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mardi, 02 juin 2009

Ecrivains de la fabrique

J’ai découvert un peu par hasard, il y a une vingtaine d’années de cela qu’il avait existé à Lyon un ensemble de romans structurés autour de la fabrique de la soie, des années 1870 à 1930. Quand je dis par hasard, c’est en réalité en fouinant chez des bouquinistes. Et petit à petit, les écrivains lyonnais ont trouvé place en mes rayons. La plupart ne sont que pittoresques. Certains sont vraiment attachants. Quelques-uns furent des maîtres dans leur domaine. Je songe à Henri Béraud, bien sûr, mais aussi à Gabriel Chevallier, à Nizier du Puitpelu.

 Bernard Poche, qui avait déjà publié Lyon tel qu’il s’écrit (Presses universitaires de Lyon – 1990) propose chez Permezel (un éditeur courageux que je salue au passage) un « Dictionnaire bio-bibliographique des écrivains lyonnais – 1880-1940) : l’universitaire y a recensé plus de trois cents noms d’écrivains ayant, de 1880 à 1940 entretenus avec Lyon « un rapport significatif ». Parmi eux, ceux que j’appelle les écrivains de la fabrique, qui composèrent un jour un roman de mœurs, de sentiments  ou de caractère ayant pour siège une maison de soierie, et participèrent ainsi à un témoignage entre réalisme littéraire et journalisme sociologique sur le Lyon de la Belle Epoque. Poche a retrouvé aussi la trace de nombreux poètes ou nouvellistes, conteurs et chroniqueurs. L’ouvrage a le mérite de rappeler la ferme volonté de décentralisation intellectuelle qui, jusqu’à 1940, a présidé dans l’esprit de plusieurs générations d’écrivains lyonnais. Le seul reproche qu’on lui pourrait faire, c’est que la recherche bibliographique a souvent pris le pas sur celle, biographique : sans doute parce que la première est plus simple à réaliser que la seconde, le monde et son labyrinthe étant plus vaste et hasardeux qu’une bibliothèque et ses rayons. Et que nombreux sont, parmi ces auteurs, ceux qui disparurent ou sombrèrent dans l’anonymat.

Je recopie une notice qui a tout particulièrement attiré mon attention, parce qu’elle est particulièrement emblématique, peut-être, et que j’ignorais tout de cet écrivain  :

« BARDOT Henri (Lyon  …- ….)

La totale ignorance dans laquelle on est de la vie d’Henri Bardot est d’autant plus surprenante que L’Autre Rive publié en 1917 mais qui reflète une certaine ambiance du Lyon des dernières années de l’avant-guerre, est peut-être l’expression la plus achevée du roman lyonnais de cette période et figure très honorablement à côté des œuvres antérieures d’Esquirol, d’Hennezel et de Rogniat. Les quelques échos que l’on recueille à son sujet laissent entendre qu’après la guerre il avait sombré dans la bohême et l’alcoolisme : l’amère misogynie de l’essai qu’il publie en 1920 se rattache aisément au pessimisme de son roman. Ses projets ultérieurs ( "pour paraître prochainement ») n’ont évidemment pas abouti. Aucune trace ne semble, apparemment, demeurer de ce naufrage. 

L’Autre rive, P.Jouve, 1917 ; L’art de mal vivre et de bien mourir, ou maximes sans prétention suivies de quelques histoires également profitables, par Henri BARDOT, lyonnais, ill. Combet-Descombes, Ed de la Revue Fédéraliste, Trévoux, imp. Jeannin, 1920 »

 

Et je cite quelques patronymes (ou pseudonymes) de ces illustres oubliés, outre les maîtres que furent Clair Tisseur, Vingtrinier, Béraud ou Chevallier :

