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lundi, 02 novembre 2009

Les Jours des Morts de Léon Bloy

1894 - 1917 : A travers ses journaux (Le Mendiant Ingrat, Mon journal, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, L'invendable, Le vieux de la Montagne, Le Pélerin de la Montagne, Au seuil de l'Apocalypse La Porte des Humbles) Léon Bloy, qui vit le tournant du siècle et La Belle Epoque dans une misère quasi totale, consigne ses sentiments presque chaque 2 novembre de chaque année. Florilège :

 

 

2. Novembre 1894 :

La seule vraie dévotion c’est la pitié pour Jésus c’est-à-dire la compassion pour Marie.

Cimetière Montparnasse. La foule heureusement n’est pas trop compacte. Mais cette visite annuelle des parisiens à leurs morts est si banale que je recueille dans l’air ambiant, l’idée que voici : Pourquoi une agence de publicité n’exploiterait-elle pas les tombes, comme on exploite les parois des urinoirs ou les plafonds des omnibus ? On lirait ainsi l’annonce d’un chocolat nouveau ou d’un dentifrice américain sur les dalles tumulaires, et les murs disponibles des édicules manifesteraient les quatre-vingt mille guérisons récentes, obtenues par l’emploi de tel pharmaque dont l’éloge n’est plus à faire, etc etc…

Une chose pourtant n’est pas ridicule. C’est l’illumination des petites chapelles. N’ayant jamais visité aucun cimetière, le Jour des Morts, j’ignorais cette coutume. Si on ne fermait pas les portes, quelle promenade, en priant les rues solitaires et illuminées de cette ville des âmes qui souffrent, des âmes qui ne peuvent pas parler et qui sont ainsi des âmes enfants !

Sortis de là et assis dans un café, nous sommes environnés d’êtres soi-disant humains, venus aussi des cimetières, et qui nous paraissent moins vivants que les dormientes qui nous ont émus tout à l’heure. Mannequins affreux, sous les hardes qui leur donnent une apparence d’humanité.

2 Novembre 1895 :

Lu dans Le Journal une interview, par correspondance, de plusieurs personnages importants à qui on demande ce qu’ils pensent de la mort. ( !!!) Je ne me souviens pas d’avoir lu rien de plus médiocre de plus abject. La seule bonne réponse je crois est celle de Gérôme disant que la mort a, du moins, ceci d’agréable qu’elle délivre de toutes les crapules avec qui on est forcé de prendre contact.

Jeanne me dit : -La nature humaine est telle qu’on ne peut pas ne pas craindre la mort. Mais quand ce moment redoutable sera passé, on se dira : Combien c’était simple ! et comment avons-nous pu ne pas voir combien c’était simple

2 Novembre 1897 :

Merveilleuse gredinerie du propriétaire assassin qui ayant abusé de la situation lamentable d’une veuve paralytique ignorante et terrifiée, pour lui soutirer des signatures, la dévalise maintenant et la cambriole en sécurité sous l’œil de la juste loi. De notre côté impuissance et cauchemar. Ce démon que j’ai essayé de peindre dans un de mes livres passe ici pour la crème des honnêtes gens.

2 Novembre 1899

La misère des morts en un siècle privé de foi est un arcane de douleur dont la raison est accablée. Il m’est arrivé, pourquoi ne le dirais-je pas, d’être réveillé par les morts, tiré de mon lit par les morts – par des morts que je connaissais et par d’autres que je ne connaissais pas. Une pitié terrible me précipitait, me maintenait à genoux les bras en croix, dans les ténèbres, et, le cœur battant comme une cloche sourde, je criais vers Dieu pour ces âmes…

2 Novembre 1901

Jour des Morts. J’apprends la mort de Julien Leclercq. Nouvelle extrêmement pénible, dont je suis assommé. C’était un de mes rares amis. Où est-il maintenant, ce pauvre malheureux Quelle effrayante pensée ! Mais il n’était pas un méchant et j’espère qu’il a trouvé miséricorde. Qui priera pour lui excepté moi seul, peut-être ?

2 Novembre 1902

Jour des Morts. Les conséquences du mal qu’on a fait retournent continuellement à leur source – tourment des âmes des damnés et des âmes du Purgatoire – à moins qu’on ait interrompu le courant et coupé le câble en devenant un saint.

