mardi, 15 juillet 2008
Vie de troupe
Dans le tome XX de La Revue du lyonnais (1844) je trouve une analyse de trois registres de Molière, qui décrivent « les détails sur l’administration théâtrale et la mise en scène à l’époque », « les règlements et les recettes d’alors ». La troupe de Molière ne jouait que trois fois par semaine, les mardi, vendredi et dimanche. Dans le premier registre de la Comédie Française qui renferme le détail de 99 représentations (16 avril 1663 - 6 janvier 1664), on voit 8 fois Molière composer le spectacle entier avec une de ses pièces, avec deux 55 fois. 30 fois ses œuvres, peu nombreuses encore, fournissent une des deux pièces représentées. 6 fois seulement, la scène est laissée à d’autres auteurs. C’est donc pour Molière un total de 63 soirées complètes, et de 30 soirées en partage. Tandis que tous les autres auteurs comptent un total de 6 représentations pleines et 30 demi-représentations. Ces auteurs sont Corneille (Cinna, Sertorius et le Menteur – 17 fois) ; Tristan (Marianne, 9 fois), Rotrou (Venceslas, 5 fois) et Scarron (Don Japhet, L’héritier ridicule, 5 fois).
Dans le deuxième registre, contenant le détail de 87 représentations du 12 janvier 1664 au 4 janvier 1665, Molière remplit seul 62 soirées sur 87 (8 avec une seule de ses pièces, 54 avec deux). Il partagea 15 fois les honneurs de la représentation avec un autre et laissa sa place seulement 10 fois. Sur ces 25 représentations, Racine en compta 14 pour sa Thébaïde, Corneille et Scarron 3 chacun. L’auteur anonyme de la Bradamante ridicule eut les 5 autres soirées. Du 29 avril 1672 au 26 février 1673, (troisième registre consulté, beaucoup plus tardif), Molière ne fournit rien 4 fois seulement. Et sur les 118 représentations, il occupe la scène à lui tout seul 112 fois. Par rapport aux frais quotidiens, on constate que les recettes étaient plus conséquentes qu’aujourd’hui : Voici le détail des recettes des 32 représentations de L’Ecole des Femmes et de la Critique de l’été 1663, en livres et en sols
Vendredi 1er juin | 1357 | Dimanche 8 juillet | 702 |
Dimanche 3 juin | 1131 | Mardi 10 | 532 |
Mardi 5 | 1352,10 | Vendredi 13 | 570,10 |
Vendredi 8 | 1426,10 | Dimanche 15 | 711 |
Dimanche 10 | 1600 | Mardi 17 | 482 |
Mardi 12 | 1356,10 | Vendredi 20 | 567 |
Vendredi 15 | 1731 | Dimanche 22 | 780 |
Dimanche 17 | 1265 | Mardi 24 | 422 |
Mardi 19 | 842,10 | Vendredi 27 | 790 |
Vendredi 22 | 1025,10 | Dimanche 29 | 723 |
Dimanche 24 | 937 | Mardi 31 | 737 |
Mardi 26 | 800 | Vendredi 3 août | 631,03 |
Vendredi 29 | 1300 | Dimanche 5 | 462 |
Dimanche 1er juillet | 1309 | Mardi 7 | 400 |
Mardi 3 | 930 | Vendredi 10 | 682 |
Vendredi 6 | 830 | Dimanche 12 | 392 |
Les frais ordinaires pour une représentation s’élèvent à 55 livres. Les frais extraordinaires varient davantage, de 4 à 379 livres (pour la première du Malade Imaginaire, et ce en raison du grand nombre de figurants). Se rajoutent à cela certains frais supplémentaires : « Les soldats » (gardes de service) reviennent à 9 livres chaque soir. Certains acteurs, non sociétaires, sont mentionnés dans cette rubrique, comme mademoiselle Marotte Beaupré (3 livres chaque soir). L’éclairage à la chandelle revient à 6 livres : il fallait payer aussi les allées et venues des moucheurs. La « tare de l’or léger », estimée à peu près 13 livres, est un déchet qui se reproduisait à chaque représentation sur le montant des recettes : la monnaie d’or étant celle utilisée à l’époque, la rognure des pièces donnaient lieu à des dépréciations assez marquées, dont les théâtres étaient les principales victimes. Sur certains registres se trouve faite mention de charité (souvent adressée aux Cordeliers) et parfois même de messe. Les frais d’imprimeurs, sans doute compris dans les frais ordinaires, apparaissent parfois lorsqu’il y a un événement exceptionnel dans les frais supplémentaires : c’est alors deux affiches qui sont mentionnées en plus, pour un frais de 8 livres (tout laisse à penser qu’on n’affichait habituellement qu’à la porte du théâtre). Les costumes des acteurs étaient renouvelés au fur et à mesure qu’ils s’usaient (ces derniers n’étaient pas liés à leur personnage, les costumes de théâtre, au sens moderne, n’existant pas encore).
Les frais d’un costume entier varient de 10 à 40 livres ; d’autres frais occasionnels, mentionnant des « maîtres de chant » ou des « maîtres à danser », occupés généralement pendant deux mois entiers, s’étendent entre 22 et 46 livres : Les parts de chacun se touchaient chaque soir. Une part s’élève environ à 3,5 livres. Deux en revenaient à l’auteur de la pièce. Molière, comme directeur et sociétaire, en touchait encore trois autres. Le prix des places allait de la somme de 15 sous (parterre) à celle de 5 livres (billet de loge). Les registres portent également trace des dons et des remboursements des frais de visites ou de séjours (sorte de répétitions générales accordées, en privé, à des Grands). Ces dons sont importants et s’élèvent souvent à plusieurs centaines, voire milliers de livres. Le 26 octobre 1663, on trouve : « Nous avons séjourné à Versailles depuis le 16 octobre jusqu’au 26 dudit mois, où nous avons reçu du Roi 3300 livres à partager, chacun 231 livres.» Le 26 février 1673, pour clore le dernier registre, on peut lire : « On n’a point joué dimanche 19 et mardi 21 à cause de la mort de M de Molière, le 17ème à dix heures du soir».
14:59 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, littérature, molière, revue du lyonnais |
Commentaires
ce que j'aime dans votre blog c'est qu'il est original et trés pointu.c'est rare à Lyon
Écrit par : romain blachier | mercredi, 16 juillet 2008
@ romain blachier : Merci pour ces compliments qui me vont droit au coeur, et merci également pour vos passages. N'hésitez pas à laisser des commentaires sur les sujets qui vous intéressent et à bientôt.
Écrit par : solko | mercredi, 16 juillet 2008
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