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vendredi, 09 novembre 2012

Quand le Nobel monte à la tête de l'Europe

« -Les gars, ça y,  l’Nobel leur est monté à la tête

-      A qui donc, dont tu causes ?

-      A eux, pardi. A ceux-là tous de Bruxelles !  Y sont en train de pondre un nouvel euro avec la tête de qui, j’vous l’donne en mille ?

(silence autour du comptoir)

-      Zidane ?

(Exclamations diverses autour du comptoir)

-      Lady Gaga ?

(re-exclamations variées)

-      Obama ?

-      Charriez-pas, on n’est pas encore aux USA même si ça vient à grands pas  

- Friendly

(grosse rigolade)

-      Alors ?  Benoit XVI ?

-      Pire encore ! Je vous le donne en cent ! Je vous le donne en mille : A la déesse Europe !

-      Non ?

-      Si !

-      Nous prennent pour des cons intégraux cette fois-ci !

-      Ah ça !  Ah ah ah !

-      In Athéna we trust…

(Heurts de verres, brouhahas)

Buvons à la démocratie ! Ah ah ah !

-      C’est au moins une idée du Mario Draghi, ça…

-      Ecoutez ce que dit la BCE  (il lit) : « cette figure a été choisie car elle est clairement associée au continent européen, et apporte une touche d’humanité aux billets »

-      Avec ça, si les Grecs se tirent de l’euro …

Eh bé moi, je dois pas voir clair dis donc !

-      Z’en ont rien à foutre de la déesse Europe, les Grecs… Là-bas, c’est misère, la castagne, l'Achéron social,  la guerre civile, cependant qu'ici, on débat entre bobos du mariage pour tous et de la déesse Europe !

-      Nous non plus on n’en a rien à foutre de leurs dieux de papier ! Quelle bande de branleurs.

-      La déesse Europe ! La déesse Europe ! S’ils imaginent qu’elle va sauver leur torche-cul d’euros !

(rires)

 

Moralité : Puisque Augustin est à la page, relisons les livres II & III de La Cité de Dieu, plutôt que le bar corse de  Jérôme Ferrari   :

« C’est à ce moment là que, sous le coup de la grande peur, les Romains se précipitèrent sur des remèdes sans effet et qui prêtent à rire (…) Mais de la République à l’Empire, les dieux n’ont pu empêcher la guerre civile»


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La BCE a dévoilé ce jour quelques éléments du futur billet de cinq euros.

mardi, 02 octobre 2012

Unemployee of the year

Si vous êtes un non-chef de rang dans un restaurant, un non-commercial dans une entreprise ou bien un non-journaliste dans une salle de rédaction, et si vous avez moins de 30 ans, il vous reste une quinzaine de jours pour participer au concours du meilleur chômeur de l’année organisé par Benetton dans le cadre de sa nouvelle campagne Unhate. On se souvient des sirupeux patins que Sarkozy et Merkel, Obama et Chavez, Benoit XVI et  l'imam de la mosquée al-Azhar, Ahmed el-Tayyeb, se roulèrent sur les murs de nos cités l’an passé. Aujourd’hui, United Colors surfe sur la crise et le talent d'illusionniste politique de nos dirigeants européens, de quelque bord qu'ils soient : le concours du meilleur chômeur de l'année est doté d’une centaine de prix de 5000 euros chacun. C'est du chacun pour soi. Et de la com à la fois provocatrice, ingénieuse, généreuse, cynique, subversive, dégueulasse, somme toute bien dans l’air du temps ; de la com foutrement oxymorique, en un mot. Racontez votre expérience de chômeur... Peut-être même aurez vous la chance de finir sur une affiche ... Et les inscriptions sont par ICI  

Même si vous avez passé l'âge limite, allez-y, ça vaut le détour...

