Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 08 janvier 2011

Verlaine et la beauté du quelconque

verlaine_p.jpg

 

C’est aujourd’hui l’anniversaire de la mort de Verlaine qui, le 8 janvier 1896 à dix-neuf heures, mourut d’une congestion pulmonaire au 16 rue Saint-Victor à Paris, à l’âge de 52 ans.  Rendre l’âme le mois de Janus dut ne pas être trop incongru pour l’auteur des Poèmes Saturniens : on sait que les deux dieux s’entendaient en effet comme culs et chemises au temps de l’âge d’or.  Je vous souhaite donc de passer un samedi verlainien en diable, à goûter la double nature du monde et la fadeur du langage, dans ce « quiétisme du sentir » si propre à Janus, le dieu aux deux visages, et à Verlaine lui-même, le pauvre Lelian,  dont Jean Pierre Richard (1) écrivit un jour que la poésie trouvait sa source dans un dédoublement assumé de la perception : « Car tout comme Rimbaud, Verlaine pouvait écrire que « Je est un autre » ; mais alors que Rimbaud, une fois cet autre découvert, se livre entièrement et frénétiquement à lui, Verlaine ne peut abolir en lui la voix ancienne, et il se condamne donc à demeurer à la fois JE et Autre. Il sent sur le mode de l’anonyme, mais il se sent sentir sur le mode du particulier. Et c’est dans cet intervalle que se situe sa poésie. Elle dit l’étonnement et la couleur d’un être à demi aliéné transporté dans un paysage dont il ne peut que découvrir le sens, et dans lequel il lui est cependant interdit de tout à fait se perdre. »

Quel amoureux, en effet, sinon l’amoureux verlainien, reste à même de dire : « J’aime vos beaux yeux quelconques », transformant la platitude du cliché (« t’as d’beaux  yeux, tu sais ») en un des plus beaux compliments qui soit « tes yeux qui pour tous sont quelconques sont pour moi les plus beaux »), et sans oublier ni la Laure de Pétrarque, ni la Cassandre de Ronsard, avec l’espièglerie d’un Murger, empiète déjà le territoire à venir d’un Marcel Carné ?

 

(1)   Jean-Pierre Richard « Fadeur de Verlaine », Poésie et Profondeur, Seuil, 1955

 

Lire aussi  : Tant de beau monde pour un poivrot.

10:34 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, poésie, verlaine, jean-pierre richard | | |

Commentaires

Bel hommage ! les dernières et rares feuilles mortes qui trainent encore leurs groles (ou guêtres) sur la Tabareau vous aimeront, les yeux dans les yeux, Solko... Je trouve aussi très beau d'ébaucher quelques correspondances entre Verlaine, Ronsard ( et les autres) jusqu'à Marcel Carné, j'avais complètement oublié que Verlaine était mort assez jeune, finalement, 52 ans, zut !...

"Tapisserie usée et surannée,
Banale comme un décor d’opéra,
Factice, hélas ! comme ma destinée ?"

(Extr. "Allégorie" in "Parallèlement", publié en 1889 (l'un des derniers grands recueils du poète à l'époque miséreux, et déjà détruit par l'alcool...)

Écrit par : frasby | samedi, 08 janvier 2011

La place Tabareau, surtout en janvier, est verlainnienne en diable. Mon salut aux rousses feuilles de par là-bas.

Écrit par : solko | dimanche, 09 janvier 2011

"tes yeux qui pour tous sont quelconques sont pour moi les plus beaux".....tss, tss, interprétation subjective du lecteur, projection...la même qui fait dire à propos d'épictète qu'il est prétentieux quand il affirme "tous les crétois sont des menteurs" alors qu'il est crétois lui-même.a priori, épictète n'ajoute pas "sauf moi"...tcomme verlaine ne dit pas "..quelconques sauf pour moi"...rien n'empêche d'apprécier le quelconque, question de choix des saveurs.

