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mardi, 29 décembre 2009

Chose littéraire du temps jadis

Il n’y a rien à faire, on a beau me dire (et avec raison)  que je suis moi aussi un contemporain ; j’ai beau apprécier bien évidemment certains textes d’auteurs vivants - & dont certains sont si vivants qu’ils fréquentent même ce blog – je suis un indécrottable amateur des reliures écornées, des pages jaunies, des textes qui s’y lovent. L’occasion m’est donnée à nouveau de l’expérimenter puisque je prépare une « conférence » (ce mot est un peu barbare, on songe à « con fait rance » ; peut-être vaudrait-il mieux employer ce terme désuet de causerie) -  une causerie donc (comme celles que faisait le lundi le vieux Sainte-Beuve) mais qui aura lieu un mercredi (le 3 février exactement ; on aura ici l’occasion d’en recauser bien sûr.)

Occasion de se replonger dans l’arôme de toutes ces feuilles roussies, odorantes, de passer le doigt sur leurs pages et d’y sentir le relief laissé par le typo – la main de l’ouvrier au service de la pensée de l’écrivain – main & pensée étant à prendre au sens noble, noblesse du sens laissé doublement par ces caractères dans leur forme et dans leur signification doublement, l'une par l'autre et l'autre par l'une, élaborées : Ah, pour le coup, quelle joyeuse mélancolie ! Lyon vu de Fourvières, par exemple, édité en 1833 chez Léon Boitel, éditeur imprimeur quai Saint-Antoine, 36…. Je suis passé en coup de vent, ce week-end au Quartier Latin. Beaucoup de librairies universitaires et de sciences humaines, pssssst, en une quinzaine d’années, envolées !  Un magasin de fringues, de portables, de kebab à la place. Un Quartier Latin qui n’avait déjà au temps naguère de latin que le nom et qui bientôt… J’ai tout de même retrouvé en ce samedi où Paris était désert et froid, ce face à face si étonnant de Saint Nicolas du Chardonnet et du palais de la Mutualité, cette longue et chère rue des Ecoles qui, de la Sorbonne à Jussieu en passant par le Collège de France, étale son relief inégalement bossu et puis la rue Saint-Jacques non loin de laquelle s’éteignit le pauvre Lélian, la place du Panthéon, ce lacet de la rue de Vaugirard qui ceint le Luxembourg, la splendide rue de Tournon, la rue Garancière veuve dorénavant de ses éditeurs anciens - quelle place inutile tient ce foutu Sénat ! -, la place Saint-Sulpice, la chapelle vide de Delacroix… J’ai l’air de m’égarer ; pourtant non : on erre dans les rues de Paris comme dans les pages des vieux romans lyonnais et vice-versa, mémoire immatérielle, suavité…

Et donc cette conférence qui, à un moment ou à un autre, abordera le thème, bien sûr de la décentralisation littéraire, question qui fut chère au cœur de Léon Boitel et de tous ces romantiques lyonnais parfaitement oubliés sauf de quelques-uns et dont ce vieil ami Béraud fut parmi les derniers authentiques descendants.

Des livres empilés un peu partout, des citations à rassembler, à entrer dans l’ordi, un beau désordre, vraiment...  qui ressemble à celui de l’esprit, organiser, mettre en forme…

Pour ce travail tout en lenteur, le silence…

11:32 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : causerie, littérature, quartier latin | | |

jeudi, 24 décembre 2009

Noël en patois lyonnais

Maty, réveillez-vous, Maty, (1)

Metti la testa à la fenestra ;

Y a grend bru dans lo quarti

Levi vot par vay (bis)

Ce qui pot êtra (2)

 

-Que ! vos ay moda si madin ! (3)

Vot ne craigni pas l’oura fraicha !

-Ay dion que, dens l’etable a Martin, (4)

Dieu nos est nacquis (bis)

Den una crecha.

 

A queu brut ! Tu ne men pas ;

Je pencin que te vouloit rira !

Allen y vitte de co pas ;

Comme é tant de monde (bis)

Par les charrira ! (5)

 

Dieu say seyen et mai deden ! (6)

Y est donc vot qu’ête sa mare ?

Jo(y)ï un brenlo, si vot plait, (7)

Y acuragerat (bis)

Sa puvra Mara.

 

Dane que lui donny à teta,

Dite not qu’il est venu faira ;

Est-il venu per nos racheta ?

Cely pouvre enfant (bis)

Ell a d’affaira !

