Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 17 novembre 2009

Quand Musulin arrivera à ses fins

Le convoyeur s’est rendu, ça y est disent les braves gens, le convoyeur a mis fin à sa cavale, etc.…  Les journaux du jour,  emplis de la nouvelle : « il avait l’air assez bizarre » aurait confié une source. Du coup sur la Toile, tous ceux qui l’ont adulé commencent à le brûler. C’est vraiment avoir la vue courte, je vous dis. Car Toni Musulin est tout sauf un pauvre type. Tout sauf ça.

Revenir d’abord,  sur le casse du siècle qui, justement, eut ceci de paradoxal de ne pas être un casse, mais juste un hold-up (on aurait envie de dire un emprunt). Le 5 novembre, Toni se tire et largue, ce-faisant, une existence de bourrin, sa vie de con de convoyeur de fonds, comme aurait chanté en son temps le magnifique Bourvil ou le non-moins espiègle Bobby Lapointe. Il se tire, sans dommage irréparable puisque-il ne risque guère plus que trois ans de prison. « Il n’a fait de mal à personne » comme le proclame déjà sur les ondes son astucieuse ex-compagne. A partir de ce jour la notoriété est vite acquise, car Toni le malin sait bien qu’il vient de réaliser là le rêve du beauf quelconque comme le Villeurbanne et son petit logement avec lequel il vient de rompre (et qu’il a soigneusement vidé) en abrite,  par millions   (Villeurbanne étant, comme Vaise ou Noisy le sec, une métaphore…).

Voici donc notre Toni en cavale qui se paye le luxe inouï et presque scandaleux de larguer derrière lui comme si, après tout, ce n’était que du papier, quelques 9 millions d’euros qu’on retrouve, mal planqués, dans un garage dans un garage. Du travail d'amateur, commence à rugir l'opinion en regagnant sa case à Villeurbanne ou Noisy le Sec. Du travail de toccard,  tout en se disant que les 2 millions qui restent après tout manquent quand même un peu à leur comptes à banque pour payer les jouets des gosses à Noël et les vacances avec Bobonne en juillet. Oui, car l'opinion est de plus en plus juilletiste.  Un amateur, donc, mais encore hors-du-commun…

C’est là que la grandeur de Toni mérite qu’on l’examine de plus près.

Car il aurait pu devenir un parrain médiocre, en effet. S’entourer de jolies nanas à beaux culs et cervelles de moineaux, comme on en voit dans les romans de San Antonio et les films de James Bond. Blanchir son argent en quelques paradis fiscaux et se la couler, comme disent les cons, douce... C’est oublier qu’il est, tous les articles qui lui sont consacrés le répètent à l’envi, d’une humeur taciturne, étrange, un solitaire… Il sait bien que même blanchi, l'argent n'est jamais propre. Avec le paquet de biftons qu'il a transportés en dix ans de bons et loyaux service à sa putain de banque, sûr qu'il l'a compris, ça.  Moi, je vous le dis depuis le début, Toni est vraiment un gars bien. Alors que fait-il ? Il se rend de lui-même à la police. Histoire de rester un sujet. Car ça peut encore servir.

Une vie de milliardaire, traqué par toute la flicaille du monde, avec des cervelles de moineaux à ses pieds et des tas de précautions à prendre en permanence pour pas se faire trahir par ses meilleurs poteaux, il n’en veut pas. Trop d’emmerdes et surtout pas assez de liberté. Une romance déjà faite. Toni a compris que l’argent qui fait rêver les cons qui se pressent sur le Champ de Mars le samedi n’est plus une valeur véritable. La preuve : voir comment on le distribue aux footballeurs…

Toni, y’a rien à faire, est un vrai héros paradoxal. L’argent des imbéciles et le rêve commun qui va avec ne l’intéressent plus. Il choisit Monaco pour se rendre, grand seigneur. On l’escorte jusqu’à la « frontière » pour lui passer les menottes. Mes hommages à la famille du Prince et Au revoir.

Trois ans de tôle qu’il risque...  C'est vite passé ! Aux frais du contribuable que  vous êtes, en plus. Dans des prisons bien chauffées et bien équipées, mieux que le petit appart' à Villeurbanne si ça se peut. Plutôt que de se faire chier à trimballer nos sales biftons d’un dépôt à un autre, au risque de se faire trouer la peau par un truand banal, je vais vous dire ce qu’il va faire, dorénavant, ce gars qui a tout compris de la société de lampistes qui est la nôtre. Il va écrire un petit récit qui romance l’inoubliable cavale qu’il vient de s’offrir. Quand on l’aura un peu oublié, il le sortira, son récit, avec la complicité de quelque éditeur opportuniste et enthousiaste. Passage chez Ruquier ou son successeur, signatures de Fnac en Fnac, vous verrez. Contrat avec un producteur à la clé. Tournage dans la foulée avec un Alexandre Dujardin anglo-saxon et quelques starlettes pour jouer les cervelles de moineaux in situ.

