Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 27 février 2008

Notre société

C'est la nôtre! Et elle est rien qu'à nous. A nous ! Notre société,  c'est la plus belle des sociétés, comme notre maman est la plus belle des mamans. Là ! Notre société : lieu commun qui atteint le bel âge depuis peu. Au XVIIème siècle, La Bruyère parlait dans ses Caractères du « dédain de la société » ou « du plaisir de la société » dans un chapitre entièrement consacré au sujet (« De la société et de la conversation ») Et sous la plume de son rêveur de père, Alceste ne songeait qu'à fuir « la société des hommes », c'est-à-dire leur commerce, leur compagnie, leur conversation, en effet.

Société : nom commun, normalement  déterminé par un article défini. On trouve dans Le lys dans la vallée de Balzac les bienveillantes recommandations d'Henriette de Morsauf à Felix de Vendenesse : « Acceptez la société comme elle est, et ne commettez point de fautes dans la vie » . A la fin des Illusions Perdues, ceux de Vautrin à Lucien de Rubempré : « Le grand point est de s'égaler à toute la société. » Et lorsque le même Vautrin, déguisé en abbé espagnol, emploie un déterminant possessif (votre société), c'est pour évoquer péjorativement auprès du jeune imbécile qu'il a sous les yeux cette société dans laquelle il n'est plus qu'un forçat évadé.

De La Bruyère à Balzac, le sens du mot s'est donc infléchi (on passe de compagnie des hommes à corps social). Mais cela serait pareillement une faute de français (et une faute de goût) de s'attribuer à soi-même la société en la disant « nôtre ». L'emploi du possessif ne se justifie que dans le cas où on veut opposer la société contemporaine aux sociétés précédentes (notre société par rapport à celle des Anciens) ou bien la société française aux sociétés étrangères, les bas-fonds aux beaux salons. « Ce que les artistes appellent intelligence  semble prétention à la société élégante » ecrit encore Proust au début du vingtième.

Une société commerciale peut en revanche devenir mienne de façon métonymique, pour peu que j'aille y user le fond de mes culottes un nombre d'heures conséquent chaque jour. Ma société, ma boite... Notre société, notre entreprise : nous touchons à la racine du lieu commun, à l'instant pivot. A ce moment satanique (vers le milieu des années 80 ) où il est apparu, lorsque la publicité est devenue « une culture », et « la société » « notre société ». Que n'a-t-on pas écrit à propos de cette libéralisation de l'espace public, de cette lente dilution des frontières entre le public et le privé, du rachat progressif du premier par le second, de l'envahissement de la sphère social par le moi prédateur... La res publica, la chose commune, celle qui justement, n'appartenant à personne, ni aux « nouveaux arrivants » ni à ceux qui sont sur le départ, est disponible à tous, devient comme un produit, une marchandise ou un divertissement, quelque chose de nôtre.

Notre société ! Insignifiante et sordide faute de grammaire qui, l'air de rien, transforme le citoyen averti en consommateur abruti. Alors que l'intégration est un échec patent, un simple déterminant pour en donner l'illusion et discréditer toute critique, toute opposition : Car de même que tu n'as pas intérêt à toucher à ma mère, tu ne touches pas à ma société...

15:57 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, société, balzac, la bruyère, proust | | |

lundi, 25 février 2008

Profiter de la neige

C'est la saison. Ce lieu commun fait office de version hivernale pour « profiter du soleil », plus ancien que lui. Dans la bouche des premiers vacanciers, « profiter du soleil », cela se concevait par rapport à une conception éprouvée du temps qui passe. De la même façon, on profitait aussi du jour, par rapport à la nuit, de l'été, par rapport à l'hiver, de sa jeunesse, avant la décrépitude ... Profiter relève donc d'une conception épicurien et bon enfant de l'existence, sorte de carpe diem économique dont Léon Bloy dirait qu'il est le propre de la satisfaction bourgeoise, et aussi d'un certain renoncement spirituel. Il rappellerait aussi que ce profit de jouissance, ce carpe diem anodin, a forcément aussi un coût de souffrance pour un salaud de pauvre, et d'argent pour un quelconque exploiteur. Qui profite en vrai du soleil ? Le touriste qui se fait bronzer par lui, ou les métiers du tourisme que ce dernier fait vivre en profitant ? Accorder à un seul verbe (profiter) un champ sémantique susceptible de se déployer tout aussi bien dans le domaine du pragmatisme que dans celui de l'hédonisme, la langue du bourgeois a de ces capacités !

