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mardi, 23 septembre 2008

Hamlet's performance

Me tombe sous la main le dossier d'une compagnie théâtrale lyonnaise que je ne citerais pas. Je recopierai simplement là ce que je lis, assorti de quelques commentaires bileux entre parenthèses.

HAMLET 4 GO.  Création / Performance. Du 5 au 7 février 2009. 

Performance (Il doit, Kantor, se retourner dans sa tombe) avec comédiens, danseurs, plasticiens  (pas de noms propres cités; on est humble)

D'après Williiam SHAKESPEARE  (on apprécie le d'après, très couru ces temps-ci depuis l'Inferno de Romeo Castellucci d'après le malheureux Dante. Après Dante, donc, Shakespeare tombe en enfer. Dans cette novlangue outrecuidante, d'après signifie en réalité sans - C'est Hamlet sans Shakespeare : c'est pour ça que, plus haut, on parle - de façon un peu péremptoire, certes, de création ) Ceux qui veulent des explications peuvent les trouver là. Je continue :

"Dans ce système, Hamlet sera omniprésent et totalement absent. (La loi des contraires, si chère à René Char et aux présocratiques, servie à la sauce BTS en communication marketting) Nous tâtonnerons individuellement et collectivement. (traduction : nous sommes tous des artistes. Vous aussi, public... Sauf que, NDLR, seuls ceux qui sont sur scène - et qui sont de moins en moins artistes-  sont payés..) Nous jouerons de l'objet téléguidé, nous serons des dominants dominés, nous appuierons sur des boutons. (Cela doit faire référence à quelque scénographie incluant de la technologie : waaaouuuuh : quelle audace ! - pour traduire la dialectique du regardant/regardé, joueur/joué, arroseur/arrosé...)  Nous inventerons, malgré nous, d'autres logiques, nous provoquerons des collisions (appréciez ici l'emploi des indéfinis - autres notamment, qui me rappelle le fameux "faire de la politique autrement" = on fera donc du théâtre autrement. C'est à dire qu'on n'en fera pas. Ou qu'on fera autre chose ). Nous serons les maîtres du monde, nous déciderons du chaos total ou du silence absolu. ( Tudieu !) Nous serons têtus et peut-être pervers. ( Autosatisfaction, quand tu nous tiens, tu ne nous lâches plus...) Nous ne comprendrons rien. ( Ah ça !) Nous/Vous. "

Pour donner à ce discours une touche intello, une citation d'Anne Giffon-Selle rajoute la petite couche, celle qui manquait au ridicule institutionnel, celle du Trissotin savant, qui achève de rendre le ton de cette brochure jaune et non paginée ( pour qu'on ne s'y retrouve pas ?) conforme et terriblement subventionné : "Derrière  la mécanique formelle instaurée par la règle, se joue pour chacun une dialectique entre liberté d'action ou de choix et étroite interdépendance (...) De l'aveu de tous, cette interdépendance entre un individu et un groupe, cette prise d'otage réciproque, génèrent une intimité entre les deux parties, non exempte d'une violence sous-jacente". ( Prise d'otages... Hmmm. Le trait d'époque est creux, maladroit, démago, pour ne dire qu'un mot. )

Ce pauvre Hamlet, (" La dernière figure de l'intellectuel en Occident", disait Yves Bonnefoy dans son cours au Collège de France ) ce pauvre Hamlet, si j'ose dire, resucé a cependant son prix : 12 euros tarif plein, 6 euros tarif réduit. Le jeudi, précise-t-on, c'est gratuit.

On viendra le jeudi, promis.

Avec tomates et oeufs pourris.

Pour foutre le boxon.

 

15:33 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : théâtre, shakespeare, hamlet, société, performance, lyon | | |

lundi, 28 juillet 2008

La parade de l'enfance morte

 « Je dois dire ce mot : instruire. S'instruire. Je n'ai pas honte de ce mot. J'ai étudié depuis le début, dès que j'ai décidé de devenir peintre.. Ma création était toujours découverte de faits que je ne connaissais pas. C'était, en quelque sorte, des études. C'était un voyage, découvrant de nouvelles terres; le but s'éloignait toujours, je laissais derrière moi des pays conquis... Les Artistes doivent étudier, découvrir, reconnaitre et laisser derrière eux des régions conquises. »

(Tadeusz Kantor- Leçons de Milan, Actes sud papiers, 1990) 

C'est encore Tadeusz Kantor, lui-même, qui définit le mieux son théâtre : 

« Œuvre qui n'exhale rien, n'exprime rien, n'agit pas ne communique rien, n'est pas un témoignage ni une reproduction, ne se réfère pas, à la réalité, au spectateur, ni à l'auteur qui est imperméable à la pénétration extérieure, qui oppose son opacité à tout essai d'interprétation, tournée vers NULLE PART, vers INCONNU n'étant que le VIDE, un «TROU» dans la réalité, sans destination, et sans lieu, qui est comme la vie passagère, fugitive, évanescente, impossible à fixer et à retenir, qui quitte le terrain sacré qu'on lui a réservé, sans rechercher des arguments en faveur de son utilité.
Qui EST, tout simplement, qui par le seul fait de son AUTO-EXlSTENCE MET TOUTE RÉALITÉ ENVIRONNANTE DANS UNE SITUATION IRRÉELLE ! (on dirait «artistique»). Quelle fascination extraordinaire dans cette inattendue RÉVERSIBILITÉ ! »

