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mercredi, 29 septembre 2010

Le baron Raverat

Le baron François Achille Napoléon Raverat est né en 1812 à Crémieu (Isère), où l'ancien cours des Tilleuls a été rebaptisé à son nom. Son père avait été anobli par Napoléon 1er en raison de ses glorieux services, de ses faits d’armes et de ses blessures. Après 42 années passées à la tête d'un cabinet de dessin, Raverat fils entama une carrière « littéraire » en rédigeant une notice sur la vie militaire de ce père bonapartiste. C'était dans l'air du temps, Napoléon le petit, comme disait alors Victor Hugo, ayant mis la main sur le pouvoir politique en France.

Encouragé par ce premier succès, le baron se spécialisa dans un genre porteur et promis à un bel avenir, celui des «guides, promenades & excursions historiques, pittoresques et artistiques », éditant - parfois chez l’auteur, parfois dans une librairie locale - (Maisonviole à Grenoble, Maton à Lyon) une série d’ouvrages aujourd’hui quasiment introuvables et brillant par leur désuétude. Le baron Raverat, sorte de , a baladé ses guêtres de 1860 à 1880 dans toute la contrée rhône-alpine: Haute Savoie, Savoie, Dauphiné, Vallée du Bugey, Massif central ; la plupart de ces volumes ne furent évidemment pas fabriqués au cours de ces promenades et nombreux furent les contradicteurs qui accusèrent le baron de n’avoir même accompli tous ces voyages que dans les travées d’une bibliothèque. C’était probablement des recueils et des compilations de seconde main : il n’empêche qu’ils valent, à titre de documents, le détour.

Depuis la Monarchie de Juillet, se développait en effet un véritable engouement – voire une fascination – pour l’exploration touristique des « provinces », la découverte géographique et historique des pays. Cet engouement pour le tourisme, dont Flaubert, avec son Bouvard et Pécuchet, dressa une satire drôle et efficace, allait de pair avec le développement parallèle des chemins de fer et celui de la photographie. D’ailleurs, à son « De Lyon à Montbrison, édité en 1876, comme à son « De Lyon à Genève » (1878) et à son « De Lyon à Grenoble » (1879) l'habile baron ne manqua pas de joindre pour chacun une  carte de chemin de fer ; à son « Dauphiné » de 1877, une vue photographiée de la Grande Chartreuse, en lieu et place de la traditionnelle gravure.   Nul doute que ces ajouts devaient constituer un plus, un bonus, un argument de vente aux yeux du public de l’époque. C'était le début d’une forme de vulgarisation appelée à un grand avenir si l’on songe aux documentaires télévisés tournés sur ce même principe, afin de faire découvrir les contrées lointaines à des téléspectateurs du dimanche. La vulgarisation de nos aïeux ne manquait, certes, pas de pittoresque. Elle déplut pourtant fortement aux vrais érudits, comme aux véritables voyageurs, qui reprochèrent au baron ses emprunts trop fréquents, trop faciles, voire ses plagiats, sa langue un peu trop journalistique et parfois incorrecte, ses lieux communs et ses clichés ; que diraient-ils aujourd’hui ?

Voici un passage de «Notre vieux Lyon» (chez Meton, libraire, 1881), consacré à l’exploration, par le baron, du vieux quartier Saint-Paul :

«Pour l’historien et pour l’archéologue qui aiment à étudier et les mœurs et les habitudes de nos ancêtres, pour l’artiste comme pour le simple amateur, le vieux quartier de Saint-Paul était assurément l’un des plus curieux à parcourir de tous ceux qui constituaient notre antique cité. Là, on trouvait autour de l’église un véritable réseau de  petites ruelles resserrées, tortueuses, sombres, inabordables aux voitures. Les maisons dataient, pour la plupart, du moyen-âge. Elles offraient à l’œil l’aspect le plus sordide. Leurs fenêtres à croisillons, quelques-unes à guillotine et munies du légendaire papier huilé n’y laissaient pénétrer qu’un jour avare ; les allées surbaissées, l’escalier à colimaçon, les cours exiguës, les impasses ou culs-de-sac, formaient un tableau saisissant de la misère et de la malpropreté. Rarement le soleil l’éclairait de ses rayons bienfaisants, et rare aussi était cet air pur, première condition de la vie. On y sentait le froid, l’humidité, on y respirait une atmosphère fétide.»