Mais laissons cela. En février, c'est de la neige, donc, qu'on profite. Avec le développement du tourisme de masses, selon le point où l'on se situe, on tire de la neige toutes sortes de profits : un profit en terme de jouissance du côté du touriste, un profit en terme de pognon du côté des stations, sauf que  certains consommateurs  (on ne dit pas profiteurs ?) se plaignaient ce matin d'avoir trouvé des remonte-pentes fermés pour cause de grève. On aura bien tout vu, n'est-il pas ? Pour que la France entière puisse sans encombre profiter de la neige, l'Etat Providence a donc créé ces trois zones ( A,B,C) qui relèvent du n'importe quoi le plus pédagogique. Mais que font les Sciences de l'Education ? La neige, dite aussi poudreuse ou (métaphore plus significative du profit qu'on peut tirer d'elle) or blanc, la neige, donc, a le mauvais goût (avec le réchauffement climatique) de se faire (à certains endroits) tirer l'oreille pour tomber de façon juste et égalitaire, comme tout flocon devrait pourtant le faire en démocratie. Les stations de moyenne et basse altitudes emploient par conséquent des « re-enneigeurs (métier d'avenir ? ) pour répartir de façon plus conforme au droit de l'homme et du touriste la précieuse matière. Je ne sais pas s'il existe un BTS de ré-enneigement. Ce serait fort bon : Sigismond Bétéhesse se porterait sans doute volontaire pour enseigner à ces étudiants-là le charme des très beaux poèmes qu'Yves Bonnefoy a consacrés à la neige en train de tomber durant des nuits et des nuits, sur des plaines et des plaines. Ce n'est pas « du mouvement et de l'immobilité de la neige », mais ça lui ressemble. Bref, avec la poésie- vers laquelle mon cœur ne peut s'empêcher de revenir -, je quitte le lieu commun.

Profiter de la neige, c'est pourtant tout un programme :

1. prendre son pied en prenant le moins de gamelles possible sur des pistes encombrées de ses congénères -

2 payer au prix fort des locations de meublés pourris dans des stations de moyenne altitude ré-enneigée chaque nuit par les étudiants de Sigismond.

3. Vendre aux touristes les tomates, le café et tout le tsoin-tsoin trois fois plus cher que le restant de la saison

4. Tant qu'il y a encore de l'or blanc et avant que la planète ne soit en surchauffe toute l'année, apprécier en poète (que le bourgeois est toujours à ses heures perdues) les courbes et les arabesques de chute et de dépôt d'une blancheur éphémère sur le paysage.

Enfin, profiter, dans la société de consommation, c'est aussi détruire... Mais ça, le lieu commun ne le signifiera jamais explicitement.

 

19:12 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bonnefoy, bloy, lieu commun, sigismond bétehesse | | |

samedi, 23 février 2008

Mai 68 et le Schmilblick

En feuilletant le n° de Libération consacré à mai 68 dans un bar ce matin, je découvre que la vraie trouvaille de 1969, serait le Schmilbilck. « Un mot inventé par l'humoriste Pierre Dac à partir de rien (...). » note le journaliste qui fait de l'événement un exemple de libéralisation de la parole, fruit du beau mois de mai ! Or dans sa chronique 225, datée du 14 mai 1957, ALexandre Vialatte évoquait déjà la civilisation du Schmilblick, sorte d'appareil présenté par Francis Blanche et Pierre Dac, « qui tient de la machine à laver, de la locomotive atomique, du dromadaire, de la pantoufle brodée et de l'usine à tailler les crayons ».

Pierre%20DAC%201.jpgPierre Dac, faut-il le rappeler, fut le créateur de l'Os à Moelle et de la Société des Loufoques et ce, trente ans tout juste avant 1968 ! Quant à Francis Blanche, il chantait Ploum ploum tralala alors que les soixante huitards en étaient à leurs premiers biberons. La faculté que cette génération aura eu à brouter dans la paume de ses aînés et à couper l'herbe sous les pattes de ses successeurs est proprement sidérante. Les éditions Climats ont publié en 2001 un ouvrage de François Ricard, La génération lyrique, essai sur la vie et l'œuvre des premiers-nés du baby-boom. Ce petit frère des soixante-huitards y analyse finement l'opportunisme, l'inconscience et l'égoïsme assez sidérants de cette génération qu'on voit partir à la retraite depuis quelque temps, les poches pleines et l'air sully-prudhommesque.