 

Kantor est né en 1915 à Wielopole, bourgade polonaise,  d'un père juif converti au catholicisme. Le nom de Kantor est indissociable de celui de  sa troupe de Cracovie Cricot 2, refondée en 1955. Cette troupe et les comédiens qui la composent,  sera sa chair, son cri, son argile, ses monstres. En France la découverte de la Classe morte en 1977, inspirée de Bruno Schulz et de Witkiewicz, sera un choc fondateur. Cette cohabitation entre les poupées de cire et les humains vêtus de noir abolit notre orgueil de vivants. Chacun porte sur son dos l'enfant qu'il fut, et qu'il a laissé mourir. Ces êtres, chacun pris dans son obsession (berceau, vélo, pion amorphe, soldat coucou dérisoire,...), pointent le doigt en l'air vers un ciel vide et terrifiant. Un traité des mannequins que d'autres appellent par exagération des hommes se tisse de pièce en pièce : La pieuvre (1956), Cirque (1960), Le petit Manoir (1961), Le fou et la nonne (1963), la poule d'eau, Les mignons et les guenons (1973), La classe morte (1975), Où sont les neiges d'antan (1979), Wielopole-Wielopole (1980), Qu'ils crèvent, les artistes (1985), Je ne reviendrai jamais (1988), Ô douce nuit (1990). Beaucoup sont des mises en scène du grand Witkiewicz.

Kantor a réussi à incorporer dans la totalité de son œuvre, que ce soit  la peinture, le dessin ou le théâtre, l'histoire du combat qu'il avait mené au nom de son âme d'artiste et aussi pour gagner le ravissement des spectateurs. L'art du XXème siècle était déchiré entre deux pôles : l'utopie de la forme pure prônée par le constructivisme, une vision rationnelle bien ordonnée, et la tradition littéraire du symbolisme, nostalgie d'un art rempli de significations et d'émotions. L'un des plus grands acquis de Kantor consiste à relier ces deux tendances et à soumettre les symboles et l'émotion à la discipline rigoureuse de la forme. « Je voudrais qu'ils regardent et qu'ils pleurent »  - répétait-il - et il parvenait à hypnotiser, d'une manière mystérieuse, les spectateurs. Pendant ses spectacles des gens pleuraient sous toutes les latitudes : au Japon, en Argentine, à Paris. Sans d'ailleurs connaître notre tradition ou notre langue ; sans avoir connu la biographie ou les commentaires de l'auteur, ils se sont livrés à l'émotion jusqu'aux larmes. Ainsi, le petit village perdu quelque part en Galicie - lieu reconstruit avec des bribes de la mémoire et avec des photographies déteintes - est devenu le centre du monde, le portrait troublant du siècle passé : avec sa cruauté et son héroïsme, avec la tragédie de l'Holocauste, avec le drame de l'asservissement. Le siècle de la guerre et de la mort, celui des utopies audacieuses et des révolutions artistiques : tout cela a trouvé une expression exceptionnelle dans l'œuvre de Kantor ; son art est en fait un témoignage personnel et en même temps universel. Et ce n'est qu'aux plus grands artistes que revient ce privilège.  (Krystyna Czerni)

Kantor est mort le samedi 8 décembre 1990 à Cracovie, en préparant les répétitions de  Aujourd'hui c'est mon anniversaire. La troupe joue quand même. Une chaise vide, une écharpe, le chapeau, Marie encore plus blanche que d'habitude, les jumeaux les yeux rougis. Kantor est là, il regarde. L'économie de la mort est florissante. Dans son testament méticuleux il fait de chaque spectateur-lecteur son légataire universel : « Si la maison s'effondre, les archives doivent rester».


 

Kantor : un extrait de La Classe Morte, l'entrée en scène de la parade de l'enfance. On ne se lasse pas de la regarder, tant la musique est envoutante, la scénographie obsédante, sous l'unique lampe à suspension.... A son pupitre, le maître d'école et metteur en scène, à deux pas toujours de ses comédiens, comme une matière qu'on ne peut lâcher trop longtemps. Kantor, le visage attentif et lointain, tel celui de James Joyce, l'œil d'aigle, comme taillé dans l'airain. Voilà une belle figure de l'exigence, de la recherche, de la lenteur, de  l'Idéal également, aussi saugrenu que celui puisse paraître de prime abord. KANTOR. Voici ce que, dans les Leçons de Milan (1986) il  dit, peu de temps avant de mourir, d'abord de la consommation, puis de la communication :

« LA CONSOMMATION OMNIPOTENTE

Tout est devenu marchandise, La marchandise est devenue dieu sanguinaire. D'effrayantes quantités de nourriture qui nourriraient le monde entier; et la moitié de l'humanité meurt de faim; des montagnes de livres que nous n'arriverons jamais à lire; les hommes dévorent les hommes, leurs pensées, leurs droits, leurs coutumes, leur solitude et leur personnalité. Des marchés d'esclaves organisés à une formidable échelle. On vend des gens, on achète, on marchande, on corrompt. Création : ce mot cesse d'être un argument sans appel.

