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lundi, 10 août 2009

Le Chantre Premier

Aimer un SCEVE.jpgpoète de la Renaissance, c'est vouloir marcher sur ses pas, rêver sur ses paysages, boire ses vins et tourner ses pages. Dans ce Lyon dont le salon de la Belle Cordière est le cœur, Olivier de Magny, Ponthus de Thyard, Clément Marot, Champier, Dolet forment un premier cercle, il est un maître en exil déjà, dans la verdoyante plaine d'Ecully. Aux livres, au grec, au latin, il préfère souvent les flâneries le long de Saône en bordures de l'Ile Barbe. Là l'attend l'Idée, sa Délie

« En toi je vis, où que tu sois absente

En moi, je meurs, où que je sois présent »

 

Non loin, la délicieuse Pernette, tout juste âgée de quatorze ans, venue au bord de cette eau limpide laver sa blanche et délicate peau. « Apercevant cet ange à forme humaine... » dira Scève; « Mais qui dira que la Vertu, dont tu es richement vêtu, en ton amour m'intercella », poursuivra Pernette. Début d'une longue et troublante histoire d'amour, objet de plus haute vertu, vraiment :

 

« Amour me presse et me force de suivre

Ce qu’il me jure être pour mon meilleur

Et la Raison me dit que le poursuivre

Communément est suivi de malheur »

 

Scève, amant de l'absence, chantre de l'Idée, dont il décèle l'incarnation dans le paysage de l'Ile Barbe qu'au loin domine le mont Fourvière, et dans le corps idéal de Pernette, un corps de quatorze ans, au bain. Dans la rime, également,  le dizain et le décasyllabe, le maître-mètre du XVIème de cette poésie que la ville a rendue savante, ce Lyon plus doux que cent pucelles vient de prononcer Marot, et dont il est lui, Maurice Scève, le chantre premier

 

 

 Je voy en moy estre ce mont Forviere
En mainte part pincé de mes pinceaulx.
A son pied court l'une et l'autre Riviere.
Et jusqu'aux miens descendent deux ruisseaulx.
 Il est semé de marbre a maintz morceaulx,
Moy de glaçons : luy aupres du soleil
Se rend plus froid, & moy pres de ton oeil
Je me congele : ou loing d'ardeur je fume.
Seule une nuict fut son feu nompareil :
Las tousjours j'ars, & point ne me consume.

Plus tost seront Rhosne et Saone desjoincts,
Que d'avec toy mon coeur se desassemble ;
Plus tost seront l'un et l'autre Mont joinctz
Qu'avecques nous aulcun discord s'assemble :
 Plus tost verrons et toy, et moy ensemble
Le Rhosne aller contremont lentement,
Saone monter tresviolentement
Que ce mien feu, tant soit peu, diminue,
Ny que ma foy descroisse aulcunement.
Car ferme amour sans eulx est plus, que nue.

ile barbe.jpg

07:16 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : lyon, louise labé, maurice scève, poésie, littérature | | |

Commentaires

Je vous lis... c'est à succomber.

Écrit par : frasby | mardi, 28 octobre 2008

"Je voy en moy estre ce mont Forviere"

Hélas, quand nous passons par Lyon, troupeau transhumant, nous ne voyons plus de Fourvière que son tunnel.

J'aime cette association de l'eau (Rhône et Saône) et du feu (la passion du poète) et cette impossibilité qu'il souligne (le Rhône qui remonte son cours) tout aussi improbable que la fin de son amour.

Écrit par : Feuilly | mardi, 28 octobre 2008

On sent l'influence de Pétrarque dans ce feu justement. Scève est sidérant de maîtrise pour utiliser le poète italien avec des points de repères sensiblement différents (amour réalisé, France, eau etc).

Écrit par : Léopold | mardi, 28 octobre 2008

@ Feuilly : Oui, oui. C'est Pradel, que le diable ait son âme, qui a bouzillé ( pour être juste, Herriot avait largement commencé) une bonne partie du centre ville. Vous savez que nous devons à une maîtresse de Malraux le classement du Vieux Lyon, car ce cinglé inculte et fasciné par les States avait projeté d'en raser les trois quarts. D'ailleurs rue Mercière, il avait commencé, et ne parlons plus du mont Fourvière, ni du malheureux quartier Perrache.
Heureusement que les 3 derniers maires, michel, raymond et gérard ont sauvé ce qu'ils ont pu du désastre laissé par leurs prédécesseurs. Et vous pourriez quand même trouver dans ce qui a été préservé de la pelleteuse de quoi vous charmer l'oeil et l'esprit quelques jours avant de reprendre la transhumance...
Scève, notamment, ne se rencontre bien qu'à l'Ile barbe (cf photo) - même si l'eau de la Saône refilerait à Pernette de sacrés boutons...