Un de ces quatre, vous le retrouverez en train d'empocher des illustres académies littéraires du pays  un Goncourt ou un Renaudot, comme Diaye ou Beigbegger, ou une Palme d’Or comme Bégaudeau. Mieux, de la paluche de Sarkozy ou d'un quelconque successeur une Légion d’Honneur, comme Dany Boom et, pourquoi pas, tout encravaté à Stockholm, un Nobel comme Le Clezio. J’attends son discours avec impatience.


Car ce taciturne- là, je vous le dis, il a tout compris de ce qu'est la réelle valeur dans la société du spectacle. Et comment dealer avec.

Alors moi je le dis à nouveau : Chapeau Toni …

19:49 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : toni musulin, actualité, littérature, monaco, légion d'honneur | | |

Commentaires

On peut tout dire et se faire même applaudir pour ce qu'on ne dit pas...
Mais trois ans en taule, non, Solko...ça ne passe pas vite.
Et l'enfermement de l'extérieur paraît lumineux.

Écrit par : Bertrand | mardi, 17 novembre 2009

@ Bertrand :
Bien sûr, bien sûr. Encore que j'aie connu naguère quelqu'un, incapable de vivre dans la société telle qu'elle est, qui a consciemment pris plusieurs années et en a fait un "œuvre littéraire". Cela dit ça reste une véritable exception.
Le "Toni" dont je vous cause là-haut reste un personnage, bien sûr. Qui permet de dire un certain nombre de choses sur certains malaises profonds . Entre autres, sur le fait que la misère morale de certains, dans ce monde libéral poussé à l'extrême, est devenue telle que trois ans de prison risquent de ne plus peser lourd parfois contre la garantie d'une notoriété. Vous verrez.

Écrit par : solko | mardi, 17 novembre 2009

"Blanchir son argent en quelque paradis fiscaux " Quelque paradis fiscal, cher Solko, votre émoi est tel que vous en perdez votre latin...

Mais vous avez raison. Pour être publié il vaut mieux être connu. Quelle banque me conseillez-vous de dévaliser?

Écrit par : Feuilly | mardi, 17 novembre 2009

@ Feuilly : Nom d'un chien, si je ne perdais que le latin, tout irait bien! C'est parfois un peu la raison qui est touchée, à la lecture de certains faits...
Je ne sais pas si une banque est meilleure à dévaliser qu'une autre. Je vous donnerais bien en privé l'adresse de la mienne, voir si vous pouvez faire quelque chose !
Ce qui a passionné l'opinion dans ce cas, c'est que le braqueur était un convoyeur. C'est très romanesque, ça, parce que ça suggère l'idée que tous les convoyeurs sont un peu braqueurs. Et de là à dire que tout un chacun ...

Écrit par : solko | mardi, 17 novembre 2009

Je suis tout à fait d'accord avec vos, comment dirais-je ?..Vos prémonitions, Solko...A tel point que je crois me souvenir, qu'après Mesrine, un législateur avait proposé qu'on interdisse aux bandits embastillés de publier leurs faits d'armes...
Le législateur veut aplanir toutes les contradictions par des interdictions, ce qui est le contraire même des fondements d'une République, qui devient une machine à interdictions giclant ses punitions et ses décrets partout où le mur se fissure, plutôt que de penser à remettre en question certains de ses fonctionnements
Bref..
Il n'en reste pas moins vrai que pour 10 prisonniers édités pour le récit de leurs crimes, plus de 1000 croupissent dans un univers proche de l'infernal et ne compte plus en années mais en jours, en heures, parfois même en minutes...Je pourrais être beaucoup plus précis, jusqu'à l'impudeur, mais ça ne me tente pas trop.
La tôle n'est pas une punition. C'est une vengeance. Vengeance d'une société foncièrement mauvaise, elle-même se sachant fondée sur le mensonge et le vol.
Une telle société n'aime pas que les individus se mettent en devoir de lui ressembler.
C'est une raison pour laquelle les anarchistes braqueurs du début du 20ème (et d'autres après eux) se disaient, avec juste raison, des "expropriateurs", ne volant en fait que ce qui avait été préalablement volé et confisqué par le banquier.
Et on en revient à Michelet : confisquer au clergé, en 1789, ses biens, c'était reprendre ce que le paysan lui avait donné au cours des siècles pour qu'il puisse sereinement s'occuper à sauver les âmes.
Et cette vision des choses est tout à fait exact.
Le problème de Toni, c'est qu'il a été dans le vrai, mais pas assez longtemps.
Il est vite redescendu parmi les brebis du troupeau.

Écrit par : Bertrand | mardi, 17 novembre 2009

Qu'on me pardonne les multiples fautes de frappe.

