mercredi, 04 novembre 2009
Bienfaits et méfaits d'une même solitude
« Je ne sais comment vous avez fait ; mais depuis que vous vivez dans le séjour des talents, les vôtres paraissent diminués ; vous aviez gagné chez les paysans, et vous perdez parmi les beaux-esprits. Ce n’est pas la faute du pays où vous vivez, mais des connaissances que vous y avez faites ; car il n’y a rien qui demande tant de choix que le mélange de l’excellent et du pire »
( J.J. Rousseau - de Julie à Saint-Preux – La Nouvelle Héloïse, II, 27)
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mardi, 03 novembre 2009
Mes Goncourt...
Je me suis amusé à dresser la liste des lauréats du Goncourt que j’avais lus, et je m’aperçois que sur la liste entière (que j’ai empruntée à Wikipédia), je n’en ai lu que douze (ou treize car 1922 et 1951 posent problèmes). Les voici ;
Le Feu (1916), A l’ombre des Jeunes filles en fleurs (1919), Le Vitriol de Lune et le Martyre de l’obèse (1922), Raboliot (1925), La Condition humaine (1933), L’Araigne (1938), Le premier accroc coûte 200 francs (1944),Le rivage des Syrtes (faut-il le compter ? – 1951), Le roi des Aulnes (1970), Rue des boutiques Obscures (1970), Les égarés (1983), Les Champs d’Honneur (1990), Je m’en vais (1999).
Oui je sais, Romain Gary et Duras on me le dit souvent, mais que voulez-vous ? Quand ça tombe des mains, ça tombe des mains….
Dans toute cette liste, le fait qu’ils aient été couronnés n’a été déterminant que deux fois (1983, 1999). J’achèterai donc celui de cette année dans dix ans (si on en parle encore)
PS. Pour tenir ce calendrier, peut-être devrais-je mettre mon nez dans Ingrid Caven : si quelqu’un qui l’a lu passe par là ...
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Le cimetière des chiens
Léon Bloy est mort un 3 novembre, celui de cette terrible année 1917 dont Louis Guilloux fit l’année du Sang Noir. Terrible rencontre, quand on y pense, que celle qui aurait pu se produire entre Cripure et Léon Bloy, « morts » à quelques semaines d’intervalles, finalement.
Voici un extrait du Sang du Pauvre, que Bloy écrivit de janvier à mars 1909.
A propos de cet extrait, il écrivit dans son Journal (Le Vieux de la montagne) le 16 mars 1909 : « Visité le cimetière des chiens à Asnières en vu d’un chapitre pour le Sang des Pauvres. Recueilli quelques notes quelques inscriptions bouffonnes ou odieuses. Là, plus que partout ailleurs éclate le mépris absolu du pauvre. Je reviens documenté, inexprimablement dégoûté et vomissant »
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« Un certain effort n’est pas inutile pour s’habituer à cette pensée d’une nécropole de chiens. Cela existe pourtant à Asnières dans une île autrefois charmante de la Seine. Oui les chiens ont un cimetière, un vrai et beau cimetière avec concessions de trois à trente ans, caveau provisoire, monuments plus ou moins somptueux et même fosse commune pour les idolâtres économes, mais surtout, on le suppose, pour que les pauvres appartenant à l’espèce humaine soient mieux insultés. (…)
La monotonie des « regrets éternels » est un peu fatigante. La formule de fidélité, plus canine que les chiens eux-mêmes : « Je te pleurerai toujours et ne te remplacerai jamais » surabonde péniblement. Néanmoins le visiteur patient est récompensé.