Alexandre Arnoux, Louis Aurenche, Emile Baumann (admirateur et ami de Léon Bloy, auteur de très beaux Mémoires), André Billy, Auguste Bleton (pour plaire à Marcel Rivière), Magali Cabanes (auteure d'un joli Masque de Lyon), Georges Champeaux (dont j'ai déjà beaucoup parlé pour le roman d'un vieux groléen), David Cigalier, Henry Clos-Jouve, Max André Dazergues (un pur Delly de Lyon !!!) , Jean Dufourt ( et son Calixte), Charles Fenestrier (co-singataire, avec Béraud, des Marrons de Lyon), Albert Giuliani, Marcel Grancher (qui mit en selle Frédéric Dard et son San Antonio et écrivit avec La Soierie se meurt un bouleversant témoignage de la faillite de Lyon en 1930), Henri d’Hennezel, Charles Joannin (pour Périssoud, militant lyonnais), Joseph Jolinon (voir mes billets sur trois de ses romans dans la rubrique : la bibliothèque est en feu), monseigneur Lavarenne (spécaliste de Guignol), Claude Le Marguet (pour Myrelingues la Brumeuse), Edmond Locard, Amédée Matagrin,  Louis Pize (poète injustement oublié), Xavier Privas (prince des chansonniers), Léon Riotor (Léon de Lyon),  Pierre Scize, Louisa Sieffert (une poétesse elle aussi injustement oubliée), Joséphin Soulary, Tancrède de Visan (Sous le signe du Lion) … 

 

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Illustration de couverture :
salle de lecture du lycée Ampère à Lyon

20:42 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : bernard poche, permezel, littérature, romans, lyon, écrivains lyonnais | | |

lundi, 01 juin 2009

Maurice Chappaz, poète de passage

Un ami m’a offert un très beau texte de Maurice Chappaz dont je viens d’achever la première lecture. Il s’agit du tout dernier ouvrage du poète et vigneron suisse, La pipe qui prie et fume (Nov. 2008, réed. mars 2009, ed. de la revue Conférence). Maurice Chappaz s’est éteint au début de l’année 2009, le 15 janvier exactement. Ce texte constitue donc un legs poétique troublant, dans lequel l’expérience de la vieillesse et celle de l’écriture s’enlacent à chaque instant : « Je devine en moi la grande usure. L’Eternel est aux aguets » (p 9).

De Chappaz, je ne connaissais que le Testament du Haut Rhône, un recueil de 1953, réédité par Fata Morgana en 2003. La qualité avait sonné à mon oreille. Sonore et vive. Mais je ne sais pourquoi, sans doute cet endormissement administratif dont parle le poète, et propre aux citadins (là, c'est moi qui rajoute), je n'avais pas insisté. Chappaz n'est pas homme des villes, et nous qui y vivons y perdons trop souvent le goût et la paix de l'esprit.

La pipe qui prie et fume se présente comme une suite de 26 méditations, faites aux Vernys, son chalet sans route dans une haute vallée valaisanne. Pierre-Yves Gabioud, (peintre et graveur vivant dans le val Ferret), a accompagné les 26 textes de 26 monotypes reproduits dans l’édition. La valeur de cette écriture tient tout entier à la conscience de la mort, avec laquelle vit le poète nonagénaire. « A la suite d’un corps, il ne peut y avoir rien. Certes, personne n’est revenu des inimaginables villages. Quand nous serons en Dieu, nous passerons dans les nuages, le vent, les torrents qui bêlent, ça pourra prendre une forme humaine. Nos morts travaillent depuis toujours sur cette terre. Tel ou tel les a aperçus, je m’en suis parfois douté. Ils influencent le destin, ils remuent les événements » (p 21) « J’ai tant guetté le printemps, cette année, si anxieux de le manquer. A présent, guetté par l’âge, je le rumine comme les vaches ruminent l’herbe en clignant les paupières. » (p 71) « Les croyants, les incroyants… Voilà ce qui à l’instant s’est faufilé à l’intérieur. On est tout à la fois croyant et incroyant. Le choix se fait sans cesse et presque à notre insu, d’un jour à l’autre dans le dédale de l’âge où je trébuche. L’espoir même que j’ai et les miettes de la beauté du monde qui s’éparpillent en moi… des nuages dans le ciel aux arbres sur la terre qui attendent avec le cri d’un corbeau, tout me fait sentir mon rapprochement avec les bêtes. » (p 94) Et ce passage où Chappaz cite « le mot de la fin d’un fermier à sa parenté appelée autour de son lit : Eh bien ! mes pauvres, cette fois ça y est, j’ai fini de chier. » (p 94)…

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Maurice Chappaz, jeune homme.

