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dimanche, 08 juillet 2007

la colline aux canuts

« Toujours mentionnée, toujours revendiquée en héritage, toujours brandie dès que les habitants de la Croix-Rousse manifestent, la révolte de ces canuts lyonnais de 1831 n'a fait l'objet, paradoxalement, que de très peu d'œuvres littéraires, et encore moins de pièces de théâtre et de films. On ne peut donc que louer Roland Thévenet pour sa création. »

Eh bien, merci Robert LUC pour ce clin d'œil. On ne sait pas encore quand on rejouera La Colline aux canuts. Mais on sait qu'on la rejouera un jour, à quand sur la scène du théâtre de la Croix-Rousse

 

 a55a67188019dbbf1dcbc4e704c05a9f.jpgTexte et mise en scène Roland THEVENET

 Création à l'Espace 44  (janvier 2004)

Reprise dans le cadre de L'esprit d'un siècle  (mai 2007)

Interprétation par ordre d'entrée en scène :

Rose Vettard : Claire MAXIME

Timon l'Ancien : Bernard GERLAND

Jacques Borron : Robert MAGURNO

Louise Borron : Jennifer TESTARD

Antoine Brunier : Sullivan PIERRE

Marie Cochet : Aurélie PIRRERA

Timon Vettard (le jeune) : Florent GOUGET

Bouvier du Molart : Christophe FIEVET

Une vieille : Leda GEORGHIOU

Technicien lumière :  Jérome ALLAIRE

 

La Colline aux Canuts

 

 

Note : ce spectacle a été vu en janvier 2004 à Lyon, Espace 44 (1er arrondissement)

LE CHANT D'HONNEUR DES CANUTS


Parler des canuts à Lyon, c’est parler au cœur des gones. Installés dans le quartier mythique de la Croix-Rousse et ses « pentes », « la colline qui travaille », en opposition à Fourvière « la colline qui prie », les canuts étaient les ouvriers de la soie qui dès 1831 se soulevèrent, à Lyon, contre l’industrialisation galopante, symbolisée par le métier à tisser de Jacquard, et les abus des marchands quant aux conditions tarifaires. Leurs combats augurèrent selon Marx des premières rebellions contre le monde bourgeois et donnèrent naissance aux premières sociétés mutualistes.


Tout commence lorsque, à la suite des revendications des chefs d’ateliers pour la mise en place d’un « tarif légal de vente », le Préfet Bouvier du Molart (personnage historique) convoque en octobre 1831 fabricants et responsables d’ateliers pour s’entendre. Mais nombre de marchands donnent du fil à retordre aux partisans de cet accord, invoquant la non-représentativité des signataires. De là vont commencer les échauffourées dont le bilan, quelques semaines plus tard, sera lourd de 89 morts et 324 blessés, tombés au « chant d’honneur » ; un chant qui, loin du « bistanclaquepan » (1), cadence la passion de leur métier, et que les personnages, chacun à leur façon, nous livrent au gré de la pièce.

Le texte de Roland Thevenet nous plonge dans le quotidien tourmenté de deux familles ouvrières fictives, à la manière des beaux romans du 19ème, tels Le Bonheur des dames (Zola) pour rester dans la proximité thématique, ou Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale (Flaubert), quand l’histoire devient à la fois décor et unité d’action. Au fil des scènes, se tissent et se détissent ainsi les espoirs et les désillusions, les quêtes et les incertitudes de plusieurs générations d’artisans ; déboussolés, certes, mais prêts à défendre leur savoir faire et sa perpétuation. Il y a du Rousseau dans cette défense patrimoniale du travail manuel, même si l’un des personnages revendicateurs réfute une référence au philosophe des Lumières.