Et voici un autre visage de la FUREUR de notre fin de siècle : LA COMMUNICATION OMNIPOTENTE.

On manque de place pour les originaux qui marchent à pied (il paraît qu'un tel moyen de locomotion aide à penser). Des vagues et des fleuves de voiture se déversent dans les appartements. On manque d'air, d'eau, de forêts et de plantes. La quantité d'êtres vivants croît de façon effarante : des hommes ....  Continuons : La COMMUNICATION qui s'accorde parfaitement avec les chemins de fer, les tramways, les autobus, a été jugée comme le concept le plus adéquat et le plus salutaire pour l'esprit humain et pour l'Art. Communication omnipotente ! son premier mot d'ordre : la  VITESSE, s'est rapidement transformé en un cri de guerre sauvage de peuplades primitives. La devise est devenue ORDRE. Le monde entier, toute l'humanité, toute la pensée de l'homme, tout l'ART doivent exécuter docilement.

Tout devient obligatoirement uniformisé, égalisé et... SANS SIGNIFICATION. »

 

Pour suivre, sur Kantor :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/04/26/kantor-et-mallarme.html

 

12:37 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : théâtre, kantor, la classe morte, littérature, cricot2 | | |

jeudi, 17 juillet 2008

Le neveu de Rameau

Une bonne nouvelle : il y a un spectacle digne d'intérêt à Avignon. Le metteur en scène, Ivo van Hove, est néerlandais et Pascal Adam est un peu sévère avec la "création" française, encore que.... A Lyon, il faut se contenter des pauvretés du pseudo-festival  "Tout l'monde dehors". Je me souviens d'une élue se réjouissant sous les ors des salons de l'Hotel de Ville du fait que cette manifestation, ma foi tristement lyonnaise, avait selon elle atteint la notoriété du Off d'Avignon ! J'osais penser qu'elle plaisantait, mais bon....  A Lyon, tout est possible.

Moimages.jpgn dernier rêve théâtral, c'eut été de monter Le neveu de Rameau avec Mickaël Youn et Bernard Kouchner. Vous ne trouvez pas que, plus jeune, avec une petite perruque, ce dernier aurait eu un bon petit air de Diderot ? Quant à Mickael Youn, depuis que je l'ai vu imiter le fox terrier en rut contre les mollets du figé Fogiel, le tout en direct, j'étais convaincu qu'il aurait fait un LUI prodigieux, plutôt que ses pitreries pas toujours de bon goût. Ah, le dialogue sur la vanité dans le Neveu ! Et la pantomime des gueux ! Terriblement contemporain, tout cela.... Mais bon. Vanité oblige, Bernard a trouvé qu'il avait mieux à faire en devenant Le neveu de Sarko. La pantomime des gueux, il la danse donc au premier degré, sur la scène du vrai monde ; la vraie scène a perdu quelque chose, mais la diplomatie se réjouit. Kouchner s'étant poudré la figure, du coup, Youn s'est désisté. Voilà comme capote un projet qui aurait emballé la France entière pendant une bonne saison. On aurait joué ça à Gerland, par exemple, pour faire la nique à Hossein et à son Stade de France.

A propos de Gerland, il parait qu'on vient de retaper toute la pelouse. La dernière fois, c'était en janvier 2007 et ça avait coûté 140 000 euros Cette fois-ci, il y en a pour 730 000 euros, mais la rénovation sera, jure-t-on du côté de l'OL plus durable car on a placé deux couches de gravier pour un meilleur drainage des eaux de pluie. A ce tarif ça fait cher le morceau de gravier et le brin d'herbe, trouvez-pas, les contribuables ? Claude Puel aura intérêt à faire mieux qu'Alain Perrin, et les Benzema et consorts intérêt de marquer un peu plus de buts qu'à l'Euro. Je me demande ce que le Neveu de Rameau aurait pensé de tout ça, lui. Rien sans doute ! Que ceux qui ramassent de l'argent à regonfle avec la misère des pauvres gens ont raison de sucer le micro ou de taper dans le ballon, tant que ça rapporte ! L'époque veut donc qu'on soit philosophe...  Qu'il fasse beau, qu'il fasse laid, c'est mon habitude...  Allez, si pour mon adaptation du Neveu, on rechigne à me donner la pelouse de Gerland, je serai pas chien, je me contenterai des pavés de la Cour du palais des Papes...

