avez retenue est très "parlante", accompagne fort bien le texte.
Merci.
Écrit par : tanguy | vendredi, 10 avril 2009
Content pour vous, Tanguy. Vraiment.
Écrit par : solko | samedi, 11 avril 2009
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