Les esprits n’ont pas de lieu. Cependant on peut dire que certaines âmes sont enfermées dans un certain lieu, le Purgatoire, par exemple. Mais il faut entendre cela au spirituel, à savoir que certaines choses indispensables leur sont cachées. Leur ignorance constitue leur captivité.

2 Novembre 1905 :

Jour des Morts. Entendu à la Basilique, le plus misérable sermon. Je songeais au discours à faire sur ces mots de la liturgie : « Vita mutatur non tolitur, Apprenez, mes frères, que vous ne devez pas mourir »

Je pense que ce sera la punition des riches de ne pouvoir pas donner. Je me figure ainsi l’enfer et je vois les riches cherchant partout, jusque dans les plus puantes cavernes et les recoins les moins accessibles de leur âme désespérée, quelque chose à donner. Mais ils seront épouvantés de ne trouver que du fumier, un fumier palpable mais sans cesse évanouissant, et qu’ils ne pourront même pas -étant immatériel et qualité toute pure-, avoir la ressource de vendre au poids. Mais une si épouvantable stérilité est nécessairement éternelle puisque dans leur vie, ils n’auront jamais cessé de ne vouloir pas donner.

2 Novembre 1907 :

Jour des Morts – A 6 heures réveillé par un cri horrible que n’avait proféré aucun vivant. Je voudrais que Dieu fit brûler mon cœur

( le lendemain, 3 novembre, Bloy consigne : « Lettre de faire part de la mort de Alfred Jarry, auteur de Ubu Roi, décédé à l’hôpital de la Charité à l’âge de 33 ans. Les obsèques auront lieu à Saint-Sulpice. Bien, mais comment est-il mort, et après quelle vie ? Je pense au cri affreux entendu hier, et qui m’a jeté en bas de mon lit.

2 Novembre 1912 :

On m'envoie une feuille bordelaise, Sports, où je lis ce titre : La Toussaint sportive ! Blasphème dans l'inconscience et la stupidité absolues

2 Novembre 1914 :

Brou vient me voir. Il a un terrible emploi chiennement retribué d'ailleurs à la mairie de son arrondissement, service des allocations, où il voit défiler du matin au soir les plus affreuses misères. On se réjouit comme on peut de la déconfiture désormais probable des Allemands.

2 Novembre 1915 :

Journée de lecture.

Le soir vers 6 heures, visite agréable de Henri Boutet qui me trouve en meilleur état et se réjouit d'apprendre que mon livre sera édité. Commencé aujourd'hui la lecture quotidienne de l'office des morts, ayant décidé de le lire tous les jours de ce mois.

2 Novembre 1916 :

Lettre de Termier m'envoyant une somme de la part d'un ami qui veut demeurer anonyme. Dès le commencement de leur mois, les morts semblent se déclarer en ma faveur.

A Termier : J'ai reçu avec émotion ce que les défunts m'ont envoyé par lui... Je suis depuis longtemps en commerce avec eux et, bien souvent,  ils m'ont secouru...

Le 2 novembre 1917 : Léon Bloy n'a rien écrit, son journal s'interrompant à la date du 20 octobre 1917 sur ces mots : "Après-midi, mandat de 50 francs envoyé par Lamoureux. Jeanne lui répond."

Léon Bloy est mort le samedi 3 novembre 1917, à 6 heures 10 (du soir) très exactement aux dires de sa femme Jeanne. Selon sa propre expression parlant de son fils André, il avait l'air, écrit-elle "d'un Capitaine des Anges"...

15:34 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : jour des morts, littérature, léon bloy, alfred jarry | | |

Commentaires

Epatant ces extraits de "Journal". Celui de 1912 m'interpelle.
C'est donc aujourd'hui le Jour des Morts...
En lisant ces extraits je me conforte dans l'idée que l'écriture d'un Journal est essentielle.

Écrit par : Ambre | lundi, 02 novembre 2009

Merci Solko. J'aime beaucoup Léon Bloy. Et je dois dire que lire ici ces extraits de son journal m'aura fait quelque bien. Merci à vous.

Écrit par : tanguy | lundi, 02 novembre 2009

@ Ambre. 1912, "la Toussaint sportive" oui. Remarquez qu'aujourd'hui s'est jouée la "Toussaint littéraire". Est-ce mieux ? Au moins, s'ils avaient donné leur prix à Toussaint, eût-ce été drôle ...