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Agence Fabrica, Trévise, Italie

lundi, 24 septembre 2012

Hollande en pays bas

On sortira de la crise par l’Europe. Et pour ça, il faut lutter contre Sarkozy Merkel qui ne sait faire qu’une politique d’austérité inacceptable. Et pour lutter contre Sarkozy Merkel, il faut conduire sur le plan national une politique d’austérité comme elle veut le faire sur un plan européen. Et c’est ce qu’on fait, nous, les socialistes français, on conduit une politique d’austérité sur le plan national pour n’avoir plus à en conduire une sur le plan européen, vous suivez ? Tout ça  pour vous sortir de la crise, hein ! Alors si ça ne vous plait pas, on s’en fout. Y’a que les résultats d’élection qui comptent et on vous a bien niqués, on est là pour cinq ans.

08:25 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, france, sondage, europe | | |

mardi, 12 juin 2012

Les affaires de l'Europe

L’euro qu’il faut sauver, l’euro qu’il faut gagner…  Crise ou coupe, en ce mois de juin, on entend  partout parler de l’euro, que ça en vire au névrotique, à l'obsessionnel !  Moi je vous dis l’euro dépêchons-nous d’en sortir ou de le perdre pour au moins deux raisons :

D’abord parce que l’euro est tout le contraire de l’euphonie :  [øro], Ces deux voyelles fermées, vous trouvez ça doux au palais, suave à la lippe, franchement ? Obtus et fermé comme un cul de bœuf au moment de l’abattage, rien qui fleure la joie, l’ouverture. Le français aime le e muet, tous les poètes (les vrais, ceux qui, plus que le souci du dire, prennent le soin de l'écouter) le savent : La Fontaine, Racine, mais aussi Rimbaud, s’il faut pour être compris à tout prix être moderne

Pas de e muet, donc. Autrement dit, une Europe de consommation sans devenir et sans immédiat, un sigle de banquier et de président de l' UEFA, rien de plus. Pet de mouches. Murmurez-vous, pour vous en convaincre, et lentement, et les yeux clos, et en prenant votre souffle : [ europ].

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Jupiter et l'Europe, Gustave Moreau

Le e muet, rime féminine, reste en suspens. 

Il faut, mes amis, le deviner sur le bout de la langue, ce « e » : Europ

J’en arrive à la seconde raison.

Euro,c’est bourrin, euro, c’est masculin. C’est une une rime masculine, une rime en « o », les pires. Avec quoi voulez-vous faire rimer ça ? Avec ego ? Avec égaux ? Deux termes abominables, réfléchissez-y…  Tandis qu’Europe rime avec philanthrope…

Europe a le juste sexe, le juste ton, la juste proportion. Zeus, rappelons-le, captiva la belle nymphe. Depuis qu’un prof de latin m’apprit la chose en classe de seconde naguère, je n’ai jamais pu pisser contre l’ocelle basse d’un platane sans penser à Ovide narrant le verbe haut l’enlèvement d’Europe par Jupiter : plus de gueule que les commentateurs des matchs, que les Benzema, Ribéry et consorts, que la langue de bois des politiques ou les déplorations d’économistes, franchement !

Eu-ro-pe donc !

Depuis Delors et Maastricht (le père de Martine au Sénat), c’est sûr,comme je la regrettre,  « l’Europe aux anciens parapets… », c’est peu de le dire, Arthur !  

« La faire », disent, non sans culot , ceux qui la volent aux peuples et la défont d'éléction en élection sous nos yeux tristes…

Les footballeurs, eux, courent après les millions d’euros qui font les millions de malheureux, ironie du sort. Nadal soulève la coupe quand les banques espagnoles coulent les crédits de ceux qui le vénèrent outre Pyrénées. Les pauvres, ils appellent le sport un challenge pour les nations tandis qu’ils matent le gazon vert ou la terre battue à la TV. Ils peuvent, ah ils peuvent être fiers, Zbigniew Brzezinski, et ses potes de la Trilatérale qui l'ont kidnappée, l’essai est transformé, et pour des lustres !

Mais comme l’euro reste loin de cette Europe féminine et euphonique, celle de Montaigne en Italie, de Rousseau à Genève, de Chateaubriand à Prague, et de tous ces écrivains voyageurs, amants magnifiques,  qui l'ont chantée, l’Europe ! 

vendredi, 01 juin 2012

Et toi, tu es de gauche ou de droite ?

