Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 08 janvier 2011

Verlaine et la beauté du quelconque

verlaine_p.jpg

 

C’est aujourd’hui l’anniversaire de la mort de Verlaine qui, le 8 janvier 1896 à dix-neuf heures, mourut d’une congestion pulmonaire au 16 rue Saint-Victor à Paris, à l’âge de 52 ans.  Rendre l’âme le mois de Janus dut ne pas être trop incongru pour l’auteur des Poèmes Saturniens : on sait que les deux dieux s’entendaient en effet comme culs et chemises au temps de l’âge d’or.  Je vous souhaite donc de passer un samedi verlainien en diable, à goûter la double nature du monde et la fadeur du langage, dans ce « quiétisme du sentir » si propre à Janus, le dieu aux deux visages, et à Verlaine lui-même, le pauvre Lelian,  dont Jean Pierre Richard (1) écrivit un jour que la poésie trouvait sa source dans un dédoublement assumé de la perception : « Car tout comme Rimbaud, Verlaine pouvait écrire que « Je est un autre » ; mais alors que Rimbaud, une fois cet autre découvert, se livre entièrement et frénétiquement à lui, Verlaine ne peut abolir en lui la voix ancienne, et il se condamne donc à demeurer à la fois JE et Autre. Il sent sur le mode de l’anonyme, mais il se sent sentir sur le mode du particulier. Et c’est dans cet intervalle que se situe sa poésie. Elle dit l’étonnement et la couleur d’un être à demi aliéné transporté dans un paysage dont il ne peut que découvrir le sens, et dans lequel il lui est cependant interdit de tout à fait se perdre. »

Quel amoureux, en effet, sinon l’amoureux verlainien, reste à même de dire : « J’aime vos beaux yeux quelconques », transformant la platitude du cliché (« t’as d’beaux  yeux, tu sais ») en un des plus beaux compliments qui soit « tes yeux qui pour tous sont quelconques sont pour moi les plus beaux »), et sans oublier ni la Laure de Pétrarque, ni la Cassandre de Ronsard, avec l’espièglerie d’un Murger, empiète déjà le territoire à venir d’un Marcel Carné ?

 

(1)   Jean-Pierre Richard « Fadeur de Verlaine », Poésie et Profondeur, Seuil, 1955

 

Lire aussi  : Tant de beau monde pour un poivrot.

10:34 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, poésie, verlaine, jean-pierre richard | | |

vendredi, 07 janvier 2011

Mortes saisons du langage

Heureux de me retrouver, clavier en main sur un site que j'affectionne particulièrement, à l'occasion de ces vases communicants. Pendant que je vous parle, là, sur Solko, de langage et de son saccage chaque jour répugnant, l'ami Roland a pris les clefs de l'Exil et s'est installé chez moi.  Manière pour nous deux de concrétiser publiquement une complicité que nous avons depuis bientôt deux ans sur cette inextricable tissage de textes que constituent les blogs.

Amicalement

Bertrand

 

redonnet image.jpg

 

Pauvre langage ! Langage de pauvres !

Vous le savez aussi bien que moi, mais j’ai quand même toujours envie de le dire…Plus rien ne signifie rien….Je lis, par exemple - car on pourrait multiplier les exemples à l’envi  - : « Le moral des ménages est en baisse » ou, a contrario, « le moral des ménages est au beau fixe ».

Le moral réduit à son expression la plus triviale : le taux de consommation.

 

Le cœur de la vie-même chiffré, pesé, évalué, soupesé, vendu, mesuré, établi, estimé, jaugé, aliéné, négocié, soldé, liquidé, rétrocédé, monnayé, calculé, compté, combiné, agencé, réfléchi, troqué à l’aune de la masse de  cochonneries entassée dans la chaumière du citoyen.

Langage mort, reflet  d’une réalité morte.

 

J’avais, pour de Non de Non, écrit cette chanson que j’avais affublée d’une musique : Sim, La, Ré, La, Sim, Fa dièse mineur etc.…Le projet était de l’enregistrer et de la mettre en ouverture de blog.