 

Ah ! qu’il est joli cet enfant !

Et ressemble una genty image !

Encor eun branle, si vot plait,

Y désennoyera (bis)

Sa puvra Mara.

 

(1752)

 

(1) Maty est la forme patoise de Mathieu. Le thème du Noël est courant : deux voisins s’interpellent, commentent les différents événements de la nuit, puis se rendent à la crèche et s’intéressent autant à la mère qu’à l’Enfant.

(2) Ce qui pot êtra : ce qui a le pouvoir d'advenir. Vay, au vers précédent, est une forme forézienne du verbe voir.

(3) Quoi ! Vous êtes parti si matin !

(4) Ay dion : on dit.

(5) Charrira : les chemins

(6) Les drôles s’exclament en découvrant Marie : « Dieu soit céans et moi dedans ! C’est donc vous qui êtes sa mère !»

(7) Jouez un branle : Le TLF indique : Ancienne danse du XVIe et du XVIIe siècle au mouvement vif, que les danseurs exécutaient en se donnant la main.

(8) Dane, pour dame. Le mot enfant, plus bas, est féminin. La strophe est savoureuse :

Dame, qui lui donnez à téter,

Dites-nous ce qu’il est venu faire ;

Est-il venu nous racheter ?

Ce pauvre enfant !

Il a du travail !

 

A tous les visiteurs et commentateurs, Joyeux Noël.

Solko

05:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : noël, patois lyonnais, littérature | | |

dimanche, 20 décembre 2009

Du merveilleux chrétien

J’ai entendu et lu tellement d’âneries ça et là à propos de la polémique autour des propos de Nadine Morano que j’en reste stupéfait. Peut-on descendre plus bas dans l’esprit et dans le débat que certains de ses contradicteurs, s'élevant au niveau d'elle-même, sont descendus à cette occasion ?

Parler en verlan et porter une casquette à l’envers, mon dieu, c’est vrai que c’est extraordinaire, ça  ! Un signe de liberté et de culture, que c’est très poétique et très intelligent, très courageux, très cultivé, en un mot très moderne. Ecrire La Colline Inspirée ça, c’est ignoble, crapuleux, ordurier. Et puis nous en sommes tous capables, pas vrai ? Mais jusqu’où va-t-on aller dans la plus profonde imbécilité à marcher ainsi la tête en bas ?

Occasion de se plonger dans la lecture de La Colline Inspirée. Et sur La colline Inspirée de Barrès, j'ai senti souffler un peu de la poésie de la lande de Lessay de Barbey d'Aurevilly.

« J’ai surpris la poésie au moment où elle s’élève comme une brume des terres solides du réel » (1)

Un peu de la Touraine balzacienne un peu de ce merveilleux chrétien qui souffle depuis le moyen-âge sur la folie Tristan comme sur la folie Joinville  A propos de La Colline Inspirée, Albert Thibaudet a eu ce mot : «  un rendez-vous de mythes assagis ». Et puis Barrès, continue-t-il, « aura été le dernier faiseur de mythes. La littérature directe et pressée d’aujourd’hui tourne le dos au climat indulgent qu’exigent les mythes (…) Barrès a été un créateur de mythes parce qu’il vivait dans les mythes circulait en eux simplement et intelligemment. Il y vivait et y circulait à la française, sans gène sans obscurité, sans emphase, sans duperie » (2)

La littérature est ce pays où chaque auteur est nécessaire. Chaque. Je parle, ici, de la littérature, tel que le mot s’est entendu durant plusieurs siècles, dans ce vieux continent dont chacun de nos  je est l’héritier. C'est à dire d'un levier puissant et efficace, le seul, depuis la dévastation des villes et des paysages, capable de nous tirer hors de cette atroce contemporanéité et de la fierté maladive que nous avons d'en être les piètres et multiples locataires.

 

De la lande de Lessay (relisez L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly qui ne parlait pas en verlan) à la colline de Sion (relisez La Colline Inspirée de Barrès qui ne portait pas sa casquette à l'envers), une poésie, tout aussi vivifiante, digne et élevée qu'une autre, souffle. Il n'est besoin ni de la confondre avec le Réel, car le foutu Réel dans lequel nous sommes est tout, mais vraiment tout, sauf poétique ! Ni de la magnifier. Ni de la piétiner. Mais de l'entendre. Et de cesser de dire ou d'écrire n'importe quoi à son sujet. Car le merveilleux chrétien est un registre comme un autre, qui comme les autres, possède ses chefs-d'oeuvre.

