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vendredi, 07 août 2009

Paul Lintier

Il est dans le deuxième arrondissement de la bonne ville de Lyon une petite rue assez courte et peu connue, dans le quartier de Bellecour. C'est la rue Paul Lintier. Ce dernier est à présent presque complètement oublié.

Pour acquérir  ses ouvrages, il faut veiller à l'affût sur ebay, ou les commander sur un site de bouquinistes.  

Paul Lintier, critique d'art dans le civil puis artilleur sur le front, est l’auteur de deux journaux de guerre importants : Le tube 1233 (1917) et Ma pièce (1918). L'Académie couronna le premier, l'Humanité publia le second en feuilleton. Dans le premier, Lintier a cette expression pour désigner la guerre moderne dont il découvre l'horreur sur le front : « la guerre n'est rien d'autre que l'absurde victoire du fer sur l'esprit » Sensation insupportable de compter pour du beurre, dans l'héroïsme autant que dans la lâcheté : « Pourquoi, au lieu de nous leurrer de victoires imaginaires, ne pas nous avoir dit : Nous avons affaire à un ennemi supérieur en nombre. Nous sommes obligés de reculer en attendant que notre concentration s’achève et que les renforts anglais arrivent ? Avait-on peur de nous effrayer par le mot retraite, alors que nous en connaissions la réalité ? Pourquoi ? Pourquoi nous avoir trompés, nous avoir démoralisés ? » 

Ecrit à froid, au jour le jour, sans complaisance, sans emphase, sans plainte, Lintier, un jeune homme cultivé, tolérant, énonce cet effroi, ce cafard qui s'est saisi de lui devant l’énigme moderne de la machine mise au service de la destruction.  Jean Norton Cru (1), on le sait, ne fut pas tendre avec les romanciers de la guerre, du type de Roland Dorgelès ou d'Henri Barbusse  : « Ceux qui souhaitent que la vérité de la guerre se fasse jour regretteront qu’on ait écrit des romans de guerre, genre faux, littérature à prétention de témoignage, où la liberté d’invention, légitime et nécessaire dans le roman strictement littéraire, joue un rôle néfaste dans ce qui prétend apporter une déposition. Tous les auteurs de romans de guerre se targuent de parler en témoins qui servent la vérité, qui révèlent au public la guerre telle qu’elle fut. ils s’indignent si on élève un doute sur le moindre détail de leurs récits. Comment concilier cette prétention avec la liberté d’expression et l’indépendance de l’artiste ? En fait les romans ont semé plus d’erreurs, confirmé plus de légendes traditionnelles, qu’ils n’ont proclamé de vérités, ce qui était à prévoir. » Or les seuls écrits qu'il sauve, dans son petit opuscule Du Témoignage, sont précisément ceux de Paul Lintier.

De même Henri Béraud, qui écrit dans la préface du journal de 1917 : « Et le dernier fut Paul Lintier, l’auteur de Ma Pièce et, de loin, le plus grand écrivain de la guerre, l’espoir assassiné de notre génération (…) Il fut tué le 15 mars 1916 sur l’Hartmanswillerkopf, en laissant deux livres pétris de la terre des morts et du sang des soldats. Sur la manche gauche de sa vareuse, il avait fait tailler une poche et, dans cette poche, il y avait un carnet de notes où ses compagnons de pièce lurent à travers leurs larmes : Je vais mourir. Sur les perspectives de l’avenir qui toujours sont remplies de soleil, un grand rideau tombe. C'est fini. Cela n'aura pas été long. J’ai vingt ans. »

Béraud et Lintier s'étaient bien connus à Lyon. Ils étaient amis des mêmes peintres. Lintier avait réalisé une étude sur Adrien Bas (2), dont Béraud avait déjà signé la préface. 

« Je fus probablement le seul confident littéraire de Paul Lintier, le seul écrivain qui l’eût connu, fréquenté, encouragé durant son éphémère et charmant passage (…) Nous nous aimions comme s’aiment deux poètes dans les romans de 1830», écrit-il.

Et, plus loin :

« Très tôt, il avait compris que la plus haute tâche du romancier a pour fins la notation des grands rythmes humains et de l’âme complexe, convulsive et décevante des foules. Il accumulait les observations sans rien noter, riche d’une extraordinaire mémoire. Surtout, il regardait. Et il savait voir. C’est le don le plus rare chez l’écrivain autant que chez le peintre. Il mourut quand il atteignait à peine vingt trois ans – un âge où la plupart n’ont guère dépassé les projets, les doutes et les intentions. Et, déjà, il projetait des grands livres. Si l’on en publie un jour les plans, les ébauches, les fragments, nous connaîtrons que Lintier eût porté l’un des plus beaux noms des lettres françaises modernes. »(3)

Tout cela n’a pas empêché Lintier d’être foudroyé par un obus, alors qu’il était en train d’écrire, précisément.

Écrire :

 « Ceux qui viendront ici, et qui verront le grand geste uniforme que tracent sur la terre les croix, lorsque le soleil roulant dans le ciel fait bouger les ombres, s’arrêtent et comprennent la grandeur du sacrifice. C’est cela que veulent nos morts. C’est cela que nous voulons, nous qui demain, serons peut-être des morts. »  (Paul Lintier, Ma Pièce )

1. Jean Norton Cru, Du Témoignage, Ed. Allia, Paris, 1990. Notons également que Dorgelès, lui-même, évoque  allusivement dans la dernière phrase de son de son roman  le remords « d’avoir ri de vos peines » et « le pipeau » qu’il aurait « taillé dans le bois de vos croix ».