Écrit par : solko | mardi, 28 octobre 2008

@ Frasby : Succomber ? Allons, tout le mérite en revient à Maurice : n'est-il pas, comme le dit notre ami Léopold "fascinant de maîtrise". Et c'est vrai : sa strophe (10 syllabes par dix vers ) est un carré magique.
@ Léopold : Pétrarque, oui. Incontournable, dans les cercles de cette école lyonnaise. Scève fait aussi figure de très moderne neo-platonicen, ou de très ancien Mallarmé.

Écrit par : solko | mardi, 28 octobre 2008

Oui c'est à succomber
oui Pétrarque n'est pas loin.


Je vais encore faire du mauvais esprit : 14 ans Pernette, à l'époque ce n'était pas de la pédophilie.

Scève a-t-il pu rencontrer Rabelais à Lyon ou c'était plus tard.

Récemment j'ai visité Rouen ville encore très marquée par le prestige qu'elle avait au Moyen-Âge et j'ai pensé à Lyon.
Entre la capitale des Gaules et la ville de la Renaissance, Lyon aurait-elle joué la belle endormie ?

Écrit par : Rosa | mardi, 28 octobre 2008

@ Rosa Permettez-moi, Rosa, en réponse à votre commentaire, de vous conseiller la lecture d'un roman qui est pure fiction, mais qui est très agréable à lire. Il raconte l'an 1536 à Lyon, et l'on y voit justement Scève, Rabelais, Louise Charly, Sébastien Gryphe,François 1er, Dolet, Barthélémy Buyer et autres s'y croiser et y vivre de multiples aventures. Il a été écrit dans les années 1930 par le patron d'un café de la rue des Archers qui admirait Dumas et passait son temps à la bibliothèque, place de l'Archevêché, à fouiller l'histoire lyonnaise. Il s'appelle "Myrelingues la Brumeuse" (périphrase qui désigne le Lyon de ce temps-là) et son auteur "Claude Le Marguet." On le trouve chez les bons bouquinistes (Diogène, Honoré, les quais de Saone).
Si vous le connaissez, oubliez la note.
Merci de vos visites.

Écrit par : solko | mardi, 28 octobre 2008

Carré magique ? je re-succombe !
Croyez vous que si on le caresse un peu , il se transformera en cercle vicieux ?

Écrit par : frasby | mardi, 28 octobre 2008

@ Frasby :
En cercle vicieux, oui,
dont le coeur est le centre
et la périphérie un paysage

Écrit par : solko | mardi, 28 octobre 2008

Pernette, personnage non-fictif 14 ans, Béatrice de Dante 12 ans, la Laure de Pétrarque doit pas être franchement plus âgée, quant à Giton du Satyricon 9 ans.

Saint-Louis a bien été marié à 10 ans il me semble.

Écrit par : Léopold | mardi, 28 octobre 2008

@ Leopold : Eh oui. Comme me l'a dit un jour un étudiant, "on se mariait plus jeune, on travaillait plus jeune, on mourait plus jeune, mais on ne naissait pas plus jeune."

Écrit par : solko | mardi, 28 octobre 2008

Merci beaucoup pour ce billet. Je viens de commander "Délie" en poésie Gallimard. Et pour patienter, j'ai retrouvé au milieu des livres ici, quelques vers dans une anthologie de poésie en poche, toute simple, qu'on pourrait dire toute bête, -mais n'est pas forcément bête ce qu'on croit - et déjà ils ont une valeur inestimable à mes yeux:
"Tant fut la flamme en nous deux réciproque,
Que mon feu luit, quand le sien clair m'appert.
Mourant le sien, le mien tôt se suffoque.
Et ainsi elle, en se perdant me perd".
Merci.

Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 29 octobre 2008

@ sophie
Les "Rymes" de Pernette du Guillet sont aussi chez Gallimard, à la suite de celles de Louise Labé dans l'édition de Françoise Charpentier. On y trouve des jeux d'échos assez explicites avec la Délie.http://www.amazon.fr/Euvres-po%C3%A9tiques-pr%C3%A9c%C3%A9d%C3%A9-Pernette-Guillet/dp/2070322386

Bonne journéée à vous.

Écrit par : solko | mercredi, 29 octobre 2008

Merci de l'information, j'irai voir chez Diogène.
Cela confirmerait que Lyon s'est réveillée à la Renaissance avec l'arrivée des banquiers italiens je crois.
Mais peut-on savoir ce qu'était la ville au Moyen-Âge ?
En reste-t-il des traces quelque part ?