 

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mardi, 26 mai 2009

Assises internationales du roman

Connaissez-vous Les Subsistances ?

Les Subsistances, c’est un fort que l’armée française fit construire au XIXème siècle, à l’emplacement du couvent des Visitandines à Lyon, un couvent établi en ce lieu depuis 1640.

Le XIXème siècle fut ce siècle de fer, où l’on tenta de faire croire à de pauvres gens naïfs qu’en mettant des forts militaires à la place des couvents de religieuses, on réglerait leur schmilblick.

Mais à Lyon les canuts savaient bien que tous ces forts étaient en fait dirigés contre eux et contre leur persistance chronique à se révolter contre le bourgeois pour de sordides questions de tarifs.

Par la grâce de Raymond Barre, cet ancien fort se transforma à la fin du siècle dernier en un lieu culturel sur lequel l’ombre toujours pesante de la DRAC plane de toute sa bienveillante autorité.

 

Les Subsistances sont situées en un lieu fort joli,

Un goulot d’étranglement entre deux rocs,

Un défilé étroit que la Saône emprunte avant d’entrer dans la ville.

L’ombre fantastique des archevêques qui habitèrent l’endroit durant le Saint Empire Germanique y plane

Et chaque remou est semble-t-il encore hanté du cri d’un noyé

Ou du rire d’une jolie fille.

 

Du monde entier, depuis hier lundi et jusqu’à dimanche soir, des écrivains du monde entier vont débarquer à Lyon-Saint-Exupéry

Le nombril gros comme un soleil éteint

Pour venir colloquer, conférencer et table-ronder à propos de leur art.

On appelle cela la troisième édition des Assises Internationales du Roman.

Et la Villa Gillet, et France Inter

Sont de la partie, oui, oui

Jadis, Lyon avait ses foires et ses expositions universelles

Maintenant elle possède ça, d’international.

Je suis certain que de nombreux collègues, en activité ou à la retraite, vont s’y précipiter

Des étudiants aussi, pour y paraître.

 

De 10 heures à minuit, durant toute la semaine, les entrées se suivront et c’est à chaque fois cinq euros.

Faites le compte.

 

Mais comme c’est étrange, ces gens assis sur des bancs durs

Ecoutant d’autres, assis dans des fauteuils mous,

Leur parler de ce qu’ils ont ou vont écrire.

 

Lyon est une ville qui a toujours maltraité ses écrivains.

Il en surent quelque chose, Léon Boitel le noyé, et Puitspelu le provincial, et Beraud le bagnard, et Reverzy le médecin des pauvres.

Comme le disait Hannah Arendt, quand une société s’est transformée en une société de masse, elle est condamnée à transformer sa culture en culture de masse, tant le rapport entre culture et société est lié.

Et c’est le boulot de ces écrivains, de ces professeurs, chacun assis, se regardant, de faire cela.

De la faune internationale et médiatisée.

Pivotisée

 

Sur le programme, chaque écrivain (e) a mis sa photo,

Comme en classe le trombinoscope,

Hommes, femmes, jeunes, vieux, blancs, noirs,

Aucun(e)  n’a refusé et certains (es) mêmes

Tels stars et starlettes

Ont pris la pose, eh oui,

La pose d’écrivains comme sur le quatrième de couverture,

Tous en carrés

Quelle époque !

Dimanche soir, (« la veille ») Lanzmann, espèce d’invité d’honneur pour ses Mémoires qui viennent de sortir et que Josyane Savignot a trouvé magnifiquement écrits

A parait-il déclaré, le gros con :

« Le cinéma est le septième art, et Shoah le huitième… »

 

Renversant, non ?