« Ma Ponnette protège toujours ta maîtresse. – Kiki, trop bon pour vivre. – Drack, il nous aimait trop et ne pouvait vivre. – Linda morte d’attachement, de fidélité d’intelligence et d’originalité (au-dessous de deux niches). - Sur ton corps le printemps effeuillera des roses.- A Folette, O ma mignonne tant aimée De ma vie, tu fus le sourire. – La brutalité des hommes a mis fin à notre amour. »
Et celle-là oh ! Celle-ci : « Mimmiss, sa mémère à son troune-niouniouse… »
On est forcé de se demander si la sottise décidément n’est pas plus haïssable que la méchanceté même. Je ne pense pas que le mépris des pauvres ait jamais pu être plus nettement, plus insolemment déclaré. Est-ce l’effet d’une idolâtrie démoniaque ou d’une imbécilité transcendante ? Il y a là des monuments qui ont coûté la subsistance de vingt familles ! J’ai vu en hiver, sur quelques-unes de ces tombes d’animaux, des gerbes de fleurs dont le prix aurait rassasié cinquante pauvres tout un jour ! Et ces regrets éternels, ces attendrissements lyriques des salauds et des salaudes qui ne donneraient pas un centime à un de leurs frères mourant de faim. « Plus je vois les hommes plus j’aime mon chien », dit le monument à Jappy, misérable cabot bâtard, dont l’ignoble effigie de marbre crie vengeance au ciel. La plupart de ces niches sans abois sont agrémentées, pour la consolation des survivants d’une photographie du pourrissant animal. Presque toutes sont hideuses, en conformité probable avec les puantes âmes des maîtres ou des maîtresses. « Les attractions, a dit Fourier sont proportionnelles aux destinées. »
Je n’ai pas eu le bonheur d’assister à un enterrement de 1ère classe. Quel spectacle perdu ! Les longs voiles de deuil, les buissons de fleurs les clameurs et les sanglots de désespoir, les discours peut-être. Malheureusement, il n’y a point de chapelle. Avec un peu de musique, la Marche Funèbre de Beethoven, par exemple, il m’eût été facile d’évoquer le souvenir des lamentables créatures à l’image de Dieu portées, après leur mort, dans les charniers de l’Assistance et enterrées à coups de souliers par des ivrognes.
Toute caisse contenant un animal mort dit l’article 9 du règlement sera ouverte pour vérification à son entrée au cimetière. Ce très sage article a sans doute prévu le cas où quelque putain richissime y voudrait faire enterrer son père. »
Le sang du Pauvre, « les deux cimetières » (chapitre XIX), 1983 réed. Mercure de France
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lundi, 02 novembre 2009
Les Jours des Morts de Léon Bloy
1894 - 1917 : A travers ses journaux (Le Mendiant Ingrat, Mon journal, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, L'invendable, Le vieux de la Montagne, Le Pélerin de la Montagne, Au seuil de l'Apocalypse La Porte des Humbles) Léon Bloy, qui vit le tournant du siècle et La Belle Epoque dans une misère quasi totale, consigne ses sentiments presque chaque 2 novembre de chaque année. Florilège :
2. Novembre 1894 :
La seule vraie dévotion c’est la pitié pour Jésus c’est-à-dire la compassion pour Marie.
Cimetière Montparnasse. La foule heureusement n’est pas trop compacte. Mais cette visite annuelle des parisiens à leurs morts est si banale que je recueille dans l’air ambiant, l’idée que voici : Pourquoi une agence de publicité n’exploiterait-elle pas les tombes, comme on exploite les parois des urinoirs ou les plafonds des omnibus ? On lirait ainsi l’annonce d’un chocolat nouveau ou d’un dentifrice américain sur les dalles tumulaires, et les murs disponibles des édicules manifesteraient les quatre-vingt mille guérisons récentes, obtenues par l’emploi de tel pharmaque dont l’éloge n’est plus à faire, etc etc…
Une chose pourtant n’est pas ridicule. C’est l’illumination des petites chapelles. N’ayant jamais visité aucun cimetière, le Jour des Morts, j’ignorais cette coutume. Si on ne fermait pas les portes, quelle promenade, en priant les rues solitaires et illuminées de cette ville des âmes qui souffrent, des âmes qui ne peuvent pas parler et qui sont ainsi des âmes enfants !