Francis-Blanche-1.jpgC'est vrai qu'à part quelques spécimens, je n'aime pas trop ces gens :  Mais où sont les petits vieux d'antan ?, est-on tenter de leur susurrer à l'oreille. Quant à leur parole, prétendument libérée, il me semble qu'elle tienne surtout de l'avalanche de lieux communs qu'ils ont proféré à qui mieux mieux durant des décennies; de ceux-ci qui fondent la civilisation des loisirs, une civilisation emplie de retraités dont la sagesse extrême consiste désormais à s'en aller photographier l'Ile Maurice ou bien la Sierra Leone avec un appareil numérique. Robbe Grillet, qui depuis peu a finalement quitté son château, en savait quelque chose, lui dont les bouquins jamais lus jusqu'au bout faisaient naguère encore partie du voyage. Le legs de cette génération n'aura été rien d'autre que l'institutionnalisation forcenée et à tous prix de la consommation, et de tous les pseudo-droits qui en découlent (- tiens, saviez-vous pas que le crédit était un droit ?) Droit aux trois zones de février, par exemple, pour partir en vacances et, comme le dit délicieusement Claire Chazal avec un air tout spécialement niais, « profiter de la neige » ( beau lieu commun, n'est-il pas ?) Les forcenés de la montagne de ces trois zones, donc, se croisent ce week-end à Lyon, qu'ils bombardent de pollution -merci les vacanciers, mais c'est leur droit ! Comme tout bipède normal, malgré le conditionnement médiatique, hésite tout de même à trouver enchanteur le fait d'être coincé dans un bouchon de trente kilomètres, on passe à la radio et à la TV des messages d'encouragement : c'est le prétexte à voir défiler la gueule de tous ces automobilistes aussi débiles que ravis dans leurs bagnoles « on est à la queue leu leu, mais c'est très bien », récite une grosse quinquagénaire, tandis que son compagnon tout pâlichon nous montre le trou qu'il a dans la dentition en nous expliquant qu'il « faut bien aller chercher un peu de soleil ». Qu'en aurait pensé Francis Blanche, tiens ? Qu'il est beau, l'héritage de 68!

Deux phrases de lui,  pour finir, tirées de Mon Oursin et moi.

«Pour le week-end, nous avons voulu faire les Châteaux de la Loire. Malheureusement, ils étaient déjà faits.». Et puis.

«La ville d’Antibes et la ville de Biot vont fusionner. Leurs habitants s’appelleront désormais les Antibiotiques.»



16:55 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pierre dac, francis blanche, françois ricard, os à moelle, schmilblick, mai68 | | |

mercredi, 20 février 2008

Le foot, c'est que du bonheur...

« Fuyez le lieu commun…  » : tel était le conseil de James Joyce aux jeunes écrivains. « Dès que vous entendez quelqu'un en proférer un auprès de vous, fuyez ». Facile à dire ! Mais fuir où et par où ? Et où aller ? En quel lieu de la Terre, Seigneur, en quel lieu de l'esprit ?  Léon Bloy n'essaya pas de fuir ceux de son temps, lui. Au contraire, il les regardait bien en face, yeux dans les  yeux, et en dressa une exégèse méticuleuse qui parut en deux tomes. Petite pioche dans l'index : Dieu n'en demande pas tant ; les affaires sont les affaires ; les enfants ne demandent pas à venir au monde ; tout le monde ne peut pas être riche ; bien faire et laisser dire ; être  poète à ses heures

Les  locutions patrimoniales de la Belle Epoque étaient des formules bourgeoises, dixit Bloy dans sa préface.