SI être attaché à la transmission de la  culture dite classique, y compris – en Europe – celle du catholicisme, si se battre en vain pour qu’un patrimoine historique comme l’ Hôtel Dieu de Lyon ne devienne pas un hôtel de luxe du groupe Eiffage, c’est être un vieux réac de droite voire un facho alors je suis un vieux réac de droite et un facho.

SI s’opposer au principe d’endettement des Etats par la loi de 1973 ou au traité de Lisbonne qui, de Pompidou à  Hollande, a été accepté par tous les présidents de la République sans exception, si protester en vain sous formes de textes de toute nature contre la privatisation éhontée de la monnaie commune, c’est être d’extrême gauche, alors je suis d’extrême gauche.

Si  comprendre le fait que les plus pauvres commencent à flipper de se sentir sans la protection souveraine de leur monnaie historique et de leur frontière nationale et votent Le Pen en nombre croissant face à des marchés dérégulés, des états impuissants et des élites qui se foutent ouvertement ou normalement de leur gueule , c’est être lepéniste, alors je suis lepéniste.

Si critiquer les formes technologiques du divertissement de masses parce qu’on voit  trop à quel point elles servent de rempart contre la transmission de la culture universelle tout en étant attaché à la liberté de chacun, qui se revendique de plus en plus d’une communauté spécifique et des formes technologiques de divertissement, c’est être en contradiction avec soi-même, alors je suis en contradiction avec moi-même

Si considérer que des formes d’artisanat et de pensée reléguées aux oubliettes par le tout technologique furent des facteurs de civilisation autrement plus efficace que l’égalitarisme postmoderne, le consumérisme passif et le multiculturalisme mercantile, c’est être un nostalgique dépressif, alors je suis un nostalgique dépressif.

Si refuser la confusion entre la morale et le fait politique, et admettre qu'il n'y ait pas de solutions miraculeuses à tous les problèmes que soulèvent la nature humaine et le monde moderne, tout en continuant à les soulever, c'est être un contradicteur inutile ou un fataliste déprimé, alors je suis un contradicteur inutile et un fataliste déprimé. 

Enfin si mettre sur le même plan la démagogie des racistes et celle des antiracistes, qui entretiennent un débat médiatique et juridique incessant sur les valeurs des uns ou les valeurs des autres, si dénoncer les discours sur la repentance comme ceux sur le révisionnisme, l’indignation militante ou l’intégration citoyenne, comme des moyens pour les gouvernants d'éviter de soulever la question économique, c’est-être un inconscient voire un salaud, alors je suis un inconscient voire un salaud.


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Photo de Jules Sylvestre

00:00 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : politique, france, europe, lyon, société, littérature | | |

vendredi, 18 mai 2012

De Merkosy à Homerland

La dernière fois qu’une élection m’a vraiment passionné – parce que malgré ses invectives et ses débordements, celle que nous venons de vivre fut somme toute des plus banales – ce fut le 29 mai 2005. Sept ans, déjà. On votait pour doter l’Europe d’une Constitution. Le rejet du texte, par 54,78% des électeurs mit soudain dans un même camp toutes  sortes de gens contre l’Europe des marchés vantée par les grands partis : celui des nonistes face à celui des ouistes : ceux, pour faire court, que cette construction européenne inquiétait face à ceux qu’elle avantageait. Ceux qui avaient commencé à profiter de la disparition des monnaies et des frontières nationales, face à ceux dont non seulement la vie ne changeait pas (pour reprendre un slogan éculé jusqu’à la corde), mais se compliquait davantage. Malgré tout ce qu’elle contient de caricatural, la formule « le peuple contre les élites » fit florès à partir de ce mois de mai-là, faisant mine d’effacer dans le paysage électoral l’opposition gauche/droite, déjà lourdement entamée par de nombreuses et assez fétides cohabitations, ainsi que par le non-renouvellement des générations politiques dans les instances de pouvoir - tradition française ô combien propice à ce que sous la troisième République, on appelait un retournement de veste.