Sortis de là et assis dans un café, nous sommes environnés d’êtres soi-disant humains, venus aussi des cimetières, et qui nous paraissent moins vivants que les dormientes qui nous ont émus tout à l’heure. Mannequins affreux, sous les hardes qui leur donnent une apparence d’humanité.
2 Novembre 1895 :
Lu dans Le Journal une interview, par correspondance, de plusieurs personnages importants à qui on demande ce qu’ils pensent de la mort. ( !!!) Je ne me souviens pas d’avoir lu rien de plus médiocre de plus abject. La seule bonne réponse je crois est celle de Gérôme disant que la mort a, du moins, ceci d’agréable qu’elle délivre de toutes les crapules avec qui on est forcé de prendre contact.
Jeanne me dit : -La nature humaine est telle qu’on ne peut pas ne pas craindre la mort. Mais quand ce moment redoutable sera passé, on se dira : Combien c’était simple ! et comment avons-nous pu ne pas voir combien c’était simple
2 Novembre 1897 :
Merveilleuse gredinerie du propriétaire assassin qui ayant abusé de la situation lamentable d’une veuve paralytique ignorante et terrifiée, pour lui soutirer des signatures, la dévalise maintenant et la cambriole en sécurité sous l’œil de la juste loi. De notre côté impuissance et cauchemar. Ce démon que j’ai essayé de peindre dans un de mes livres passe ici pour la crème des honnêtes gens.
2 Novembre 1899
La misère des morts en un siècle privé de foi est un arcane de douleur dont la raison est accablée. Il m’est arrivé, pourquoi ne le dirais-je pas, d’être réveillé par les morts, tiré de mon lit par les morts – par des morts que je connaissais et par d’autres que je ne connaissais pas. Une pitié terrible me précipitait, me maintenait à genoux les bras en croix, dans les ténèbres, et, le cœur battant comme une cloche sourde, je criais vers Dieu pour ces âmes…
2 Novembre 1901
Jour des Morts. J’apprends la mort de Julien Leclercq. Nouvelle extrêmement pénible, dont je suis assommé. C’était un de mes rares amis. Où est-il maintenant, ce pauvre malheureux Quelle effrayante pensée ! Mais il n’était pas un méchant et j’espère qu’il a trouvé miséricorde. Qui priera pour lui excepté moi seul, peut-être ?
2 Novembre 1902
Jour des Morts. Les conséquences du mal qu’on a fait retournent continuellement à leur source – tourment des âmes des damnés et des âmes du Purgatoire – à moins qu’on ait interrompu le courant et coupé le câble en devenant un saint.
Les esprits n’ont pas de lieu. Cependant on peut dire que certaines âmes sont enfermées dans un certain lieu, le Purgatoire, par exemple. Mais il faut entendre cela au spirituel, à savoir que certaines choses indispensables leur sont cachées. Leur ignorance constitue leur captivité.
2 Novembre 1905 :
Jour des Morts. Entendu à la Basilique, le plus misérable sermon. Je songeais au discours à faire sur ces mots de la liturgie : « Vita mutatur non tolitur, Apprenez, mes frères, que vous ne devez pas mourir »
Je pense que ce sera la punition des riches de ne pouvoir pas donner. Je me figure ainsi l’enfer et je vois les riches cherchant partout, jusque dans les plus puantes cavernes et les recoins les moins accessibles de leur âme désespérée, quelque chose à donner. Mais ils seront épouvantés de ne trouver que du fumier, un fumier palpable mais sans cesse évanouissant, et qu’ils ne pourront même pas -étant immatériel et qualité toute pure-, avoir la ressource de vendre au poids. Mais une si épouvantable stérilité est nécessairement éternelle puisque dans leur vie, ils n’auront jamais cessé de ne vouloir pas donner.
2 Novembre 1907 :
Jour des Morts – A 6 heures réveillé par un cri horrible que n’avait proféré aucun vivant. Je voudrais que Dieu fit brûler mon cœur
( le lendemain, 3 novembre, Bloy consigne : « Lettre de faire part de la mort de Alfred Jarry, auteur de Ubu Roi, décédé à l’hôpital de la Charité à l’âge de 33 ans. Les obsèques auront lieu à Saint-Sulpice. Bien, mais comment est-il mort, et après quelle vie ? Je pense au cri affreux entendu hier, et qui m’a jeté en bas de mon lit.
