vendredi, 09 avril 2010
Sur la souffrance physique
« Une chose que je ne comprends pas, c’est la souffrance physique, dit Giono. Morale je la comprends (...) Mais la souffrance physique est une souffrance insupportable : je ne comprends pas ça, c’est vraiment un scandale et une chose abominable. Et on ne sait pas à quoi ça sert. Au début, ça sert, en effet, je crois, de sonnette d'alarme, d’être prévenu par la souffrance que quelque chose fonctionne mal. Ça, ça parait normal Mais après ? Pourquoi dure-t-elle après qu'elle vous a prévenu ? C’est ça qui est grave… »
« La mort et le reste, ça n’a pas beaucoup d’importance. La mort, c’est tout à fait normal. Même, si elle n’existait pas, ça serait terrible. Imaginez que nous soyons obligés vous et moi de faire ce que nous faisons là dans l’éternité, l’éternité ! Vous vous rendez compte ! C’est terrible, épouvantable ! Nous n’oserions plus prononcer un mot, c’est plus la peine ! Tandis qu’étant donné que nous avons la mort pour nous voler ce mot aux lèvres, nous le prononçons, et c’est tout à fait normal », dit Giono, accompagnant d'un geste de la main cette formule si juste.
C'est sur cette vidéo, un entretien datant de Noël 1965
Deux billets sur Giono sur ce blogue :
A propos du Grand Troupeau
Sur quelques pages d’un roi sans Divertissement :
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mercredi, 07 avril 2010
Renan et la civilité française
« La civilité extrême de mes vieux maîtres m’avait laissé un si vif souvenir, que je n’ai jamais pu m’en détacher C’était la vraie civilité française, je veux dire celle qui s’exerce, non seulement envers les personnes que l’on connaît, mais envers tout le monde sans exception. ».
Dire pourquoi la saveur de cette phrase me touche particulièrement relève de l'exercice de style. Il y a d’abord l’antéposition de « vieux » : Je n’aime volontiers ce mot vieux qu’antéposé, parce qu’il dit alors la continuité du sentiment malgré tous les aléas, la fidélité aux êtres, il marque une certaine moquerie désinvolte à l’égard du temps, qui prétend éroder les affections diverses qu'on porte aux choses, qui me plait bien. Le v de mes « vieux maitres », sans qu’on s’en rende véritablement compte, reprend celui de « civilité », et précède dans l’essor de l’allitération ceux de vif, vraie, veux, et deux fois « envers ». Indiscutablement, cette allitération porte le propos jusqu'à l'oreille et sans doute joue-t-elle un rôle dans ce qui me charme en lui. Mais pas seulement : La suite logique par laquelle les deux phrases s’enchaînent, d’abord une consécutive (si que) puis une concessive (non seulement, mais) : je me souviens de la tête de mon vieux maître à moi, qui attachait tant d’importance à ces balancements hérités de la syntaxe latine, lorsque la bouche arrondie et le doigt levé, il nous reprenait : « non solum, sed etiam… », et que je me demandais, dans l'éclat impertinent de mes quatorze ans, s'il n'était pas un peu cinglé...
Il faut en venir, justement, enfin au thème : la civilité… La civilité extrême, la civilité française… Renan évoque l'onctuosité de ces vieux ecclésiastiques parmi lesquels, à Tréguier puis à Saint-Sulpice, il a grandi avant de perdre la foi. Extrême et française, ces deux trisyllabiques sont à prendre pour ce qu'ils sont. Comme si souvent, dans le bus ou dans la rue, j’étais en manque de civilité en effet. Je crois que c’est l’incivisme technologique qui pèse le plus sur nos esprits laminés. Cet incivisme terminal est venu du Japon (Sony). Après un détour par les USA, il a envahi l’Europe dans les années 80, et puis la France avec, qui n’est jamais de reste quand il s'agit de se placer en matière de stupidité à la hauteur des autres nations. Ne sommes nous pas devenus en quelques années davantage courtois avec nos MP3 et nos portables qu'avec nos concitoyens? Renan rappelle donc que cette civilité non seulement « envers les personnes qu’on connaît », mais envers « tout le monde sans exception » était la vraie politesse française. Sans doute force-il le trait en le rapportant à l’ensemble de la nation, mais je sais qu’aussi bien dans les presbytères des ecclésiastiques que dans les salons littéraires tenus par des femmes, cette politesse a régné et a caractérisé, en effet, ce fameux «esprit français », si cruellement absent de nos jours, je ne dis pas des rues, (1) mais des medias et autres lieux qui se donnent pour être des modèles de culture française.