A mon sens, le coup de poker de Sarkozy fut de tenter de ramener vers la droite non pas l’électorat frontiste, comme tous les commentateurs du Wall Street Journal ou de El Pais qui lancèrent l’ahurissant Nicolas le Pen ou Sarkopen le dirent, mais l’électorat noniste de droite qui, bien sûr, se confond avec – mais pas forcément sur les mêmes valeurs. S’il a réussi en 2007, il vient d’échouer en 2012, pour avoir voulu tirer la ficelle des valeurs jusqu’à la caricature extrême. Mais surtout parce que la crise est passée par là, et que les nonistes de droite demeurent aussi actifs et gonflent les voiles du nouveau FN.

En nommant le chiffon Fabius aux Affaires étrangères, Hollande ne cache pas qu’il tente à présent le même coup de poker avec les nonistes de gauche : C’est même à mon avis la raison d’être de cette création récente (et la principale raison de ma méfiance à l’égard du bonhomme qui la porte) : le mélenchonisme. Sans doute est-ce aussi la raison pour laquelle le clivage gauche/droite fut d’un commun accord réinjecté au moins de façon symbolique (faute de mieux) dans les stratégies de communication de cette campagne. Reste à savoir si le coup de poker de Hollande, qui parodie à gauche celui que Sarkozy joua à droite, résistera à l’épreuve de la réalité, c'est-à-dire de la crise. Sans doute est la raison pour laquelle le système, comme on dit, redoute tant une sortie de la Grèce de la zone euro, et qu’il a consacré tant de milliards à rendre terrifiante l’éventualité d’une telle sortie au regard des opinions publiques des divers pays. Le fait qu’on y subisse de plus en plus des fractures sociale, économique et idéologique de plus en plus manifestes rend pourtant le pari périlleux. 

L’empire de Charles Quint et celui de Napoléon n’ont pas survécu à leur créateur. Combien de temps tiendra ce monstre technocratique à la monnaie privatisée, aux langues multiples, et aux frontières modulables à chaque traité, chaque élection ? Si l’Europe des nations paraît avoir la vie si dure, ne serait-ce pas tout simplement parce qu’elle est le visage historique du vieux continent, celui contre lequel se dresser est vain ? Au lieu de vouloir le transformer sur le mode américain, on ferait mieux de respecter ses cultures, ses frontières, ses monnaies et ses peuples, et les gouverner afin qu’ils vivent en paix. Finalement, le vieil adage a raison : ceux qui veulent sans cesse changer la face du monde sont toujours ceux qui ont quelque profit à en tirer, c'est-à-dire le plus souvent les riches. Et ceux-là seuls. Pas étonnant que les bénéficiaires principaux de cette Europe soient les actionnaires et les banques, puisque ce sont eux qui l'ont initiée. 

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10:54 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : europe, traité constitutionnel, politique | | |

samedi, 05 mai 2012

Le coeur palpitant de la vieille Europe


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Etat primitif de l’ambon de l'abbaye de Klosterneuburg en 1181 : les plaques d’émail contournaient  la structure en bois autour de l’autel. Les panneaux furent transformés en volets après l’incendie de 1332

Le quai des Orfèvres, qui abrite le SRPJ parisien, doit l’insolite de ce nom à l’activité des nombreux artisans qui, au  commencement du XVIe siècle, ouvragèrent l’or et l’argent rue de Jérusalem, à quelques enjambées d’un marché aux volailles. Par la suite, lorsque ses flics installèrent leurs bureaux au 36 du quai, le populaire prit l’habitude de les appeler «des orfèvres» ou bien «des poulets», selon l’humeur et l’occasion du moment.  On ne sut trop dès lors si l’expression «un travail d’orfèvre» convenait mieux au geste précis et méticuleux des anciens artisans ou bien à la réflexion minutieuse et têtue du commissaire absorbée dans son enquête.