Le baron mourut à Lyon en 1890. Il avait été membre de la très provinciale Société Littéraire de Lyon, et son président depuis 1880.

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 Le quartier Saint-Paul vers 1870

21:09 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : baron raverat, littérature, lyon, quartier saint-paul | | |

lundi, 27 septembre 2010

Pierre Dupont

Le mercredi 20 octobre 2010, L'Esprit Canut reprend son cycle de conférence au cinéma Saint-Denis grande rue de la Croix-Rousse, avec une conférence en chansons, par Jean Butin et Gérard Truchet, organisée en partenariat avec Soierie Vivante.  Cette soirée, consacrée au poète chansonnier Pierre Dupont, débutera à 20h30. Occasion pour moi de republier ce billet, daté de novembre 2008, et un peu retouché pour l'occasion.

 

« Quand j’entendis cet admirable cri de douleur et de  mélancolie (Le chant des ouvriers, 1846), je fus ébloui et attendri. Il y avait tant d’années que nous attendions un peu de poésie forte et vraie (…) Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers  où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis …» C’est Baudelaire qui écrivit ceci, dans l’un des deux articles qu’il consacre au lyonnais Pierre Dupont sans sa Critique Littéraire. 

Pierre Dupont vécut cinquante ans, de 1821 à 1871. Il avait perdu sa mère à quatre ans. Son père, forgeron, fut tué pendant l’insurrection lyonnaise de 1831. Son parrain,  qui était prêtre, prêtre fit parachever son éducation au séminaire de Largentière. Au sortir de la maison religieuse, Dupont entra dans la canuserie, où il fut apprenti. Puis il devint employé de banque et, grâce au soutien d’un académicien, obtint un poste à la rédaction du Dictionnaire. Il commença à écrire très jeune, une œuvre qui se décompose en trois : des chants rustiques, des chants ouvriers, et quelques poèmes philosophiques ; l’écriture de Dupont, pour paraphraser Baudelaire, est hantée par deux secrets, qui sont les clés de sa fortune d'alors, et celles aussi de l'oubli dans lequel il est tombé à présent : « la joie et le goût infini de la République ».

On raconte qu’encore jeune, Pierre Dupont se rendit place Royale pour rencontrer Victor Hugo. Comme ce dernier était absent, il lui laissa sa carte sur laquelle il crayonna les vers suivants :

 

Si tu voyais une anémone

Languissante et près de périr,

Te demander, comme une aumône,

Une goutte d’eau pour fleurir ;

 

 Si tu voyais une hirondelle

Un jour d’hiver te supplier,

A ta vitre battre de l’aile,

Demander place à ton foyer,

 

L’hirondelle aurait sa retraite,

  L’anémone sa goutte d’eau !

Pour toi, que ne suis-je, ô Poète,

Ou l’humble fleur ou l’humble oiseau 

Gounod lui trouvait une voix remarquable et s’étonna qu’il ne connût rien à la musique. A quoi Dupont répondit qu’il était heureux de n’y rien connaître, et qu’il ne tenait pas à l’apprendre.

 Une date, dans sa vie, a été un moment charnière : celle de février 1848, dont son Chant des Ouvriers devint l’hymne. Il mourut l’année même de la consécration définitive de cette dernière, après avoir, de 1848 à 1870 traversé le règne de Napoléon III en ardent républicain. A cause de ses aspirations socialistes, il avait été condamné pour sept années à la déportation après le coup d’Etat de 1851 et avait dû sa grâce à quelques puissants admirateurs, ainsi qu’à l’allégeance qu’on le força de prononcer envers le nouveau régime. Pour toute sa génération, Pierre Dupont, fut, digne successeur de Bérenger, le talentueux chansonnier du petit peuple, le chantre militant de la République. Jusqu’à la guerre de 14, et au gigantesque fossé d’oubli qu’elle creusa entre un avant et un après, une romance à la Dupont, c’est ce qui accompagnait les hommes, des fêtes données pour leur baptême, à celles données lors de leur enterrement, en passant par les banquets de mariage.  Dupont laissa  la réputation d’un solide bon vivant, qui  buvait comme un héros antique. « Les vieux de Vaise, relate Louis Maynard dans son Dictionnaire des Lyonnaiseries, ont longtemps conservé le souvenir de beuveries qui duraient plusieurs jours et plusieurs nuits. » Béraud, dans sa Gerbe d’Or, rappelle avec verve la façon dont son père boulanger, républicain passionné, ténorisait du Dupont au pétrin, dans une page de son récit d'enfance que traverse, de part en part, la gaieté.  On a, depuis, oublié Pierre Dupont et sa philosophie simple. En voici quelques couplets :

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Rêve, paysan, rêve :

Entends la semence qui lève,

Regarde tes bourgeons rougir,

Et comme tes enfants grandir :

C’est l’avenir !