2. Un peintre, Adrien bas, Paul Lintier, L’œuvre nouvelle, 1913

3. "Souvenirs sur Paul Lintier", préface de Le Tube 1233, Paul Lintier, Paris, Plon, 1917

13:30 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, paul lintier, ma pièce, le tube 1233, jean norton cru | | |

Commentaires

Je vous remercie beaucoup pour votre article. J'habite Lyon et n'avais jamais entendu parler de Paul Lintier. Les quelques phrases que vous citez de lui provoquent en moi une grande émotion, et au moins autant d'admiration pour leur qualité littéraire.

Écrit par : Myriam Gallot | dimanche, 10 février 2008

Bonjour,

merci d'avoir remis en lumière, l'espace d'un instant, Paul Lintier, écrivain que se partagent Mayenne et Lyon .

Plutôt oublié il est vrai, je ne l'aurais quand même pas classé dans la catégorie " illustre inconnu " . En effet il reste, aujourd'hui encore, une référence dans la bibliographie consacrée à au premier conflit mondial et son aura chez les passionnés de la " grande guerre " est intacte . Les éloges de Jean-Norton Cru, en pleine résurrection actuellement*, n'y sont sans doute pas étrangers .

Dans son livre autobiographique "Qu'as-tu fait de ta jeunesse " paru en 1941, Béraud que vous citez, consacre un émouvant chapître au souvenir de leur amitié lyonnaise même si sa mémoire défaillante en la circonstance fait naître Paul Lintier au Mans et mourir à l' Hartmannswillerkopf .

En 1998 " Ma Pièce " et " Le Tube 1233 " avaient bénéficié d'une réédition ( L'oiseau de Minerve ) aujourd'hui épuisée . Plus récemment, en 2006 les Editions Mémoire des Arts de Lyon dans leur ouvrage "Adrien Bas, une vie dédiée à la peinture " ont inclus la réédition de la plaquette " Un peintre Adrien Bas " .

Bien cordialement .


* - 2006, réédition de son " Témoin " au Presse Universitaires de Nancy et en 2007, parution de " Jean Norton Cru. Lettres du front et d'Amérique (1914-1919) ", éditées par Marie-Françoise Attard-Maraninchi et Roland Caty aux Publications de l'Université de Provence .

Écrit par : Dominique Rhéty | dimanche, 17 février 2008

Merci pour ces précisions. Paul Lintier, qui ne nous est pas inconnu, l'est peut-être au plus grand nombre de gens, faute de ré-éditions (et de distribution) récentes. Je dénonce évidemment plus ce fait que je ne m'en réjouis. Cordialement.

Écrit par : solko | mercredi, 20 février 2008

Bonjour. Est-ce quelqu'un pourait m'indiquer le lieu de sépulture actuelle de Paul Lintier ? Il avait été enterré à Fault, près de Nancy, me semble-t-il. Merci d'avance.

Écrit par : Julien Prigent | samedi, 20 juin 2009

@ Julien Prigent.
Désolé, je ne puis répondre à votre question; mais peut-être Dominique Rhéty, s'il passe par là ?
Bien à vous.

Écrit par : solko | samedi, 20 juin 2009

Bonjour,

désolé de ce retard mais je viens de découvrir vos messages.

Paul Lintier fut d'abord, comme vous le dites Julien, inhumé à Faulx.
Sa famille a souhaité qu'il revienne à Mayenne, sa ville natale. Depuis mai 1921 il y repose au cimetière, dans le caveau familial près de son père ... Paul Lintier.

Avec toutes mes excuses, bien cordialement.

Écrit par : Dominique Rhéty | mercredi, 05 août 2009

@ Dominique :
Merci de de ces précisions sur Lintier.
J'en profite pour republier cette note ancienne, afin de rafraichir la page et de lui permettre de rencontrer peut-être de nouveaux lecteurs.
A bientôt

Écrit par : solko | vendredi, 07 août 2009

Je ne savais pas qu'Adrien Bas était de cette époque, je le croyais plus contemporain. Merci de vos articles si intéressants.

Écrit par : Nénette | vendredi, 07 août 2009

En deux billets remontés de la cave -petite entorse à la pause estivale- c'est tout un monde que vous nous donnez et une liste qui grandit de ce qu'on aurait à lire si tant est que l'on puisse trouver "Ma pièce" et "Le Tube 1233" de Paul Lintier chez des bouquinistes. Réédités en 1998 et déjà indisponibles ! Sur La Grande Guerre, deux noms nouveaux pour moi : Paul Lintier et Gabriel Chevallier.

Et il serait temps que je me procure "Qu'as-tu fait de ta jeunesse?" de Béraud...

Écrit par : Michèle | vendredi, 07 août 2009

@ Nénette :
C'est moi qui vous remercie de les lire ! Et je vous dis à bientôt.

@ Michèle :
Il y a en de disponibles sur ce site
http://www.livre-rare-book.com/cgi-bin/lrbcgi
(c'est là que j'ai trouvé la photo)
Il y en a même avec la belle préface de Béraud.
Merci de vos souhaits laissés sous un autre billet.
Cette fois-ci je pars pour de bon.

Mais j'ai rafraîchi & programmé une dizaine de vieux billets et avec les cybers , j'aurais l'occasion sans doute de passer de temps en temps.
Amicalement

Écrit par : solko | vendredi, 07 août 2009

Bonnes vacances Solko.Merci pour tous vos billets.Merci d'être vous. Merci pour tout.

Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 07 août 2009

Je ne sais pas si Paul Lintier a une rue là où j'habite, mais après avoir lu votre brillant billet sur cet auteur, je crois bien qui l'a mériterait.

Écrit par : Blue Jam | samedi, 08 août 2009

Pour information, les livres de Paul Lintier sont à la Bibliothèque de la Part-Dieu. À consulter sur place uniquement.

Écrit par : jihem | samedi, 08 août 2009

Les commentaires sont fermés.