La lecture terriblement contemporaine saute aux yeux, « sans instrumentaliser les Canuts », se défend Roland Thevenet, également metteur en scène. Qu’elle touche la marchandisation de la culture, la fragilité de l’intermittence, l’élitisme de certains spectacles ou le populo-démagogisme audiovisuel, cette fresque des canuts nous interroge sur la valeur du travail à l’heure de l’irréversible mondialisation. Chacun y trouvera matière à un regard différent sur son propre univers professionnel pour y puiser une relecture plus intime. Les interprétations des deux personnages principaux confèrent à la pièce une sacrée étoffe. Bernard Gerland, par son appropriation subtile du texte, campe avec une saisissante authenticité ce maître tisserand d’un certain âge, qui, cahoté par les mutations rapides du monde économique, bascule entre incompréhension résignée et résistance velléitaire. Claire Maxime, son épouse Rose, apporte le sang révolté de sa jeunesse et son ardeur gracieuse à défendre la cause des femmes qui travaillent dans l’ombre. Voilà des Canuts bien canants (agréables) et forts en cervelle (1). Alors, parodiant la célèbre formule de la mère Cottivet, qui appartient au théâtre de Guignol, « en descendant (à Lyon), montez donc (rue Burdeau, à l’Espace 44) ».

Stephen BUNARD  - Rue du Théâtre (http://www.ruedutheatre.info/)
(1) Bruit que faisait les métiers à tisser
(2) La « cervelle de canut » est une spécialité lyonnaise, délicieux fromage blanc battu avec de l’ail, des échalotes et des fines herbes.

16:30 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la colline aux canuts, roland thevenet | | |

jeudi, 28 juin 2007

Le Moine (d'après M.G.Lewis)

Préface de MONK LEWIS, libre adaptation théâtrale du roman de Lewis, Le Moine, rédigée à l’occasion de la reprise de la pièce par la Cie Le Paragraphe, juillet 1998, théâtre La luna, Avignon. Ci-dessous, portrait de Lewis par Henry William Pickersgill

 

Matthew_Gregory_Lewis_by_Henry_William_Pickersgill.jpg1795 : Lewis n’a que vingt ans lorsqu'il conçoit son Moine. Un âge, dira-t-il, “ dont on ne peut attendre la prudence ”. En contant la chute frénétique du prieur le plus vertueux de Madrid précipité par le diable dans les cavernes et les montagnes en un rocambolesque dénouement, le jeune attaché d’ambassade s’impose immédiatement comme l’un des maîtres du roman gothique. Ce roman, qui commença par faire frissonner toute l’Angleterre, puis toute l’Europe romantique,  demeura pourtant sa seule production d’importance, au point que le jeune auteur traversa le dix-neuvième siècle sous le nom de MONK LEWIS.

 

 1931 : L’histoire d’Ambrosio est à nouveau racontée, par Antonin Artaud qui déclare effectuer “ une copie en français du texte original ”  Sa publication chez Denoël suscite un engouement  nouveau chez un nouveau public. Breton salue “  le souffle du merveilleux qui l’anime tout entier ”  Amours fantastiques, couvents en flamme,  revenants errants, le surnaturel explose de toute part tandis que s'enchevêtre en arrière plan un réseau complexe d'intrigues familiales :  A l’origine, en effet, se trouve le malheur d’un couple : Elvire, la fille d’un cordonnier de Cordoue,  et le marquis Las Cisternas Le Moine, à bien y regarder, c’est l’histoire d’une famille décimée par un ordre social intolérant, une religion d’apparat, une société à l’aube de sa décadence. Lui-même enfant de divorcés, Lewis reprochait à ses parents de l’avoir placé dans une situation difficile. C’est dans une situation bien plus périlleuse encore qu’il place ses personnages. Ambrosio, enlevé encore bébé à sa famille ; Antonia élevée dans l’ombre austère des châteaux de Murcie... Derrière les paravents de l’artificielle lutte entre le Bien et le Mal, la difficile constitution du couple, qu’il soit incestueux ou légitime, est un facteur omniprésent au cœur de l'action, à la fois parce qu'elle en est le ressort constant et la problématique essentielle. “ L’expérience m’a appris à mes dépens  que le malheur accompagne les alliances inégales ”, déclare Elvire lorsqu’elle refuse la main d’Antonia à Lorenzo. Aussi n’est-il n'est pas innocent qu'à vingt ans, aussitôt achevé son roman, le jeune Lewis se soit empressé d'écrire une lettre à sa mère :

 