(Le Rêve du paysan)

 

Aimons-nous, et quand nous pouvons

Nous unir pour boire à la ronde,

Que le canon se taise ou gronde,

Buvons, buvons, buvons,

A l’indépendance du monde !

(Le chant des ouvriers)

 

Alerte, imprimeurs !

Inondez  de lueurs

Le monde qui tâtonne ;

Faut-il que le flambeau

Reste sous le boisseau ?

Non, il faut qu’il rayonne !

( L’imprimerie)

 

Gouttes d’eau, filles du nuage,

Filtrez à travers le feuillage

Sur l’étang attiédi,

Car ma mie au gentil corsage,

Aux pieds blancs, au rose visage,

Y vient sur le midi.

( Midi )

 

Des deux pieds battant mon métier,
Je tisse, et ma navette passe,
Elle siffle, passe et repasse,
Et je crois entendre crier
Une hirondelle dans l’espace.

( Le Tisserand)

 

Aux armes, courons aux frontières,

Qu'on mette au bout de nos fusils

Les oppresseurs de tous pays

Les poitrines des Radetskis !

Les peuples sont pour nous des frères,

Et les tyrans, des ennemis.

( Le chant des Soldats)

 

 

A lire en cliquant ici, l'une des deux notices, complète, de Baudelaire et en cliquant là, une sélection de quelques poèmes.

05:46 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : poésie, littérature, lyon, musique, chansons, pierre dupont, histoire | | |

vendredi, 24 septembre 2010

Bonjour Sagan

francoise-sagan-st-tropez-1956.jpgUne histoire de Côte d'azur, d'accident de voiture, de soleil. La mise en scène tragique et dérisoire d’une France des années cinquante, à la fois défaite et victorieuse.  Dans la société de consommation émergente, la seule éducation sentimentale encore possible, c'est d'accepter qu'on ne sera heureux que dans et par le plaisir, celui qu’on consomme à toute allure, au risque oui, de l'égoïsme, de la défaite et de la destruction de tout ce qui n'est pas lui. Ce narcissisme effroyable, que l'américain Cristopher Lasch nomme aussi survivalisme (1), Françoise Sagan en a fixé les contours naissants dans cette histoire simple et presque banale qu'elle raconte à toute berzingue, à toute allure, en une écriture minimaliste - tant et si bien qu'on la croirait déjà couchée sur papier pour le livre de poche, le supermarché ou la ligne de métro.

La société de consommation vend et consomme tout, certes. Sagan, cette fille de Flaubert au cynisme sensuel (ou à la sensualité cynique – on ne sait comment le dire), rappelle qu'au moins quelque chose passe entre les mailles, que ni le supermarché ni la voiture de sport ne peut vendre ou produire. Et ce sentiment, avec l'élégance d'un Musset, elle le sait parfaitement littéraire. C'est pourquoi elle le salue en cette phrase digne d'anthologie qui fit sa gloire :   « Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste, que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. (...) Je répète ce nom très bas et très longtemps dans le noir. Quelque chose monte alors en moi que j'accueille par son nom, les yeux fermés : Bonjour Tristesse. »

La fin de Sagan est triste. Son implication dans l’affaire Elf, ainsi que tout ce qui s’en suivit, sordide Il y a tout juste six ans aujourd’hui, la mort du « charmant petit monstre »,  comme l’avait baptisée François Mauriac, avait réveillé la bienveillance des éditeurs à l’égard de son œuvre. Denis Westhoff, son fils unique, héritier de ses dettes (deux millions d’euros), déposait Julliard de ses droits, arguant du fait que la maison n’avait rien fait pour soutenir cette œuvre jugée « désuète » et dorénavant non rentable. Il proposa à Stock d’accueillir l’œuvre complète, avec correspondance et inédits.  La réédition semble un succès, avec une programmation jusqu’en 2011.

