samedi, 23 février 2008
Mai 68 et le Schmilblick
En feuilletant le n° de Libération consacré à mai 68 dans un bar ce matin, je découvre que la vraie trouvaille de 1969, serait le Schmilbilck. « Un mot inventé par l'humoriste Pierre Dac à partir de rien (...). » note le journaliste qui fait de l'événement un exemple de libéralisation de la parole, fruit du beau mois de mai ! Or dans sa chronique 225, datée du 14 mai 1957, ALexandre Vialatte évoquait déjà la civilisation du Schmilblick, sorte d'appareil présenté par Francis Blanche et Pierre Dac, « qui tient de la machine à laver, de la locomotive atomique, du dromadaire, de la pantoufle brodée et de l'usine à tailler les crayons ».
Pierre Dac, faut-il le rappeler, fut le créateur de l'Os à Moelle et de la Société des Loufoques et ce, trente ans tout juste avant 1968 ! Quant à Francis Blanche, il chantait Ploum ploum tralala alors que les soixante huitards en étaient à leurs premiers biberons. La faculté que cette génération aura eu à brouter dans la paume de ses aînés et à couper l'herbe sous les pattes de ses successeurs est proprement sidérante. Les éditions Climats ont publié en 2001 un ouvrage de François Ricard, La génération lyrique, essai sur la vie et l'œuvre des premiers-nés du baby-boom. Ce petit frère des soixante-huitards y analyse finement l'opportunisme, l'inconscience et l'égoïsme assez sidérants de cette génération qu'on voit partir à la retraite depuis quelque temps, les poches pleines et l'air sully-prudhommesque.
C'est vrai qu'à part quelques spécimens, je n'aime pas trop ces gens : Mais où sont les petits vieux d'antan ?, est-on tenter de leur susurrer à l'oreille. Quant à leur parole, prétendument libérée, il me semble qu'elle tienne surtout de l'avalanche de lieux communs qu'ils ont proféré à qui mieux mieux durant des décennies; de ceux-ci qui fondent la civilisation des loisirs, une civilisation emplie de retraités dont la sagesse extrême consiste désormais à s'en aller photographier l'Ile Maurice ou bien la Sierra Leone avec un appareil numérique. Robbe Grillet, qui depuis peu a finalement quitté son château, en savait quelque chose, lui dont les bouquins jamais lus jusqu'au bout faisaient naguère encore partie du voyage. Le legs de cette génération n'aura été rien d'autre que l'institutionnalisation forcenée et à tous prix de la consommation, et de tous les pseudo-droits qui en découlent (- tiens, saviez-vous pas que le crédit était un droit ?) Droit aux trois zones de février, par exemple, pour partir en vacances et, comme le dit délicieusement Claire Chazal avec un air tout spécialement niais, « profiter de la neige » ( beau lieu commun, n'est-il pas ?) Les forcenés de la montagne de ces trois zones, donc, se croisent ce week-end à Lyon, qu'ils bombardent de pollution -merci les vacanciers, mais c'est leur droit ! Comme tout bipède normal, malgré le conditionnement médiatique, hésite tout de même à trouver enchanteur le fait d'être coincé dans un bouchon de trente kilomètres, on passe à la radio et à la TV des messages d'encouragement : c'est le prétexte à voir défiler la gueule de tous ces automobilistes aussi débiles que ravis dans leurs bagnoles « on est à la queue leu leu, mais c'est très bien », récite une grosse quinquagénaire, tandis que son compagnon tout pâlichon nous montre le trou qu'il a dans la dentition en nous expliquant qu'il « faut bien aller chercher un peu de soleil ». Qu'en aurait pensé Francis Blanche, tiens ? Qu'il est beau, l'héritage de 68!
Deux phrases de lui, pour finir, tirées de Mon Oursin et moi.
«Pour le week-end, nous avons voulu faire les Châteaux de la Loire. Malheureusement, ils étaient déjà faits.». Et puis.
«La ville d’Antibes et la ville de Biot vont fusionner. Leurs habitants s’appelleront désormais les Antibiotiques.»
16:55 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pierre dac, francis blanche, françois ricard, os à moelle, schmilblick, mai68 |