Écrit par : Rosa | mercredi, 29 octobre 2008

@ Rosa : Le développement de Lyon, c'est Louis XI, puis François Ier et le privilège accordé pour la fabrique de la soie. Tout part de là. Lyon, au Moyen Age, appartient aux archevêques qui le gouvernent. C''est une histoire longue, passionnante, traversée par des conciles, des voyages de rois et des épidémies, et jamais enseignée à l'école, comme toutes les histoires locales, hélas. Si vous allez chez Diogène, regardez au premier étage, il y a de bons ouvrages sur l'histoire lyonnaise. La petite histoire populaire de Lyon (Bleton) est notamment un abrégé bien fait.

Écrit par : solko | mercredi, 29 octobre 2008

@ Rosa (suite) : Le moyen Age : Mais c'est la primatiale ! La façade a été pillée, mais il y a de belles choses dedans, dont la chapelle des Bourbons...

Écrit par : solko | mercredi, 29 octobre 2008

Qu'est ce que c'est Diogène? Une librairie de Lyon?

Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 29 octobre 2008

@ Sophie : Diogène, c'est un bouquiniste qui, sur trois niveaux, a un fonds d'épuisés parmi le plus grand de Lyon. La boutique se touvve à l'entrée de la rue Saint-Jean, non loin de la cathédrale. Si je lui fais de la pub sur le web, il va falloir que j'aille le voir demain pour demander une commission. L'autre librairie spécialisée sur l'histoire lyonnaise, c'est Jean Honoré, aux Terreaux.

Écrit par : solko | mercredi, 29 octobre 2008

Un bouquiniste sur trois niveaux? Mais je n'ai jamais vu ça!
Et -je sais j'abuse, mais promis ensuite j'arrête de squatter ici- quel est cet endroit ravissant sur la photo? (si je mets ma main à droite et que donc je cache les immeubles qu'on devine en haut de a colline, c'est enchanteur j'ai l'impression).
Bon j'arrête! je vais faire la vaisselle! (évidemment c'est vrai en plus!) Good night, comme disent de façon exécrable mes enfants!

Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 29 octobre 2008

@ Sophie : La photo représente l'Ile Barbe, bords de Saone à la sortie de Lyon. Frasby, il va falloir nous en laisser une vue ou une autre un de ces jours. C'est le lieu où se rendait souvent Maurice Scève qui habitait, je crois, à Ecully. Enfin,l' Ecully d'à présent n'existait pas au XVIème, évidemment.

Écrit par : solko | mercredi, 29 octobre 2008

Succomber une fois... Et puis, re-succomber !
A chaque fois ça me fait le même effet. Solko vous y allez un peu fort, je trouve ;-). Si le coeur lâche ça sera de votre faute !

Ps : L'île barbe ! depuis tout ce temps. J'irai vous en chercher des vues, vous allez voir !

Je vous re-souhaite d'agréables (bérad'alges) vacances.

Écrit par : Frasby | lundi, 10 août 2009

Merci Solko, de nous ressusciter Louise Labe et Pernette du Guillet...que nous avons étudiées à la Martinière...Nous rêvions d'amour sur ces poèmes. J'ai eu aussi la chance de lire " Myrelingue la Brûmeuse" qu'un excellent libraire m'avait recommandé pour mes vacances...j'avais 20 ans, de j'étais fière de m'appeler Guillet, nom peu usité à Lyon...J'ai eu aussi le plaisir de canoter autour de l'Ile Barbe et même de baigner dans la Saône limpide..en ce temps là...Que cela fait plaisir de lire votre texte sur Lyon et de vilipender, tout comme moi, les horreurs de Perrache et le massacre de la place Carnot.
Sophie LL...il faut absolument que vous alliez à Lyon...
Un grand bonjour à Frasby

Écrit par : mere grand | mardi, 11 août 2009

@mère-grand, Merci ! votre grand bonjour me fait plaisir, Permettez-moi de vous redire toute l'admiration que j'ai pour votre talent de conteuse. Je vais souvent chez vous lire, à chaque fois je me fais bercer et j'en apprends... Vos histoires sont plus que des souvenirs, de vrais voyages dans le temps, de vrais tableaux. J'ai conseillé votre domaine à des gens qui ont vécu votre époque. Et s'ils n'osent commenter, je peux vous transmettre de leur part très sincèrement que vous les enchantez.
Prenez bien soin de vous.

Écrit par : frasby | mardi, 11 août 2009

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