De fait, la noblesse de ces deux métiers révèle à l’examen une compétence fort comparable  : la maîtrise de l’art des métaux précieux, comme l’investigation des ressorts de la misère de l’âme humaine, exige de celui qui l’exerce d’être orfèvre en la matière, c’est à dire fin limier dans une expertise qui échappe au moins autant à l’homme de la rue qu’au rat de bibliothèque ou bien au coureur de salons. Par ailleurs, personne n’est à même de concevoir à quel point l’outillage des orfèvres eut une terminologie riche et variée, à l’image de celle qui désigna par la suite les qualités nécessaires à la conduite d’une bonne enquête : mettre à nu la vérité, c’est en bref comme ciseler de l’or. 

Extraire le mot juste de la vaste palette qu’offre le français de Bossuet implique aussi cette même finesse d’esprit  ; conduire des personnages par le labyrinthe d’une intrigue, cette même rigueur d’analyse : pour qualifier le matériau du romancier attentif au phrasé de sa syntaxe comme au toucher de son style, on parle ainsi de «langue d’orfèvre», manière de signifier qu’au fond, ce que les mots forgent dans le Rêve ressemble à s’y méprendre à ce que l’or et l’argent expriment dans le Réel, l’écrivain accordant à des sentiments ou à des idées la même inestimable valeur qu’un orfèvre imprime aux figures de ses bas-reliefs.

D’ailleurs, l’un et l’autre n’exercent-ils pas une profession comparable à celle du plus sourcilleux commissaire du quai des Orfèvres ? Les trois ne forment-elles pas les volets d’un seul triptyque, sur lequel se découvre la même démarche du chercheur, méthodique et curieux ?

Afin de mettre en route cette enquête sur le cœur palpitant de la vieille Europe, il est nécessaire de situer le plus exactement possible son emplacement dans la poitrine même de l’ancien continent ; pour cela, d’exhumer de ses fables l’arôme essentiel des siècles égarés qui le virent frémir de ses tout premiers battements. Nous voici donc projetés en un lieu précis, non loin de Vienne, en un moment spécifique, ce XIIe siècle peuplé d’érudits et de clercs lettrés, Bernard de Clairvaux, Pierre Abélard et tant d’autres en qui Jacques le Goff vit un jour les premiers intellectuels des temps modernes. Un peu partout, le christianisme de rite latin propageait pour ses pauvres et pour son propre confort, ce que la liturgie appela depuis la Paix de Dieu, et d’où sortit le monde cultivé qui gagna peu à peu le continent tout entier, les arts, les techniques et les sciences.

De Nicolas de Verdun nous ne conservons que peu de traces : cette chasse des Rois mages à Cologne, cette autre de Notre-Dame à Tournai, dont nul ne sait laquelle est la plus somptueuse de ses empreintes, et puis les cinquante et un tableaux d’émail et de cuivre doré de Klosterneuburg, annonceurs lumineux des panneaux de clôture du chœur de la cathédrale de Chartres qu’un autre voyant extirperait de la pierre, quelques siècles plus tard. Les plus influentes cités de l’Europe chrétienne, éprises, charmées, se disputèrent longtemps sa paternité, comme si leurs bourgeois affairistes ne comprenaient plus, depuis qu’on avait découvert la rotondité de la Terre, l’impeccable modestie des artistes médiévaux, dont la signature se plaisait à s’éclipser derrière celles de leurs commanditaires, la puissance créative à se fondre dans le parfait ressenti de la Grâce, et dont l’ingéniosité n’avait besoin d’autre reconnaissance que celle de Dieu.

Les trois séries d’icones émaillées de Nicolas de Verdun ont beau s’offrir encore sur l’autel abbatial de Klosterneuburg tels les chiffres d’une légende lumineuse, nous ne saisissons qu’à grand peine l’éclat allégorique de leurs figures et n’entendons qu’à travers le savoir abstrait et le style déliquescent des temps modernes ce qu’elles hésitent à nous murmurer à l’esprit ; les temps « les plus noirs du monde », se plaignit une nuit de 1944 Saint-Exupéry, survolant dans sa précaire carlingue les reliefs inquiétants de Atlantique, tout en regrettant l’authenticité des chants perdus de Solesmes.