Ça ne s’est pas fait…Il m’arrive de la chanter en solo. C’est toujours un peu naïf, une chanson. Et comme Roland  était un co-auteur de Non de Non, l’occasion des vases communiquants s’offre à moi de la lui offrir :

 

Ils ont envahi nos pays

Et ravagé nos territoires,

Sans une salve, sans un fusil,

A la seule force de leurs miroirs. 

 

Ils ont déformé tous nos mots,

Ils ont pillé notre langage

En l’enfouissant sur leurs images,

Nous ont murés dans leur ghetto.

 

Couper la langue des insoumis,

C’est plus propre que d’leur couper l’cou,

Et c’est surtout mieux garanti

Pour les voir vivre tous à genoux.

 

Quoi que tu dises, que tu écrives,

Ta rime ira à leur moulin,

Ta poésie à la dérive

De toi ils  feront une putain !

 

Nous sommes condamnés au silence

A moins de leur faire allégeance.

Y’a plus qu’à mettre dans la balance,

Tout  l’désespoir de la violence

 

Et fi de toute hésitation,

Atermoiements et réflexions,

Nous ne reprendrons la parole,

Qu’aux accents de la Carmagnole.

 

06:22 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : bertrand redonnet, poésie, littérature, l'exil de mots, chanson | | |

jeudi, 06 janvier 2011

Kontrepwazon : à la gloire d'un blog défunt

 ELOGE DU GRAND STATISTIQUEUR

 

JE SUIS LE GRAND STATISTIQUEUR.

 

Je vais prononcer mon propre éloge, parce qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, d’une part, et d’autre part, parce que les Français passent leur temps à dénigrer l’INSEE (vous savez, l'Institut National de la Statistique).

 

Alors, en vérité, je vous le dis : la statistique est un presse-citron.

 

Je te définis la statistique en deux mots : le pouvoir a besoin de moi pour connaître la réalité sociale, qui est inconnaissable, à cause du nombre et de la complexité des phénomènes à prendre en compte, ça vibrionne en permanence, vous allez dans toutes les directions, toujours en mouvement. Vous êtes trop nombreux, aussi, faudrait voir à vous arrêter de copuler, de procréer. Vu la quantité de chair humaine ainsi produite, le chef a forcément besoin d’en savoir un peu plus. La statistique (certains diront « sociologie quantitative »), pour cela, construit un modèle mathématique. Les Anglais ne parlaient pas de « statistiques », mais de « political arithmetic », avant d’adopter le vocable. C’est assez dire que la statistique n’a de valeur que pour celui qui gouverne. D’ailleurs, le mot vient du latin moderne « statisticus » (1672), « relatif à l’Etat ».

 

Autrement dit, appliquée à la société, la statistique a pour seul but de REDUIRE, d’où le presse-citron.

 

Pour moi, le grand statistiqueur, dans mon univers, toi, INDIVIDU, tu n’as aucune valeur, tu n’existes même pas, perdu dans tous mes nombres. La profondeur et la richesse de ta personnalité, l’étendue et la précision de ton savoir, la vivacité et l’ampleur de ton intelligence, tes petits bonheurs et tes grandes souffrances, je m’en tamponne le coquillard. Tu ne m’intéresses que comme une SOMME DE DONNEES. Moi, le grand statistiqueur, je me contente de définir des critères, puis de rassembler les données.

 

Par exemple, en 1999, en France métropolitaine, je peux te dire qu’il y avait 28.419.419 hommes et 30.101.269 femmes. Ne me parle pas de l’anatomie du sexe, et ne me parle pas de l’amour : ce n’est qu’un critère, je te dis, rien de plus.

 

JE SUIS LE GRAND STATISTIQUEUR : TOUT CE QUI EST HUMAIN M’EST ETRANGER.

 

L’homme ne m’intéresse que découpé en tranches et en morceaux, des tranches et des morceaux de plus en plus petits, de plus en plus fins, par exemple : « Votre dernier achat d’une paire de chaussures ? Vous grattez-vous le nez au feu rouge ? Faites-vous confiance à Nicolas Sarkozy ? ».