Écrit par : Bertrand | mardi, 17 novembre 2009

@ Bertrand
Et le problème des paysans, c'est que seuls les plus riches d'entre eux purent profiter de la vente des Biens nationaux... Et que la bourgeoisie qui naquit de cela ne fut guère meilleure que "les anciens maîtres", pour le moins. (problème vrai également dans les villes, si l'on considère la manière dont de riches soyeux issus du peuple ont remplacé les anciens couvents de la Croix-Rousse par des immeubles de rapport, dans lesquels ils entassèrent les canuts pour la production de la soie dans des conditions de misère que Michelet - encore lui - a déclaré inédites jusqu'alors). Nous revoici plus très loin du "novembre des canuts"...

A tous les lecteurs que cette question intéresse, il faut conseiller, en effet, la lecture des "Paysans" de Balzac, ainsi que celle du "Bois du templier pendu" de Béraud...

PS. Pas d'inquiétude pour les fautes de frappe, comme l'a dit un jour Frasby, nous avons du petit personnel qui corrige à la cave... Et puis, s'il en reste, on dira que c'est du "charmillon"...

Écrit par : solko | mardi, 17 novembre 2009

C'est marrant cette discussion qui se croise ici et sur l'encrier.
Oui, je crois que nous ne sommes pas loin du novembre des canuts.
Il faudra que je vous retrouve ces pages sublimes de Michelet sur Lyon, déjà en avance, déjà à l'ère industrielle au moment de la Convention, dit-il en substance...Ce qui générera beaucoup d'incompréhension et fera couler beaucoup de sang, l'enjeu principal de la Révolution étant le morcellement de la ruralité et la redistribution à la classe la plus nombreuse : les paysans.
Doux leurre, en effet! Il en naîtra les nouveaux seigneurs des campagnes, les grands bourgeois.
D'ailleurs, dans Balzac, les propriétaires, riches, cupides, cruels, sous la Restauration étaient, pour certains d'entre eux, députés à la Convention ou très proches.

Écrit par : Bertrand | mardi, 17 novembre 2009

Oh Solko, je lis seulement ce matin ce billet, et comme Bertrand je dis:oups ,3 ans de prison c'est pas "vite passé". 1 seul jour en tôle c'est l'horreur.Et bah dans un autre ordre d'idées, moi je n'ai aucune espèce de sympathie particulière pour ce gars, c'est même assez ce que j'exècre, d'un bout à l'autre !

Écrit par : Sophie | mercredi, 18 novembre 2009

@ Sophie : Execrer ? Le terme est fort. La personne en question, à vrai dire, comment la juger ? je ne la connais pas. Son geste demeure très romanesque. parce que, dans la société où nous sommes, particulièrement atroce, très significatif (forcément significatif me souffle à l'oreille une ancienne marguerite...)

Écrit par : solko | jeudi, 19 novembre 2009

Même une heure de prison ça doit être très long (alors si 3 ans on les compte en heures ! ).
J'aime bien Toni pour la beauté du geste. Romanesque c'est ça. Après, à la sortie c'est sûr que... Bah !!! on verra. En attendant je vais aller au charmé lui chercher des oranges pour son Noël... Les meilleures... Parce que j'aime bien ce qu'il a fait avec son petit cerveau et sa petite camionnette le Toni, et je trouve la punition un peu sévère par rapport aux escrocs officiels qui continuent d'acheter leurs oranges (avenue Montaigne) avec les plus belles amabilités du monde. (Enfin bon... ;-)

Écrit par : Frasby | vendredi, 20 novembre 2009

Ce personnage de Toni m'en rappelle un autre, un artiste celui-là, qui eût pu lui aussi dormir à l'ombre pour avoir fabriqué moult Buonaparte, ces jolis billets de dix mille, les derniers francs. Il en fit profiter d'autres que lui... (ne travailla pas que "pour sa gueule", comme dit Pascal Adam) :

http://solko.hautetfort.com/archive/2009/04/05/le-dernier-franc.html

Écrit par : Michèle | vendredi, 20 novembre 2009

Hello Brasfy cette fois c'est sûr que nous écrivassions en simultanéitude ! A quand la coordination pour le braquage du siècle ? Vous amenez la cervelle, j'amène la camionnette :-)
Booonne nuit.

Écrit par : Michèle | vendredi, 20 novembre 2009

@ Michèle :
Merci de ressortir les bouteilles de la cave.
Ce personnage m'avait d'ailleurs été vaguement inspiré par Bojarski.

Écrit par : solko | vendredi, 20 novembre 2009

Je trouve aussi ce personnage fascinant mais comme il n'est pas du milieu il est forcément atypique. Aujourd'hui dans le Progrès un article sur son père : émigré besogneux et taiseux. Donc on pense à une certaine idée de revanche dans cette société de fric où les besogneux restent pauvres.
Mais aussi on fantasme sur les masses de billets de banque : paradoxalement, dans ce monde de fric on ne sait plus ce que sait que l'argent, le vrai, le billet qu'on sort de ses poches. L'argent est devenu électronique, virtuel. Donc ce Toni qui a trimballé une voiture de billets, ça fait rêver au temps où on disait "un sou c'est un sou".

Écrit par : Rosa | vendredi, 20 novembre 2009

Les commentaires sont fermés.