Pour Werner, le prieur de l’abbaye, comme pour Nicolas de Verdun, le technicien venu de Lorraine, nul doute pourtant que le cœur même de la vieille Europe, spectaculaire et palpitant, devait s’incarner sur ces volets dans les trois phases de l’Histoire telles que la solennité des panneaux qui entouraient l’ambon avant l’incendie de 1322 les proclamait, devant l’humanité tout entière agenouillée : le temps ante legem, antérieur à Moïse, sub lege, de Moïse jusqu’au Christ, et sub gratia, à partir de l’avènement du Messie. Dans ce bel ordonnancement, nul doute que la place de chaque panneau était significative, telle chaque étape du tracé d’un algorithme, la Crucifixion en son centre marquant pour toujours le génie du Christianisme appelé à structurer le temps des hommes, en tous siècles et en toutes nations. Sans doute leur nouvelle disposition en volets redistribua-t-elle après l’incendie le rythme de la chronologie des épisodes bibliques, mais les moines qui, pour étouffer les flammes, avaient sans lésiner sacrifié moult tonneaux de leur bon vin de Klosterneuburg auraient-ils pu imaginer dans quel oubli de l’Histoire Sainte le continent tout entier allait verser un jour ?

 

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L’autel de Nicolas de Verdun, dans sa disposition actuelle en triptyques. L’agencement des plaques en volets bouleverse l’ordre de la narration des panneaux

Quand leur prieur avait passé commande auprès de Nicolas de Verdun du récit de la Passion du Christ, celle-ci était si communément admise et partagée de tous qu’ils s’étaient contentés, en guise de plan, de lui livrer quelques versets.  Ainsi leurs successeurs se contentèrent-ils plus tard de réaménager au mieux l’économie générale du vieil ambon dans la structure en volets, confiants dans le fait que l’Esprit pourrait bien se passer de la Lettre. Là fut leur principale erreur. Et c’est bien dans cette confiance, et c’est bien aussi dans cette erreur qu’il faut chercher le cœur palpitant de la vieille Europe, oui.

    Le cœur palpitant de la vieille Europe demeure l’écho lointain de cette Histoire Sainte, jadis si communément partagée par le peuple et ses élites que tous purent la croire établie in saecula saeculorum.  Il se manifesta tout d’abord en cette habile soumission et cette foi mêlée de crainte dans le cœur de l’artiste, contraint par les seuls versets de ces moines, qui lui dictaient à la fois les couleurs et les sujets d’une Passion christique déjà mille et mille fois contée et universellement reconnue. Dans cette liberté octroyée, dans cette confiance accordée, dans cette ferveur de leur désir brûlant et de silence et de chants, rythmée par les semaines et les saisons, dans cette érudition partagée, nourrie autant des travaux de la terre que de ceux de l’esprit, il faut entendre ses premiers battements.

    Mais comment les comprendre tout entier, ce cœur-là, cette essence-là, nous qui ne survivons qu’en pensant sur une boule ronde dans la finitude de l’espace, quand ces hommes, imbibés de psaumes, de lectures et de chants, ne vivaient qu’en priant dans la finitude du temps, et dans l’attente du Jugement dernier ?

Comment le comprendre, autrement qu’en allant rêver solitairement devant les chiffres des maîtres-orfèvres du Moyen-âge, si lointains et si proches, devant leurs alphabets, leurs algorithmes, jusqu’à nos yeux posés sur eux, infiniment prolongés ? 

vendredi, 02 décembre 2011

Le plus beau billet du monde

I.

Cette merde, le fric, hein, vraie merde, tout ça ! Un monde qui n’espère plus qu’en ça, qu’a rien que ça ! Ça, putain ! Lorsqu’il a dit ça qu’il rumine sans cesse, toutes ses frusques volent et s’éparpillent comme d’habitude sur le plancher inégal de la pièce. Arrête Polo, tu viens de prononcer quatre fois le mot merde pour rien. Trois, corrige-t-il. Trois ! Et je sais pas combien de fois le mot putain. Il bondit sur le sommier mitoyen et j’entends le bruit des ressorts que ça fait toujours quand il dégringole, s’affaissant de tout son poids dessus, en lançant vers le haut ses bras, ses mains, ses jambes, ses pieds et en faisant le dos rond.