21:15 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : théâtre, avignon, gerland, littérature, lyon, humour | | |

mardi, 15 juillet 2008

Vie de troupe

Dans le tome XX de La Revue du lyonnais (1844) je trouve une analyse de trois registres de Molière, qui décrivent « les détails sur l’administration théâtrale et la mise en scène à l’époque », « les règlements et les recettes d’alors ». La troupe de Molière ne jouait que trois fois par semaine, les mardi, vendredi et dimanche. Dans le premier registre de la Comédie Française qui renferme le détail de 99 représentations (16 avril 1663 - 6 janvier 1664), on voit 8 fois Molière composer le spectacle entier avec une de ses pièces, avec deux 55 fois. 30 fois ses œuvres, peu nombreuses encore, fournissent une des deux pièces représentées. 6 fois seulement, la scène est laissée à d’autres auteurs. C’est donc pour Molière un total de 63 soirées complètes, et de 30 soirées en partage. Tandis que tous les autres auteurs comptent un total de 6 représentations pleines et 30 demi-représentations. Ces auteurs sont Corneille (Cinna, Sertorius et le Menteur – 17 fois) ; Tristan (Marianne, 9 fois), Rotrou (Venceslas, 5 fois) et Scarron (Don Japhet, L’héritier ridicule, 5 fois).

Dans le deuxième registre, contenant le détail de 87 représentations du 12 janvier 1664 au 4 janvier 1665, Molière remplit seul 62 soirées sur 87 (8 avec une seule de ses pièces, 54 avec deux). Il partagea 15 fois les honneurs de la représentation avec un autre et laissa sa place seulement 10 fois. Sur ces 25 représentations, Racine en compta 14 pour sa Thébaïde, Corneille et Scarron 3 chacun. L’auteur anonyme de la Bradamante ridicule eut les 5 autres soirées. Du 29 avril 1672 au 26 février 1673, (troisième registre consulté, beaucoup plus tardif), Molière ne fournit rien 4 fois seulement. Et sur les 118 représentations, il occupe la scène à lui tout seul 112 fois. Par rapport aux frais quotidiens, on constate que les recettes étaient plus conséquentes qu’aujourd’hui : Voici le détail des recettes des 32 représentations de L’Ecole des Femmes et de la Critique de l’été 1663, en livres et en sols

 

 

Vendredi 1er juin 1357 Dimanche 8 juillet 702
Dimanche 3 juin 1131 Mardi 10 532
Mardi  5 1352,10 Vendredi  13 570,10
Vendredi   8 1426,10 Dimanche  15 711
Dimanche 10 1600 Mardi  17 482
Mardi   12 1356,10 Vendredi  20 567
Vendredi  15 1731 Dimanche 22 780
Dimanche 17 1265 Mardi  24 422
Mardi 19 842,10 Vendredi  27 790
Vendredi  22 1025,10 Dimanche  29 723
Dimanche 24 937 Mardi   31 737
Mardi 26 800 Vendredi  3  août 631,03
Vendredi  29 1300 Dimanche  5 462
Dimanche  1er juillet 1309 Mardi    7 400
Mardi 3 930 Vendredi  10 682
Vendredi 6 830 Dimanche 12  392

 

Les frais ordinaires pour une représentation s’élèvent à 55 livres. Les frais extraordinaires varient davantage, de 4 à 379 livres (pour la première du Malade Imaginaire, et ce en raison du grand nombre de figurants). Se rajoutent à cela certains frais supplémentaires : « Les soldats » (gardes de service) reviennent à 9 livres chaque soir. Certains acteurs, non sociétaires, sont mentionnés dans cette rubrique, comme mademoiselle Marotte Beaupré  (3 livres chaque soir). L’éclairage à la chandelle revient à 6 livres : il fallait payer aussi les allées et venues des moucheurs. La « tare de l’or léger », estimée à peu près 13 livres, est un déchet qui se reproduisait à chaque représentation sur le montant des recettes : la monnaie d’or étant celle utilisée à l’époque, la rognure des pièces donnaient lieu à des dépréciations assez marquées, dont les théâtres étaient les principales victimes. Sur certains registres se trouve faite mention de charité (souvent adressée aux Cordeliers) et parfois même de messe. Les frais d’imprimeurs, sans doute compris dans les frais ordinaires, apparaissent parfois lorsqu’il y a un événement exceptionnel dans les frais supplémentaires : c’est alors deux affiches qui sont mentionnées en plus, pour un frais de 8 livres  (tout laisse à penser qu’on n’affichait habituellement qu’à la porte du théâtre). Les costumes des acteurs étaient renouvelés au fur et à mesure qu’ils s’usaient (ces derniers n’étaient pas liés à leur personnage, les costumes de théâtre, au sens moderne, n’existant pas encore).