 

Nancy Huston, dont je n’ai jamais pu lire un seul livre tant l’aphonie y est de mise,

Sera l’un des clous du spectacle,

Mais moins cependant que la Dombasle lisant la Duras…

 

 

Comme je n’ai reçu aucune invitation,

Et qu’avec cinq euros, je préfère boire un petit quart de blanc en bordure de Saône

Plutôt que d’écouter des fadaises ou des choses que je sais déjà,

Dans les remous lascifs et presque gourmands de l’ondoyante rivière,

Je guetterai l’ombre des archevêques ironiques

Ainsi que le rire des baigneuses qui venaient y laver,

Sous leurs regards faussement courroucés,

Leur blanche et délicate peau.

 

Il y a quand même un avantage des Assises Internationales du Roman sur les Nuits Sonores,

C’est leur discrétion.

Privilège du tittytainment culturel...

 

Santé !

samedi, 23 mai 2009

L'art du cousu

Aucun travail de style ne peut s’épargner l’art du cousu. Ce qui est vrai de la chaussure, de la brochure et du soin postopératoire l’est aussi du texte. Si la simple parataxe suffit à l’oral, la simple syntaxe à l’écrit, le texte littéraire, lui, exige son cousu… De phrase à phrase, par un truchement ou par un autre. Un véritable écrivain ne fera jamais l’économie de ça. C'est-à-dire qu’il ne fera jamais l’économie de l'écoute formelle et laborieuse de la langue.

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20:03 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature, écriture, style, art du cousu, langue française | | |

vendredi, 22 mai 2009

Le silence de la nuit

Les nuits sonores : je ne sais quel est l’idiot qui a inventé ce concept oxymorique. Depuis, avec la bénédiction des stupides autorités culturelles municipales de la ville de Lyon, une partie des impôts locaux des citoyens passe à planter un peu partout dans la ville pendant quatre jours, autour de quelques lieux payants, des podiums où d’autres abrutis censés être à la pointe de la vie culturelle se livrent impunément à du tapage diurne et nocturne, institutionnalisé. Les riverains un peu partout se plaignent de ces concerts autoritairement imposés à leurs fenêtres. On parle de nuisances sonores. C’est peu dire tant le vacarme est assourdissant. Pour ma part, je m’interroge sur cette détestation du silence qui est la marque de toute une société marchandifiée autant que déshumanisée, celle des enfants de la télé. Je me souviens avec émotion de l’époque où une grille signalait à tous les énergumènes la fin des hostilités, et qu’il était temps d’aller se coucher.  Une mire que voilà.

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Et je suggère à M. Kepenékian, premier adjoint à la culture de la ville de Lyon, soit d’installer l’an prochain tous ces concerts irrespectueux sous ses propres fenêtres, soit de proposer, un peu comme Marcel Duchamp le fit en 1917 avec sa délicieuse fontaine, cette silencieuse mire à tous ses administrés en guise de nuit sonore : tout le monde resterait immobile et silencieux, en un happening révolutionnaire pour le coup : voilà qui serait un geste vraiment progressiste, vraiment dada, vraiment en rupture avec l’académisme collet-monté et le conformisme décrépi de l’époque : vraiment culturel, donc.

Sinon, au lieu de prendre en otage la population, qu’il construise des salles, et qu’il fasse payer les entrées à tous les epsilons de la société du spectacle qui se réjouissent de tout ce boucan technologique et asservissant. Je rappelle au passage cette belle définition du tittytainment  de J.C. Michea, dans L'enseignement de l'Ignorance (Climats, 1999) : "Entertainment signifie divertissement et tits, en argot américain, les seins. Par ce mot, il s'agissait de définir un cocktail de divertissement abrutissant permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée des villes". Pour les autres, pour les vrais amoureux de la nuit, voici une fable de La Fontaine de circonstance, hymne (entre autres), au beau silence de la nuit.

