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mardi, 03 novembre 2009

Le cimetière des chiens

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Léon Bloy est mort un 3 novembre, celui de cette terrible année 1917 dont Louis Guilloux fit l’année du Sang Noir. Terrible rencontre, quand on y pense, que celle qui aurait pu se produire entre Cripure et Léon Bloy, « morts » à quelques semaines d’intervalles, finalement.

Voici un extrait du Sang du Pauvre, que Bloy écrivit de janvier à mars 1909.

A propos de cet extrait, il écrivit dans son Journal (Le Vieux de la montagne) le 16 mars 1909 : « Visité le cimetière des chiens à Asnières en vu d’un chapitre pour le Sang des Pauvres. Recueilli quelques notes quelques inscriptions bouffonnes ou odieuses. Là, plus que partout ailleurs éclate le mépris absolu du pauvre. Je reviens documenté, inexprimablement dégoûté et vomissant »

 

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« Un certain effort n’est pas inutile pour s’habituer à cette pensée d’une nécropole de chiens. Cela existe pourtant à Asnières dans une île autrefois charmante de la Seine. Oui les chiens ont un cimetière, un vrai et beau cimetière avec concessions de trois à trente ans, caveau provisoire, monuments plus ou moins somptueux et même fosse commune pour les idolâtres économes, mais surtout, on le suppose, pour que les pauvres appartenant à l’espèce humaine soient mieux insultés. (…)

La monotonie des « regrets éternels » est un peu fatigante. La formule de fidélité, plus canine que les chiens eux-mêmes : « Je te pleurerai toujours et ne te remplacerai jamais » surabonde péniblement. Néanmoins le visiteur patient est récompensé.

« Ma Ponnette protège toujours ta maîtresse. – Kiki, trop bon pour vivre. – Drack, il nous aimait trop et ne pouvait vivre. – Linda morte d’attachement, de fidélité d’intelligence et d’originalité (au-dessous de deux niches). - Sur ton corps le printemps effeuillera des roses.- A Folette, O ma mignonne tant aimée De ma vie, tu fus le sourire. – La brutalité des hommes a mis fin à notre amour. »

Et celle-là oh ! Celle-ci : « Mimmiss, sa mémère à son troune-niouniouse… »

On est forcé de se demander si la sottise décidément n’est pas plus haïssable que la méchanceté même. Je ne pense pas que le mépris des pauvres ait jamais pu être plus nettement, plus insolemment déclaré. Est-ce l’effet d’une idolâtrie démoniaque ou d’une imbécilité transcendante ? Il y a là des monuments qui ont coûté la subsistance de vingt familles ! J’ai vu en hiver, sur quelques-unes de ces tombes d’animaux, des gerbes de fleurs dont le prix aurait rassasié cinquante pauvres tout un jour ! Et ces regrets éternels, ces attendrissements lyriques des salauds et des salaudes qui ne donneraient pas un centime à un de leurs frères mourant de faim. « Plus je vois les hommes plus j’aime mon chien », dit le monument à Jappy, misérable cabot bâtard, dont l’ignoble effigie de marbre crie vengeance au ciel. La plupart de ces niches sans abois sont agrémentées, pour la consolation des survivants d’une photographie du pourrissant animal. Presque toutes sont hideuses, en conformité probable avec les puantes âmes des maîtres ou des maîtresses. « Les attractions, a dit Fourier sont proportionnelles aux destinées. »

Je n’ai pas eu le bonheur d’assister à un enterrement de 1ère classe. Quel spectacle perdu ! Les longs voiles de deuil, les buissons de fleurs les clameurs et les sanglots de désespoir, les discours peut-être. Malheureusement, il n’y a point de chapelle. Avec un peu de musique, la Marche Funèbre de Beethoven, par exemple, il m’eût été facile d’évoquer le souvenir des lamentables créatures à l’image de Dieu portées, après leur mort, dans les charniers de l’Assistance et enterrées à coups de souliers par des ivrognes.

Toute caisse contenant un animal mort  dit l’article 9 du règlement sera ouverte pour vérification à son entrée au cimetière. Ce très sage article a sans doute prévu le cas où quelque putain richissime y voudrait faire enterrer son père. »      

 

Le sang du Pauvre, « les deux cimetières » (chapitre XIX), 1983 réed. Mercure de France

12:35 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, cimetière des chiens, sang du pauvre, léon bloy | | |

Commentaires

Je ne sais pas si c'est normal et d'ailleurs je m'en fiche du moment que je rie mais j'ai ri tout le temps ! merci!

Écrit par : Sophie | mardi, 03 novembre 2009

@ Sophie : Rire ? Mais c'est bien la moindre des choses. Bloy est avant tout un polémiste. L'extrait sur le cimetière des chiens en est un très bon exemple. Et comme tout polémiste d'avant les temps foutus de la pensée unique, il a le verbe libre. Il en use - ses détracteurs diront en abuse - à tous les dégrés avec une causticité parfois rabelaisienne (ce n'est pas pour rien qu'il fût l'un des maîtres de Céline.)
Par ailleurs je ne crois que ce soit un bon romancier. Mais quel sens de l'image, de la formule. Quelle culture biblique, également ! Et quelle profonde compréhension du vice bourgeois !

Écrit par : solko | mardi, 03 novembre 2009

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