Reste « le pays des chimères », disait Jean Jacques, la littérature. Les souvenirs d’enfance et de jeunesse sont, il faut bien le dire, un puits de jouvence. « La bonne règle à table, poursuit Renan, est de se servir toujours très mal, pour éviter la suprême impolitesse de paraître laisser aux convives qui viennent après vous ce qu’on a rebuté. Peut-être vaut-il mieux encore prendre la part qui est la plus rapprochée de vous, sans la regarder. Celui qui, de nos jours, porterait dans la bataille de la vie une telle délicatesse serait victime sans profit ; son attention ne serait même pas remarquée. Au premier occupant est l’affreuse règle de l’égoïsme moderne. Observer, dans un monde qui n’est plus fait pour la civilité, les bonnes règles de l’honnêteté d’autrefois, ce serait jouer le rôle d’un véritable niais, et personne ne vous en saurait gré. »
(1) la façon dont la plus ravissante jeune fille peut se mettre à aboyer sitôt qu’elle parle dans & à son portable, en s’adressant à ceux qu’elle connaît ne laisse encore de me sidérer lorsque je suis assis à ses côtés dans le bus, et ne me donne guère envie, je dois le dire, qu’elle exerce sa politesse jusqu'à étendre à ma personne son désir de « communiquer ». Il est des individus dont on se réjouit qu’ils ne soient pas vos familiers.
06:14 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, civilité, politesse, france, renan, société |
mardi, 06 avril 2010
Géographiques (Bertrand Redonnet)
Je ne connais pas la Bouleure. Pourtant, si j’en crois le Géographiques que Bertrand Redonnet vient de nous offrir, et dans lequel j’apprends que ce « ruisseau versatile » fut pour lui « une appropriation poétique du monde », alors je dois avouer que si, si, bien sûr, je la connais. Même si la mienne porta un autre nom - la vôtre aussi, sans doute – je la connais fort bien : qui n’a pas au fond de soi une rivière où il connut le monde, enfant ? Nous avons tous nos paysages, tout comme nous avons chacun une langue, et c’est à ces paysages que chacun porte en soi que s’adressent ceux de Géographiques, les seuls, les vrais personnages de ce livre dont le premier tour de force est quand même d’effacer les humains de son tissu, jusqu'à nous les faire oublier presque totalement.
Des hommes, me direz-vous, il y en a bien quelques-uns dans ce livre, et qui causent. Une poignée de géographes, dont l’un ressemble à Ferré, l’autre à Roger Vailland, tous réunis autour d'une table en bordure de la Vistule pour évoquer cette mise à sac du climat par les hommes, cet acculement du paysage à son point extrême, cette «gigantesque erreur». Drôle de géographes, tout de même, tout comme cet autre qui ressemble à Redonnet, chacun devisant de son coin de pays, qui sa Normandie, sa Bretagne, son Auvergne, ou sa Charente-Maritime. Certes. Avec ce sous-titre générique au pluriel, « divagations », Géographiques feint de se proposer à nous tel un récit polyphonique. Pourtant l’absence de guillemets ne doit-elle pas s’entendre comme un signe ? La lecture climatique que Redonnet fait du monde n’est que la face cachée de la lecture autobiographique qu’il nous tend de lui-même, puisque l’exil est, comme il l’a dit lui-même par ailleurs, une « notion du dedans ». Lecture métonymique d'un parcours, de son enfance charentaise à un exil polonais dont ce texte ô combien intime décline les raisons d’être, une par une.
« L’exil des mots », d’abord (c’est le titre de son blog auquel ce lien renvoie), titre qu’il insère malicieusement dans son texte tout comme, à un autre endroit, le nom de son éditeur, « Le temps qu’il fait ». L’exil des mots quand, « ils ne sont plus, constitutifs ».