 

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mercredi, 20 mai 2009

La joie du pessimisme

 Celui qui est pessimiste est-il nécessairement triste ou morose ?  Le pessimiste accueille la lucidité sans forcément subir le joug de la morosité. Il refuse en tout cas de s’aveugler ou de se divertir, c'est-à-dire de se laisser détourner de ce qu’il comprend de l’état des choses et de celui du monde par la facticité des événements, la superficialité des propos, la fatuité des opinions qui l'entourent. On peut être pessimiste et cependant joyeux, comme on peut être optimiste, et cependant morose. 

Je ne crois pas que la France soit un pays en bonne santé. Je le déplore. Car je l’aime. Je ne crois pas non plus que l’Europe, cette mosaïque de résidus de nations et de peuples, soit un projet bien porteur. A quelques jours d’une élection, je ne me demande même plus pour qui voter : la gauche dite extrême, en tête de ses quatre propositions, place en n° 1 celle de « mettre un carton rouge ( !) à Sarkozy ! ». Quel projet pour des européennes, à la hauteur de la nullité des débats et de la démagogie désabusée de ceux qui les portent, de Mélanchon au facteur en passant par le clone d’Arlette et la survivante du PC. Les deux dames du PS, mairesse et présidente de région, ressemblent de plus en plus à des chefs d’entreprise, copies conformes à ce qu’on est de toute façon dans toute l’Europe libérale et bien pensante, que leur parti a fortement contribué à mettre en place (Maastricht sous les auspices de  Mitterrand…). Et les petits soldats de l’UMP respirent par tous les pores de leur peau la technocratie qu’ils font mine de condamner, la duplicité électoraliste autant que carriériste. Sur cet arrière-plan se profile la silhouette de Bayrou et sa posture de cavalier seul : encore un jeu individuel. Quant à la droite nationale et à ses listes en tous genres, elle ressasse et mouline, sur l’orgue de barbarie qu’elle condamne, la même partition que les autres, mais en sens inverse. Cette Europe est, en effet, un fiasco. Comment s’étonner, après le désaveu  scandaleux du référendum par Sarkozy et tous les ténors du PS, que les gens fort divers qui ont dit non à 55 % à ce système il n’y a pas plus de cinq ans (dimanche 29 mai 2005), aient envie d’aller déposer un bulletin dans l’urne un dimanche de plus, comme ils iraient à une messe, ni de s'intéresser à des débats resucés autant qu'inutiles ?

La machine à propagande tourne à fond sous les moulins à vent médiatiques (Obama et Michèle, derniers en date, comme si  Yes we can, au pays de Montaigne, était une pensée !), assistée par  la machine à endormir (foot et variétés). Le spectre de la fin des libertés rôde sur cette société d’incultes et d’impotents. Et tous les romanciers ou intellectuels, en tout cas ceux qui sont médiatisés et dont les œuvres sont distribuées, se font les complices putassiers de ce système : la lecture par Arielle Dombasle d’un texte de Marguerite Duras dans des Assises internationales du roman à Lyon dans quelques jours  me semble être la parfaite caricature de ce qu’est devenue en effet la vie intellectuelle dans ce malheureux pays. Nous savons tous, par ailleurs que, sur Internet, Edvige et Facebook sont des enfants jumeaux, que la crise économique et la grippe porcine ou mexicaine, (comme si ça avait soudainement une importance, les mots !) ont de beaux jours devant elles avec les milliers de gratuits distribués chaque jour aux bouches de métro…

Voilà pour le pessimisme.

Ce qui est extraordinaire, c’est que malgré tout ça, on puisse en effet s’enchanter de la qualité de la lumière sur la ville certains soirs lyonnais (Lugdunum, oui, cela vient de lux, lucis – la lumière). Et puis aussi se nourrir de la relecture du Neveu de Rameau (inépuisable, ce texte) ou de celle du Journal de Bloy (de bons coups de pieds au cul contre l’endormissement), ou tiens, pour se la jouer dans l’air du temps-comme tous ces cons qui ont l’air soudainement d’apprécier le classicisme vomi par les sbires de l’OCDE  – celle de la sublime, en effet,  Princesse de Clèves.

