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mercredi, 18 novembre 2009

Louis XIV et le petit vin d'Alicante

Saint-Simon rapporte que peu avant de mourir, le mercredi 28 août 1715, Louis XIV « fit le matin une amitié à Mme de Maintenon qui ne lui plut guère, et à laquelle elle ne répondit pas un mot. Il lui dit que ce qui la consolait de la quitter était l’espérance, à l’âge où elle était, qu’ils se rejoindraient bientôt ». Dans la minutie et le souci du détail que le duc met à sa narration des derniers instants du monarque, se respire un arôme qui m’a toujours fasciné. On sent qu’il prend plaisir à écrire ce lent chemin du vieux monarque vers une extinction définitive, et que cette jouissance extrême ressemble à celle de lui avoir survécu.

Dans l’insignifiance et la précision d’une phrase comme : « On donna donc au Roi dix gouttes de cet élixir dans du vin d’Alicante sur les onze heures du matin », par exemple, n’entendez-vous pas le grand silence de la chambre de Saint-Simon, et comme son écriture devait occuper l’espace de cette chambre, et casser l’ennui profond dans lequel son esprit se trouvait ? Le long récit de l’agonie du monarque dut être sous sa plume, au sens propre, un divertissement. Un réel divertissement. Le seul possible, probablement, durant cette semaine qui alla de ce lundi 26 août où Louis XIV se sut condamné au dimanche 1er septembre à huit heures et quart du matin, où il expira.

 

Le 29 août, « le Roi mangea deux petits biscuits dans un peu de vin d’Alicante avec une sorte d’appétit » note le scrupuleux mémorialiste. Saint-Simon  se met bien sûr en scène lui-même à l’occasion de l’événement, notamment en exagérant l’importance de son action politique auprès du futur Régent et du Conseil qui l’institua. C’est le propre du genre, et Chateaubriand retiendra la leçon. Raconter la vie des grands c’est déjà être grand soi-même. Raconter leur mort, c’est les dépasser.

 

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« Le samedi 31 août, la nuit et la journée furent détestables. Il n’y eut que de très rares et de courts instants de connaissance. La gangrène avait gagné le genou et toute la cuisse » Il prête au vieux monarque des dernières paroles religieuses « O mon Dieu venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir » Il est d’ailleurs le seul, parmi les rapporteurs de l’événement, à placer de tels propos dans la bouche de Louis.

Avec une joie morbide, les mémoires de Saint-Simon fouillent ensuite  le corps anéanti de Louis XIV, s’attarde sur les transferts de ses entrailles à Notre-Dame et de son cœur à l’église Saint-Louis des Jésuites de la rue Saint-Antoine.  Selon la relation de l’Arsenal, le cortège comprenait  deux carrosses (trois selon Buvat) ils étaient escortés de vingt pages portant des flambeaux, de trente gardes du roi, vingt valets de pied et trente suisses. Cela devient chez Saint-Simon : « Le vendredi 6 septembre, le cardinal de Rohan porta le cœur aux Grands-Jésuites avec très peu d’accompagnement et de pompe. Outre le service purement nécessaire, on remarqua qu’il ne se trouva pas six personnes de la cour aux Jésuites à cette cérémonie. »

Ayant lié en quelque sorte sa postérité littéraire au détail de cette longue agonie, il glisse en quelques lignes sur les cérémonies religieuses. Celles du vendredi 25 octobre à Saint-Denis tout d’abord « où tout se passa dans une confusion si grande et d’une manière si éloignée de celles de Louis XIII, d’Henri IV et de tous ses prédécesseurs, que je m’en épargnerai le récit » ; celle de Notre-Dame ensuite,  relatées en quelques lignes : « On fit le 28 novembre les obsèques solennelles du feu Roi à Notre-Dame avec les cérémonies. Maboul évêque d’Alet, y prononça l’oraison funèbre. Le cardinal de Noailles y officia, et donna à l’archevêché un grand repas aux trois princes du deuil, qui furent les mêmes qu’à Saint-Denis, et à beaucoup de gens de la Cour. »

 

PS. Ce billet a dû naître par association (surperposition) d'idées, parce que j'ai dû lire en fin d'après-midi qu'un acteur qui avait joué deux fois le rôle de Louis XIV s'était tué dans le tunnel de Saint-Cloud, au volant de sa voiture. Le château de Saint-Cloud, propriété de Monsieur, frère de Louis XIV, accueillit plusieurs fois Louis XIV, notamment lors des fêtes d'octobre 1678. C'est dans ce château que mourut la célèbre Henriette d'Angleterre dont Bossuet prononça l'oraison funèbre.

06:08 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : mémoires de saint-simon, littérature | | |

Commentaires

Tiens, je ne savais pas, moi, que Louis XIV était mort... C'était le petit qui avait épousé Carla Bruni?

Écrit par : Feuilly | mercredi, 18 novembre 2009

@ Feuilly : Et qui aimait bien, aussi, le petit vin d'Alicante...

Écrit par : solko | jeudi, 19 novembre 2009

Heureusement pour nous, notre Saint-Simon Lyonnais conserve une plume bien alerte.

Écrit par : guillaume | jeudi, 19 novembre 2009

Beau billet, très alerte.

Écrit par : Pascal Adam | jeudi, 19 novembre 2009

@ Guillaume : Ah merci. Alerte, voilà une qualité fondamentale, en effet. Cela dit Saint-Simon... Je rougis.

@ Pascal : Commentaire alerte aussi, mon cher Pascal !

Écrit par : solko | jeudi, 19 novembre 2009

Je crois que nous devrions tous réfléchir au vin que nous boirons avant de mourir : question beaucoup plus grave qu'il n'en paraît.
Mon père avait fait rentrer dans sa cave le vin qu'il destinait au repas de son enterrement. Savoir bien vivre c'est bien savoir mourir.

Écrit par : Rosa | vendredi, 20 novembre 2009

@ Rosa : Je réfléchis déjà au vin que je bois chaque jour. La question étant : saurons-nous quel verre de quel jour sera le dernier ?
(question obsédante qui nous rapproche du bien mourir)

Écrit par : solko | samedi, 21 novembre 2009

Les commentaires sont fermés.