L'exil loin du climat natal, ensuite : « Enfant, nous dit le narrateur, quelque chose de non identifié ne collait pas entre le climat océanique et moi.» Quelque chose ne collait déjà plus, non plus, entre « l’espèce humaine et son habitat ». Cela n’a fait qu’empirer depuis ; chaque lecteur, même le plus inattentif aux paysages, a pu le constater : aussi le narrateur se refuse d’être, comme tant d’autres de ses confrères, l'un de ces «valets du corps social ». Comme le rêveur, il «ignore la moyenne » et comme l’auteur lui-même, il a donc entrepris de marcher « vers la démesure », en provoquant cet exil, dont le troisième de couverture nous dit qu’il est « volontaire ».
Le paysage, cependant, c’est ce qu’un poète ne peut fuir, où qu’il dirige ses regards et ses pas. Pas plus que la littérature C’est donc en géographe « cueilleur » ou « berger » (j’aime la connotation préhistorique de ces termes), en géographe d’un temps qui remonte à bien avant la découverte de l’écriture que Bertrand nous parle. Lui qui se veut un « mécréant du paganisme », il lui faudra me pardonner si je lui dis que c’est au catholique Bernanos que j’ai songé en le lisant, Bernanos qui, dans La France contre les robots, petit essai magnifique écrit en 1945, s’écrie : « rien n’est plus difficile que de prendre conscience d’un pays, de son ciel et de ses horizons, il y faut beaucoup de littérature. Les vieux paysages nous parlent à travers l’histoire ! » (1) On ne s’étonnera donc pas de voir ce narrateur, à quelques pages de la fin, nous souffler son propre nom à l’oreille dans un rire de corbeau, tout en reconnaissant dans le geste de trouer la glace polonaise une vieille ruse de son compatriote, le bien nommé Renart.
Je voudrais pour conclure revenir à la Bouleure. Car il me semble qu'au fond, le cours versatile de ce ruisseau peut figurer une clé de lecture de ce récit divaguant, dans lequel un poète paye une part de la dette que nous avons tous contractée envers la beauté du monde et celle de ses paysages. Car c'est à eux qu'en définitive, et la conclusion du livre le dit magnifiquement, appartient ce que nous avons de plus cher : notre mélancolie.
Bertrand Redonnet
Géographiques
Divagations
96 p., 14/19.
Mars 2010. ISBN 978.2.86853.532.0 — 15,00 Euros
(1) Georges Bernanos, La France contre les robots, chapitre V - 1945
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Autres textes de Bertrand Redonnet commentés sur ce blog :
Polska B - Zozo, chômeur éperdu
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lundi, 05 avril 2010
Gloire du pamphlet
Quand on cause de polémique, de nos jours, c’est pour évoquer quoi ? Un vague conflit d’idées – et encore – d’opinions, plutôt, tant il est criant que les idées sont mortes. Une tiède controverse plus ou moins manufacturée en loges entre deux politiciens. Lequel conflit, laquelle controverse, noircissent les feuilles de chiottes d’une presse à bout de souffle et les écrans chronophages et publivores un certain temps, trois petits tours… Sans passionner quiconque, à vrai dire, le conflit, la controverse, quel que soit le sujet traité.
Nous avons oublié combien le polémique fut avant tout un registre. Un registre littéraire d’excellence, qui, comme le lyrisme ou le tragique, avait ses rythmes, ses tropes, ses codes. Comme la joute nautique, c’était un art. Hélas, la frilosité, la bêtise, la veulerie des temps contemporains, la manipulation par une élite technocratisée du plus grand nombre sont venus à bout des grands pamphlétaires qui, tous, n’étaient que des individus, des sujets. S’ils revenaient dans notre univers faits d’objets, Les polémistes de l’Ancien Régime, de la Révolution, de la Monarchie De Juillet, de l’Empire – ceux, même, de la Troisième République, nul doute qu’ils s’étonneraient d’entendre les imbéciles que nous sommes devenus leur dire sur un ton de chochotte que « oui, un mot ça peut blesser, et qu’on peut même mourir pour un mot ». Car au mépris de tout bon sens, au mépris de l’arbitraire du signe, la police de la pensée est parvenue à faire avaler au plus grand nombre que les mots, comme les objets qu’ils désignent, avaient le pouvoir de tuer. Quid des images, alors ? Le mot serait-il vraiment une pipe ? Et quid des bombes ? Quels abrutis ! Et quid des terrifiantes inégalités sociales, quid du nombre ? Les mots, je crois, au contraire des billets de banque et des fusils, n’ont jamais bien tué que des morts.