A l'époque, ces formules circulaient de bouches en bouches ; de boutiques en boutiques et de paillassons en paillassons. On ramassait les premiers à l'école. On en trouvait aussi dans les colonnes des journaux, certes. Et dans les pages des meilleurs romanciers sans doute aussi. Cependant, la vitesse de propagation du virus demeurait sans doute raisonnable.  Aujourd'hui, le lieu commun est d'origine essentiellement médiatique. En bonne place, on trouve évidemment les lieux communs politiques, et nous connaissons tous certains candidats de second tour qui eurent récemment l'art et la manière d'en gaver les Français pour une saison. Les lieux communs journalistiques. Les lieux communs du show-business, et ceux du monde économique.  Les lieux communs cinématographiques.  Ecrans, véhicules commodes. Ne pas se laisser contaminer par eux, depuis que la libre expression de tout un chacun et l'égalitarisme souverain les ont faits se répandre avec une même audace dans tant de bouches, c'est une entreprise quasiment aussi impossible que de respirer de l'air pur dans une métropole un jour de pic de pollution.

Tiens, ce soir, Lyon-Manchester, Ligue des champions à Gerland.  A la limite, on s'en fout de qui va gagner, parce que de toute façon, depuis déjà une bonne dizaine d'années, non ? … « Le foot, c'est que du bonheur! »

Le foot, c’est que du bonheur ;   Remarquez comment on a ôté le « ne » et gardé le « que », histoire de donner un air positif à ce qui reste en grammaire, même restrictive, une négative. La phrase a du coup l'air positif qui convient à l'époque (le foot c'est du bonheur). Pourtant ce n'est pas que ça, mais cela il ne faut pas le dire. Chacun sait que c'est aussi des magouilles, par exemple. Allez voir Courbis il en sait quelque chose. Et puis du fric - oh beaucoup de fric ! - Mais dans le stade, comme dans l'église, non, ça ne se dit pas. On dira donc que c'est le jeu, rien que lui qui (n)'est que du bonheur.

Du coup des tas de petits gamins essayent de trouver le bonheur en tapant le plus jeune possible dans le ballon. Taper dans le ballon le plus jeune possible, c'est un peu comme sucer le micro dès son plus jeune âge, ça laisse quelques espoirs à des parents de s'assurer une retraite paisible. J'ai écrit une connerie ? Oui. Parce que l'argent, bien sûr, ça ne fait pas le bonheur. L'exploit sportif, si. Le foot, c'est que du bonheur...

 

19:00 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : football, lieu commun, léon bloy, solko | | |

samedi, 16 février 2008

Reporters des années trente

« Trop souvent, j’ai écrit trop vite, pour de l’argent » regrettera Joseph Kessel (1) lorsque, couvert d’honneurs, il sera en 1963 élu à l’Académie Française. Singulier aveu, qui rejoint le regret constant d’Albert Londres de n’avoir pu trouver, entre deux reportages, le temps d’écrire autre chose … que des reportages. Un roman, déclare-t-il publiquement ? « Cela suppose qu’on s’arrête un moment, et j’ai bien peur de ne m’arrêter jamais ». (2) Dans une France où la presse demeure le seul accès à l’information, où le champ de la  curiosité populaire augmente incessamment, les opportunités fourmillent pour qui a du talent, des idées, du culot. Sur le monde des Lettres, règnent les lois de la vitesse, de l'opportunisme, de l’argent. « La guerre avait appris à lire aux Français … Cet accroissement imprévu du nombre des acheteurs de livres explique les rapports nouveaux qui s’établirent entre auteurs, éditeurs et librairies. » raconte Galtier Boissière.(3)

Dans les colonnes de quotidiens dont les tirages impressionnent aujourd’hui (Le Petit Parisien, par exemple, tire à deux millions d’exemplaires), « une plume qui marche » est un  produit providentiel, que s’arrachent les directeurs. La parole devient une forme de marchandise. Le phénomène n'est certes pas nouveau : Henri Béraud cependant, le constate avec ironie (4) :

« Lousteau vivait d’écrire un article par semaine. Tant de facilité émerveillait et effrayait Barbey d’Aurevilly. Un article par jour ne suffit plus à nourrir son auteur. Il lui faut, à présent, se colleter avec l’idée qui s’échappe ; il doit saisir à la gorge sa propre pensée. Il se règle lui-même comme un luminoir à écrits. Il s’use. Il jette au vent le meilleur de lui-même. » 