Les frais d’un costume entier varient de 10 à 40 livres ; d’autres frais occasionnels, mentionnant des « maîtres de chant » ou des « maîtres à danser », occupés généralement pendant deux mois entiers, s’étendent entre 22 et 46 livres : Les parts de chacun se touchaient chaque soir. Une part s’élève environ à 3,5 livres. Deux en revenaient à l’auteur de la pièce. Molière, comme directeur et sociétaire, en touchait encore trois autres. Le prix des places allait de la somme de 15 sous (parterre) à celle de 5 livres (billet de loge). Les registres portent également trace des dons et des remboursements des frais de visites ou de séjours (sorte de répétitions générales accordées, en privé, à des Grands). Ces dons sont importants et s’élèvent souvent à plusieurs centaines, voire milliers de livres. Le 26 octobre 1663, on trouve : « Nous avons séjourné à Versailles depuis le 16 octobre jusqu’au 26 dudit mois, où nous avons reçu du Roi 3300 livres à partager, chacun 231 livres.» Le 26 février 1673, pour clore le dernier registre, on peut lire : « On n’a point joué dimanche 19 et mardi 21 à cause de la mort de M de Molière, le 17ème à dix heures du soir».

14:59 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, littérature, molière, revue du lyonnais | | |

mercredi, 09 juillet 2008

Tadeusz Kantor

« Je dois dire ce mot : instruire. S'instruire. Je n'ai pas honte de ce mot. J'ai étudié depuis le début, dès que j'ai décidé de devenir peintre.. Ma création était toujours découverte de faits que je ne connaissais pas. C'était, en quelque sorte, des études. C'était un voyage, découvrant de nouvelles terres; le but s'éloignait toujours, je laissais derrière moi des pays conquis... Les Artistes doivent étudier, découvrir, reconnaitre et laisser derrière eux des régions conquises. »

(Tadeusz Kantor- Leçons de Milan, Actes sud papiers, 1990) 

C'est encore Tadeusz Kantor, lui-même, qui définit le mieux son théâtre : 

« Œuvre qui n'exhale rien, n'exprime rien, n'agit pas ne communique rien, n'est pas un témoignage ni une reproduction, ne se réfère pas, à la réalité, au spectateur, ni à l'auteur qui est imperméable à la pénétration extérieure, qui oppose son opacité à tout essai d'interprétation, tournée vers NULLE PART, vers INCONNU n'étant que le VIDE, un «TROU» dans la réalité, sans destination, et sans lieu, qui est comme la vie passagère, fugitive, évanescente, impossible à fixer et à retenir, qui quitte le terrain sacré qu'on lui a réservé, sans rechercher des arguments en faveur de son utilité.
Qui EST, tout simplement, qui par le seul fait de son AUTO-EXlSTENCE MET TOUTE RÉALITÉ ENVIRONNANTE DANS UNE SITUATION IRRÉELLE ! (on dirait «artistique»). Quelle fascination extraordinaire dans cette inattendue RÉVERSIBILITÉ ! »

 

Kantor est né en 1915 à Wielopole, bourgade polonaise,  d'un père juif converti au catholicisme. Le nom de Kantor est indissociable de celui de  sa troupe de Cracovie Cricot 2, refondée en 1955. Cette troupe et les comédiens qui la composent,  sera sa chair, son cri, son argile, ses monstres. En France la découverte de la Classe morte en 1977, inspirée de Bruno Schulz et de Witkiewicz, sera un choc fondateur. Cette cohabitation entre les poupées de cire et les humains vêtus de noir abolit notre orgueil de vivants. Chacun porte sur son dos l'enfant qu'il fut, et qu'il a laissé mourir. Ces êtres, chacun pris dans son obsession (berceau, vélo, pion amorphe, soldat coucou dérisoire,...), pointent le doigt en l'air vers un ciel vide et terrifiant. Un traité des mannequins que d'autres appellent par exagération des hommes se tisse de pièce en pièce : La pieuvre (1956), Cirque (1960), Le petit Manoir (1961), Le fou et la nonne (1963), la poule d'eau, Les mignons et les guenons (1973), La classe morte (1975), Où sont les neiges d'antan (1979), Wielopole-Wielopole (1980), Qu'ils crèvent, les artistes (1985), Je ne reviendrai jamais (1988), Ô douce nuit (1990). Beaucoup sont des mises en scène du grand Witkiewicz.

Kantor a réussi à incorporer dans la totalité de son œuvre, que ce soit  la peinture, le dessin ou le théâtre, l'histoire du combat qu'il avait mené au nom de son âme d'artiste et aussi pour gagner le ravissement des spectateurs. L'art du XXème siècle était déchiré entre deux pôles : l'utopie de la forme pure prônée par le constructivisme, une vision rationnelle bien ordonnée, et la tradition littéraire du symbolisme, nostalgie d'un art rempli de significations et d'émotions. L'un des plus grands acquis de Kantor consiste à relier ces deux tendances et à soumettre les symboles et l'émotion à la discipline rigoureuse de la forme. « Je voudrais qu'ils regardent et qu'ils pleurent »  - répétait-il - et il parvenait à hypnotiser, d'une manière mystérieuse, les spectateurs. Pendant ses spectacles des gens pleuraient sous toutes les latitudes : au Japon, en Argentine, à Paris. Sans d'ailleurs connaître notre tradition ou notre langue ; sans avoir connu la biographie ou les commentaires de l'auteur, ils se sont livrés à l'émotion jusqu'aux larmes. Ainsi, le petit village perdu quelque part en Galicie - lieu reconstruit avec des bribes de la mémoire et avec des photographies déteintes - est devenu le centre du monde, le portrait troublant du siècle passé : avec sa cruauté et son héroïsme, avec la tragédie de l'Holocauste, avec le drame de l'asservissement. Le siècle de la guerre et de la mort, celui des utopies audacieuses et des révolutions artistiques : tout cela a trouvé une expression exceptionnelle dans l'œuvre de Kantor ; son art est en fait un témoignage personnel et en même temps universel. Et ce n'est qu'aux plus grands artistes que revient ce privilège.  (Krystyna Czerni)