2 Novembre 1912 :
On m'envoie une feuille bordelaise, Sports, où je lis ce titre : La Toussaint sportive ! Blasphème dans l'inconscience et la stupidité absolues
2 Novembre 1914 :
Brou vient me voir. Il a un terrible emploi chiennement retribué d'ailleurs à la mairie de son arrondissement, service des allocations, où il voit défiler du matin au soir les plus affreuses misères. On se réjouit comme on peut de la déconfiture désormais probable des Allemands.
2 Novembre 1915 :
Journée de lecture.
Le soir vers 6 heures, visite agréable de Henri Boutet qui me trouve en meilleur état et se réjouit d'apprendre que mon livre sera édité. Commencé aujourd'hui la lecture quotidienne de l'office des morts, ayant décidé de le lire tous les jours de ce mois.
2 Novembre 1916 :
Lettre de Termier m'envoyant une somme de la part d'un ami qui veut demeurer anonyme. Dès le commencement de leur mois, les morts semblent se déclarer en ma faveur.
A Termier : J'ai reçu avec émotion ce que les défunts m'ont envoyé par lui... Je suis depuis longtemps en commerce avec eux et, bien souvent, ils m'ont secouru...
Le 2 novembre 1917 : Léon Bloy n'a rien écrit, son journal s'interrompant à la date du 20 octobre 1917 sur ces mots : "Après-midi, mandat de 50 francs envoyé par Lamoureux. Jeanne lui répond."
Léon Bloy est mort le samedi 3 novembre 1917, à 6 heures 10 (du soir) très exactement aux dires de sa femme Jeanne. Selon sa propre expression parlant de son fils André, il avait l'air, écrit-elle "d'un Capitaine des Anges"...
15:34 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : jour des morts, littérature, léon bloy, alfred jarry |
vendredi, 30 octobre 2009
Rébus
En suivant du regard la piste de Michon dans les Onze, on arrive au fameux décret Lyon n’est plus.
Farce d’un pince sans rire, pour le coup …
Non pas la Route des Flandres, mais celle du Limousin : non pas le bouclier d'Achille, mais celui de Michelet.
A suivre des yeux (et du reste), évidemment...
10:29 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : pierre michon, les onze, littérature, prix de l'académie française |
jeudi, 29 octobre 2009
Un Goncourt pour Renard
Un prix Goncourt attribué le Jour des morts. Drôle d'idée honnêtement ! Signe que l'époque ne croit plus trop aux présages, bons ou mauvais. Car c'est bien le prochain 2 novembre, à 12h 45 pétantes, «afin de faciliter la couverture médiatique de l’événement, en permettant notamment au lauréat d’être présent chez Drouant avant le début des journaux radio et télévision de 13h. », qu'on apprendra le nom de l'heureux(se) élu(e). Un certain talent pour la communication et le marketting, les vioques de l' Académie, dites-moi !
Extrait (pour se mettre en forme), du Journal de Jules Renard, en date du 23 novembre 1909. Il est alors académicien depuis 2 ans, et mourra le mois de mai suivant :
« 23 novembre – Dîner Goncourt. Ils sont à table, Mirbeau près de Daudet, réconciliés, Descaves voudrait donner le prix à Léon Bloy. Hennique s’oppose à ce couronnement de l’insulteur; à Léautaud : Bourges déclare son livre infect.
On parle de la pourriture du monde. C’est peut-être la seule qualité de l’Académie Goncourt, d’être honnête.
Daudet raconte que, dans un salon, une dame avait un cordon qui passait sous sa jupe. On a tiré : c’était un ténia. Cette histoire affole Bourges.
Mirbeau dit :
- Les ouvriers, mon cher ? Je m’en suis servi cet été Ils sont stupides.
Daudet est tout fier de les mater en réunion publique.
