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lundi, 18 janvier 2010

Otium dominical

Toute la journée de dimanche avec des notes, prises naguère, ces paragraphes surlignés sur des pages jaunies. Lecture et relecture de centaines de descriptions d’une même ville laquelle, bien qu’encore debout, me parait soudain en grande partie disparue avec tous ceux qui n'ont ainsi cessé de la nommer jadis. Etrange féerie des phrases, toujours ce pouvoir évocateur du rythme des phrases qui fait que soudain s’entend une voix là où n’est que du silence. Et ce mélange alors, d’une joie véritable et de diffuse tristesse, tout en retrouvant dans leurs mots, réduite presque à l’état de légende romanesque, ce qui fut la réalité sensible de leurs pierres, autrefois.

Vertige réelle des signes et des secondes, vertige des lettres de leurs mots, des chiffres de leurs dates. Il y a parmi eux des auteurs dont nul ne connait plus l'année de naissance, d’autres, dont on n'a jamais su dans quelles conditions ils ont disparu. Leur livre reste pourtant là, entre mes mains ou posé sur mon bureau, avec sa date de parution, ses pages écornées, ses taches de rousseur, son parfum. Cette date seule de parution atteste du passage sur terre de cet auteur disparu. Les caractères d'imprimerie seuls demeurent, à la manière d'une tombe, et rien d’autre. C'est drôle, l'histoire m'intéresse de moins en moins, de plus en plus, la mémoire de ceux qu'elle avala.

Leur roman ...

 

Et ce n’est même pas un testament. Et peut-être que ce ne fut qu'une œuvre de circonstance, une commande, une parodie, même. Ou rien qu’un court récit, pas toujours réussi, habité par un ambition de vivant, par l’air du temps, les modes, les influences et quelque expérience de vie en cours – un simple instant de jeunesse ou de maturité – traversé par une époque (avant-guerre) ou une autre (après-guerre). Où se mesure la fracture qui brisa bel et bien en deux moments et en deux mondes le même pays et les mêmes gens. Tels, de Charles Joannin, Périssoud militant lyonnais (1932); ou bien de Georges Champeaux, Le roman d'un vieux groléen (1909)...

Pour décrire le territoire commun, il y a les solistes, bien sûr, ceux dont la plume en quelques lignes fait se soulever tel coin de rue, tel monument, tel magasin, telle saison… Et puis les imitateurs, les choristes. Mais ce qui me frappe, un peu comme quand je lorgne une vieille enseigne ou bien l’intérieur d’une cour intérieure restée en son jus, c’est cette capacité qu’eurent tous ces écrivains du début du vingtième siècle à restituer une certaine ferveur poétique à partir de leurs immeubles et de leurs rues. C’était une société de lecteurs, chez qui la foi dans la littérature vibrait encore de son passé le plus récent – Balzac, mort depuis quelques décennies seulement – ou plus ancien – les auteurs, par exemple, latins. Ils habitaient leurs livres comme on habite une ville, et leur ville comme on habite une tête, dans un espace et un langage dont on sent bien que ni l'un ni l'autre n'étaient distendus (distordus). Et tout cela n'empêchait nullement la critique et la satire, l'humour ou la rêverie. Le lieu, par lequel ils se reliaient à la plus haute Antiquité en vénérant quelques  bouts de tuile gallo-romaine, était aussi celui de leur République et celui où ils pensaient leur mort à venir. Il est devenu le lieu de leur exil, du mien également.

Car dans le loisir studieux de ce dimanche, un songe continu m'a conduit sur leurs traces et comme relié à eux (reliure) - par le labour sinueux de leurs lignes. Grâce à eux - bien précieux-  j'ai, non pas réfléchi, à peine travaillé, mais, bel et bien, rêvé.

06:15 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, rues de lyon | | |

Commentaires

Joli texte. Voilà un dimanche bien employé.

Écrit par : Feuilly | dimanche, 17 janvier 2010

Voilà une belle entrée en matière de conférence dont vos lecteurs de solko ont en quelque sorte la primeur.
D'accord avec Feuilly, bel emploi d'un dimanche.
Roucage pour la suite, le traitement et la mise en forme de l'immense matière que vous avez dû réunir.

Écrit par : Michèle | lundi, 18 janvier 2010

Oui bien précieux.

Écrit par : Gondolfo | lundi, 18 janvier 2010

Cher Solko,
il fut un temps, dit-on, où les voyages formaient la jeunesse, et le risque de trop voyager était effectivement d'être "étranger en son pays". L'uniformisation de la planète et la haine de soi (très occidentale d'ailleurs) ont introduit une nouvelle "étrangeté" au cœur même des lieux qui nous sont familiers (et vous constaterez alors ce qu'il y a d'"unheimliche" dans notre modernité). Ils sont habités, mais par qui ? et pour quoi ? Nous sommes en effet dans une sorte d'exil intérieur, quand on croit encore à la littérature, et les livres deviennent le lieu d'un retranchement. Et puisque vous parliez de ligne, pour finir, il est clair que "suivre la ligne" en cette époque "si lente et diluvienne" (comme quoi, le stalinisme a su se faire une place théorique dans le nid libéral, qui lui en sait gré : au moins cela rassure-t-il les masses...), c'est bien abandonner "les lignes" sinueuses d'une autre langue, proche, murmurante, aussi lointaine soit-elle.

Écrit par : nauher | lundi, 18 janvier 2010

Bonsoir Solko,
C'est très beau, je vais vous le dire, je finis de lire votre billet et j'ai les yeux qui pleurent. Voilà, je voulais vous l'avoir dit. Et donc merci.

Écrit par : tanguy | lundi, 18 janvier 2010

@ Feuilly : Et deux suivront. Et cela est très reposant comme ça.

@ Michèle : Le roucage ne manque pas. C'est plus pour les intermèdes en semaine qu'il m'en faut. Merci à vous.

@ Gondolfo : Je sui spassé chez vous en coup de vent (comme on dit). Je reviendrai, assurément. Merci.

@ Nauher : Par quel étrange coup du sort sommes-nous quelques-uns, en effet, à avoir réellement niché parmi les mots ? Et tous ces mots sur les paysages qu'ils font exister, et que je connais bien, finissent en effet par la rendre palpable, rassurante, presque, cette étrangeté, en tout cas habitable, parce que rêveuse.

@ Tanguy : A vous aussi Tanguy, merci.

Écrit par : solko | lundi, 18 janvier 2010

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