Kantor est mort le samedi 8 décembre 1990 à Cracovie, en préparant les répétitions de  Aujourd'hui c'est mon anniversaire. La troupe joue quand même. Une chaise vide, une écharpe, le chapeau, Marie encore plus blanche que d'habitude, les jumeaux les yeux rougis. Kantor est là, il regarde. L'économie de la mort est florissante. Dans son testament méticuleux il fait de chaque spectateur-lecteur son légataire universel : « Si la maison s'effondre, les archives doivent rester».


 

Kantor : un extrait de La Classe Morte, l'entrée en scène de la parade de l'enfance. On ne se lasse pas de la regarder, tant la musique est envoutante, la scénographie obsédante, sous l'unique lampe à suspension.... A son pupitre, le maître d'école et metteur en scène, à deux pas toujours de ses comédiens, comme une matière qu'on ne peut lâcher trop longtemps. Kantor, le visage attentif et lointain, tel celui de James Joyce, l'œil d'aigle, comme taillé dans l'airain. Voilà une belle figure de l'exigence, de la recherche, de la lenteur, de  l'Idéal également, aussi saugrenu que celui puisse paraître de prime abord. KANTOR. Voici ce que, dans les Leçons de Milan (1986) il  dit, peu de temps avant de mourir, d'abord de la consommation, puis de la communication :

« LA CONSOMMATION OMNIPOTENTE

Tout est devenu marchandise, La marchandise est devenue dieu sanguinaire. D'effrayantes quantités de nourriture qui nourriraient le monde entier; et la moitié de l'humanité meurt de faim; des montagnes de livres que nous n'arriverons jamais à lire; les hommes dévorent les hommes, leurs pensées, leurs droits, leurs coutumes, leur solitude et leur personnalité. Des marchés d'esclaves organisés à une formidable échelle. On vend des gens, on achète, on marchande, on corrompt. Création : ce mot cesse d'être un argument sans appel.

Et voici un autre visage de la FUREUR de notre fin de siècle : LA COMMUNICATION OMNIPOTENTE.

On manque de place pour les originaux qui marchent à pied (il paraît qu'un tel moyen de locomotion aide à penser). Des vagues et des fleuves de voiture se déversent dans les appartements. On manque d'air, d'eau, de forêts et de plantes. La quantité d'êtres vivants croît de façon effarante : des hommes ....  Continuons : La COMMUNICATION qui s'accorde parfaitement avec les chemins de fer, les tramways, les autobus, a été jugée comme le concept le plus adéquat et le plus salutaire pour l'esprit humain et pour l'Art. Communication omnipotente ! son premier mot d'ordre : la  VITESSE, s'est rapidement transformé en un cri de guerre sauvage de peuplades primitives. La devise est devenue ORDRE. Le monde entier, toute l'humanité, toute la pensée de l'homme, tout l'ART doivent exécuter docilement.

Tout devient obligatoirement uniformisé, égalisé et... SANS SIGNIFICATION. »

 

Pour suivre, sur Kantor :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/04/26/kantor-et-mallarme.html

 

 

 

08:10 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, kantor, art, écriture | | |

jeudi, 12 juin 2008

Le cinéma-Grévin

Après Piaf, Sagan. J’ignore ce que ces deux femmes ont fait au Ciel pour mériter tel traitement. Après Marion Cotillard, Sylvie Testud et toute une production s’acharnent donc en parfaits charognards sur l’image de la pauvre Sagan, avec la bénédiction d’un pseudo-monde littéraire à l’agonie. Ce qui a marché pour Edith La-Vie-En-Rose (un césar, un oscar…) se dit-on, pourrait marcher pour Sylvie Bonjour-Tristesse : mais d’où sort-il, d'où nous vient -il, ce mauvais cinéma, cet anti-cinéma,  ce cinéma dégueulasse dont l’ambition se borne à des effets de couper-coller hyper-naïfs, symptomatique d’une époque ivre de bling-bling et de pête-au-cul ? L’ « être-comme », le « ressembler » comme base de l’interprétation. Aïe ! aïe ! aïe !… C'est-à-dire l'imitation au lieu de l’interprétation. L’acteur chosifié, englué dans du maquillage comme un pitre dans sa sueur, une guêpe dans une tache de…  On se souvient du Mitterand-Bouquet du Promeneur du Champ de Mars qui fut une sorte de préfiguration de ce nouveau cinéma-Grévin. Puis du carrément ridicule Torreton-Jaurès… Et la critique béate ou bien vendue, de s’extasier devant des acteurs starifiés c'est-à-dire lobotomisés au sens propre, acteurs dont le graisseux génie se borne à une prouesse de sosie : que devient le talent dans tout ça ? Et quel peut bien être l’intérêt de tels films (hormis économique)  sinon impressionner pour quelques heures des masses de spectateurs eux-aussi lobotomisés (mais pas starifiés) ! 