- Renard me dit Rosny ainé, on vous imite beaucoup pour le Prix.
C’est la famille des renardeaux.
Crise. Souffle précipité, dégoût universel. La mort peut venir dans une heure dans dix ans. Dire que j’aime mieux dix ans !
Encore une fois j’ai perdu l’équilibre. Je touche le fond. Tout à coup, guérison si je travaillais.
La mort proche, on sent le poisson »
19:56 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : jules renard, prix goncourt, littérature |
mercredi, 28 octobre 2009
Les formules du contribuable
On trouve sous la plume d’auteurs mineurs des réflexions de haute tenue ; comme ici, sous celle de Pétrus Sambardier (1), journaliste et écrivain à peu près complètement oublié qui nous offre là une belle leçon de mémoire politique :
« Une seule chose est restée certaine de ce qu’ont dit les journaux : c’est que tout le monde est imposé sur le revenu. Il n’est pas un Français qui ne jouisse pas d’un revenu. Si vous gagnez juste assez pour payer votre location, boire du vin aux grandes fêtes, et acheter un complet les années bissextiles, ce que vous gagnez est un revenu et est imposé comme tel. Au temps lointain où je lisais les affiches électorales je me souviens qu’on faisait des rassemblements autour de ces affiches pour lire en grosses lettres : Etablissement d’un impôt sur le revenu. Dans l’esprit de ceux qui composaient le rassemblement, il n’y avait pas de doute. Impôt sur le revenu cela voulait dire : impôt sur celui qui a de quoi. Nous trouvions cela très bien, et l’on nous aurait fort étonné si l’on nous avait dit : Le revenu, c’est la journée de l’ouvrier, l’heure de la femme de platte (2), le tronc du garçon de café, la bonne-main du déménageur. Le revenu, c’est le cachet du joueur d’ocarina la visite du docteur, la quête du lutteur à la vogue.
Tout ça il faut le déclarer, et pas moyen de frauder. »
(1) « Les formules du contribuable » - 3 avril 1920 in La Vie à Lyon,
(2) Les plattes étaient des bateaux-lavoirs sur le Rhône et la Saône
09:12 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : petrus sambardier, littérature, politique |
lundi, 26 octobre 2009
Accords parfaits
Entre un texte, une photo et un paysage naissent parfois des accords magiques. Magiques parce que non concertés. Ni le maçon, ni l’écrivain, ni le photographe ne les ont recherchés et pourtant ils sont là : et c’est ainsi que certains grands artistes égalent parfois à leur insu la nature dont ils s’inspirent en nous révélant non plus un accord entre elle et eux, mais un accord entre eux à propos de ce qu’ils montrent d’elle. Il en va ainsi de Blanc & Demilly, Jean Reverzy, et de tous les obscurs qui fabriquèrent ce pont.
« J’étais à Lyon sur les quais du Rhône et sous des platanes extrêmement parfumés. Le soleil se tenait entre d’extraordinaires images dont le relief et l’incandescence me stupéfiaient et à droite de la colline dont la seule image me rappelle l’odeur délicieuse des vieux bouquins de piété. Je me souviens que le Rhône découvrait de longs bancs de cailloux d’une blancheur absolue… Mais n’oubliez pas qu’à l’horizon fondait de l’or et de l’or… Dans la lumière inquiète et blanche du sunset, je vis s’éclairer des fenêtres ; ça et là tremblèrent de minuscules cristaux rouges. Un mystérieux esprit m’envahit, que j’appelle le Mal du Soir. »
09:20 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : blanc demilly, reverzy, rhône, littérature |
vendredi, 23 octobre 2009
Un Colbert en réserve
Colbert n’était guère aimé de la Cour de Louis XIV qui lui reprocha sa roture, sa vulgarité ainsi que son caractère froid et distant. Mme de Sévigné qui, comme Saint-Simon, n'était pas avare de ses compliments, le surnomma « Le Nord », en raison de son attitude qu'elle jugeait glaciale. Louis XIV aurait-il été le monarque le plus puissant du monde sans le génie cet homme ? La BdF le jugea suffisamment charismatique pour lui consacrer une coupure de 500 francs le 14 janvier 1943. Malgré les 3 millions de billets imprimés, il ne fut cependant jamais mis en circulation et demeura, si on peut le dire, une effigie de l'ombre, puisque cette véritable éminence grise fut placée en réserve pour des raisons de stratégie autant économique que militaire.
