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dimanche, 22 mai 2011

Artémis

Mai, beau mois pour un convalescent : Le taulier reconnaît modestement qu'il est un peu fatigué en ce moment. C'est pourquoi il a demandé du renfort et est ravi d'héberger ce sonnet,  à la manière de Gérard. Mais ce n'est pas du Gérard, c'est du Benoit. Voyez-plutôt : 

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« Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours ! »  (Delfica, Gérard de Nerval)

 

La nature périt. L’harmonie est perdue.

Artémis ! Es-tu morte ? Ah ! C’est la voix du sang,

Ce flot noir dans mon crâne, cette hydre dansant

Qui me crie : « Oublie ! Crains le mythe, âme éperdue ! »

 

Paix ô torrent sans fin ! Reptile dans ma tête,

Tais-toi ! Serpent, redevient Caducée ! Seigneurs

Divins, dans les songes d’Endymion le pasteur

Plongez-moi ! Nuit, descend dans ma crypte secrète !

 

Mille bras me bercent. Des racines d’airain

S’étoilent. L’aigle roi siffle. Un voile se peint :

– Le sourire du ciel sur l’argentine mer –

 

De fer et d’or, en moi l’ineffable liqueur !

Ce feu soigne mon âme mais creuse mon cœur :

Hélas Artémis ! – Déesse –, tu es chimère.

 

Benoit Méheux.

09:23 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, littérature, gérard de nerval | | |

samedi, 21 mai 2011

Jean Lacornerie à la Croix-Rousse

Jean Lacornerie, le nouveau directeur du théâtre de la Croix-Rousse,  présentera  lundi 30 mai et mardi 31 mai prochains, à 20 heures, la prochaine saison. L'entrée est libre. A cette occasion, je publie ce bref entretien que j’avais eu avec lui pour le journal l’Esprit Canut, au mois de février.

jean_lacornerie_164.jpgJean Lacornerie a fait ses classes au TNS de Strasbourg auprès de Jacques Lassalle, dont il fut l’assistant de 1987 à 1990, et qu’il suivit ensuite à la Comédie Française. C’était le temps où on revisitait les classiques (Marivaux, Ibsen, Racine). Il a vécu la réouverture du théâtre du Vieux Colombier, à Paris, tout en fondant à Lyon la Cie Escuado. Depuis 2002, il a fait  du théâtre de la Renaissance à Oullins un passage obligé pour tout amoureux du théâtre musical. Successeur de Philippe Faure, il s’installe à présent en ces terres croix-roussiennes qu’il connait bien pour avoir travaillé à la Villa Gillet.  

Quel bilan faites-vous de vos années passées à Oullins ?

Un travail passionnant, qui s’est inscrit dans le long terme grâce aux liens tissés avec les spectateurs ! Ces liens étaient essentiels pour faire progresser le projet musical. Il y faut du temps. Peu à peu, le public est devenu curieux. Nous avons mélangé la discipline et le plaisir de l’invention. Neuf ans, c’est un vrai cycle qui s’achève.

Un autre débute. Quels sont vos projets pour la Croix-Rousse et ses 10 000 abonnés ?

Continuer le théâtre musical, bien sûr. Se tenir à la croisée de l’opéra, de l’opérette, de la comédie musicale américaine, du music-hall, du théâtre. Et maintenir l’identité puissante de création et de diffusion qu’y a laissée Philippe Faure. La saison prochaine, on accueillera par exemple Les Misérables d’après Hugo.

Qu’est-ce qui vous donné le goût de ce théâtre musical ?

J’ai toujours été attiré par l’opéra. J’ai été stagiaire à celui de Bruxelles, un des premiers qui s’ouvrait à la mise en scène. C’est un monde où les règles de travail sont très strictes.  Et je trouve que le va-et-vient entre théâtre et musique est un champ à explorer, où il y a beaucoup à faire. On y mélange des savoir-faire, ce qui apporte émotion et énergie, et relève vraiment au fond de la tradition populaire.