Joseph Kessel, Albert Londres, Henri Béraud : trois reporters de l'entre deux-guerres, dont les destins divergents prennent chacun racine sur ce même Vieux Continent, celui d'après le Traité de Versailles et d'avant le Rideau de Fer. Une terre véritablement engloutie, à présent. Continent sillonné par des express aux couleurs rouges et bleues, aux couloirs déserts et tapissés sous les lampes en veilleuses par les portes de sleepings aux judas bien clos. Europe à multiples langues et multiples monnaies.  De l'Arc de Triomphe à la porte de Brandebourg, c’est alors l’affaire d’une petite journée pour un train hennissant sur ses rails. Albert Londres n'est jamais revenu de son voyage en Chine en 1932. Henri Béraud est mort tristement, après son long et scandaleux emprisonnement au bagne de l'île de Ré, en 1958. Kessel, quant à lui, s'est éteint progressivement en 1979, au coin de son feu et les pieds dans ses pantoufles. Quant à cette Europe, leur Europe, elle a donné naissance au mythe du petit reporter dont le trop lisse Tintin demeure de nos jours une sorte d'icone hygiénique.



1 Yves Courrière, Joseph Kessel ou sur la piste du lion

2 Interview à Gringoire du 19 juillet 1929, cité par Pierre Assouline dans la biographie que ce dernier consacre à Albert Londres.

3.Jean Galtier Boissière Mémoires d'un Parisien

4. Henri Béraud Le Flaneur Salarié

08:30 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, journalisme, galtier boissière, béraud, reportages, albert londres | | |

vendredi, 15 février 2008

Terrasse technologique

Dansait-il sur une terrasse

Large et dominant la cité technologique

Lui qui, le dernier, embrassa la cathédrale ?

On ne saurait le dire parmi les réseaux

Où galope un reflet d'étincelles

Mais dans les tissus de nos tissus

Et dans les gènes de nos gènes

Nous sentons bien qu'électriques

Le spectre de son baptême

Et le frisson de son argot

Encore villonnement vivants

Sillonnent jusqu'à l'épuisement


Les lignes de nos testaments


poésie,poèmes,villon,solko,cathédrale


08:25 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, poèmes, villon, solko, cathédrale | | |

jeudi, 14 février 2008

Mais où sont les polémistes d'antan

georges-bernanos.jpgLe 9 novembre 1944, Georges Bernanos rédige un article, « La France dans le monde de demain », que je relisais ce matin. (1) Et tandis que le bus tournait dans les rues sombres de la ville où ne se distinguait vraiment que le rond des lampadaires dans une brume sale et de pollution, je me disais que les polémistes de naguère croyaient encore à la possibilité de bousculer la société par le moyen d'un livre. (« J'ai la conviction de parler au nom d'un grand nombre de Français » écrit Bernanos). De quelque bord qu'ils fussent, ils croyaient à  leur cause. (« O vous qui me lisez, commencez par le commencement, commencez par ne pas désespérer de la Liberté ») Tels les anciens soldats, ils allaient, armés de figures, de lyrisme et de naïveté dans le sillon de leurs lignes. S'ils n'étaient pas tous prets à « mourir pour des idées », du moins croyaient-ils que la parole avait encore le pouvoir d'alerter les hommes, qu'il suffisait pour cela de mettre le paquet, voire d'en rajouter une louche. Extrait de cet article de Bernanos, contre la « civilisation des machines » à laquelle il oppose ce qui reste de la civilisation des Droits de l'Homme :

« L'énorme mécanisme de la Société moderne en impose à vos imaginations, à vos nerfs, comme si son développement inexorable devait tôt ou tard vous contraindre à livrer ce que vous ne lui donnerez pas de plein gré. Le danger n'est pas dans les machines, sinon nous devrions faire ce rêve absurde de les détruire par la force, à la manière des iconoclastes qui, en brisant les images, se flattaient d'anéantir aussi les croyances. Le danger n'est pas dans la multiplication des machines, mais dans le nombre sans cesse croissant d'hommes habitués, dès leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner. Le danger n'est pas que les machines fassent de vous des esclaves, mais qu'on restreigne indéfiniment votre Liberté au nom des machines, de l'entretien, du fonctionnement, du perfectionnement de l'Universelle Machinerie. Le danger n'est pas que vous finissiez par adorer les machines, mais que vous suiviez aveuglément la Collectivité  - dictateur, Etat ou Parti - qui possède les machines, vous donne ou vous refuse la production des machines. Non, le danger n'est pas dans les machines, car il n'y a d'autre danger pour l'homme que l'homme même. Le danger est dans l'homme que cette civilisation s'efforce en ce moment de former ».