                Qu’une courtisane mandatée par le diable cherche à séduire un moine dont la chasteté est légendaire fournit l’occasion d’en exposer une première variante. Que désire Ambrosio, sinon jouir de la femme sans engager son cœur ? Et que désire Mathilde, sinon utiliser son pouvoir de séduction pour égaler - sinon dominer - le sexe masculin. On comprend que dans de telles conditions l'Amour soit exclu de la partie, c'est ce que stigmatise la présence plutôt comique du diable entre les deux personnages. Figure de la jouissance et de la manipulation, tous deux plus complices qu'amants, ce couple n'en est un qu'en apparence. C'est pourquoi il lui faut toujours se nourrir d'un tiers et vivre dans la clandestinité. C'est pourquoi, également, la satisfaction entre eux est toujours un leurre, quelque chose qui est inévitablement remis à plus tard, qu'il convient d'invoquer incessamment, de mettre en scène et de magnifier en ayant si possible recours aux ustensiles les plus énigmatiques (miroirs et myrtes magiques sont la version gothique des accessoires sado masos d'aujourd'hui) 


                Agnès et Raymond représentent un pôle opposé. Ils devront apprendre à "vivre paisiblement", c'est à dire à vivre ensemble, sans se passionner pour autre chose que pour leur couple. Au prix d'un certain nombre de souffrances, tous deux devront par conséquent renoncer à leur univers de célibataires ou bien d'enfants, univers qu'avait fortement déterminé une autorité parentale dévoyée : Agnès a été placée au couvent contre son gré, par une tante fanatique. Le père de Raymond s'étant opposé à l'amour de son fils aîné pour une roturière, lui, le fils cadet en subit les plus immédiates conséquences, selon la loi de ce qu’Hoffmann, à la même époque, appelle “ l’enchaînement des choses ”. L'enfant perdu d'Agnès est une réplique logique de l'enfant perdu d'Elvire :  La réussite finale de leur couple ne sera possible que lorsque chacun se sera échappé de la malédiction - forme religieuse de l'aliénation - parentale. Raymond devra donc rendre la part de l'héritage qu'avait refusé d'octroyer son propre père, et Agnès enfreindre des vœux qui n'étaient au fond que ceux de sa tante. Leur union est révélatrice d'un passage agité de l'adolescence à l’âge adulte, d'un état de nonne ou de celui d'aventurier à ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui un honnête mariage bourgeois. Mais elle est surtout l'aboutissement d'un passage initiatique : les deux héros auront dû se libérer de la "tribu bavarde", ils auront cessé d'en recevoir les "fientes" - autrement dit les névroses - sur le visage. Pour enfin être heureux ? On ne saura rien de leur bonheur futur, tout laissant à penser que Lewis ne croît guère au conte de fées.

                Frère et sœur qui s'ignorent, Antonia et Ambrosio incarnent le couple paroxystique par excellence, puisque incestueux.  Du point de vue dramatique,  - même s'il se trompe sur ses motivations puisqu'il ignore les faits passés - il est juste qu'Ambrosio se déchaîne contre Agnès : en l'enlevant à Raymond, il ne fait que rendre à la famille de ce dernier, qui lui a volé ses parents,  la monnaie de sa pièce. Mais est-il juste qu'il s'acharne sur Antonia ? Ces deux-là paient en réalité les pots cassés sans avoir les moyens de le comprendre. Lorsque la sœur dit au frère : “ La perte d’une mère étant, de toute peine, la plus irrémédiable en une vie humaine ”,  le moine s’entend dire la plus secrète parole de vérité le concernant. Dans la pièce, comme dans le monde, les enfants subissent en effet l'inconscience de leurs parents. Le Moine est, comme beaucoup, un roman où l'on règle des comptes de famille. On en revient à la figure de la mère, pour constater plusieurs choses : premièrement, qu'à ses côtés, le père est absent ; seule figure qui en représente de loin l'autorité, le cardinal duc grâce auquel à la fin tout rentre dans l'ordre. Sorte de Deus ex machina, l'action paternelle est nulle sur le plan affectif, et seulement opérante sur le plan dramatique. Deuxièmement, que la mère est sommée de payer pour sa faute originelle : Elvire a transgressé une règle sociale (et donc masculine) en épousant un marquis. Ce dernier n'a pas su se libérer de l'influence négative de son propre père, ce qui explique qu'il soit mort et sa descendance en aussi mauvais point. Léonella, la sœur d'Elvire, laisse entendre que cette dernière a agi peut-être par amour, sans doute par ambition mais surtout par coquetterie. Ce couple originel, dont on ne sait que fort peu de choses, sinon qu'à cause de lui, un cordonnier honnête fut jeté en prison, et que le héros éponyme vit le jour, n'a visiblement pas su assumer les conséquences inévitables de ses actes et est à l'origine des dérèglements de chacun. Le Moine apparaît donc comme un drame de la responsabilité.  Qu' Elvire soit étranglée par la soutane de son fils, et que ce dernier l'étrangle en étant complètement nu ; que par ailleurs le jeune Lewis se presse, sitôt écrit, d'envoyer son manuscrit à sa mère, il y a sans doute là les traces d'un discours personnel assez opaque mais ô combien révélateur ! Que l'on juge le déterminisme absolu qui régit la composition de l'intrigue désuet, agaçant, excessif, comique, voire ridicule, il convient de le saluer car c'est lui qui est à l'origine de la force fantastique du roman, applaudie dès sa publication.