Écrit par : solko | lundi, 02 novembre 2009

@ Tanguy : L'un des écrivains les plus libres de la fin du siècle en tout cas. Liberté payée au prix fort certes. Mais liberté quand même. L'anti-Zola, dont les Lettres avaient besoin...

Écrit par : solko | lundi, 02 novembre 2009

J'ai commandé Le Mendiant ingrat, Mon Journal II, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne 1900-1904...

Écrit par : Michèle | lundi, 02 novembre 2009

Belle coupe transversale dans le Journal de Bloy, mon cher Solko.

Écrit par : Pascal Adam | lundi, 02 novembre 2009

@ Michèle :
Pour moi, pour des raisons très difficiles à expliquer, il y a un étage avec Joyce, Proust et Céline. Et puis il y en a un autre avec Bloy, Béraud et Guilloux.
A la limite, le reste...

Écrit par : solko | lundi, 02 novembre 2009

@ Pascal : Avis d'un connaisseur ! Merci...

Écrit par : solko | lundi, 02 novembre 2009

Je suis en train d'achever la lecture de l'Invendable (je déguste le "Journal", petit à petit, prenant mon temps) et je reste frappée par la façon qu'a Bloy d'inscrire la liturgie dans sa vie, si forte qu'elle devient elle-même une sorte de liturgie, avec ses correspondances profondes comme là, pour le 2 novembre... merci de cette retranscription et mise en perspective, Solko !

Écrit par : Zabou | mardi, 03 novembre 2009

Euh, je ne sais pas pourquoi je parle de l'Invendable, je voulais dire "Au seuil de l'Apocalypse". Enfin, peu importe.

Écrit par : Zabou | mardi, 03 novembre 2009

Ce qui m'intéresse dans Bloy, que j'ai lu pour l'instant dans ce que Solko nous en propose, c'est précisément que ce soit un écrivain libre. Une voix propre.
Dans une vision différente de celle que j'ai, qui suis une mécréante.

Le mot "liturgie"(cérémonie religieuse), emprunté au latin chrétien "liturgia" (service de Dieu, du culte) vient du grec hellénistique "leitourgia" désignant un service rendu au bien commun par les citoyens aisés.
Le mot est composé de "leitos" (public) - mot ancien et rare, qui apparaît chez Homère comme anthroponyme, dérivé de "laos" (peuple) -, et de "ourgia", suffixe à rattacher à "ergon" (travail, oeuvre).

Je sais bien qu'il s'agit là de l'histoire longue des hommes, mais cette colonisation des mots par la religion, si prégnante encore aujourd'hui, m'a donné envie de cette précision-là : ce que j'aime chez Bloy, c'est sa liberté, son courage.

Écrit par : Michèle | mardi, 03 novembre 2009

@Solko:
A la limite, ah vous êtes charmant Solko. J'adore ce commentaire à étages. A bientôt.

@Michèle:
Bonjour à vous. J'ajouterais son humour.

Écrit par : tanguy | mardi, 03 novembre 2009

Ah merci de parler de Jean-Philippe Toussaint, j'écrivais ceci dans mon Journal hier :
Prix Goncourt
A été attribué à Mary Ndiaye pour Trois femmes puissantes.

Je saute presque de joie de savoir que ce n'est pas Jean-Philippe Toussaint qui l'a eu.
Oui, parce que je n'aime pas acheter les livres au "bandeau rouge" et là, je vais me précipiter chez mon libraire pour acheter La vérité sur Marie et, je suis sûre de ne pas être déçue après Faire l'amour et Fuir.
Oui oui, je radote avec Toussaint, mais c'est sa fête non?

Écrit par : Ambre | mardi, 03 novembre 2009

@ Zabou : Je dirais plutôt de l'éxégèse.

Écrit par : solko | mardi, 03 novembre 2009

@ Michèle : Ah, une voix propre, vouspouvez le dire. Ce qui m'a fait venir à Bloy, c'est aussi la volonté de comprendre pourquoi pendant tant d'années on a fait l'omerta sur lui, autant dans les milieux de gauche où on le traite de réactionnaire sns l'avoir lu, que dans milieux catholiques où on le traite d'insulteur.
Chez les catholiques, il y a d'un côté "La France Juive" de Drumont et puis "Le Salut par les juifs" de Bloy. Bloy, c'est l'exact contraire de Drumont.
Mais tout cela échappe à la bouilli épaisse dans laquelle on nous fait vivre aujourd'hui.

Écrit par : solko | mardi, 03 novembre 2009

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