S’il y a dans la France quelque chose qui tiendra bon, comme dans d’autres vieux pays, du  genre de la Russie ou de l’Italie, c’est bien sa littérature.

Et pour finir  avec une idole de la bien pensance contemporaine, je rappelle un de ses versants joyeux, moins rose que celui des restos du cœur, et malheureusement plus oublié :

 

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dimanche, 17 mai 2009

De l'art de citer

Dans son traité des études monastiques, Dom Mabillon invite tout lecteur assidu à tenir des recueils de citations, pour y écrire « les choses remarquables qui se présentent dans la lecture afin de ne pas les perdre tout à fait, et de ne pas les abandonner à l’aventure d’une mémoire infidèle ou chancelante.» Je ne sais si beaucoup de gens - même parmi les étudiants (…), même parmi les intellectuels ( ???), même parmi les écrivains (!!!)- ont encore le bon heur de suivre cet avis. Il me semble que non, en constatant autour de moi la façon dont beaucoup de contemporains laissent leur mémoire se fragmenter dans les perceptions instantanées d’un monde, fait en seul part d’images et de sons, sans devenir. Montaigne, qui en fit grand usage, voit dans la citation un compagnonnage assumé, pour ne pas dire revendiqué, avec les Auteurs du passé : « Je fais dire aux autres ce que je ne puis si bien dire, tantôt par faiblesse de mon langage, tantôt par faiblesse de mon sens. » (Des Livres - II,9). Il semble bien que Richard Millet ait raison, hélas, qui dans son Désenchantement de la Littérature, a remarqué (p 16) « qu’il n’y a plus dans le monde d’écrivain dont on puisse dire qu’il est une figure », les écrivains « n’étant plus qu’une image, photographique, toujours la même , interchangeable, inévitablement posée, donc putassière… ». Difficile, en effet, de citer une image…

Citer est pourtant une activité d’esprit aussi remarquable que délicieuse. Une habitude perdue ? Si nous ne lisons plus que des images et puisque nous n'avons plus le moyen ni la capacité de nous éprendre de figures, c’est bien possible. Il est convenu de penser aujourd’hui que les auteurs d’avant l’automobile, que dis-je l’automobile, d’avant la télé, que dis-je la télé, d’avant l’Internet, n’ont plus grand-chose à nous apprendre, ayant vécu dans un monde décidément aussi différent du nôtre qu’un corps de fermes rustique l’est d’une cité de banlieue avec barres et supermarché. La plus grande partie de la population, dans l’ignorance où l’a dressée l’école, et le droit proclamé à l’imbécilité qu’autorise les courriers des lecteurs comme les émissions de Delarue ou les micros-trottoirs des JT, a d’ailleurs tourné le dos à la belle langue qui lui aurait permis de comprendre, d’aimer, de citer ces auteurs. A la façon de l’ami Clitandre de Molière, elle voit dans l’habitude de la citation un usage mondain plus pédant que plaisant (Femmes Savantes, I. 4) :

« De son étude enfin, je veux qu’elle se cache

Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache

Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,

Et clouer de l’esprit à ses moindres propos. »

 