750398_2878433.jpg                Ainsi que l'explique l'ironique Coryphée de l'adaptation qui suit au jeune Théodore, les personnages du roman sont donc des trajectoires creuses mais, toutes, prédestinées, jetées en pâture à la Merveille pour la plus grande joie du lecteur. Il m'a semblé que,  parmi ceux de Lewis, un personnage incarne particulièrement ce point de vue. Le jeune Théodore est, au problème de l'amour impossible posé par la pièce, une sorte de réponse. Lui-même, spectateur témoin du fait de sa position de valet, constatant qu'il n'était pas encore émancipé du terrible jeu de destruction qui l'environne et conscient de l'impossibilité dans laquelle chacun se trouve de fonder un bonheur légitime et durable, il a, dit-il "renoncé à ses amours”. C'est donc à son maître qu'il a promis fidélité. Cette option n'est sans doute pas définitive. C'est, comme Lewis, un jeune homme ; c'est aussi un romancier en herbe qui se plaint de n’avoir pas de temps à consacrer à l’écriture. Contemporain des personnages, seul personnage en réel apprentissage, il aurait pu écrire le roman s'il en avait eu la clé, c'est à dire, comme lui suggère le Coryphée, s'il avait été libre. Ce coryphée est, chez Lewis, une simple bohémienne. Artaud lui fait chanter sa “ ballade du vrai charlatan ” et la transforme en une mystérieuse voyante surréaliste. Dans la pièce qu’on va lire, il est le chef des mendiants de Madrid, celui qui voit les choses telle qu’elles sont, dans l’histoire, et telles qu’elles seront un jour, dans le récit et dans ses prolongements possibles.

                Reste Lucifer. Doit-on le prendre au sérieux ? La pensée devient-elle confuse et sort-elle de ses gonds, les personnages se laissent-ils dérober la maîtrise de leur corps ou bien celle de leur esprit, il se manifeste facétieusement. Que faire de lui dans l'adaptation théâtrale ? La religion, sur Terre, n’étant plus qu’une mode, lui-même se retrouve au chômage dans un enfer pitoyable où tout le monde s’ennuie. Riante figure de l'Illusion, il délivre donc une formidable occasion de jouer avec des mots. Un personnage sent-il son emprise, il se met à rimer malgré lui. Il se définit comme le metteur en scène absolu, sans pour autant lui-même être dupe. Les hommes, déclare-t-il, se chargent eux-mêmes de leur propre damnation, entendons de leur propre malheur. En réalité, Lucifer est l'agent ludique de l'inconscience de chacun, car c'est bien cette dernière comme on l'a dit, et principalement celle des parents, qui fonde le moteur de l'action. En veillant à ce que le destin réel d’Ambrosio s’accomplisse (réintégrer, même de façon tragique, son histoire familiale), et non pas son destin imaginaire (devenir prieur charismatique de Madrid), il est une forme incarnée de l’exactitude et de l’enchaînement logique des événements. C’est ce qu’a compris Mathilde (“ Entre ses mains, je confie mon salut ”), ce que pressent Ambrosio (“ En enfer, ce n’est peut-être que moi que j’attends ”). Elvire elle-même n'est-elle pas la toute première à l'affirmer à son ingénue de fille : N'aie pas peur du diable !