La novlangue, pourtant, emplie d’euphémismes abstraits et faussement délicats, nous a chié un dialecte pour bisournous inoffensifs et stérilisés, une langue dont on ne peut rien faire, ni grands romans, ni beaux poèmes, ni véritables dramaturgies, ni surtout pamphlets emplis de veine et de souffle. Une langue parfaitement traductible, c'est-à-dire sans originalité. Et pendant ce temps, l’image n’a jamais été aussi vindicative, l’Etat si policier, l’administration si procédurière, le capitalisme si belliqueux. Et c’est ainsi que la connerie règne sur terre, protégée par une police de la pensée qui sème en tous lieux ignorance et fatuité, sous couvert d’information et de tolérance.
17:40 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, polémique, langue française, écriture, société |
mardi, 30 mars 2010
Une nuit de 1935
Une gamine au visage hâve, sans fard, les cheveux coupés à la chien, les épaules étroites moulées dans un pull vert dont une manche inachevée était mal dissimulée sous un châle. La môme Piaf faisait ses débuts sous les yeux de Mermoz et de Joseph Kessel[1] !
Les rires qui avaient salué sa piètre entrée s’étaient éteints. La voix s’élevait, puissante, bouleversante. Libérée du trac, elle chantait le malheur des « Mômes de la cloche » qui s’en vont « sans un rond en poche ». Plus rien n’existait autour d’elle : elle était sa chanson.
Un tonnerre d’applaudissements salua la fin de son numéro. Une ovation interminable. Jef, Jean-Gérard et même Maurice Reine qui, mandataire aux Halles, n’était pas disposé aux grands élans romantiques. Quant à Mermoz, il était debout et offrait sa coupe de champagne à la jeune femme toute tremblante de son triomphe.
-Elle est formidable cette fille-là, dit Kessel. On l’emmène souper à la Cloche… Jean-Gérard, va l’inviter.
Fleury transmit l’invitation dans la coulisse.
-Oh oui, moi j’veux bien croûter avec vous, dit la môme Piaf. Mais j’ai ma p’tite copine.
- Amène ta copine.
Mermoz connaissait trop les fins de nuit de Jef à la Cloche d’Or pour accompagner ses amis. Il se retira, prétextant un vol matinal. A 3 heures du matin, Kessel, Reine et Fleury, flanqués d’Edith et de Momone – la copine était sa demi-sœur- entrèrent dans le célèbre restaurant de nuit.
-Je n’ai pas une table, dit Henri, le patron de la Cloche d’Or. Mais M. Béraud est là, tout seul. Si vous voulez vous installer avec lui.
Kessel présenta Piaf à Béraud dans des termes dithyrambiques et s’assit auprès de son ami. Reine, un peu éméché, prit la jeune chanteuse près de lui. C’était la première fois qu’Edith et Momone entraient dans un grand restaurant. La première fois aussi que la « môme » côtoyait des personnalités. Elle n’avait jamais lu ni Kessel ni Béraud mais leurs noms étaient assez familiers au public pour avoir pénétré le milieu de barbeaux qu’elle fréquentait alors.
Lorsque Henri Béraud présenta la carte, elle fut saluée par une explosion de joie.
- Des écrevisses ! dit Momone
- Mince, des huitres, j’en ai jamais mangé ! s’exclama Edith. Puis des andouillettes, puis, puis… Qu’est-ce qu’on va se mettre !
Avec un grand sérieux, Edith commanda tous les plats de la carte. Pour une fois qu’elle sortait avec des richards, autant en profiter. Huitres, viandes, vins fins, champagne, alcools se succédèrent. Jef évoquait calmement avec Henri Béraud des souvenirs qui remontaient à quinze ans maintenant, [2]laissant ses amis Fleury et Reine s’occuper des petites.
Les deux filles étaient à moitié parties, se rappellera Jean-Gérard Fleury. Reine embrassait goulument la môme Piaf, et moi, je pelotais gentiment sa sœur, encore assez lucide pour observer Jef et Henri lancés dans une grande discussion politique. Celle des filles attira pourtant mon attention, même si elle n’était pas d’une haute élévation de pensée :
« Dis-donc, disait Momone, P’tit Louis, quand il t’a lâchée avec ton gosse, de quoi que c’est-y qu’il est mort, le môme ? L’aurait pas du … ?