Tout ceci est bien dommage. Mais qu’y faire. Certaines citations relèvent du bien commun, d’autres du trésor personnel, et nous devrions à toutes rendre droit de cité, dans nos discours comme dans nos moeurs. Il y aurait donc encore beaucoup à dire de l’usage des citations. Pratique de moine, privilège d'érudit, divertissement de mondain ? Je laisse à d’autres plus compétents que moi le soin d'en décider. Impossible, pourtant, de prendre congé sans au moins une citation : « La vie se passe à regarder d’une main mourir lentement tous ses amis d’un cancer généralisé et à attraper de l’autre un autobus en marche ». Voilà qui est dit. (Alexandre Vialatte, Chronique de la Montagne n° 670, du 15 mars 1966)

samedi, 16 mai 2009

Grevisse et la complaisance

Eventuel du subjonctif : Bien qu’on ait un présent ou un futur dans la principale, lorsque le verbe subordonné, tout en dépendant d’un verbe qui régit le subjonctif, exprime l’éventualité, il se met à l’imparfait ou au plus-que-parfait du subjonctif, ayant la valeur d’un conditionnel. Toutefois de nos jours, surtout dans la langue parlée, on met le plus souvent, dans ce cas, le présent ou le passé du subjonctif, selon le sens. Dans cet éventuel du subjonctif, l’imparfait correspond généralement au conditionnel présent, le plus-que-parfait au conditionnel passé.

-          Il n’y a aucun de ses sujets qui ne hasardât sa propre vie pour conserver celle d’un si bon roi (Fenelon – Telémaque, t. 1 = tous ses sujets hasarderaient)

-          Où est le poète qui osât proposer à des hommes bien nés de répéter publiquement des discours plats ou grossiers  (Diderot, Paradoxe sur le comédien)

-          On craint que la guerre, si  elle éclatait, n’entrainât des maux considérables  (Littré)

(Grevisse – Le Bon Usage - Eventuel du subjonctif)

C’est une constante, chez Grevisse, après avoir rappelé une règle de bon style, de s’empresser de rappeler qu’on peut toutefois, de nos jours, ne pas l’appliquer.

1936 : Parution du premier Bon Usage chez Duculot. Début de l’ère de la complaisance ?

mercredi, 13 mai 2009

Les vingt cinq francs de Flaubert

La mobilisation de 1870, puis la sévérité des premiers revers militaires provoquent  une vive panique chez le public, ainsi que la décision de la Banque de France d’abaisser à 25 francs sa plus petite coupure.  A partir d’un projet abandonné d’un billet de 50 francs déjà gravé mais non imprimé, elle improvise ce billet historique, qui offre au recto une allégorie de l’industrie dessinée par Chazal, très classique, dans un cadre de feuillage, et au verso, une femme symbolisant la Banque. Le siège de Paris et la Commune  en suspendent l’impression après 875 000 billets, et c’est à Clermont, où s’ouvre une imprimerie « délocalisée », que s’achève le tirage. Clermont a été choisi en raison de sa proximité avec Thiers, d’où provenait le papier vergé. Cette valeur faciale est unique et ne sera jamais ré-utilisée par la Banque, après son abandon le 5 décembre 1870 ; d’où l’attrait pour les collectionneurs  de ces quelques alphabets  (un 25 francs 1870 se négocie, dans un état de conservation fort quelconque (il n’en existe aucun de conservé dans un état neuf), aux alentours de 2500 euros.

25 francs ! A quoi correspondaient 25 francs en 1870 ? Il faut rouvrir de vieux livres, chercher. Dans l’Argent, Zola évoque les coups de Saccard à cette époque où les titres font du yoyo et, lorsqu’ils tombent à leurs cours les plus bas, valent précisément entre quinze et trente francs. Le Desespéré de Léon Bloy se conclut par une aumône de vingt francs de la baronne de Poissy à Marchenoir, aumône que ce dernier confesse à son ami Leverdier. Daniel Eyssette, le héros du Petit Chose d'Alphonse Daudet, aux alentours des années 1865, est embauché dans un théâtre pour un salaire mensuel de cinquante francs.  D’après Alphonse Allais (A se tordre, 1891, quelques vingt ans plus tard, vingt-cinq francs, c’est à peu près le prix d’une montre. Mais la valeur exacte, précise, irréfutable -on a envie de dire éternelle -  de vingt-cinq francs, à quelques années près (1857 ), c'est bien l'ironie flaubertienne qui, dans le célèbre passage des comices agricoles de Madame Bovary, nous la rappelle

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