 

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(1) La Colline Inspirée, I - 4

(2) Réflexions sur la littérature, Thibaudet, p 1254 - Quarto Gallimard

 

samedi, 19 décembre 2009

Moment de lire

Je ne sais pas quelle donne change la neige dans nos esprits saturés d’images et de mots. Elle apporte en effet de la fantaisie. Du silence également. Un doux acharnement (parfois dramatique pour eux) à remettre en cause les entreprises des hommes. 2400 personnes bloquées sous la Manche, apprend-on aujourd’hui. Nouvelle qui aurait stupéfié le quidam du dix-neuvième siècle et nous laisse de glace. Ce qui semble surtout déranger celui du vingt-et-unième, c’est l’annulation des sacro-saintes rencontres sportives de son week-end à la télé.  On n’arrête pas le progrès.

Pendant ce temps, à Copenhague, on n’arrête pas non plus le progrès. Il y  faudrait des siècles de neige ! Cela, c’est plus inquiétant. Mais inquiétant de manière diffuse. On s’habitue à ce qui est diffus. Vous verrez. Les écolos sont, paraît-il, en colère. Ils ne devraient pas.  Ils vont se refaire une petite santé électorale avec l’échec de Copenhague. Et nous, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

Ah ! Si on avait dit à nos grand-mères que, par temps de grand froid, 2400 personnes seraient bloquées sous la Manche. Je n’attendais rien, pour ma part, de cette rencontre de chefs d’Etat. Sérieusement, qui attend quoi que ce soit de ces représentants des instances, sociétés, entreprises et institutions aux intérêts encore si liés à tout ce qui depuis un siècle a pollué à mort – c’est le moins qu’on puisse dire – la planète.

Il neige donc.

Salut des hommes, en quelque sorte. Les anciens parlaient de trêve hivernale, prélude à Noël.

Temps de s’offrir, sur papier, de beaux et grands moments de lecture.

 

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20:55 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : météo, littérature | | |

vendredi, 18 décembre 2009

Mes ennemis sont des gens sérieux

On vendait hier soir à l’Hôtel des Ventes de Lyon la bibliothèque du chanoine Jean Vuaillat.  Né le 17 avril 1915 à Lyon ce dernier est mort récemment le 5 mai 2009. Durant la guerre, il avait, sur la demande du cardinal Gerlier, assuré un ministère auprès des jeunes de la STO. A son retour, il était devenu directeur de l’Ecole cléricale de Fourvière et, surtout, le maître de chœur de la Basilique. De 1959 à 1967, il avait été maître de la Chapelle de la Basilique de Lisieux. A Lyon, c’était une figure bien connue, comme on le dit.

Car le chanoine Vuaillat fut aussi un poète, qui vit ses tout premiers textes publiés dès l’âge de  à 17 ans. L’Académie Française le couronna à cinq reprises ; il aura publié en tout plus de 27 recueils de poésie et huit ouvrages de prose, dont principalement des biographies. En 1966, il avait fondé Laudes, une revue poétique qui parut jusqu’en 2006.

Le chanoine Vuaillat fut un bibliophile passionné. Ainsi qu’un collectionneur d’autographes. Hier après midi, ce furent pas moins de 206 lots d’autographes et de manuscrits (dont ceux du poète Pierre Aguétant) et autant de livres rares, qui attendaient un acquéreur sur la banquette. Parmi eux quelques trésors, il faut le dire. La table  des matières de Belluaires et Porchers (de la main de Bloy), une lettre de Chateaubriand au duc de Blacas, une page du Jeu de Patience de Louis Guilloux, une partition manuscrite de Fauré, le poème Heures du soir recopié par Verhaeren lui-même, un dessin de Jolinon… En matière de trésors, chacun aura ses choix personnels, je cite ceux-ci parmi les lettres, billets ou dessins de nombreux rois de France, présidents, écrivains (dont encore Flaubert, Barbey  Cendrars…)