Où en sommes-nous, soixante quatre ans plus tard ? A lire le bouquin d'Olliver Dyens, La condition inhumaine, qui se veut une réflexion critique sur ce même sujet, nous serions en plein marasme. Nous serions devenus, au centre des machines qui nous font naître, nous surveillent, nous guérissent, nous alimentent, nous instruisent, construisent nos villes et nos maisons, « une machine qui palpite »...  La polémique s'arrête sur cette belle vue de l'esprit. En comparant l'écriture de Bernanos et celle de Dyens. on voit à quel point la technique (contre laquelle pestait Bernanos) a intégré, via la promotion de la linguistique et celle des sciences humaines, l'espace de la littérature comme celui de l'édition. Si bien que, ô vaste ironie, ô vaste fumisterie, même la pensée critique- même la polémique-, est devenue une technique. Je ne suis pas en train de dire que les polémistes du passé écrivaient sans technique : ils maîtrisaient évidemment toutes les règles de l'éloquence. Mais ils ne se laissaient pas, du moins les meilleurs d'entre eux, maîtriser par elle. Leur démonstration donnait encore à entendre la voix de leur passion, celle de leur désir, celle de leur colère. La sincérité de Bloy, malgré -et même contre le langage-, est, par exemple, évidente. Celle de Bernanos ne l'est pas moins. Si je trouve, dans l'édition contemporaine, si peu de polémistes dignes de ce nom, n'est-ce donc pas à cause « de cet homme habitué dès son enfance à ne désirer que ce que les machines peuvent donner », cet homme que cette civilisation s'est efforcé, depuis une cinquantaine, d'années de former ?

 

(1)Il se trouve en annexe dans l'édition de poche de La France contre les robots.

11:35 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : polémistes, polémique, bernanos, bloy, littérature | | |

mardi, 12 février 2008

Saturation d'écrits

L'écrit se perd. C'est un constat effectué par tous ceux dont le métier est de se pencher sur des copies. Et pourtant, direz-vous, la société dans laquelle nous vivons est saturée de toute sorte d'écrits. Ecrits lapidaires, approximatifs, fautifs autant que multiples et bariolés.  Ecrits identitaires ou communautaristes, brandis sur des écrans ou du papier, comme le sont de simples images. Ecrits pub, écrits slogan, écrits gros-titres...  Partout, des écrits ; des écrits, cependant, que plus personne de visible ni d'incarné ne produit jamais sous nos yeux. Je me souviens, il y a déjà une bonne dizaine d'années de cela, m'être fait arracher un chèque des mains par la caissière d'une pizzeria qui - au demeurant - n'était pas des meilleures : "ne le remplissez pas, la machine s'en chargera...." Impression bizarre d'avoir presque pissé contre l'autel ou enfreint le protocole de je ne sais quelle cérémonie de fourmis. Etait-il désormais obscène d'écrire en public ? Et la machine s'est chargée d'écrire, en effet, le montant du chèque à ma place. Rien que du banal.