J’étais allongé depuis l’aube sur l’autre pucier tout pourri sous la verrière et je réfléchissais. Le jour est en train d’apparaître. A quoi bon, qu’il me fait ? Aujourd’hui comme toujours, Polo, il me regarde, sa bille ronde, les yeux plissés et son galurin encore rabattu sur la tête. Va-t-il le quitter pour roupiller ou l’oublier, encore l’oublier et le garder jusqu’à son réveil sur la tête, cette fois ci ?  Tu sais pas ?  Il me dit : Quoi donc ?

Je sors à nouveau les coupures de la poche de mon manteau. Je les lui tends. On campe bien plus qu’on n'habite ici, faut être honnête, dans les soutes de l’édifice dont ça cause tous les jours dans les journaux, leur saleté d’Europe. Il a toujours été bon Polo, c’est pour ça qu’il est resté pauvre. Y’en a qui sont pauvres parce qu’ils sont restés franc cons, d’autres parce qu’ils sont restés franc bons. Polo, c’est la deuxième catégorie. Allons, qu’il me dit, raconte 

Le premier de mes deux billets, cérémonieux comme un prêtre, je le lève alors dans la pâleur laiteuse d’une lumière aurorale tombée des vitres sales. Mon billet de cinquante francs ! Moucheté, usé, plissé. Un vrai chiffon, mais tant pis. Cérémonieux comme un officier de l’Etat-Civil je pointe du doigt l’effigie de cette femme mille et mille fois contemplée. Il connaît son portrait par cœur, Polo, qui me réciterait d’un ton mécanique, comme s’il servait la messe : Non, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, comme on l’a dit souvent, comme on le dit encore, ce n’est pas Cérès, la déesse de la moisson fertile. Celle que voilà n’est pas Cérès, non : elle est la France ! La France elle-même, en cette année 1935, celle enjouée de Mistinguett et de Chevallier, du feu dans les pattes et du soleil dans la voix, celle qui, cinq ans plus tard, rentrerait tout droit dans le mur, mais qui à cet instant se pare de feuilles et d’épis aux couleurs de l’automne, afin de ruser le monde qui la cerne en se donnant l’allure d’une Ancienne. Il pendouille bien un peu, son bonnet phrygien, c’est vrai, tout recouvert qu’il est de ces feuilles et de ces épis. C’est l’hellénique France, mon vieux, celle qui se réclame de ses humanités et rumine encore entre ses dents la passion du politique, celle de la race enracinée au sol, tenant son agriculture et sa Banque entre ses bras puissants comme la Grèce son Parthénon, Rome son Colysée, Marie son enfant !

 Je le regarde. En aura-t-il cette fois-ci marre de mon histoire ? Il a, ce matin, le regard éteint des jours qui vont pas bien. Il dit rien, cette fois-ci, rien... Une autre  journée commence. 

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A suivre

11:42 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : nouvelle, littérature, cérès, europe, billets français, anciens francs | | |

lundi, 14 novembre 2011

Le leurre Hollande

Le François made in Corréze n’est pas encore élu qu’il est déjà critiqué par son aile gauche, comme s’il était aux affaires depuis dix ans : « capitaine de pédalo  dans la tourmente », pourquoi diable la formule de Mélanchon fait-elle si joliment mouche ? Voilà une question que les soutiens du candidat devraient se poser avec plus de sérieux qu'ils ne le font. J’entends ces gens qui se rêvent déjà ministres utiliser de plateaux télé en plateaux télé la même méthode Coué en martelant que « les Français ne supportent plus Sarkozy », que « les Français en ont marre de la droite », etc, etc. C’est certes vrai des 2 à 3 millions de militants et sympathisants de la primaire socialiste qui se sont déplacés et y sont allés de leur écu. Cela dit, comme ne s’est pas privé de leur faire remarquer Copé, 3 millions, ça ne fait pas une majorité : la preuve ? C’est encore moins que le score de Jean Marie Le Pen au premier tour de 2007 ( 3 millions 834 530, soit 10,44 % très exactement). Moi, ce n'est pas de Sarkozy que j'ai marre, mais de quelque chose de beaucoup plus vaste, une sorte de tartufferie politicienne qui dure depuis longtemps, et dans laquelle les socialistes autant que les sarkozistes sont inclus. D'ailleurs, tous ces barons locaux ne sont-ils pas déjà aux affaires dans les régions, dilapidant tout autant que ceux de droite au gouvernement, l'argent et le patrimoine public de la même façon ? 