Sagan peut-elle  vraiment gagner une postérité ? De son propre aveu, elle « se fichait pas mal de ce que deviendraient ses livres ». Il y avait dans son phrasé quelque chose de cinématographique et d’éphémère, fondement de ce qu'on appela  sa « modernité ».  Sagan comprit-elle dès la fin des années cinquante que la véritable « nouvelle vague » ne pourrait être seulement littéraire, mais au final purement cinématographique ? En 1963, c’est elle qui écrivait le scénario de Landru, un film de Claude Chabrol, qui vient de mourir. Et en 70, elle adaptait pour Marc Allégret Le bal du comte d’Orgel. Hormis ces quelques incursions, le cinéma parut pourtant la laisser de glace, tout comme d’ailleurs la politique: en allant chercher son pseudonyme chez Proust, Françoise Qoirez n’avait qu’à moitié coupé les ponts avec une certaine tradition française qui ne devait pas passer le siècle, tout comme l’élégance désabusée qu’elle nous lègue in fine.

 

(1) C .Lasch, Le moi assiégé, Climats 2008

12:16 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, sagan, bonjour tristesse, culture, actualité | | |

vendredi, 17 septembre 2010

2000 ans, rien de plus

Sincèrement surpris, en ce jour qui ressemble à tant d’autres, d’être encore vivant dans ce monde trop bien connu de moi. Le lendemain, impression d’être encore très jeune dans ce même monde, et qu’il me réserve encore beaucoup de surprises : se méfier, somme toute, des ressentis.

Quand je pense au nombre incalculable de cadavres qui sont passés par ces trottoirs, me demande évidemment combien de temps  va continuer encore la plaisanterie… Ces fantasmes récurrents des medias à propos de la fin du monde ne seraient-ils pas une envie sourde et commune d’échapper à la fin solitaire qui nous guette ?

Nous avons toujours l’impression d’être des modernes par rapport à tous les Anciens qui nous ont quittés. Ridicule, ce sentiment d’être très loin d’eux, cette certitude d’être devenus des autres, cette croyance dans le progrès, dans notre société …

A raison de quatre générations  par siècle, seulement 80 générations nous séparent du temps du Christ. Une poignée d’ancêtres, en somme, des rayons en éventails de quatre vingt naissances et de quatre-vingt morts jusqu’à l’an 0…  2000 ans, rien de plus.

 

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22:41 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, calendrier, antiquité, actualité | | |

mardi, 14 septembre 2010

Itératif

Je faisais (itératif) ce rêve (je ne le fais plus) il y a fort longtemps. Une gare. Des rails. Au bout des rails, l’évidence et le silence aussi d’une même bibliothèque. Quelque chose comme un sommet, en termes d’esprit. Des reliures ouvragées laissant présager quelque chose (voyez ce que je veux dire : tant de reliures ne laissent dorénavant au solitaire plus rien présager du tout. Or présager, c’est déjà lire)

Désirer.

Une gare, des rails, des lignes, une direction, un sens, tout cela se laisse facilement expliciter.

Et moi, en crieur de journaux, hagard, déconfit, désemparé (sans charre) devant une réalité qui totalement me dépassait (itératif). Me déconcertait (itératif). A présent, désœuvré. Car il n’y a plus de crieurs de journaux dans les rues, hélas . A Lyon, j’en ai connu un, très vieux, un visage chafouin, plissé, un visage de sage sous une casquette à visière, qui quittait les rotatives de la rue Bellecordière avec une pile sous le bras et, s’il vous plait, en uniforme, enfourchait une bicyclette, tournée des bars et des halls de théâtre…

Aujourd’hui, même les chauffeurs de bus n’ont plus d’uniformes…

Et tout le monde roule en bicyclette…

Moi, dans ce rêve (car c’est ça qui compte, moi) entendant soudain, comme Jeanne d’Arc, une sorte de voix roulant ou plutôt parvenant jusqu’à mes tympans qui disait sans dire :

« Qu’écriras-tu, frémissant de tendresse devant ces grilles qu’on fermera, et ces gens qu’on emportera, devant leur peur, leur guerre… »

 

Et qu'est-ce donc, quoi donc me fit penser à ça, ce songe enfoui, aujourd'hui ?

