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vendredi, 22 mai 2009

Le silence de la nuit

Les nuits sonores : je ne sais quel est l’idiot qui a inventé ce concept oxymorique. Depuis, avec la bénédiction des stupides autorités culturelles municipales de la ville de Lyon, une partie des impôts locaux des citoyens passe à planter un peu partout dans la ville pendant quatre jours, autour de quelques lieux payants, des podiums où d’autres abrutis censés être à la pointe de la vie culturelle se livrent impunément à du tapage diurne et nocturne, institutionnalisé. Les riverains un peu partout se plaignent de ces concerts autoritairement imposés à leurs fenêtres. On parle de nuisances sonores. C’est peu dire tant le vacarme est assourdissant. Pour ma part, je m’interroge sur cette détestation du silence qui est la marque de toute une société marchandifiée autant que déshumanisée, celle des enfants de la télé. Je me souviens avec émotion de l’époque où une grille signalait à tous les énergumènes la fin des hostilités, et qu’il était temps d’aller se coucher.  Une mire que voilà.

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Et je suggère à M. Kepenékian, premier adjoint à la culture de la ville de Lyon, soit d’installer l’an prochain tous ces concerts irrespectueux sous ses propres fenêtres, soit de proposer, un peu comme Marcel Duchamp le fit en 1917 avec sa délicieuse fontaine, cette silencieuse mire à tous ses administrés en guise de nuit sonore : tout le monde resterait immobile et silencieux, en un happening révolutionnaire pour le coup : voilà qui serait un geste vraiment progressiste, vraiment dada, vraiment en rupture avec l’académisme collet-monté et le conformisme décrépi de l’époque : vraiment culturel, donc.

Sinon, au lieu de prendre en otage la population, qu’il construise des salles, et qu’il fasse payer les entrées à tous les epsilons de la société du spectacle qui se réjouissent de tout ce boucan technologique et asservissant. Je rappelle au passage cette belle définition du tittytainment  de J.C. Michea, dans L'enseignement de l'Ignorance (Climats, 1999) : "Entertainment signifie divertissement et tits, en argot américain, les seins. Par ce mot, il s'agissait de définir un cocktail de divertissement abrutissant permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée des villes". Pour les autres, pour les vrais amoureux de la nuit, voici une fable de La Fontaine de circonstance, hymne (entre autres), au beau silence de la nuit.

 


La Lionne et l'Ourse

Mère lionne avoit perdu son faon :
Un chasseur l'avoit pris. La pauvre infortunée
Poussoit un tel rugissement,
Que toute la forêt étoit importunée.

La nuit ni son obscurité,
Son silence et ses autres charmes,
De la reine des bois n'arrêtoient les vacarmes :
Nul animal n'étoit du sommeil visité
.

L'ourse enfin lui dit : Ma commère,
Un mot sans plus ; tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N'avoient-ils ni père ni mère ?
Ils en avoient. - S'il est ainsi,
Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi ?
Moi, me taire ! moi, malheureuse !

Ah ! j'ai perdu mon fils ! Il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !
Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ?
Hélas ! c'est le Destin qui me hait. - Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.

Misérables humains, ceci s'adresse à vous !
Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque, en pareil cas, se croit haï des cieux,
Qu'il considère Hécube, il rendra grâce aux dieux.

Jean de La Fontaine, Fable XIII, Livre X.

Commentaires

Enfin quelque chose de sensé écrit sur ces nuits sonores et barbares. Merci Solko.

Écrit par : S.Jobert | vendredi, 22 mai 2009

Je suivrais volontiers votre proposition "dada" pour faire dodo.
A la campagne, nous avons le droit aux raves sauvages quand ce ne sont pas les rallyes motos cross... Je compatis et vous félicite pour votre style.

Écrit par : Nono | samedi, 23 mai 2009

Nous sommes à l'ère infortunée des après-gardes.

Écrit par : Singlost | samedi, 23 mai 2009

Je ne sais pourquoi je repense à la rue du Premier film, la rue de la tante Zize, avec ses bruits de la vie ordinaire, le passage des bicyclettes et le léger martèlement des talons plats. Se poser dans cette rue le soir et regarder passer le temps. La vie de ces gens qui travaillaient sans relâche, le leur permettait-elle seulement ?

Sans rapport avec le silence de la nuit, encore que, je découvre le LYON LEGENDAIRE & IMAGINAIRE, publié par un jeune homme de 26 ans. Je vais commander ce livre, et si les éditions Curandera n'existent plus, merci de me dire comment faire.

Quant à "L'école vendue", publiée en 2000 chez L'Harmattan, je le lirai cet été, dans le silence des nuits pyrénéennes.

Ravie en tout cas de ces découvertes.

Écrit par : michèle pambrun | samedi, 23 mai 2009

@ S.Jobert : Je crois que ces nuits font plus de mécontents que de satisfaits, honnêtement.

Écrit par : Solko | samedi, 23 mai 2009

@ Nono : Merci de votre visite. Et bravo pour votre site. Vous êtes un vrai militant de l'oreille.

Écrit par : Solko | samedi, 23 mai 2009

@ Michèle :
La tante Zize aurait sans doute versé des litres d'eau sur la tête de tous ces agités, en croyant à une invasion d'humains-mutants. Ou quelque chose dans ce goût-là.
Les éditions Curandera ont fait faillite depuis lurette, hélas. L'harmattan, lui, tient encore boutique, rue des écoles. J'ai toujours bien aimé le nom de cette rue, quand on sait que parmi ces écoles, il y a la Sorbonne et le Collège de France.

Écrit par : Solko | samedi, 23 mai 2009

Certes. Je suis bien d'accord.
Mais aussi écoutons La Fontaine; et considérons Hécube.

Écrit par : Pascal Adam | samedi, 23 mai 2009

A la place de la techno, l'an prochain, on pourrait leur suggérer de réciter des fables de La Fontaine, ce qui serait plus calme et plus philosophique.

Écrit par : S.Jobert | dimanche, 24 mai 2009

@ S Jobert : Plus inspirant aussi, car pour ce qui est de l'art de coudre, La Fontaine demeure le maître de tous, n'est-ce pas ?

Écrit par : solko | dimanche, 24 mai 2009

Les commentaires sont fermés.