Philippe Faure avait tenu à rebaptiser Maison du peuple le théâtre de la Croix-Rousse. Ça tombe bien. L’enjeu est grand, tant la place occupée par cette scène dans la ville est vive et originale. On souhaite à Jean Lacornerie, dont la prochaine saison porte la signature, beaucoup de réussite et de succès auprès de son nouveau public. 

mercredi, 18 mai 2011

De loin

Un peu loin de tout ça, vraiment. Des images du monde et de son chaos. Cela fait paradoxalement du bien. Ce recul, tout en finesse. Sentiment affirmé qu’une violence inouïe, injustifiée,  dérègle de plus en plus les relations entre les individus.

A l’hôpital on prend soin. Un mode de vie, un emploi du temps, une attention à l’essentiel qui aura traversé les siècles, les âges et les modes, quand j’y pense, qui n’aura, malgré les incroyables progrès technologiques, guère changé, lorsqu’il s’agit de rendre le corps à son repos naturel, l’esprit à la plénitude de son vide, de restaurer le temps.

J’ai retrouvé ce lieu au sein duquel j’avais longtemps travaillé autrefois, comme s’il m’était demeure familière. Ce qui m’a beaucoup surpris. Et beaucoup aidé, sans doute.

Cet univers m’est familier. Son silence. Son attention à l’essentiel, on ne le dira jamais assez. Ses odeurs. Et même ses bruits. Ses paroles.

En le quittant, on m’a dit « au revoir monsieur », et moi j’ai dit «au revoir madame », « au revoir monsieur » à des gens qui, parmi toute une succession d’autres -une chaine humaine, une communauté de soins -, avaient contribué à me sauver la vie.

Rien moins que ça. J’ai l’impression qu’il y aura un avant et un après.


En retrouvant le monde extérieur, il m’a semblé rentrer par deux orifices, qui seraient mes yeux, dans une sorte de boite creuse et close, lointaine.

20:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, hôpital | | |

samedi, 07 mai 2011

Français, vieux et moyen

Dans le bœuf, le morceau qu’il préférait était le manteau, le nom qu’on donnait dans son quartier à la hampe. Comme le morceau n’est pas si gros, il se rendait chez le boucher dès l’ouverture, pour assurer sa part du jour avant que les mères de familles nombreuses ne fassent la razzia.

Il ne ratait jamais le tirage de l’Euromillions.  Parmi les dates des grandes victoires napoléoniennes, il avait choisi plusieurs numéros pour figurer les chiffres et les étoiles à cocher sur les grilles. Comme il ne jouait jamais, il guettait toujours sur l’écran la chute des boules, avec au ventre la peur que sa martingale sortît. A la fin, il poussait toujours un ouf de soulagement en constatant que sa combinaison n’était pas tombée. Ne l’ayant pas jouée, il s’estimait remboursé. Et le lendemain, buvait un verre de Viognier à la santé de cette putain de Française des Jeux, heureux, au PMU du coin.

Sitôt quitté le collège, il n’avait plus lu aucun roman. Durant son existence, il n’avait d’ailleurs terminé que peu de livres : quelques essais de libres penseurs l’avaient intéressé dans les années soixante, mais à présent qu’il s’approchait de la vieillesse, il songeait qu’il était inutile de se brûler les yeux pour si peu.  

Sa vie professionnelle avait filé sans brio, lui assurant juste la possibilité de traverser les temps de crise sans trop manquer, comme disaient jadis les braves gens qui l’avaient élevé et qui tous étaient morts. Mais sans non plus lui permettre de se mettre à l’abri. Le soir, avant de s’endormir, il entendait les quelques piétinements de Milou parmi la paille, dans le vieux fourneau qui lui servait de table de nuit et se murmurait en lui-même qu’au fond, ça n’avait pas été si mal d’être un rond de cuir, que ça aurait pu être pire.