                Drame de la responsabilité, de la liberté et de l'aliénation, le Moine, par les problèmes qu'il pose ( prédestination familiale, absence des pères, échec des mères, guerre des sexes, quêtes illusoires, conflits de classes ) reste, malgré son décorum gothique, d'une singulière actualité et d’une lecture très ouverte : Ses personnages, avec leur immense volonté de jouir de la vie, demeurent toujours accessibles et, s'ils s'inscrivent dans une période historique rigoureusement définie par Lewis (l'Espagne du Siècle d'Or), ils n'en sont que plus modernes pour nous, si profondément enfouis dans la nôtre. Les querelles religieuses ont cédé le pas aux querelles idéologiques qui, à leur tour, cèdent le pas à d'autres, sociales ou économiques. Mais les conflits de ces personnages aux prises avec leur psyché, eux, sont plus que jamais d'actualité. L'immense cri d'amour qui surgit de leurs dérèglements et que répercutent les symboles qui sont les leurs ne peuvent aujourd'hui qu'émerveiller un public en mal de véritables sensations artistiques.  Voilà pourquoi, sur les traces du jeune ambassadeur Lewis, j'ai voulu traverser les frontières obscures et illuminées de leurs songes en composant cette libre adaptation.

 

        

 

dimanche, 17 juin 2007

LE PRINCE ET LE BOURREAU

La pièce « Le Prince & le bourreau » a été créée à Lyon, du 31 mai au 9 juin 1983, par la compagnie PERSONA, au théâtre des Maristes à Lyon. C'était tout d'abord un long poème; l'histoire d'un prince quittant son enfance, son domaine. Il croisait la route d'un bourreau auprès de qui il apprenait l'âpreté de l'existence. Une jeune fille, très claudélienne, imprimait ensuite sa marque dans le coeur de chacun de ces deux hommes, si différents.

Peu à peu, au fil de l'écriture, le poème devint une pièce de théâtre. Je crois que tel est le destin de tout poème : être dit. Pas déclamé en voix de tête,  ni ressassé en silence ; mais DIT, de vive et franche parole. Jean Luc Séville a été, à cette occasion, mon premier metteur en scène. Le texte n'a jamais été édité, mais j'en garde pour quelques familiers une vingtaine d'exemplaires. Si un metteur en scène est tenté par l'aventure un jour, qu'il me contacte par l'intermédiaire de ce blog. Voici deux extraits :

 

« Ils vous regardent : on dirait qu'ils essaient de savoir combien vous valez. En or. En talent. En amour. En n'importe quoi qui s'achète ou se vende. Ils vous parlent : on dirait qu'ils guettent au fond de votre âme ce moment où vous ne saurez que dire, que faire pour désavouer ces principes qu'ils brandissent, qu'ils vous jettent à la figure comme des truelles de ciment, insolents bâtisseurs d'orgueil, de haine, de guerre. On dirait qu'ils attendent ce moment où trop faible, trop vaincue, vous céderez sous le poids de leurs certitudes, de leurs tactiques lâches, vous ploierez malgré la noblesse de votre front, devant leurs genoux, leurs mollets, leurs pieds obscènes ! Eh bien non ! Je suis partie ! Je suis partie ! »

« Ils viennent. Ils savent qu'ils vont mourir. Tout leur espoir est déjà mort. Alors ils viennent, les mains liées derrière le dos. Et tout le monde regarde en silence. On dirait qu'il n'y a rien d'autre à faire, que de tuer ou de mourir. On dirait que le ciel est bleu pour rien. Que les oiseaux ne chantent plus. On dirait que tout ce qu'on apprend dans les écoles, qu'on récite dans les églises, ça n'a jamais existé. Maintenant, ce n'est plus mal de tuer. C'est là.  C'est ce qu'il faut faire. C'est ainsi. Alors il pose sa tête sur le billot. Et tout le monde regarde : les gendarmes, le curé, le greffier, les gens... Tu comprends ? Là, maintenant, à cet instant, ce serait mal de ne pas le tuer. C'est ça qui serait horrible : ne pas le faire; ne pas pouvoir le faire ! Et quand sa bouche est là, fermée... Et quand son nez respire.. Ce qui serait horrible, quand tout le monde regarde, tout le monde respire, tout le monde tue, c'est de ne pas pouvoir le faire. Alors CRAC ! »

Roland Thevenet  (Le Prince et le Bourreau - 1982)

 

16:35 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poésie. | | |