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mardi, 12 février 2008

Saturation d'écrits

L'écrit se perd. C'est un constat effectué par tous ceux dont le métier est de se pencher sur des copies. Et pourtant, direz-vous, la société dans laquelle nous vivons est saturée de toute sorte d'écrits. Ecrits lapidaires, approximatifs, fautifs autant que multiples et bariolés.  Ecrits identitaires ou communautaristes, brandis sur des écrans ou du papier, comme le sont de simples images. Ecrits pub, écrits slogan, écrits gros-titres...  Partout, des écrits ; des écrits, cependant, que plus personne de visible ni d'incarné ne produit jamais sous nos yeux. Je me souviens, il y a déjà une bonne dizaine d'années de cela, m'être fait arracher un chèque des mains par la caissière d'une pizzeria qui - au demeurant - n'était pas des meilleures : "ne le remplissez pas, la machine s'en chargera...." Impression bizarre d'avoir presque pissé contre l'autel ou enfreint le protocole de je ne sais quelle cérémonie de fourmis. Etait-il désormais obscène d'écrire en public ? Et la machine s'est chargée d'écrire, en effet, le montant du chèque à ma place. Rien que du banal.

Rien que du banal que les enfants voient sans cesse se produire autour d'eux. Qui écrit encore, de façon réelle et régulière, de vrais textes dignes d'intérêt dans sa vie quotidienne ? Dans la saturation d'écrits qui nous environne, nous perdons collectivement l'écriture. Il n'y a bien que les collégiens, les lycéens et les étudiants auxquels d'indélicats conservateurs demandent encore de produire du texte écrit, et encore, pas toujours de façon manuscrite. Les résultats, maintes fois décrits autant que décriés, sont des résultats le plus souvent catastrophiques. Et le mouvement est irréversible. Car nous avons quitté la civilisation de l'écrit : l'écrit avait besoin d'espace, de temps, de nature, d'individus libres, autonomes, conscients, cultivés et singuliers. L'espace se restreint, le temps coagule, la nature se transforme, la culture se massifie, que dire des individus libres, autonomes, conscients, singuliers ? L'écrit ne pouvait se maintenir que dans un monde nuancé - où sont les nuances, dans la civilisation techno-médiatique de masses dans laquelle nous sommes entrés. Notre perception du monde est à la fois trop lourde et trop rapide pour l'écrit. Bien sûr, demeurent les irréductibles dont je fais partie - pour combien de temps, ou plutôt pour combien de générations ? Maîtriser correctement la langue écrite est encore perçu par beaucoup d'hommes et de femmes comme un acte encore nécessaire, certes. Mais nécessaire à sa survie, pas à sa vie. Un acte certes encore nécessaire, mais, déjà, un acte qui n'est plus du tout fondamental. Or un acte qui n'est plus perçu comme fondamental, dans quelque civilisation que ce soit, est condamné, à plus ou moins long terme, à disparaitre : « a quoi ça sert? » s'interrogent en effet en chœur les plus nombreux, qui sont toujours ceux que Bernanos appelait les imbéciles." Ainsi s'effaça de la mémoire du peuple l'habitude de croire et de prier, lorsque le système imposé à tous l'exigea de chacun. Car je suis convaincu que, de la même façon qu'on m'ôta le chèque à remplir des mains, on retira le livre de prières de celles de mes ancêtres. Avec de semblables arguments. Ainsi va la civilisation. Tant qu'à la fin elle se brise.

 

16:50 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : écriture, littérature, langue française, bernanos | | |

Commentaires

vous devriez relire le passage de phèdre que platon consacre à l'invention de l'écriture, ça changerait votre perspective sur ce point. ;-)
j'en ai trouvé une copie:

"Voilà, dit Theut, la connaissance, ô Roi, qui procurera aux Égyptiens plus de science et plus de souvenirs; car le défaut de mémoire et le manque de science ont trouvé leur remède -pharmakon".À quoi le roi répondit: "Incomparable maître ès arts, ô Theut, autre est l’homme capable de donner le jour à l’institution d’un art; autre, celui capable d’apprécier ce que cet art comporte de bénéfice ou d’utilité pour les hommes qui devront en faire usage. Et voilà que maintenant, en ta qualité de père des caractères de l’écriture, tu te complais à les doter d’un pouvoir contraire à celui qu’ils possèdent! Car cette invention, en dispensant les hommes d’exercer leur mémoire, produira l’oubli dans l’âme de ceux qui en auront acquis la connaissance. C’est du dehors grâce à des caractères étrangers, et non du dedans et grâce à eux-mêmes, qu’ils se remémoreront les choses. Ce n’est donc pas pour la mémoire, c’est pour le ressouvenir que tu as trouvé un remède. Quant à la science, c’en est l’illusion et non la réalité que tu procures à tes élèves. [...] Ils se croiront compétents en une quantité de choses, alors qu’ils sont, dans la plupart, incompétents. Et ils seront plus tard insupportables parce qu’au lieu d’être savants, ils seront devenus savants d’illusion."