Lorsque durant ses promenades, il croisait une bande de jeunes, il s’étonnait formidablement du fossé vaste qui désormais le séparait d’eux. Les vieux de sa jeunesse ressentaient-ils cet écart aussi vivement ? Ce qu’il avait pris jadis pour de la morgue ou du dédain, il comprenait à présent à quel point ça tenait de quelque chose d'imperceptiblement métaphysique : n'était-ce pas lié à cette chose que sans se l’avouer, depuis la disparition de sa vieille cousine (dernière de la famille à l’avoir ainsi quitté) il attendait à son tour  ?

Les milliards de petits pas qu’il avait effectués sur l’asphalte chaque jour de sa vie compteraient-ils beaucoup plus que ceux de Milou sur la paille ? Savoir ! Au fond, l’existence de cet homme avait quelque chose de romanesque qui lui appartenait en propre mais que ni lui, ni aucun de ses semblables n’écrirait jamais. Ce romanesque tenait certes du désenchantement qui s’était saisi de toute sa génération vers la fin du siècle dernier, devant la fadeur décrétée du Réel. Mais aussi, sans doute, d’une capacité inébranlable à maintenir vivant en lui une sorte d’illusion de grandeur, qui le rendait au soir de sa vie aussi imbécile qu’heureux. 

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00:45 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, france, société, politique | | |

mercredi, 04 mai 2011

Disait-elle

Ma vieille prof de théâtre  était toujours vêtue d’un pantalon fuseau et d’un pull over à col roulé. « On peut, disait-elle, réduire le jeu d’un comédien comme tout ce que raconte la totalité  du Répertoire à deux mouvements fondamentaux : dire oui, dire non.  Pour cela, vous  disposez du regard, du geste, de la parole. Et c'est tout. »

Sur ces deux grandes tendances – le refus ou l’acquiescement-, elle nous expliquait que se greffait la gamme entière des nuances et des émotions qu’il nous faudrait jouer sur scène, et l’existence de milliers de personnages : honte, pitié, colère, désir, raisonnement…  Tout cela ne revenant in fine qu’à approuver ou réfuter ostensiblement quelque chose, du regard, du geste ou de la parole, avec une intensité plus ou moins affirmée.

Pour le reste, nous disait-elle, il n’est de secret que l’articulation. Avant de monter sur scène, elle nous faisait répéter : Gros grand grain gris creux d’orge, quand te dégros grand grain gris creux d’orgeriseras-tu ? Je me dégros grand grain gris creux d’orgeriserai quand tous les gros grand grain gris creux d’orge se dégros grand grain gris creux d’orgeriseront. Idem avec le petit pot de beurre et d’autres pis-aller.

Après ça, elle nous fichait un texte entre les mains, un monologue d’Othello, un sermon de Bossuet, une chanson de Gaston Couté, ou tout autant une liste de commissions, et il fallait se débrouiller pour lui dire oui ou non avec ce texte-là, du regard, du geste, de la parole. Sans s’occuper du reste.

Elle se tenait en fond de salle, cigarette au bec. Elle ne fumait que des Gitanes. Dans la pénombre, cela formait une lueur, un grésillement, une écoute, un peu de fumée bleue. Quelques recommandations. De compliments, jamais.

Quand elle était contente de quelqu’un, elle le lui faisait savoir en lui proposant un petit rôle. On venait en car de toute la région pour voir les spectacles qu’elle montait dans son théâtre non subventionné. Des pièces de boulevard, écrites par elle ou par son mari. Un canevas bien rôdé, des répliques à l’efficacité éprouvées durant ses cours. Du 100% maison, disait-elle. 