 

Et des critères, je t’en fabrique quand tu veux : l’Europe veut fixer des normes pour la fabrication des préservatifs masculins ? C’est moi qui lui fournis les informations : taille moyenne du pénis en érection en Europe : 14 cm. L’industrie du vêtement s’aperçoit que les dimensions des êtres qu’elle habille ont changé ? C’est moi qui actualise ses données. Combien de yaourts chocolat, nature ou fruits rouges faut-il mettre dans les linéaires de l’hypermarché ? C’est encore moi qui réponds.

 

JE SUIS LE GRAND STATISTIQUEUR : JE SUIS PARTOUT, JE SUIS INDISPENSABLE.

 

Sinon, tu imagines le gaspillage. Je suis là pour optimiser les performances, les rendements, la rentabilité. Je suis la machine à mesurer les hommes, pour améliorer le fonctionnement de la grande machine sociale.

 

Je suis l’outil obligatoire de tous ceux qui dirigent, de tous ceux qui décident et de tous ceux qui gèrent : les patrons, les chefs, les administrateurs, les bureaucrates. La statistique est le Saint Graal du gestionnaire, comme le sondage est le Saint Graal de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal. C’est d’ailleurs à peu près la même chose, non ? Le dirigeant politique aujourd’hui n’est qu’un directeur d’hypermarché (mais il est un peu tôt pour en parler). Je me rappelle Lionel Jospin, ministre de l’Education en je ne sais plus quelle année, qui parlait de son « stock de profs », et ça, depuis que l’économique a triomphé du politique.

 

Je m’occupe de la hauteur des chaises (45 cm), des tables (75cm), des marches d’escalier (18 cm). En vérité, c’est moi qui conditionne le concret de ton existence quotidienne. Le moindre objet que tu utilises est passé par ma fabrique de données. Pourquoi Monsieur Renault fabrique-t-il beaucoup de voitures pour quatre personnes ? Pourquoi 9 m2 pour une chambre ? Pourquoi ? Pourquoi ? Moi, moi, moi, toujours moi. Je définis, j’encadre, j’oriente. Dans le fond, c’est moi, LA STATISTIQUE, qui architecture ton espace et qui modèle ton temps, bref :

 

JE SUIS LE GRAND STATISTIQUEUR : C’EST MOI QUI DIMENSIONNE TON EXISTENCE.  

 

Et tu sais comment je fais ? Je vous prends chacun un par un, oh pas tous, on n’en finirait pas, mais j’ai inventé le fabuleux ECHANTILLON REPRESENTATIF, la source inépuisable à laquelle je me désaltère. Et puis j’extrapole, je généralise, j’uniformise. Et cela, à travers une autre fabuleuse invention : LA MOYENNE. Tu as compris comment et pourquoi tu cesses d’exister, individu ? Parce que pour moi, tu n’es qu’un écart par rapport à la moyenne. Pourquoi crois-tu qu’on a pu parler de « Francémoyen », il y a maintenant des lustres ? C’est grâce à l’avènement du règne tout puissant de LA MOYENNE.

 

Il me suffit alors de dérouler toute la gamme de mes produits : la consommation moyenne (café, cannabis, épinards en boîte, séances de cinéma, etc.), l’âge moyen (apprendre à marcher, premier rapport sexuel, réussite au bac, mariage, longévité, etc.), la distance moyenne (suivant la région, la profession, la période, etc.), la fréquence moyenne des prénoms, etc. De ma moulinette à nombres et à catégories (ce sont les petits morceaux d’humains que j’ai savamment découpés), j’extrais ainsi des milliers de moyennes possibles, qui finissent par dessiner, fais bien attention à ce point : qui finissent par dessiner tous les aspects possibles de l’existence humaine. Toutes les variétés et variations de l’individu ont fini par entrer dans les cases que j’ai élaborées. Tu te rends compte de ce que ça veut dire ? Toi, petit grain individuel de sable, avec tes arrêts et tes trajectoires, TU ES DEVENU ENTIEREMENT PREVISIBLE.

 

C’EST MOI, LE GRAND STATISTIQUEUR, QUI T’EXPLIQUE TON EXISTENCE.