- Ben tu sais, larmoyait Edith, c’est de l’hérédo-syphilis qu’il m’a foutu, ce fils de pute, ce salaud …
Jean Gérard Fleury étouffant un fou rire – il ne se doutait pas qu’il était le premier à recueillir le début d’une légende qui ferait le tour du monde – vit Maurice Reine s’essuyer vivement la bouche, puis s’éclipser pour se désinfecter dans l’antre de la dame pipi. Soudain, il se désintéressa de la conversation d’Edith et de Momone. Jef et Béraud s’engueulaient ferme.
Yves Courrière : Joseph Kessel, Sur la piste du Lion (Plon 1991)
20:48 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : kessel, piaf, béraud, littérature, politique |
dimanche, 28 mars 2010
Parmi ces nouveaux hommes
C’est bizarre, il dit, ce jour où l’on a surpris pour la première fois son année de naissance gravée sur le marbre d’une tombe, il y a déjà longtemps de ça. Et puis ces autres fois encore, jusqu’à ce qu’on ait commencé à s’habituer à la rencontrer à l’autre bout du tiret, parmi les allées mal fleuries, cette date-là, la seule qui ne bouge pas. Et chaque an qu’on tournait une page du calendrier, on commença à se dire « encore une de gagnée ».
Cette sensation qu’on rencontra un beau matin, que les rues étaient peut-être à présent davantage peuplées de plus jeunes que de plus vieux que soi, et ce sentiment qui s’ensuivit, qu’on n’avait pas vu la vie couler, à cause de cette habitude à la con d’avoir finalement toujours été « le jeune » de quelqu’un, le plus jeune de quelqu’un qui sans crier gare, comme les autres, avait filé, désormais. Ce peu de regret, parmi ces nouveaux hommes.
Bizarre cette insensibilité à ce qui tranchait vif jadis, cette indifférence désormais indolore aux cris, aux événements, aux accidents qui naguère émouvaient. Cette envie presque d’en rire, comme pour rajeunir sa gorge, chien s’ébrouant à part du nombre. Cette horreur de leur routine, de leur politique. Et cet instant présent, leur cher instant, qu’ils tentent encore avec acharnement de promouvoir, tu as la conviction de plus en plus établie qu’il est factice et révolu pour sa plus grande part , et que c’est bien ainsi, qu’ainsi commence loin d'eux la meilleure part de ta sagesse.
21:16 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture, poésie |
samedi, 27 mars 2010
La mort de Paul Lintier
Avec l’autorisation de Mr Jacques Neveu et grâce à Dominique Rhéty qui a réalisé le montage ci-dessous, voici des nouvelles de Paul Lintier : Le grand-père de Jacques Neveu, affecté à la batterie de l’écrivain, relate la mort de ce dernier dans un carnet de souvenirs accompagné de cette photo, la dernière prise de son vivant. Lintier est encore là, il écrit. Nous sommes le 15 mars à midi. Il va mourir à 16h30. On ne peut en effet relire la dernière page du Tube 1233 sans être troublé.
Autres articles sur Paul Lintier : ICI et ICI
15:25 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : paul lintier, littérature |
vendredi, 26 mars 2010
Quoi de neuf Vialatte ?
« Ecrire, toujours écrire, tel sera le sort de Vialatte qui, poussé par le désir ou la nécessité – il vécut de sa plume – va s’essayer à des genres multiples : lettres, poèmes, traductions, articles, nouvelles ou romans avant de s’adonner à la création exclusive des chroniques, qui, seule, lui assurera auprès du grand public une certaine pérennité littéraire. Cette vision réductrice des qualités d’un écrivain qui se disait lui-même, non sans ironie, « notoirement méconnu », ne saurait suffire au lecteur d’aujourd’hui. Celui-ci peut en effet évaluer plus équitablement l’importance de l’œuvre de Vialatte en prenant en compte à la fois les textes publiés du vivant de l’auteur et de nombreux textes posthumes, livrés au public dans les vingt dernières années. Il s’agit soit de textes dispersés et devenus quasi inaccessibles, soit d’inédits proprement dits, publiés grâce à son fils Pierre Vialatte, serviteur attentif d’une œuvre qu’il connaît dans ses moindres détails et à sa grande amie Ferny Besson qui fut aussi sa biographe inspirée (1). Grâce à eux, le public a pu redécouvrir de nombreuses chroniques – Vialatte en écrivit plusieurs milliers –, jusque-là dispersées dans différents journaux et revues, telles les fameuses chroniques hebdomadaires destinées au journal de Clermont-Ferrand, La Montagne, 900 furent publiées de 1952 à 1971, mais aussi des textes critiques oubliés, sur Kafka par exemple, en particulier Kafka ou l’innocence diabolique. A cela s’ajoutent des inédits : une dizaine de textes romanesques, des poèmes de jeunesse et, plus récemment, plusieurs correspondances majeures, publiées intégralement ou partiellement, et adressées respectivement à Henri Pourrat (1916-1959), Jean Paulhan (1921-1968) et Ferny Besson (1949-1971). L’examen global de la création de cette œuvre, dont on a ignoré longtemps la face cachée, devrait permettre de comprendre pourquoi Vialatte, un homme tout entier voué à l’écriture, après avoir été mal connu de ses contemporains parvient à séduire les lecteurs d’aujourd’hui.