 

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09:17 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : théâtre, littérature, lyon | | |

jeudi, 28 avril 2011

Du fait sublime au fait divers

J’étais toujours surpris par la façon dont ma grand-mère s’exclamait en lisant le journal, lorsqu’elle y rencontrait un fait-divers particulièrement dramatique : « Quelle horreur ! », lançait-elle, avant de reposer les feuilles sur ses genoux et de laisser son regard humide et bleu se perdre dans le vide, en s’abimant dans une muette méditation sur la méchanceté de certains hommes.

L’affaire Troppmann (l'horrible massacre de Pantin), le 21 novembre 1869, avaient lancé la roue de la fortune de Moïse Millaud : une mère, déjà, et ses cinq enfants. Tant d’autres, depuis, de Violette Nozière en Dominici, de Landru en Grégory,  que la presse, toujours, présentait comme une tragique exception, avec des surenchères de vocabulaire, d’images, de révélations, sans compter les adaptations littéraires ou cinématographiques à la clé.

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les victimes de Troppmann

Dans la société du spectacle, le fait divers a perdu ce caractère exceptionnel. Le meurtre, qui n’y apparait qu’à titre d’image – une image comme une autre –, n’est plus vraiment érigé dans sa dimension monstrueuse ni commenté comme une exception cathartique. Il se donne à voir plutôt comme un événement in fine comparable à un autre. L’image l’a inscrit dans l’ordre du réel et du quotidien : En bref, dit le speaker... Et on passe à autre chose.

Dans ce panier ménager d’affaires en tous genres, le fait divers est devenu une sorte d’événement constitutif des rouages du vaste monde, un fait de société, au même titre que le tabagisme ou le chômage, qu’on doit par temps de crise pouvoir expliquer par quelque dérèglement du système ou de l’individu ; il n’a plus de signification propre et individuelle : tuer sa famille, tirer sur des inconnus, se suicider en public, autant d’actes jadis transgressifs devenus peu à peu les ingrédients du show sur lequel la norme de l’information offre à méditer. Méditer ? Voire ! 

Pourquoi nos regards humides et bleus s’attarderaient-ils trop longtemps sur l’écran ?  S’exclamer, comme le faisait jadis ma grand-mère, « quelle horreur !» n’est depuis longtemps plus de mise devant ces meurtres « objectivés » par ceux qui nous informent de leur existence sans jamais plus ni les raconter, ni les juger, ni les mythifier.

En 1985, le « forcément sublime » de Marguerite Duras fut une formule crépusculaire.

Nous avons quitté la saison de l’horreur ou du sublime pour passer à l’ère de l’insignifiance et de la platitude. Trop de divers a tué le sublime. Là où s’exprimaient indignation et réprobation devant l’étrangeté des crimes, ne sourd qu’une angoisse diluée et intrinsèque devant leur inquiétante familiarité : le criminel aussi a cessé d'être un sujet. N’en déplaise à Dostoïevski.  Comme tout un chacun, il n'est plus qu’un écart par rapport à une norme. Les rotatives du fantasme ont cessé de tourner : C’est à ce prix que la société de l'information subsiste.

mercredi, 27 avril 2011

De l'enquête, du témoignage, de la fiction véritable

J’évoquais dans un billet récent le fait que les faits divers, si sanglants, si sordides, si spectaculaires fussent-ils,  ne donnaient plus lieu à de grandes passions populaires et éveillaient de moins en moins la fibre des romanciers, noyés, submergés que nous étions sous de plus amples catastrophes (séismes, éruptions de volcans, tsunamis…) de mois en mois et d’années en années. Pas de quoi réveiller un Simenon, affirmais-je péremptoirement à propos  d’une affaire récente. Le drame nantais qui défraye non plus la chronique, mais les pages Google, me donne aujourd’hui tort.

J’aurais d’ailleurs dû me rappeler que l’un des billets de ce blog les plus régulièrement lu depuis mai 2009- au point qu’il figure de mois en mois et jusqu’à ce jour dans le tiercé gagnant des pages visitées -,  est précisément un « nouvelle » écrite à partir d’un fait divers atroce commis à Lyon Vaise et titré La tête dans le miroir.