 

Oui : à force de te disséquer, toi l’individu, et de confectionner des petites boîtes où j’enferme ta vie sous forme de données chiffrées, à force d’énumérer tes caractéristiques, en partant des plus générales et en allant jusqu’aux plus individuelles, j’ai tout su de toi, tu es devenu totalement transparent. Et toi, à force d’être imprégné de l’idée de moyenne, tu t’es dis : il ne faut pas être trop au-dessus ou trop au-dessous. Tu ne supportes pas l’écart, tu veux être comme les autres, tu as peur d’être différent. On appelle ça d’un mot banal et dévitalisé : le conformisme. C’est très intéressant de voir comment ça se passe : LA MOYENNE finit par devenir LA NORME. D'un moyen de connaître la population, je suis devenu un moyen de la gouverner, et cela sans qu'elle s'en doute. Image de la réalité, je suis devenu la réalité elle-même, que nul ne songerait à ne pas considéreer comme telle. Je suis devenu un objet de croyance, et d'autant plus puissant que la "réalité" me valide, que je ne parle que de "faits". Je suis à présent, LA RELIGION DU FAIT.

 

Ton psychisme, tes gestes, tes actes, tes façons de voir sont imprégnés de cette norme, et sans t’en rendre compte, progressivement, tu te mets à ne plus exister par toi-même, mais à OBEIR. Le moule de la moyenne s’en est pris à ton cerveau, à ta mémoire, à tes projets. La façon dont tu voyais les choses est réécrite : tu diras, de quelqu’un qui vient de mourir à 65 ans : « Tiens, c’est plutôt jeune ». Réfléchis à cette énormité, et dis-toi qu’elle prend sa source dans la moyenne, devenue norme, parce que je l’ai fait et voulu ainsi. C’est une forme de SOUMISSION, c’est une forme de disparition.  

 

JE SUIS LE GRAND STATISTIQUEUR : JE FAIS DISPARAÎTRE L’INDIVIDU.

 

Oui, tu es mort, et tu n'as rien senti.

 

JE SUIS LE GRAND STATISTIQUEUR : JE CREE LE MONDE A VENIR.

 

Alleluïa !

 

(Et la foule, percluse de ferveur extatique : « Gloire à toi, Grand Statistiqueur ! – Oui, bon : allez, couché ! A la niche, la foule ! ».)

 

_____________________________________

 

Ce texte a été écrit en novembre 2007 par Frédéric Chambe, et publié par ses soins sur son blog Kontrepwazon, aujourd'hui défunt, que je vous conseille d'aller visiter en cliquant sur ce LIEN.

PS : Si le blog est défunt, l'auteur va bien, je le précise.

05:37 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : statistique, littérature, politique, kontrepwazon | | |

mardi, 04 janvier 2011

Retour des champs

Songe à un texte. Un texte qui serait le texte. En serais-tu l’auteur, le lecteur ? Qu’importe. Ce serait le texte. Autorité indiscutable de l’article défini et de l’instituteur en blouse grise, qui nous en fit comprendre la loi et retenir les vertus tandis qu’il faisait les cent pas entre nos tables, sur le carreau d’alors, et parfois s’appuyait contre un radiateur  : Le texte, donc

En son rythme trônerait un arôme, celui de la fin des conflits. Il dirait, ce texte, le repos de l’instant dans l’instant même, au soir. S’y trouverait surligné ce qui, au centre du désir des hommes et des femmes, s’affirme souverain dans leur chair, un retour à l’assouvissement le plus antique, le plus préhistorique même. Hic et nunc.

Nous marchions jadis dans ce qui reste de nos champs autour de leur ville, souviens t-en…  Telle était la survivante signature de notre destin : marcher parmi ces herbes battant nos genoux.  Gagner ces quatre murs de pisé, et puis non loin ce toit de tuiles,  non loin malgré la boue. Le ciel, d’un gris inavouable.

Cela fait si longtemps que nous dormons sous des toits.