Contrairement à la légende, Colbert (1619- 1683) n’était pas le fils d'un marchand drapier. Ses ancêtres, laboureurs à la fin de la guerre de Cent Ans, puis maçons au XVème siècle, s’étaient rapidement enrichis en devenant marchands grossistes au XVIème, puis banquiers et financiers. Ils avaient donné bon nombre d’échevins à la ville de Reims. Sous Henri IV et Louis XIII, ils étaient très liés aux marchands et banquiers lyonnais, et avaient atteint le sommet de leur pouvoir sous Louis XIV : Le grand commis de la royauté française ne fut donc pas le self made man du Grand Siècle qu'on imagina par la suite dans les préaux des écoles, mais bien plutôt un fils à papa poussé dans les allées du pouvoir par des politiques et des gens d’affaires influents, au sein desquels on retrouve Le Tellier (père de Louvois), Particelli d'Émery, Lumagne, Camus…
Jean Baptiste Colbert a donné son nom au colbertisme, doctrine économique prônant entre autres l’idée que la richesse d'un État est avant tout fonction de l'accumulation des métaux précieux. La toujours irrévérencieuse postérité, en ayant songé un temps à le faire figurer sur l’un des ces bouts de papier auxquels les hommes modernes, oublieux des métaux, accordent tant de valeur, fut donc à son égard assez ironique.
De 1634 à 1645, il connut une ascension fulgurante, du comptoir lyonnais banquier Mascranny, où il fréquenta le milieu de la soie, au secrétariat d’Etat à la Guerre du ministre Le Tellier. Quelques trois ans plus tard, après un mariage qui lui rapporta 100 000 livres de dot, le jeune Colbert passa du service de Le Tellier à celui de Mazarin, sut profiter de la disgrâce de Fouquet, et petit à petit gagner les faveurs de Louis XIV. La légende voulut qu'il travaillât jusqu'à 16 heures par jour et Michelet alla jusqu’à le comparer à un « bœuf de labour », pour signifier cette puissance de travail qui dama le pion à tous les premiers de la classe du Grand Siècle.
Homme de l’épargne, homme du travail, protecteur des manufactures royales, Colbert reste aussi dans les mémoires comme l’homme du commerce maritime et colonial, qui dota le pays d’une flotte de guerre de plus de 276 bâtiments, ainsi que celui des Compagnies, dont celle des Indes: Voila pourquoi la coupure qui l'honore le représente la paume de la main posée sur une mappemonde.
A l'autre bout du billet, l'éphèbe gracile qu'on voit danser par-devant les voiles lointaines d'une caravelle, c'est donc le dieu Mercure, dieu, comme chacun le sait, des commerçants et des voleurs. Ah Cherbourg ! Ah Rochefort ! Tous les Dunkerquois s'en souviennent et en sont fiers, c'est lui qui en 1662 racheta leur ville aux Anglais pour l'offrir au tout jeune Roi de France. Les astronomes lui furent par ailleurs reconnaissants d'avoir, en 1667, fondé l'Observatoire de Paris. Ceux ou celles parmi vous que saisirait - sait-on jamais - l'envie de se recueillir un instant devant les cendres de Colbert peuvent toujours se rendre à Saint-Eustache dans la bonne ville de Paris. Non loin du Forum des Halles et de sa fièvre trop commerciale, la poussière des seules jambes de l'illustre trépassé y demeure, dans la pénombre d'un sarcophage orné d'une magnifique statue dudit en prière sculpté par le sculpteur lyonnais Coysevox.
13:25 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jean baptiste colbert, billets français, politique, littérature |