Pour Vialatte, né en 1901, comme pour tous les gens de sa génération, écrire, c’est d’abord accomplir les gestes de l’écriture à la main. Les originaux de la longue correspondance qu’il entretint durant plus de quarante ans (d’octobre 1916 au 20 mai 1959) avec Henri Pourrat, son ami resté à Ambert, berceau de la famille Vialatte, constituent ainsi un témoignage émouvant sur l’évolution de l’écriture de Vialatte. Encore juvénile à l’époque du collège de Dole, elle va aller s’affermissant tout en conservant régularité et finesse. Ce souci d’une belle écriture le rend attentif aux outils ordinaires que nécessite cette pratique. Porte-plumes, stylos, plumes, encres ou papiers font l’objet de remarques fréquentes, dans les lettres de jeunesse surtout. Le 4 février 1917, alors qu’il se rase à l’infirmerie, le collégien évoque plaisamment son « vieux porte-plume » qu’il préfère à « ces sales stylos qui vous écartent les doigts comme si on tenait un tronc de chêne, qui vous remplissent vos poches d’encre, qui vous jouent la blague de ne jamais fonctionner » et pratique déjà l’éloge paradoxal pour parler de son encrier :
« Je suis en tête-à-tête avec mon encrier, rien que mon encrier pour me tenir compagnie. Heureusement qu’il a l’air expressif cet encrier, j’avais écrit intelligent, ça n’est pas vrai pour deux sous. Il a un gros bête de ventre de rentier qui lui donne l’air idiot. Mais il a une tournure tout à fait originale. On dirait un crapaud »
Extrait du site quoi de neuf vialatte, consacré à l'univers du Chroniqueur de la Montagne.
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lundi, 22 mars 2010
Au platane
A en croire Favre d’Eglantine et son calendrier révolutionnaire, aujourd’hui, deuxième jour du mois de la régénération (germinal) serait la journée du platane. Quand j’étais gosse, saisi comme tout le monde par de puerils protocoles, je me plaisais à desquamer les ocelles de son tronc, en tirant sur les bouts d’écorce à ma portée. Un claquement sec. Puis, je humais l’odeur imprégnée sur mes doigts par cette matière brune, tel le tabac interdit. C’était mon jeu des rues, comme celui des plages était de laisser traces de mes pas sur le sable, celui des rivières de faire des ricochets d’un bord à l’autre, avec le caillou le plus plat.
Ou bien de faire claquer l'un contre l'autre les galets descellés du rivage, encore humides et parfois boueux.
Impossible d’évoquer le platane sans un mot de ces cohortes de lui, qui bordent nationales et départementales. Le platane, indissociable vigile que balayaient nos phares nocturnes des virées sur les routes, puissante et fidèle sentinelle. Celui de la RN5 autour du tronc duquel vint s’encastrer la voiture qui conduisait Camus, un lundi 4 janvier, à 13h 55 : jeux d’enfants, tragédie. Et puis aussi ceux de Saint-Rémy, centenaires et noueux, que peignit Van Gogh. Tableaux. On dit qu’Hippocrate y donnait ses consultations à Cos, et que de son bois, Ulysse avait fait le cheval de Troie. On dit. On dit…. J’aime surtout le silence familier des grands platanes citadins, qui bordent les boulevards et ferment les impasses. Leur silence, qui n’est pas le moindre de leur Charmes.
05:14 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : poésie, littérature, favre d'églantine, paul valéry, albert camus, platane |