On vit passer quelques livres magnifiques : éditions originales de Molière, Racine, Lamenais, Renard, Rimbaud…. Beaucoup de poètes régionaux, bien sûr, Aguétant, Kowalski, Bécousse, Montmaneix…  Dans la salle peu d’enthousiasme. Peu de portefeuilles suffisamment bien garnis sans doute.  Mais de l’intérêt, comme en ont les simples spectateurs. Un tiers des lots, à peine, trouva acquéreurs. A la fin, plusieurs éditions originales du pauvre Lelian, dont une de Dédicaces, paraphé de l’auteur, eurent du mal à partir.  La nuit était tombée. Les rangs étaient clairsemés. Il neigeait. Leurs yeux ont déjà vu tant de choses et tant de livres, déjà, sont passés par leurs mains. A la table centrale, l’expert, sans de départir de sa courtoisie, s’énervant un peu tout de même : « Vous avez la signature de Verlaine, tout de même la signature de Verlaine… »

 L’exemplaire fut bradé, de mémoire, à 500 euros – un tiers de sa valeur. Cinq cents euros tout de même.

Dédicaces, paru en 1890 comprend 41 poèmes. Je tire cette information ce matin, de ma petite édition de prof (Robert Laffont, Bouquins, septembre 1998) :Quelques hommages (à Villiers de L’Isle-Adam, à Léon Bloy, à Rimbaud) de nombreux pastiches, dont certains sont féroces (Jean Moréas, Jean Richepin Laurent Tailhade…).

Le tout se clôt par une Ballade pour s’inciter à l’insouci, dédiée à Maurice Barrès, une ballade qui vaut le détour :

 

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J’ai cet honneur d’avoir des ennemis

D’ordre privé dont je suis trop bien aise

Et m’esjouis autant qu’il est permis,

Car la vie autrement serait fadaise

Et, parlons clair, une belle foutaise.

Or j’en ai moult, non des moins furieux,

Mais comme on dit, ardents, chauds comme braise :

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

Ils ont passé ma substance au tamis,

Argent et tout, fors ma gaîté française

Et mon honneur humain qui, j’en frémis,

 Eussent bien pu déchoir en la fournaise

Ou leur cuisine excellemment mauvaise

Grille et bout pour quel maux injurieux ?

Sottise, Lucre et Haine qui biaise !

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

Ils iraient bien jusqu’au crime commis.

Satan les guide et son souffle les baise.

Prière au ciel d’en garder mes amis.

Caïn certes était dans leur genèse

Et son péché forme leur exégèse.

Leur discours va flatteur et captieux :

Tel un serpent rampe en un plant de fraise.

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

ENVOI :

Prince des cœurs que rien ne déniaise,

Mon cœur tout rond, tout franc, tout glorieux

De battre et d’être, et d’aimer qui te plaise,

Mes ennemis sont des gens sérieux.

19:28 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : dédicaces de verlaine, chanoine jean vuaillat, littérature, lyon | | |

lundi, 14 décembre 2009

Cellule 2009

Fendons-nous de quelques banalités bien tranchées, puisqu’une nouvelle semaine nous montre impudiquement le bout de son lundi : j’ai du mal à croire, pour rien vous cacher, que nous allons  bientôt pénétrer, comme un couteau de boucher à l’intérieur d’une viande saignante, dans le vif hasardeux d’une toute nouvelle décennie.  On me le dit pourtant un peu partout, d'almanachs en calendriers, sans compter les Pères Noëls comme des sacs qui déjà trainent leurs guêtres au milieu de sapins abattus sur les places et dans les grandes surfaces : tel serait bien le cas. Et que ce serait même foutrement irrémédiable... Bon sang, j'aurais donc pas vu défiler les neuf fois douze mois des premières années du troisième millénaire ? Où étais-je donc ?

Guère plus que le cortège de tous ceux des dernières décennies du deuxième, d’ailleurs. Ils sont passés, les gueux, goutte à goutte, d’un geste imperceptible. C'est rien du tout un mois, pas plus qu'un moi.

Du coup, j’aurais envie d’écrire 09 partout, ce matin, sur les murs à la peinture blanche, sur les abribus au feutre noir, sur tous les visages que je croise, et sur les dernières feuilles des platanes qui cèdent à l'hiver, finalement, sur chaque flocon de neige et sur le vent.

Et je me console en me disant que si je vois si peu les ans passer, c’est à cause du calendrier uniforme de la société du spectacle qui a tout fait tout pour qu’ils se ressemblent tous les ans, nos ans, c'est sûr. Rien ne ressemble plus à la mort de Mickael Jackson que celle d'Edith Piaf ou que celle de Johny Halliday, vous allez voir. Rien ne ressemble plus à une fête des Lumières qu'une fête de la musique, et qu'une guerre en Irak qu'une guerre en Afghanistan.