Voilà pourquoi, que ce soit Sarkozy ou Hollande, je n’en ai pas grand-chose à faire. Je sais déjà que le changement en France n’arrangera que les élus ou les militants d’un bord ou de l’autre qui ont des dents à planter dans le gâteau. Comme le remplacement par Monti de Berlusconi, celui de Papandréou par Papadémos  (quel nom, le père du peuple, ça fait un peu froid dans le dos…) celui de Sarkozy par Hollande ne serait qu’un leurre de fort courte durée, un leurre jeté dans les eaux troubles pour créer, faute de rêve, du répit. On le voit déjà, le pli au front, errer parmi les tombes de 14/18 pour se trouver une stature, quelle inspiration !

Giscard d’Estaing et sa loi de 1973 ont permis à Mitterrand de financer sa « politique sociale » au point de devenir ce Dieu-grenouille ridicule qu’on a connu, qui fut le premier, il faut le rappeler, à précariser la jeunesse avec les TUC de 1983 (le socialisme militant eut la vie brève). Puis cette même loi permit à deux présidents de droite de maintenir à grands frais un geste de hauteur – faute de grandeur (car ceux qui taclent constamment Sarkozy ont oublié que ce dernier n’est que le fils conjoncturel de Chirac en matière de grossièretés et de revirements de veste) – geste de hauteur de plus en plus grotesque, tout en arrosant les plus riches. Chacun des trois derniers présidents a donc laissé creuser le déficit à des fins électoralistes, selon le vieil adage de Louis XV, je crois, « après moi le déluge ». Mitterrand est mort, Chirac à moitié gâteux, Sarkozy presque carbonisé : que peut-on attendre de l'énarque Hollande en train d'ouvrir les narines et d'humer l'air, lui qui n’a jamais dirigé que le PS et ce dans son époque la plus corrompue  (et on peut à nouveau savourer là la bonne blague de son copain Mélanchon) quel renouveau, quelle vertu, quelle discipline ? Comme Sarkozy, Hollande ne serait jamais qu’un leurre, qui peut en douter ? d’ailleurs ce vieux roué de Mitterrand le savait fort bien, qui traita un jour Chirac de « faux-dur entouré de vrai professionnel ». Et qui, songeant à l’héritage de souveraineté qu’il laissait à celui qu’il ne considéra jamais autrement que comme son premier ministre, déclara un jour dans l'un de ces sourires mortifères dont il avait le secret qu’il serait, lui, le dernier président français. Après avoir vendu le pays à Maastricht, en faisant basculer de ce côté catastrophique le vote des Français, il savait ce dont il parlait. Toujours en parlant de Chirac, Hollande balança : «Si ce type entre à l’Elysée, n’importe qui peut y entrer…. »  On ne saurait mieux dire…

En attendant, le choix que les urnes laissent en 2012 aux classes moyennes est celui de la rigueur imposée (UMP) ou de la rigueur consentie (PS). Entre la peste et le choléra, je ne choisirai pas. Le système a toujours fait passer qui il voulait, on sait bien que Sarkozy & Hollande sont ses deux candidats et que l’un comme l’autre ferait son affaire. Durant les dernières décennies, le peuple, comme ils disent tout le temps (et qu’est-ce que ça a le don de m’énerver), a foutu deux fois le bordel dans leurs belles prévisions : Le Pen au deuxième tour en 2002 et le Non à la Constitution en 2005. Contempteur blasé de ce vieux rite démocratique fatigué et désormais placé sous la Haute surveillance des marchés, j’attends de voir, un peu comme on attend sans l'attendre le dénouement d’une série à laquelle on s’est laissé prendre, autant par lassitude ou désœuvrement, quel leurre sera à l'arrivée en 2012. 

 

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