A première vue, ce qui attira une majorité de gens vers l’assassinat d’Agnès Dupont de Ligonnès et de ses quatre enfants, fut tout d’abord cette photo qu’on vit partout ;  les visages souriants, sympathiques, on ne peut plus normaux  a priori, d’un père et une mère de famille entourés de leurs quatre enfants : cette affaire nous plonge dans ce qui, en surface, parait donc tout sauf dramatique. Ce genre de portraits qu’on découvre sur les commodes et les tables de nuit, que Maigret considère un instant tout en tirant sur sa pipe, puis repose dans un soupir en se disant qu’il aura du pain sur les planche. Des gens ordinaires. De quoi activer les turbines du fantasme.

Il y a peut-être aussi ce nom, qui, au patronyme le plus banal (Dupont) associe un parfum non seulement aristocratique, mais aussi terriblement vieille France et franchement  romanesque (De Ligonnès). Si l’on en croit le témoignage d’une grande tante du père en fuite : «Nous sommes une vieille famille aristocratique pratiquante, tout d'abord installée en Ardèche puis en Lozère. Sophie de Lamartine, la sœur du poète, a notamment épousé un Ligonnès et un Ligonnès est devenu évêque de Rodez. Le vrai patronyme de notre famille qui est en fait Du Pont de Mars de Ligonnès a été changé à la suite d'une erreur dans l'état civil que personne n'a cherché à rectifier. Avec la disparition des trois garçons d'Agnès, ce nom va s'éteindre. » 

Le public est donc partagé entre deux impressions à la fois, comme l’a souligné une enseignante dans le cortège de la marche blanche ; celle « que ça peut arriver à tout le monde », mais le sentiment que si ça arrive à ces gens précisément, il doit y avoir une raison cachée.

Alors on la cherche.

On la recherche d’autant plus que tout l’arsenal des affaires les plus romanesques se retrouvent rassemblé en celle-ci : les leçons de tir, la rumeur d’un agent secret, les découvertes macabres sous la terrasse, les sacs de chaux, une double vie avec une maîtresse à Asnières, les comptes opaques, les dettes multiples, les héritages dilapidés, et surtout la cavale du meurtrier présumé vers le Sud, cavale classique et d’autant plus frappante qu’elle entraîne les enquêteurs  d’une suite prestige à 220 euros dans une auberge du Pontet  dans le Vaucluse à une chambre de formule1 à Roquebrune sur Argens, et finalement un parking et une voiture abandonnée, et puis plus rien, rien  malgré tous les efforts d’Interpol…

Le romanesque serait-il de retour ?

Entrent alors en scène les « internautes ». Qui sont-ils ?

Des gens comme vous et moi qui soudain s’improvisent détectives, essaiment la toile, ouvrent des pages Facebook, exhument des commentaires sur des forums. Des investigateurs anonymes à la façon XXIème siècle, qui n’écriront jamais aucun roman, et pour qui Xavier Dupont de Ligonnès ne deviendra jamais un personnage, mais restera, si monstrueuse soit-elle, une personne.

Et c’est alors qu’on apprend que ce Xavier Dupont de Ligonnès, sous divers pseudos (Chevy, Ligo) fréquentait il y a peu encore un site catholique, sur lequel il déclarait avoir perdu la foi. On survole alors quelques commentaires : Etrange impression, quand on  découvre, sous la plume de cet « homme le plus recherché de France » (disent les journaux), des dissertations sur la nature des anges, l’âme des animaux, la conscience du temps, la date véritable de la création du monde, et la transformation inexplicable de Lucifer en Satan. Voilà qu’on glisse tout à coup d’un climat à la Simenon, provincial et français, vers une ambiance à la Dostoïevski, à  la tonalité plus sombre, plus inquiétante, presque métaphysique comme dans les pages du « Grand Inquisiteur » des Frères Karamazov. Le fait-divers et ses journalistes semblent loin.