Écrit par : gmc | mardi, 12 février 2008

Bonjour.
Je trouve votre billet très juste : il y a, face et revers, saturation et disparition. Reste à penser comment cette agonie de l'écrit, de la civilisation de l'écrit, qui peut-être fort longue et lente après tout, peut - doit? - devenir une chance.
Je découvre ce jour votre blog, et m'y trouve référencé en copiste de Bloy, la toile est surprenante. Merci.
PA

Écrit par : Pascal Adam | mardi, 12 février 2008

La remarque de GMC et la citation qu'il fait du Phèdre de Platon est très pertinente. On pourrait aussi objecter le rôle policier de l'écriture, souligné à juste titre par Levi Strauss, par ailleurs. Mais le contexte historique n'est pas le même. Ne plus écrire, aujourd'hui, ce n'est pas comme dans les civilisations traidtionnelles où l'oral avait une autorité, muscler de nouveau sa mémoire. Loin de là ! J'ai bien peur au contraire que cela revienne à tomber dans la plus inquiétante des amnésies. A moins que cela devienne une chance, en effet ... Je suis sceptique.

Écrit par : solko | mercredi, 13 février 2008

Gmc n'a pas tort, mais c'est plaider pour la civilisation orale, que l'occidental appelait "société primitive", on pourrait dire "anhistorique". Lévi Strauss dénonce effectivement l'écriture comme instrument d'asservissement, mais c'est au moins un paradoxe : lui, l'ami des "primitifs", n'a pas cessé d'écrire, et il va sur ses 100 ans. Et il oublie que l'écriture est devenue l'instrument de la libération (voir la presse au 18° s.).

Écrit par : fredlôtre | mercredi, 13 février 2008

TRISTESSE TROPICALE

Levi-Strauss n'écrit que l'amertume
Oublieux des mondes intérieurs
Dissertant sur des formes
Qu'il emplit de la propre saveur
De son amnésie incantatoire
L'écriture est une forme de langage
Le langage est une forme de pensée
La pensée est un processus
Sur lequel ne règne pas
L'objet imaginé appelé moi

Écrit par : gmc | mercredi, 13 février 2008

Il n'empêche que sans l'écriture on aurait oublié jusqu'au nom de Platon. C'est grâce à elle, précisément, que la culture a pu se transmettre de génératin en génération. C'est pour cela qu'elle constitue un enjeu grave et qu'il convient de la traiter avec respect.

Les générations suivantes se baseront sur l'image, mais l'image n'est qu'une copie de la réalité (ou l'illusion de cette copie). Il lui manque le recul et la réflexion que permettait l'écriture.

Mais ne sommes-nous point en train de confondre le moyen (écriture ou image) et le fond (le contenu).

Un moyen pourrait toujours en remplacer un autre. Mais j'ai bien peur qu'en plus il n'y ait plus de contenu à transmettre.

Les écoles ne visent plus un savoir, elles visent à savoir vendre.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 13 février 2008

SANS REFLECHIR UN INSTANT

A quoi sert un fond
Qui ne sert qu'à glorifier
Les devantures des boutiquiers

Le fond du contenu
Est intangible à découvrir
Ou pas

Le reste est pure littérature
De la breloque en boîte de douze
Du sarment de funéraire
A l'intérêt plus qu'anecdotique

Écrit par : gmc | mercredi, 13 février 2008

pour GMC : un fond sert toujours à quelque chose. Na.

Écrit par : Porky | mercredi, 13 février 2008

NA NA NA NA


Un fond sert toujours
A quelque chose
Dans les mondes imaginaires
Des sérieux

Ailleurs le fond
Ne se pose pas
Ce genre de question
Utilitaire

Le fond est comme un point
De suspension
Une perle de givre
Un sourire de souffle

Écrit par : gmc | mercredi, 13 février 2008

Priorité à quoi ? La structure ? Le contenu ? Lévi-Strauss a adopté le structuralisme qui lui a servi à niveler toutes les cultures, c'est-à-dire à mettre tous les contenus sur le même plan indifférencié, et à culpabiliser de cette manière tout l'occident, où était pourtant née La Culture.
C'est ça ma culture. Je n'en démordrai pas. Soyons joyeusement réactionnaires.

Écrit par : fredlôtre | mercredi, 13 février 2008

J'ajoute que Lévi-Strauss est un traître, puisque, comme le montre "Lire Ecouter Voir", il est imprégné de cette culture jusqu'au moindre noyau de cellule.

Écrit par : fredlôtre | mercredi, 13 février 2008

INACTIF

Le réactionnaire
Est un agrégat postulant
Constitué essentiellement
De réflexes sporadiques
Vaguement cimentés à l'eau
Le réactionnaire
Ne connaît de l'action
Que les mouvements brusques
Causés par les agitations
Qui sillonnent les flots

Écrit par : gmc | mercredi, 13 février 2008

Lévi-Strauss a montré que la culture dite sauvage était déjà une culture et qu'elle était complexe et riche. Il a aussi montré comment on était passé de cette culture, qui après tout fut la nôtre à un moment donné, à la pensée scientifique que nous connaissons.

Le sauvage fait partie de la nature, qu'il envisage d'un point de vue magique, tandis que nous nous dominons cette même nature. Cela nous a apporté de nombreux avantages et aussi quelques désagréments.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 13 février 2008

MERVEILLES DE L'EPURATION

Le monde à l'envers
Imagine une nature autonome
Le monde à l'endroit
Est la nature et son décor

Le monde à l'envers
Subit les contraintes du temps
Le monde à l'endroit
Brûle tous les calendriers

Le monde à l'envers
Croit dominer alors qu'esclave
Le monde à l'endroit
Sourit dans la magie de la nuit

Écrit par : gmc | jeudi, 14 février 2008

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