Il paraît – mais c’est encore un aveu scientifique, faut-il s’y fier ?- que notre patrimoine génétique dépend à 4% de Neandertal. Quatre pour cent, c’est pas bézef mais c’est déjà, nom d’un chien,  ça ! Pour des espèces réputées incompatibles…

 Ainsi nous ne serions pas uniquement sapiens. Quelle chance, hein, crois-tu pas ?

Me demande encore, trottant sur cette sente, et ce ciel ouvert comme un livre à quoi ressemblerait le siècle si Neandertal avait pour de bon survécu… race de Caïn, race d’Abel…  L’histoire trop grasse de ces fratries conflictuelles : Et moi qui, fils unique, me croyant si solitaire, m’en suis prétendument banni…  

Me demande bien en ce soir  attiédi  si Neandertal avait su cohabiter…  Neandertal en col blanc, ça s’imagine, des choses pareilles ? Cadre chez IBM ?  Animateur sur TV Monde ? Conseiller en communication ?

Mais d’où me subsiste depuis toujours,  l’affirmation de ce grand geste de sauvagerie primitive, lequel me fit à part égale haïr les distributeurs  automatiques, les  présentatrices météo et les  crédits à la consommation ? Et ce dégoût face à l’euro ! Un si profond dégoût…

 

TRAVAUXDES CHAMPSCARRAND.jpg

 

Illustration : retour des champs, Louis Carrand

 

 

C’est le retour des champs. Sur le tableau de Louis Carrand, trois silhouettes obliques, à peine esquissées. Cet oblique murmure la hâte. Le frais qui commenc eà pincer. Là-haut, dans le gris inavouable, frémit l’orage.

L’orage néandertalien, cela, non, lui, ça n’a pas changé.

Vite, sur le sentier entre les blés.

 

Vite… Mais en attendant bien-aimée, comme ils le disaient en leur cantique, presse-toi contre mon épaule et goute un  peu cette force de poésie qui, là, demeure. En ta salive et en ta chair, je feindrai d’épuiser mon temps. Et peut-être même,  pour quelques secondes, irai-je au bout de ma feinte.

 

Qui sait de quel aveuglement,  un heureux renard est capable ?

 

09:09 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, poésie, peinture, louis carrand | | |

lundi, 03 janvier 2011

Maire de Lyon

Edouard Herriot, lorsque j’étais petit, c’était à  la fois quelque chose et puis rien. Quelque chose : maire de Lyon durant cinquante deux ans ! Monolithique, dans sa génération, le bonhomme !  Rien : un homme du passé immédiat, mort alors que je n’avais que deux ans, et remplacé par un homme plus que médiocre qui abîma à jamais Lyon avec son bétonnisme aigu, le dénommé Pradel. Herriot déjà, ça n’était plus qu’une rue, la rue de l’Hôtel de Ville, débaptisée en rue Edouard Herriot. A present, lorsque je demande à des élèves s’ils savent qelque chose de ce  type, ils me disent tous  : rien. Rien...  Le leçon de Sénèque : Comme les gloires passent, n'est-ce pas ? Pauvre Edouard...

Et puis une tombe grotesquement stalinienne, à l’entrée du cimetière de Loyasse. Grotesque, c'est même peu dire. C'est par là qu'à dix-sept ans, lorsque j'allais me saouler avec des potes en un lieu éloigné des familles, nous faisions le mur ... Il faut, se dit-on en voyant son gigantisme peu chrétien, savoir choisir son camp. Amusante, la gerbe de l'actuel maire de Lyon, à chaque Toussaint. Glissons.

Devant la nullité de son successeur, évidemment, cet Edouard ressemblait encore à quelque chose dans les années 60  : comment oublier pourtant qu’il avait signé l’arrêt de mort du dernier pont de pierre de la ville, un ouvrage de treize arches séculaire, le pont de la Guillotière, ainsi que celui de l’hôpital de la Charité et toutes ses cours intérieures, pour les remplacer par un hôtel des Postes, et un autre des Impots, comme pour rivaliser de laideur : Quelle ineptie ! Herriot malgré sa gloriole politique ne fut-il pas à ce titre  guère plus qu’un moderniste opportuniste, sans grande vue ni grande culture, encensée par une bourgeoisie locale en mal de baron du cru  ?