Au Célestins de Lyon, Claudia Stavisky propose plus discrètement et plus intelligemment deux spectacles de marionnettes pour la saison prochaine : du 10 au 28 décembre 2007, Les embiernnes recommencent, un spectacle sur Guignol d’Emilie Valentin ( que la municipalité de Montélimar vient scandaleusement de virer de son théâtre du Fust qu’elle occupait avec talent depuis trente ans), L’Opéra de Quat’sous de Brecht, par Johany Bert, du 25 février au 7 mars. Spectacles dont on aura l’occasion de reparler. Car je me dis que face à la boulimie hystérique de l’acteur contemporain, Anatole France avait sans doute raison, qui proclamait, dans  La Vie Littéraire : « J’ai vu deux fois les marionnettes de la rue Vivienne et j’y ai pris un grand plaisir. Je leur sais un gré infini de remplacer les acteurs vivants. S’il faut dire toute ma pensée, les acteurs, me gâtent la comédie. J’entends les bons acteurs. Je m’accommoderais encore des autres ! mais ce sont les artistes excellents que décidément je ne puis souffrir. Leur talent est trop grand : il couvre tout. Il n’y a qu’eux. Leur personne efface l’œuvre qu’ils représentent… »

Epoque étrange, n'est-ce pas ? Car au demeurant, de quoi rêvent Torreton, Bouquet, Testud, Cotillard et consorts, tous les sublimes et interchangeables maquillés de la pellicule, sinon d’avoir un jour, comme tous leurs copains politiques, leurs marionnettes aux Guignols de l'in-faux ????

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vendredi, 02 mai 2008

A propos des Molières

« Le théâtre participe à ce discrédit dans lequel l’une après l’autre tombent toutes les formes de l’art. Au milieu de la confusion, de l’absence, de la dénaturation de toutes les valeurs humaines, de cette angoissante incertitude dans laquelle nous sommes plongés touchant la nécessité ou la valeur de tel ou tel art, de telle ou telle forme de l’activité de l’esprit, l’idée de théâtre est probablement la plus atteinte.  On chercherait en vain, dans la masse des spectacles présentés journellement, quelque chose qui réponde à l’idée que l’on peut se faire d’un théâtre absolument pur 

 

Si le théâtre est un jeu, trop de graves problèmes nous sollicitent pour que nous puissions distraire, au profit de quelque chose d’aussi aléatoire que ce jeu, la moindre parcelle de notre attention. Si le théâtre n’est pas un jeu, s’il est une réalité véritable, par quels moyens lui rendre ce rang de réalité, faire de chaque spectacle une sorte d’événement, tel est le problème que nous avons à résoudre.

Notre impuissance à croire, à nous illusionner est immense. Le théâtre est la chose au monde la plus impossible à sauver. Un art basé tout entier sur un pouvoir d’illusion qu’il est incapable de procurer n’a plus qu’à disparaître »

(prospectus de la 1ère saison du théâtre Alfred Jarry, signé d’Antonin Artaud, 1er novembre 1926).

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samedi, 26 avril 2008

Kantor et Mallarmé

Du 25 Juin au 25 juillet 1986, Tadeusz Kantor a dirigé un séminaire à l’Ecole d’Art Dramatique de Milan. Chanceux furent les douze élèves qui y participèrent. Chanceux, ô combien ! « Les Artistes doivent étudier, découvrir, reconnaître et laisser derrière eux les régions conquises. » Le texte de ces  12 leçons, dites « de Milan » existe, on le trouve dans la collection Papiers d’Acte Sud.: « Votre étude ne sera pas scolaire, elle doit être créative », dit-il en apéritif aux douze chanceux présents ces jours-là. Un artiste assène Kantor, «  n’est pas un professionnel comme un autre ». Pire : «la professionnalisation théâtrale de plus en plus marquée conduit à sa défaite (il parle alors du théâtre en général). » Pour lui, rien n’est pire que cette assurance froide, lucide et somme toute irréprochable du technicien qui en effet est devenu maître de son art.  Cette mise en garde contre l’acteur professionnel rappelle un peu le dégoût  qu’exprimait au début de l’autre siècle Anatole France dans  une bonne vieille phrase de spectateur, à propos du Guignol de la rue Vivienne et de ses comparses en bois et en tissu : « Je leur sais un gré infini de remplacer les acteurs vivants. Les acteurs vivants me gâtent la comédie. J’entends les bons acteurs. » Cela rappelle aussi cette boutade de Gordon Craig, au début du siècle : «Il faudrait que tous les acteurs meurent de la peste. »