Rien que du banal que les enfants voient sans cesse se produire autour d'eux. Qui écrit encore, de façon réelle et régulière, de vrais textes dignes d'intérêt dans sa vie quotidienne ? Dans la saturation d'écrits qui nous environne, nous perdons collectivement l'écriture. Il n'y a bien que les collégiens, les lycéens et les étudiants auxquels d'indélicats conservateurs demandent encore de produire du texte écrit, et encore, pas toujours de façon manuscrite. Les résultats, maintes fois décrits autant que décriés, sont des résultats le plus souvent catastrophiques. Et le mouvement est irréversible. Car nous avons quitté la civilisation de l'écrit : l'écrit avait besoin d'espace, de temps, de nature, d'individus libres, autonomes, conscients, cultivés et singuliers. L'espace se restreint, le temps coagule, la nature se transforme, la culture se massifie, que dire des individus libres, autonomes, conscients, singuliers ? L'écrit ne pouvait se maintenir que dans un monde nuancé - où sont les nuances, dans la civilisation techno-médiatique de masses dans laquelle nous sommes entrés. Notre perception du monde est à la fois trop lourde et trop rapide pour l'écrit. Bien sûr, demeurent les irréductibles dont je fais partie - pour combien de temps, ou plutôt pour combien de générations ? Maîtriser correctement la langue écrite est encore perçu par beaucoup d'hommes et de femmes comme un acte encore nécessaire, certes. Mais nécessaire à sa survie, pas à sa vie. Un acte certes encore nécessaire, mais, déjà, un acte qui n'est plus du tout fondamental. Or un acte qui n'est plus perçu comme fondamental, dans quelque civilisation que ce soit, est condamné, à plus ou moins long terme, à disparaitre : « a quoi ça sert? » s'interrogent en effet en chœur les plus nombreux, qui sont toujours ceux que Bernanos appelait les imbéciles." Ainsi s'effaça de la mémoire du peuple l'habitude de croire et de prier, lorsque le système imposé à tous l'exigea de chacun. Car je suis convaincu que, de la même façon qu'on m'ôta le chèque à remplir des mains, on retira le livre de prières de celles de mes ancêtres. Avec de semblables arguments. Ainsi va la civilisation. Tant qu'à la fin elle se brise.

 

16:50 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : écriture, littérature, langue française, bernanos | | |

lundi, 11 février 2008

La démocratie du spectacle

NON ! Quelle manchette ! Le soir du 29 mai, malgré la hauteur du résultat, il n'y eut pourtant pas particulièrement de liesse populaire dans les rues. On s'attardait un peu devant les écrans (PPDA, Chabot, Pujadas, la même clique, toujours...). Et puis, le peuple qui s'était prononcé alla se coucher.

« Vive l'Europe, vive la France »... Hier, un président français, pour la première fois dans l'Histoire du pays, conclut ainsi l'une de ses interventions.  Teint terreux, coupe de sergent-chef, le ton parfaitement faux-cul et l'œil libidineux de l'avocat véreux touchant ses honoraires: Vive l'Europe ? Un Persan de Montesquieu qui observerait les convulsions médiatiques de ce pays y perdrait son latin. Quoi ? Ce pays qui a dit Non à l'Europe libérale, publiquement désavoué trois ans plus tard par son propre "dirigeant" ? Quel funeste désaveu ! Dans la formule conclusive de ce pseudo-président, où donc, au fait,  est passée la République ? Ainsi va la démocratie du spectacle, le « show politique », lequel « must go on »... Est-ce une nouveauté ? Rouvrons donc les Mémoires d'Outre-Tombe", Troisième Partie, XII, 8. Chateaubriand décrit l'indifférence avec laquelle le peuple accueille la nouvelle du départ de Charles X pour Prague, peu après les Trois Glorieuses de 1830 :

« Dans ce pays fatigué, les plus grands événements ne sont plus que des drames joués pour notre divertissement : ils occupent le spectateur tant que la toile est levée et, lorsque le rideau tombe, ils ne laissent qu'un vain souvenir ».

Sauf que, dirons les plus inquiets d'entre nous, ce n'est pas un roi qui s'en va tristement en exil cette fois-ci, mais une certaine légitimité de la souveraineté populaire.

Sarkozy a beau jeu de se targuer de ses 53 %, plus récents que les 54,67 du référendum (un résultat en chasse l'autre), pour affirmer cyniquement qu'il « fait ce pour quoi il a été élu ». Ceux qui ont voté pour lui, et dont la préoccupation première n'est, certes pas l'application du Traité de Lisbonne, apprécieront. Dans les coulisses, le PS, qui s'y croit déjà, fait mine de s'abstenir et applaudit. Cette démocratie spectaculaire, en sa majorité comme en son opposition, n'est même plus écœurante. Elle est mortifère. Elle porte les traces de la mort, de sa propre mort et de la mort de tous ceux qui se livrent à ses icones. Car un feuilleton politique, bien vite, en chasse un autre. Une série supplante une série. Au nom de la politique de l'audimat dont elle use et abuse, la série Sarkozy touche à ses limites. Une autre suivra sans doute. A quand, le grand réveil du politique ?

 

08:40 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : europe, sarkozy, chateaubriand, montesquieu | | |