Albert Thibaudet, lorsqu’il évoque d’Herriot, en parle comme d’un girondin, mais c’est parce qu’il confond girondin et provincial. En réalité, nul ne fut plus centralisateur et jacobin que cet Herriot, dans sa manière autocratique de gérer sa  capitale des Gaules comme si elle devait sans cesse rivaliser avec Paris. Il ne s’y trompe d’ailleurs pas, Thibaudet, qui écrit, dans la République de professeurs :

« Le maire de Lyon est le premier de Lyon – mais après le préfet, et son gouvernement facile, ressemble plus à celui d’un président de la République qu’à celui d’un chef de gouvernement. »

Ou encore :

« Paris est la capitale de la France, mais Lyon est la capitale de la province. Les politiques savent à quel point le Cartel des gauches de 1924 était une formation lyonnaise »

 

Herriot eut pour successeur un imbécile. Personne ne parla mieux de Louis Pradel que Pierre Mérindol. Je cite : « C’est un modeste expert en assurance automobile qui n’a jamais connu d’autres lauriers que ceux des concours de circonstances » Ou encore : « Le drame de Lyon – car il est bien vrai que la ville est défiguré – c’est que le maire ait été aussi mal entouré » (1)

L’inconsistance du successeur de Pradel, un Collomb, déjà (mais Francisque) n’est plus à souligner. Avec lui, le Grand Orient assoit un peu plus son autorité sur l’Hôtel de Ville, représenté par des guignols du nom de Soustelle, Ambre, Bullukian, Combes, Béraudier. Je cite toujours Mérindol, un homme fin et intelligent à la plume lucide : « La pauvreté de la solution Collomb – même si elle est une construction d’origine maçonnique –est le reflet de la pauvreté du personnel politique à Lyon. »

Sans doute est-ce à partir de Michel Noir et des années quatre-vingts qu’on commença a oublier Herriot et son autre temps. Le portrait qu’en dresse Pétrus Sambardier le rendrait presque sympathique :

« Généralement, le président, vers midi et demie, se rend à pied de l’Hôtel de Ville au cours d’Herbouville. Il remonte, pensif, à petits pas, l’allée de platanes du quai Saint-Clair. Les solliciteurs malins connaissent cette promenade et retardent souvent l’heure de déjeuner du président. M. Herriot est accueillant. Il s’assied volontiers sur un banc du quai pour écouter, sans impatience, le garçon « de platte » (2) racontant son dernier exploit de sauveteur ou la vieille femme exposant ses misères » (3)

Il y quand même, dans le ton du journaliste, un air d’hagiographie et l’on n’est pas loin du Joinville exaltant son saint Louis. En contrepoint, voici un portrait d’Henri Béraud, réalisé en novembre 1913, et publié dans le numéro 2 de la revue l’Ours :

« C’est en matière administrative surtout que le bon garçonnisme de M.Herriot lui crée des difficultés. On ne fait pas avec des sourires la besogne d’un comptable. Les poignées de mains et les gros compliments dont les plus acerbes prolos s’accommodent, font quelquefois la fortune politique d’un habile homme. Mais quand, par ces moyens, on est parvenu à ses fins, quand on a pris place au centre des affaires, il faut abandonner ces accessoires de parlottes électorales, comme les avocats laissent robes et toques au vestiaire du Palais. En affaires, il faut se montrer homme d’affaires. M. Herriot y parvient-il ? Non. (…) Les rapides succès de M. Herriot ont fait de lui un séducteur des foules… »

 

 

photo%20b&d%2026a.jpg

 

Blanc et Demilly : Edouard Herriot

(1)  Voir Pierre Mérindol, Lyon, le sang et l’argent, Ed Alain Moreau, 1987

( 2  )Les plattes sont des bateaux lavoirs.