Kantor fit en effet disparaître les acteurs, au sens traditionnel du terme.  L’abstraction qu’il évoque sans cesse  dans les  Leçons de Milan, et qui est le contraire de l’incarnation, au sens où on dit «qu’un acteur a bien joué son rôle », cette abstraction n’est pas si éloignée de celle à laquelle revient sans cesse Mallarmé  dans sa Crise de vers « Je dis : une fleur ! », proclamait ce dernier « et musicalement se lève, idée même et  suave, l’absente de tous bouquets »  Et en effet, comme Mallarmé abolit la performance ordinaire du mot pour le montrer à la tribu sous un jour qui rende un sens plus pur, un jour essentiel, disait le maître des mardis, le maître de Milan abolit la performance ordinaire de l’acteur afin de montrer par cette abolition les contours  grotesques et  pathétiques de l’être humain, dans une abstraction presque sacrée. Car ce n’est bien, en définitive, que lui, l’être humain, qui l’intéresse, l’être humain, cet objet pauvre dont Tadeusz Kantor se fit, sa vie durant, le montreur, - au sens où il y eut un temps, dans les villages de Pologne, de nulle part, d'ici et d’ailleurs, des montreurs d’ours. L’abstraction dont il parle, ce n’est jamais que cela, le corps de l’acteur ou bien la silhouette de l’objet retirés du circuit de la consommation, exposés comme le fut le ready made de Duchamp, exhibés, mais jamais représentés, tout comme le mot de Mallarmé, retiré de la conversation, et comme pris dans le gel, « le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui… », acteurs, objets, mots, signes visibles, palpables jamais absolument ou définitivement compris…

 

 

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mercredi, 26 mars 2008

Un regard sur le théâtre du monde

Sur son blog "théatrum mundi", Pascal Adam a écrit un très beau texte, diaboliquement lucide : "une clope de Paques". Et comme il n'est pas possible de lui laisser de commentaires, je dirai ici à quel point j'ai trouvé ce texte juste. Oui, au coeur de la "modernité" et de ses pseudo-créateurs", c'est trop souvent le mépris pour ne pas dire la haine de "l'ancien monde" et de la vieille Chrétienté qui s'exprime. Pascal Adam s'en prend à tous ces "artistes", qui furent à la culture ce que les concepteurs de mobilier urbain sont au paysage. Ah, ces lampadaires en bordures de chemins vicinaux... Nous habitions un monde dont la scène, les paysages, les vallées, les collines, les rivières  et les cieux étaient chrétiens : le monde de nos pères dont la brutalité, au contraire de la nôtre, était moins massive, et l'arrogance moins destructrice... La machine, le système, l'entreprise, c'est vrai, applatissent, cloisonnent, juxtaposent, et livrent en spectacles, c'est à dire hors de toute signification, tout ce qui était, jadis, utile, juste et beau. "Petits sabotages internes à cette machine de mort", pas seulement mort du paysage, mort de l'être, aussi, qui le regarde. Car comment ne pas être triste jusqu'à la mort devant les dégats déjà occasionnés ?  Flânant un jour dans le Brionnais (une région pourtant préservée - pour combien de temps encore ?), j'entendis quelqu'un jurer contre ces maires dociles et incultes qui délivrent des permis de construire n'importe comment, et qu'il faudrait "bâtonner à mort et laisser sans sépulture"... De même, vous trouverez toujours, parmi cette foule d'élus municipaux, des imbéciles préposés à la culture pour vous lâcher à l'oreille d'un air sentencieux que c'est génial de rendre l'église au théâtre, puisque hein, comme ça, voilà, elle retourne à ses origines...

C'est Bernanos qui rappelait souvent que, pour aimer sa patrie, il fallait aimer ses paysages; et pour aimer ses paysages, il fallait les avoir lus d'abord, avant de les avoir regardés. C'est bien l'allée de peupliers de Proust qui, en effet, a planté en moi un germe d'admiration pour toute  allée de peupliers. A Chateaubriand, je dois le presbytère abandonné, le cimetière recouvert de mousses et de lierres, où qu'ils se trouvent, et quels qu'ils soient. A Nerval, la haie verdoyante en bordure d'un pré. A Barbey, la poésie primitive des landes... Que nous ont-ils fait, ces paysages "d'Ardennes ou du Jura, des Vosges ou de Haute-Marne" pour que nous persistions indéfiniment à les détruire ? Rien. Mais nous sommes devenus un peuple profondément illétré. Trop de gens, qui n'ont jamais fait que lire des BD, aller au ciné ou regarder la télé ne les ont jamais lus, ces paysages. Sont-ils pour autant morts ( les paysages, pas les gens ) ? Allez sur le blog de Pascal Adam lire son très beau texte, vous comprendez que non.

 

 

 

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