Le romancier parviendra-t-il à entrer en scène ?

Trait d’époque, il faudrait que les choses aillent moins vite, et que la partition s’écrive à moins de mains. Un grand quotidien, qui a retrouvé un ami d’enfance de l’assassin en cavale titre déjà : « une jeunesse plus fêtarde que bigote ». Les témoignages affluent. Trop, disent les enquêteurs, qui n’arrivent plus à avancer.

Et puis il y a l’émotion.

Bien que tous ces éléments soient nimbés d’irréel, il y a ces lieux, ces visages, ces voisins, ces copains, ces fleurs, la douleur, ce réel. C’est une histoire vraie, comme on dit. Si compacte dans l’horreur soit-elle, elle appartient à des gens en propre et en privé. C’est le dernier rempart contre la fiction.

Sans doute retrouvera-t-on Xavier Dupont de Ligonnès un de ces jours, à moins qu’il ne se soit déjà donné la mort dans quelque coin du Sud. Ce qui est sûr, c'est que l'histoire aura déjà été vécue et interprétée par des milliers de gens, avant même que la fiction n'ait le temps de la raconter. Son pouvoir d'évocation romanesque aura ainsi été épuisé, dilapidé, consommé et vidé de son sens, avant même de s'écrire. D'aucuns pourront toujours, certes, se risquer à en faire des enquêtes, des témoignages, des films. Il faudra alors coller au réel. Le suivre. Mais s'en inspirer pour un roman...

Cette extinction est peut-être ce que cette affaire dit de plus tragique sur le peu de part que notre époque et ses realities shows spectaculairescontrairement à d'autres, prend la précaution de laisser de soi à l'imaginaire littéraire. 

10:50 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, fait-divers, dupont de ligonnes | | |

mardi, 19 avril 2011

Un monde simple ?

Est-il si vain de croire, contre toute évidence - que nous vivons dans un monde simple ? Cela permet pourtant de passer au-delà de bien des signes. Un monde simple, c'est-à-dire un monde dans lequel les choses iraient de soi, couleraient de source, suivraient leur pente sans perdre leur fil, un monde tel qu’il fut nous interdit, dès l’enfance, d’y séjourner pour de bon.

L’actualité permanente, comme disent les chaînes de télé, contredit ce genre de vœu pieux formulé en nous par de lointaines comptines. Même si le diable, celui qui divise, est bien là, règne en maître, faisons cependant en sorte qu’elles gardent, ces ritournelles, la vie solide.

Il appartient en effet à chacun d’entre nous, s’il juge le festin sur terre encore digne d’attention, de tirer la chaise sous ses fesses, d’y emplir son verre et de s’y attabler à nouveau, entouré de si étranges et si nouveaux convives.

Et de comprendre une fois de plus que ce qui sépare ne brouille pas les hommes du ban entre eux, mais bien plutôt les éclats de leurs rues et de leurs mots en chacun d’entre eux, lieux-dits par lesquels les jours confus ont filé jusqu’à les conduire ici. 

littérature,poésie


08:36 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, poésie | | |

samedi, 16 avril 2011

Dialogue avec Jean Rouaud

Grâce à Michèle PAMBRUN qui m'a communiqué le lien, une bonne heure d'entretien avec Jean Rouaud, à propos de son livre Comment gagner sa vie honnêtement, mais aussi de nombreux souvenirs et impressions : on y parle de Chateaubriand, de 2 CV, de comment bloquer un compteur EDF, de Claude Simon, d'auto-stop, de l'intertextualité, de la langue française, de petits boulots, de contrôleurs SNCF, de Bécassine, des Cévennes, du travail à la chaîne, du Capital, de la mort de la France, bref, de la vie poétique, passée, présente et  à venir. 



08:49 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : jean rouaud, littérature, france, société | | |