(3) Pétrus Sambardier, La vie à Lyon, de 1900 à 1937 – ouvrage préfacé justement par Edouard Herriot -

16:24 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : politique, lyon, littérature, edouard herriot, thibaudet, collomb, pétrus sambardier | | |

vendredi, 31 décembre 2010

Lendemain de 30

Lorsque j’étais petit, j’apprenais à distinguer sur le rebord de mes métacarpes les mois creux qui s’étalaient sur 30 jours des autres, pleins, qui se vautraient sur 31. On commençait toujours par janvier, d’une voix aigue et niaise, à la pointe de l’auriculaire gauche, pour finir sur l’autre main par décembre, à la pointe de l’annulaire droit. Et cela se jouait sur le ton précis d’une comptine qui déclinait ainsi les douze mois du calendrier.
Des mois à 31 jours, chaque année en possède donc sept. Or ces sept jours (tout juste une semaine) m’ont toujours fait l’effet depuis d’un corps bossué ou verruqueux, d’une excroissance d’instants à la durée normale d’un mois qui serait de trente, d’une journée suspecte, somme toute, et qui serait de trop. Le 31 de décembre, plus encore, n’en déplaise au pape Sylvestre qui patronne ce jour-là, et dont Jacques de Voragine nous dit dans La Légende Dorée qu’il ressuscita un taureau au nom du Christ, et cloua le bec à un dragon furieux. N’en déplaise également à tous les fêtards des Champs-Elysées ou d’ailleurs qui font tourner le commerce de l’artifice et de la langue de belle-mère.
Car ce 31 de décembre prononce non seulement l’arrêt de mort d’un mois, mais également celui d’un an.
Il témoigne à ce titre d’un talent doublement meurtrier ; et sa silhouette fatale, comme celle d’un pic vertigineux, symbolise pour les alpinistes qui franchissent son sommet une victoire de plus sur la finitude et sur la mort : tous ceux qui parviendront à passer la sente de ce jour de trop se retrouveront du même coup dans la nouvelle année.
C’est une unité qui vaut pour les 364 qui l’ont précédée, en quelque sorte.

« Dans une époque troublée comme la nôtre, la vie quotidienne se transforme en un exercice de survie. Les gens vivent au jour le jour. Ils évitent de penser au passé, de crainte de succomber à une nostalgie déprimante ; et lorsqu’ils pensent à l’avenir, c’est pour y trouver comment se prémunir des désastres que tous ou presque s’attendent désormais à affronter. Dès lors, l’individualité devient une sorte de luxe, qui n’a pas vraiment sa place dans une période d’austérité imminente… » C’est par ces quelques lignes que débute le dernier essai de Christopher Lasch, Le Moi assiégé. Fut un temps où je ne pouvais m’empêcher de songer, chaque 31 décembre sur le point d’abolir l’année tout entière, que si ce pic ultime n’avait pas ma peau, j’aurais l’assurance qu’on ne graverait pas le chiffre de cette année-là sur ma tombe, à l’autre bout du tiret. Toujours ça de pris, me rassurais-je en croquant un marron glacé. Toujours ça de survécu dans l’étroitesse des bornes humaines.

Nous serons ainsi dans quelques instants plusieurs milliards de survivants à goûter sur Terre les premiers épices de 2011. Ils promettent bien du parfum : Tandis que la Belgique n’a toujours pas de gouvernement, la Cote d’Ivoire se targue d’avoir deux présidents. Ce n’est qu’une folie parmi tant d’autres, dont le rappel serait inutile puisque l’heure est au pétillant champagne et aux confettis colorés :
A tous les lecteurs de Solko, je souhaite une bonne et heureuse année.

 

doisneauconcierge.jpg

Doisneau : Le concierge (du nouvel an)

10:21 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : voeux, nouvel an, 2011, doisneau, littérature | | |

mercredi, 29 décembre 2010

Un rêve de linguiste et accessoirement d'illuminé, de fou, de poète

« Il y a eu tout à fait au début du XIXe siècle, en particulier dans la première phase de découvertes que permettait la grammaire comparée, cette idée qu’on remontait aux origines de l’esprit humain, qu’on saisissait la naissance de la faculté du langage. On se demandait alors si c’était le verbe qui était né le premier, ou si c’était le nom. On se posait des questions de genèse absolue.

Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’un tel problème n’a aucune réalité scientifique. Ce que la grammaire comparée, même la plus raffinée, celle qui bénéficie des circonstances historiques les plus favorables comme la grammaire comparée des langues indo-européennes, plutôt que celles des langues sémitiques qui sont pourtant attestées aussi à date très ancienne, ce que cette reconstitution nous livre, c’est l’étendue de quelques millénaires. C’est à dire une petite fraction de l’histoire linguistique de l’humanité.

Les hommes qui, vers le XV° millénaire avant notre ère, décoraient les cavernes de Lascaux, étaient des gens qui parlaient. C’est évident. Il n’y a pas d’existence commune sans langue. Il est par conséquent impossible de dater les origines du langage, non plus que les origines de la société. Mais nous ne saurons jamais comment ils parlaient. 

L'idée que l'étude linguistique révélerait le langage en tant que produit de la nature ne peut plus être soutenue aujourd'hui. Nous voyons toujours le langage au sein d'une société, au sein d'une culture. Et si j'ai dit que l'homme ne naît pas dans la nature, mais dans la culture, c'est que tout enfant, et à toutes les époques, dans la préhistoire la plus reculée comme aujourd'hui, apprend nécessairement avec la langue les rudiments d'une culture. Aucune langue n'est séparable d'une fonction culturelle»

Emile Benveniste - Problèmes de linguistique générale 2 - 1974

lascaux.jpg

 

 

1878 : C'était l'âge d'or de la linguistique, cet objet devenu depuis, avec le structuralisme, si austère : le temps des Bréal, des Saussure, des Meillet. Meillet fut le maître de Benveniste dans les années 20. Je ressens quelle passion, quel moteur, cela pouvait constituer pour ces chercheurs contemporains de Pasteur, de Littré et de Darwin, l'idée de revenir aux sources de la culture afin d'embrasser un fragment pur de la nature. Quelle déception cela dut être ensuite, de ne trouver, in fine, aux origines de la culture encore, que de la ...  culture, tristement et bêtement humaine. Et encore, de la plus récente qui soit, de la culture niaisement romantique... On ne s'échappe pas si facilement de l'humaine finitude... 

jeudi, 23 décembre 2010

Au brillant d'aujourd'hui

Quand le soir tombe, il m’arrive encore de tomber aussi

De laisser glisser mes yeux dans la pénombre

Et durant quelques heures de n’être plus

Un enfant de l’électricité parmi eux tous

 

Je croise fugace quelque aïeul intérieur

A ce seuil  ancien et pérenne

Malgré le bruit des automobiles dans la rue

Et les foutues guirlandes qui font la ville

 

Je tombe aussi, je respire, j’hume

Une respiration qui n’est jamais certes assez profonde pour me porter d’un coup d’aile seul jusqu’à l’aube

Les pensées me retournent,  elles sont aussi

Electriques, les pensées, pourtant

 

Ce qu’en leur silence au monde furent au soir les aïeux

J’en porte en moi la cicatrice

Comme la plaie salvatrice

De ma naissance inachevée

Au brillant d’aujourd’hui

18:32 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie, électricité | | |

mercredi, 22 décembre 2010

Fabricants d'entropie

Ce crédit, cette dette publique, cette crise,

Ces pauvres qui tendent la main dans la rue,

Là où les pères s’engorgèrent,

Les fils faillent.

 

La ruine des états,  c’est

Pour longtemps, l’étranglement de la plupart,

Quand tout travail ne mène

Qu’à l’eau stagnante du quotidien

 

L’aube se veut rassérénant

D’avance le brûlant du  midi

Mais chaque soir, plus trébuchante,

La nuit hostile s’annonce sèche.

 

C’est leur chair qu’on vole aux  pays,

Leur histoire aux peuples,

Les organisateurs du naufrage :

Quelques barons au rire pincé,  surnagent.

 

Ces quelques faiseurs d’entropie,

Ont la ride austère, la lèvre et le doigt secs

De qui exerce la statistique

Et ne perd jamais son pari.

 

rural_mother_1936.jpg

10:14 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, dette publique, entropie | | |