Fut un temps, je m’étonnais toujours, quand une année tirait à sa fin, de demeurer là, moi aussi. Encore là !, me disais-je en me rasant, un beau matin de décembre. Avec cette tête changeante qui avait l'air de ne pas bouger d'un iota. Et je sortais pour humer l’air des rues. J'aurais avalé le monde.

Maintenant, même plus.

J’ai pris l’habitude de vivre.

Et cela ne m’étonne plus d’avoir des mains, des pieds, un regard. De tous ces organes depuis si longtemps explorés, de tous ces petits rites sans surprises, de toute cette peau, ces ongles, ces cheveux, est-il vraiment sage d'attendre pourtant quelque étonnement ?

Qu'avons-nous le droit d'espérer, franchement, de l’an prochain ?

C’est l’instinct seul, qui s’oppose. L’instinct finit toujours par récupérer la pensée sans fondement du calendrier du spectacle, par lui trouver non pas un sens, mais au moins une direction, et le soumettre à sa volonté de perdurer. Alors le locataire de sa propre viande se rassure, se conforte, vous savez.

Quelques jours jours encore dans la cellule 2009 du temps qu'il fait, puis l'an neuf, au gué, au gué. Champagne pour tout le monde. Il suffira de passer le pont.

 

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Sisley -  Le pont d'Argenteuil - Orsay.

07:32 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : an 2009, littérature | | |

dimanche, 13 décembre 2009

Les hiéroglyphes de la pensée

Lit-on encore beaucoup au Père Lachaise ? Du temps que j’étais parisien, j’allais très souvent m’y promener. Des dix années que j’ai passées là-bas, ce sont ces promenades et les lectures qu’elles suscitaient qui me manquent le plus, dorénavant.

Il est rare, en effet, de trouver une aussi vive adéquation entre les pages d’un livre et celles d’un site : je me souviens tout particulièrement de celle entre plusieurs romans de La Comédie Humaine - au premier lieu desquels Séraphita & Louis Lambert, et le relief cabossé, la statuaire tourmentée des hôtes célèbres ou anonymes du Père Lachaise, l’obstination têtue du vivre encore qu’on y ressent devant certains épitaphes, certains gisants, certains bustes, lorsqu’on est assis sur certains bancs. (1)

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dessin de Bertall (edition Furne de la Comédie Humaine)

Louis Lambert passe pour être une autobiographie romancée d’Honoré de Balzac. On a retrouvé, parmi les camarades de ce dernier au lycée Vendôme un certain Louis Lambert Tinant, fils d’un inspecteur de marine à Dunkerque. Mais cela ne prouve rien. Rien du tout. D’ailleurs à quoi bon prouver ? Louis Lambert, c’est avant tout l’histoire d'une Idée, celle de l’individu, telle que le romantisme encore teinté d’aristocratie de la Restauration de Charles X s’est plu à l’inventer pour faire mine de donner une âme à la haute-finance : c’est aussi une rêverie sur la naissance du langage et sa concomitance avec la naissance du sentiment de soi : « Quel âge a donc la parole humaine ? » se demande Louis en contemplant le bref instant de sa vie. Sur les traces du Lyonnais Ballanche, et du rouergat de Bonald, il lui assigne alors une naissance divine, que son catholicisme déjà malade pressent de nature orientale. Et comment passe-t-on d’un ressenti qui nous trouble jusqu’au plus profond de l’être, à un texte achevé ?

 

445991.jpg« Qui nous expliquera philosophiquement la transition de la sensation à la pensée, de la pensée au verbe, du verbe à son expression hiéroglyphique, des hiéroglyphes à l’alphabet, de l’alphabet à l’éloquence écrite, dont la beauté réside dans une suite d’images classées par les rhéteurs, et qui sont comme les hiéroglyphes de la pensée… »

Un jour que je lisais je ne sais plus quel roman de Balzac infiniment plus prosaïque que Louis Lambert, assis contre la grille sur le rebord de sa tombe, un octogénaire au regard vif et beau me demanda d’un ton très humble si j’étais balzacien, ce qui je crois, signifie thésard ou doctorant –. Dieu m’en garde, pensai-je à l’époque. Non, je n’étais qu’amateur de Balzac et encore, amateur assez perplexe et perdu dans le foisonnement de cette malheureuse Comédie que chacun, de Bardèche à Wurmser, avait, depuis plusieurs décennies, proprement tirée dans tous les sens !