C'est ce professeur d'italien (italien, ce n'est peut-être pas un hasard ?) d'à peine la quarantaine, le visage émacié, assez maigre (comme on dit en ces temps de surcharge pondérale partout régnante) qui me regarde tout à l'heure derrière ses lunettes rondes et me déclare, m'affirme, d'un ton assez définitif : on assistera à sa fin, pour moi, c'est désormais une affaire d'années, (il parle de l'occident) allez, dix- quinze ans, au train où vont les choses. Sous lui ce fauteuil en tissu empli d'acariens, cette moquette usée, tachée, moche, professorale, qui m'a toujours fait penser à une escale dans l'aéroport de Bucarest, une escale sans fin, en pleine nuit, qui se prolonge, ce bout de tissu sans valeur et qui pourtant demeure, une habitude, quoi...

 

 

10:23 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature, société, culture, actualité | | |

vendredi, 10 septembre 2010

Emanuel Philibertus me regarde ...

Je n’avais pas, depuis longtemps, remis  en salle des ventes le moindre orteil. Très étonné du peu de renouvellement de ses figures : elles y sont à peu près les mêmes que lorsque le marteau du commissaire priseur tapait après une somme en francs. Mais un peu plus grises. Plus vieillies. On dirait que la survie aléatoire affirmée ici par des objets, sensation qui m’a toujours beaucoup séduit, est en train de contaminer aussi la fragilité des êtres. Tous vieillissent. Décidément, cet univers-ci  a du charme. 

200px-Emanuele_Filiberto_di_Savoia.jpgUne eau forte du XVIIème siècle d’Emanuel Philibertus Sabaudiae, cadre et gravure en bon état, ne trouvait preneur à 30 euros. Ni à quinze.  J’en ai proposé dix, et je suis parti avec elle sur mon vélo. Ne pouvant accrocher au guidon des fauteuils, j’ai dû en laisser filer deux, des Thomet  très originaux qu’un broc a emporté pour trente euros la paire. Pendant ce temps, des catalogues proposent des  meubles en poudre de chêne pour des amoureux de l’authentique qui laissent à l’arnaqueur plusieurs centaines d’euros. Je savais qu’on faisait des omelettes avec de la poudre d’œufs dans les cantines, j’ignorais qu’on fabriquait des armoires et des bureaux en poudre de chêne dans les boutiques déco pour classes moyennes. Etrange, étrange à l’infini, que nous en soyons arrivés là.  A une telle déliquescence du goût, du jugement. A une telle adulation du simple paraître…

- Vraie saloperie, le monde où tu vis, semble à présent me murmurer, du dégradé de gris d’où il me contemple, Emanuel Philibertus, barbe taillée en pointe sur sa fraise. Le poil frisé, l’œil cerné… Tout en lui, prétexte à précise gravure.

- Je n’irais pas jusque là, lui réponds-je. Monde en toc, assurément. Où jamais la prétention du moindre pedzouille n’a été aussi grande, assurément …

Il reste silencieux. Il restera ainsi, dans son cadre finement verni. L’accrochant à un coin du bureau toujours désordonné, je me demande quel goût peut avoir pour lui une telle postérité.

19:05 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, gravure, emanuel philibertus sabaudiae, salle des ventes | | |

lundi, 06 septembre 2010

Manuel de survie à l'usage de l'auteur...

Dans son Exégèse des lieux communs, Léon Bloy raille savoureusement le mépris très bourgeois affleurant dans l’expression Etre poète à ses heures. C’est à ce texte que m’a fait penser Tu écris toujours, l’entreprise de Christian Cotteret-Emard publiée au Pont du change, qui décline en 19 chapitres sa série de « Conseils aux écrivains ». Car « tu écris toujours ?»,  cette terrible phrase prononcée par le copain d’école qu’il rencontre deux ou trois fois par an, tout comme « être poète à ses heures », pose implicitement la même question : celle du statut (ou plutôt du non-statut) de l’écrivain dans la société. On parlait de poète maudit à l’époque de Bloy, pourrait-on à présent étendre cette qualification à l’ensemble de la gente écrivaine ?

Ecrire ? Quoi de plus commun, quoi de moins lucratif semble donc penser le représentant de la vox populi,  qui conclut l’entrevue par un hochement de tête signifiant : « Décidément, on n’a pas fait des étincelles, toi et moi ! » Il est loin, de fait, ce temps que Paul Bénichou, dans un essai devenu mythique (1) appelait pour qualifier la position de l’homme de lettres « le temps des prophètes ». 