"JE et Autre" est aussi stigmatisé par jung à propos de joyce et picasso, décrits par lui comme potentiellement schizophrènes; c'est toujours un point intéressant, ça ramène à la nature du ou des "je" employé par le poète, ou du "tu" également^^

Écrit par : gmc | samedi, 08 janvier 2011

Mais "beaux" et "quelconques" placés en vis à vis l'un de l'autre, ce n'est pas une projection de lecteur, non de non.

Écrit par : solko | dimanche, 09 janvier 2011

En suivant le lien, j'ai pu retrouver les propos hallucinés de Léon Bloy et la très belle chanson de Brassens. Etonnant ce dernier poème sur la mort, appelée pour se guérir du mal vivre.

Écrit par : Zoë Lucider | samedi, 08 janvier 2011

Les propos de Bloy sont toujours hallucinés. Cela dit, Zola est loin d'être le saint homme que prétend l'institution

Écrit par : solko | dimanche, 09 janvier 2011

Brassens lui aussi est mort jeune. Comme le dit Desproges, j'ai braillé à l'annonce de sa mort.

Écrit par : Zoë Lucider | samedi, 08 janvier 2011

Pouvez-vous, s'il vous plaît Solko, citer partie du poème qui inclut ce vers "J'aime vos beaux yeux quelconques". J'ai recherché, n'ai pas trouvé. Merci.

Écrit par : Michèle | dimanche, 09 janvier 2011

@ Michèle :
Je citais de mémoire ce rapprochement antithétiques de "beaux" et "quelconques". Il s'agit du sixième poème de Parallèlement, un blason dédié "A Madame..." et dont les premiers vers sont :
"Vos narines qui vont en l'air
Non loin de deux beaux yeux quelconques
Sont mignonnes comme ces conques
Du bord de mer des bains de mer"

Écrit par : solko | dimanche, 09 janvier 2011

Merci infiniment. Je découvre Verlaine, dont je n'avais qu'une connaissance scolaire, c'est-à-dire nulle.

Écrit par : Michèle | dimanche, 09 janvier 2011

Je suis indulgent avec les schizophrènes. Je cultive, quand je conduis une légère schizophrénie. Quand mon double veut doubler, imprudemment, le schizo freine.

Verlaine n'était pas un prude amant. Sa poésie retentit si fort parce qu'il a su écrire la crudité du quotidien envellopé d'un lyrisme discret. Poe sera plus dévastateur.

Écrit par : patrick verroust | dimanche, 09 janvier 2011

A quoi reconnaît-on un schizophrène ?
Il a l'épaule vers l'aine.

(pardon, c'est le soir...)

Écrit par : solko | dimanche, 09 janvier 2011

pas réussi à corriger "enveloppé".Désolé!

Écrit par : patrick verroust | dimanche, 09 janvier 2011

On ne disait pas "il a le rein beau vers l'aine" ?
(hum, mes excuses du matin...)

Écrit par : Sophie K. | lundi, 10 janvier 2011

joli

Écrit par : patrick verroust | lundi, 10 janvier 2011

Après tous ces calembours, j'ose quand même vous dire merci :) de citer Jean-Pierre Richard, dont j'aime beaucoup le travail.
J'ai de lui
# Pêle-mêle, Verdier, 2010
# Roland Barthes, dernier paysage, Verdier, 2006
# Quatre lectures, Fayard, 2002
# Terrains de lecture, Gallimard, 1996
et je découvre en fait tout ce qu'il a écrit, dont je ne m'étais jamais soucié. Je ne connaissais même pas sa date de naissance (1922).
J'ai vu que "Poésie et profondeur" existait chez des bouquinistes. Si j'ai l'occasion :)

Écrit par : Michèle | lundi, 10 janvier 2011

Si si Michèle vous devriez ouvrir un blogue

Bonne soirée

Écrit par : valentine | lundi, 10 janvier 2011

Les commentaires sont fermés.