Le vieux monsieur se présenta, lui, comme un amoureux de Nerval (2). Car depuis la fin des années soixante-dix – date à laquelle, m’avoua-t-il, la lecture de Gérard lui avait sauvé la vie –, il fleurissait sans avarice aucune le rectangle de sa tombe. Nous engageâmes la conversation, - une conversation très douce et fort érudite, qui rompait rudement avec l’odieuse sécheresse de ces années mille neuf cent quatre-vingts durant lesquelles le socialisme matois et décomposé de quelques rusés dirigeants français avait commencé à dresser la table dans le pays au libéralisme sauvage et mondialisé qui triompha depuis -. Il me proposa, puisque j’aimais l’auteur de Louis Lambert, de me faire découvrir la tombe d’Esther, celles de Lousteau, de Goriot, de Nucingen… L’idée, partout, bien sûr, l’Idée partout survivant aux tristes faits, sa gentillesse fut prompte à les dénicher parmi les reliefs amassés, les dernières demeures de ces mélancoliques personnages, même celle de la pauvre Coralie morte en 1822 ! Car chaque vestige, précisait-il, chaque tombe est telle un hiéroglyphe de la pensée. Il plissait les paupières humides de quelque réminiscence :

« -quelle pitié, l’abandon de ces travées... L'abandon de ce siècle…

-1822... Deux ans avant Louis, fis-je alors remarquer.

-C’est exact, me dit mon spirituel guide, retroussant contre sa nuque son col de fourrure de martre élimé. Puis, comme si ma remarque l’avait ramené à la réalité :

-Nous ne trouverons pas Louis parmi ces allées… »

Il eut l’air presque désolé. Le pavé est froid soudain. Rentrons.

Je le quittais un peu plus tard, devant une colonne Morris de la rue des Pyrénées.

Et jamais ne le revis, bien que, à chaque fois que je passais devant la tombe de Gérard, s’y lût encore la trace du soin que cet étonnant et chimérique ami y avait déposé.

 

 

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Photos : tombes de Gérard de Nerval et d'Honoré de Blazac, Père Lachaise à Paris

(1) L’épitaphe d’Anna de Noailles (extrait des Eblouissements), particulièrement poignant : Hélas, je n’étais pas faite pour être morte !

(2) Tous les amants du Père Lachaise savent qu’Honoré et Gérard se font face. Honoré et Mme Hanska d’un côté. Gérard seul de l’autre.

 

 

Voir sur Vaste Blogue un billet de Tanguy Simon sur Balzac, lequel à vrai dire, motiva l'écriture de celui-ci.

 

ICI : toute la Comédie Humaine...

15:38 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : père lachaise, littérature, louis lambert de balzac | | |

vendredi, 11 décembre 2009

CapharnaHome

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Imaginez que vous vous installez sur le divan de votre psychanalyste, lequel, au lieu de vous suggérer de vous parler de votre mère, vous murmure : « parlez-moi de votre maison ». Vous allez dire que cela revient au même et certains auteurs, parmi tous ceux qui ont participé à l’écriture de ce recueil, vous donneront raison. Sans divan ni objectif thérapeutique,  ils ont creusé et mis au jour des vieilles bâtisses où flottent des odeurs d’enfer ou de paradis perdu...

 

 

 

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aNTIDATA, CapharnaHome   ( Nouvelles de Michel Besnier, Isabelle Doleviczényi, Christophe Esnault, Malvina Majoux, Gilles Marchand, Charlotte Monégier, Benjamin Peurey, Bertand Redonnet, Olivier Salaün, Roland Thevenet

A paraître le 15 décembre

 

14:20 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : capharnahome, andidata, littérature, nouvelles | | |

jeudi, 10 décembre 2009

Les mémoires de Sarkozy

Pal Sarkozy de Nagy-Bocsa, le père de Nicolas, s’est rendu à 81 ans dans le petit village de Alattyan en Hongrie. C’est ce village qui abritait l’ancien château familial à 100 kilomètres à l’est de Budapest. Cette visite est destinée à affiner son autobiographie, laquelle devrait paraître en 2010

Nul doute qu’un mémorialiste hors pair est né. Nulle doute qu’une plume exceptionnelle et qu’un destin digne d’intéresser l’Histoire se sont soudainement ensemble dévoilés.

En attendant le premier roman de Jean ?

07:24 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : sarkozy, alattyan, littérature | | |