De page en page se définit donc peu à peu un profil, une expérience, une nature : marginal et distancié dans la « déplaisante société », l’écrivain doit tout d’abord subvenir à ses besoins avec ce que les autres appellent un travail, mais qu’il considérera lui comme un simple job. « Pour de multiples raisons dont nous nous fichons éperdument, les écrivains dépourvus de rente ou d’héritage cherchent souvent un emploi. Je dis bien un emploi et non un travail, car tous les écrivains ont un travail » ; la perle rare demeurant bien sûr,  « un job qui vous permettra d’être payé à ne rien faire ».  Cela devient, concède Cottet-Emard, de plus en plus difficile. Qu’importe. L’écrivain doit poursuivre son œuvre malgré les rebuffades des éditeurs, le provincialisme des prix littéraires ou le sarcasme des amis et, s’il réussit, les questions imbéciles des journalistes comme les caprices des mécènes.

Ce dernier point concerne évidemment l’écrivain en partie institutionnalisé ; celui qui aurait, comme Sollers avec Venise, réussi à se forger, parmi tant d’autres, une image. Car c’est au fond la seule distinction que la société du spectacle est à même de proposer à celui qui écrit : cette image entre gloire et dérision, impuissance et facticité, le tout teinté d’une persistante fascination. D’où le ton à la fois caustique et léger avec lequel le poète-sociologue Christian Cottet-Emard enquête sur lui-même et les quelques spécimens parmi les siens. A lui le fin mot de l’histoire : « Le problème n’est pas de savoir si vous êtes un bon ou un mauvais écrivain. Savez-vous faire autre chose ? Voilà la vraie question et, bien sûr, la réponse est non. »

 

(1)  Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain (1973), Le temps des prophètes (1977), Quarto Gallimard, 1996

 

Christian Cottet-Emard : Tu écris toujours ? Manuel de survie à l’usage de l’auteur et de son entourage ; éd. Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert 69003 Lyon.

18:17 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture, pont du change, cottet-emard | | |

dimanche, 05 septembre 2010

Roger Kowalski

« ayez pour moi les yeux du bel octobre, parlez à moi qui suis par l’ombre dessiné ;

qu’un seul regard disperse mes oiseaux, je vous retrouve ; qu’ils reviennent, l’aube seule à mon départ s’enflamme » (1)

 

Né à Lyon le 31 août 1934, Roger Kowalski y mourut le 6 septembre 1975, des suites d’un accident cardiaque. Avec l’Occupation et la Résistance qui s’organisait, Lyon était devenue à partir des années 1942 cette « grande et sombre ville du complot » dont parle Camus dans sa préface aux Poésies Posthumes de son ami René Leynaud (1910-1944) fusillé par les Allemands.  La poésie y connut alors une vitalité et un rayonnement qu’elle n’avait pas retrouvés depuis la Renaissance, autour notamment de la revue Confluences. Cet élan ne s’éteignit pas tout à fait avec la fin de la guerre et la place retrouvée de Paris en tant que capitale intellectuelle du pays. Des revues éphémères naquirent, tel que Delta, qui ne connut qu’un numéro en 1948, ou les Cahiers syntaxe qu’animèrent Robert Droguet et Armand Henneuse. Ce dernier publia  non seulement Alain Borne, Ponge, Seghers, mais aussi des poèmes de jeunes lyonnais, tels Raymond Busquet, Bernard Dumontet, Annie Salager… Autour d’Henneuse, un groupe se forma qui publia même un recueil collectif, Départs, dans les années 50. C’est au sein de ce groupe d’amis que les premiers poèmes de Roger Kowalski et Raoul Bécousse, parmi d’autres, trouvèrent un écho favorable. Alain Bosquet, alors chargé de cours de littérature américaine à la Faculté des Lettres de Lyon, publiera la première anthologie lyonnaise de la génération 1960 dans sa luxueuse revue L’VII (n° 6, juillet 1961). On ne saurait parler à leur propos d’une véritable et nouvelle école : Dumontet les présente ainsi : « Ce sont des amis. Ils se sont rencontrés peu à peu et reconnus ; ils ont une certaine idée de la qualité nécessaire, mais ils n’ont d’autre plaisir que de se savoir différents, et de voir chacun faire fructifier son propre domaine ».

Lecteur des romantiques allemands, de Rilke et de Trakl, mais aussi de Julien Gracq et de Saint-John Perse, Kowalski avait fait des études classiques chez les Jésuites et suivi des cours au conservatoire d’art dramatique avant d’effectuer son service militaire en Algérie, avant de devenir régisseur d’immeubles. Un prix Roger Kowalski a été créé par la ville de Lyon en 1984. Il fonda la galerie K en 1974, dans laquelle il exposait graveurs et peintres et à laquelle il se consacra totalement jusque sa mort. Grâce à son épouse Colette, la galerie K survécut quinze ans après la mort du poète.

Colette Kowalski (1936-2006), exerça une importante activité de traductrice de l'allemand. Avec  François Montmaneix, poète et ami, elle publia au Cherche-Midi, avec le concours du Centre National du Livre, les Poésies complètes de Roger Kowalski :

Le Silenciaire : extraits, Chambelland  1961

La Pierre milliaire, Les Cahiers de la Licorne, 1961

Augurales, L.E.O., 1964

Le Ban, Chambelland, 1964 (Prix Artaud)

Les Hautes Erres, Seghers, 1966

Sommeils, Grasset, 1968

A l’oiseau à la miséricorde, Chambelland, posthume 1976

 

(1)   A l’oiseau, à la miséricorde, 1976

 

Voici l’article que Pierre Perrin publia à l’occasion de l'édition des O.C. au Cherche Midi (NRF n° 557 – Avril 2001)

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19:24 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roger kowalski, poésie, lyon, culture | | |

vendredi, 03 septembre 2010

Fin de partie aux Terreaux

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Rue d’Algérie, au numéro 20, une librairie existe à Lyon depuis 1880. Pour moi, pour vous, pour tous les Lyonnais, c’est la librairie des Terreaux, que tiennent depuis trente ans l’éditeur Jean Honoré et son épouse Elisabeth. Après tant d’autres, après Péju, après les Nouveautés, elle va définitivement fermer ses portes, le 15 octobre 2010. On le savait depuis déjà six mois. Mais cette fois-ci, c’est signé. Il y a donc, m’a-t-on dit, des affaires à réaliser dans le mois à venir : 20 %, 50% selon les rayons et les étages, en sciences humaines, histoire, beaux-arts et varia.

Bien sincèrement je pense que la disparition de cette librairie-bouquinerie n’est pas une affaire pour la ville. Spécialisée dans l’histoire et la littérature régionale (Lyonnais, Forez, Beaujolais et tout le  Rhône-Alpes) la librairie de Jean Honoré est bien connue des amateurs pour les rééditions de Puitspelu, de Maynard, de Béraud.  Puitspelu c’est, bien entendu, le disctionnaire de la grande côte, dictionnaire du parler lyonnais, concentré drolatique et inspiré de l'esprit lyonnais : « Emerveillé par l'humour et la force de cet ouvrage qui, à travers le langage présente toute une région, j'ai cherché à le rééditer en arrivant à Lyon, en 1980 », raconte l'éditeur. En dix jours, les 2.000 exemplaires ont été épuisés. « C'est le miracle lyonnais, une incroyable aventure ! Le téléphone n'arrêtait pas de sonner et la porte de la librairie, de s'ouvrir sur un public très populaire de concierges, d'épiciers, etc. Pour faire ce score, il ne faut pas que des bobos ou des intellos ! De toute façon, j'ai toujours dit : Lyon est le meilleur public de France pour sa ville ». Plus de 16.000 exemplaires ont été réédités à ce jour et le succès ne s'est jamais démenti. « Ça va bien plus loin qu'un dictionnaire : c'est un livre à poser sur sa table de chevet ; on en lit quelques pages tous les soirs et on s'endort comme un bienheureux ! », affirme Jean Honoré.

Au 20 rue d’Algérie, en face de cet arrêt de bus où se succèdent les spécimens des lignes 1, 6, 13, 18, 19, 44…  il y aura désormais comme un vide indéniable, un trou béant, une réelle absence. La ville, un peu plus, aura égaré sa mémoire, ainsi qu’une part de son histoire et de son identité. Les libraires érudits s'y faisant de plus en plus rares.

Si vous ne connaissez pas la librairie, si vous n’y avez jamais mis les pieds, pour un mois et demi, il est encore temps : on y respire le bouquin, le conseil averti, la trouvaille imprévue et rare parmi les épuisés.

 

 

Librairie des Terreaux

20 rue Algérie
69001 Lyon

Tél. : 33 04 78 28 10 69  & 06 03 25 22 61
E-Mail :
librairiedesterreaux@wanadoo.fr

Horaires : 10h-12h 14h-19h
Fermeture dimanche et lundi