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samedi, 20 avril 2013

Saint-Sébastien pleuré par Irène

La scène s’articule autour d’une diagonale qui aurait pu être déterminée par le tir de la flèche, fichée au sommet de l’abdomen de Sébastien.

Au sommet à droite, l’œil s’attarde sur ces trois figures de la pitié qui surplombent la scène, pareillement inclinées. Toutes trois portent coiffes. Une servante en pleurs, les yeux enfouis dans un linge, qu’elle maintient pressé contre ses paupières. Une orante au voile hiératique et bleu, mains jointes. Une troisième femme au voile rose et aux bras ouverts, les yeux noirs et luisants. Elle seule conserve le visage découvert et sur sa peau court la même teinte que sur le corps nu de Sébastien.

Ocre, bleu, rose : Pleurer, prier, plaindre. Occupant désormais le lieu d’où aurait pu surgir la flèche, trois sources de consolation, de réconfort, de compassion, prêtes à fondre avec grâce sur le corps du supplicié.

Entre ce groupe et le martyr, le corps incliné d’Irène.

Elle semble une bonne Loraine de Lunéville, avec son étroit corsage et ses manches luxueusement galonnées. Tout laisse à penser que c’est la fille du peintre. Un document des archives de Lunéville atteste que la toile, offerte à La Ferté, gouverneur de Loraine, en 1649, a été réglée 700 francs, et que six francs furent donnés « à la fille dudit sieur de La Tour pour reconnaissance à elle promise au sujet dudit tableau ».

De sa main gauche, Irène semble prendre le pouls vacillant de Sébastien. Un geste médical, presque moderne. Au contraire de la servante au voile rose, ses paupières sont closes. Elle cherche à ne rien perdre dans la nuit des derniers murmures de vie de ce corps blessé, qui ne doit pas encore mourir afin que Dioclétien parachève son martyre. Ce faisant, elle forme un couple avec lui, face au trio des pleureuses.

Il semble même que la torche qu’elle brandit -et qui illumine son front, ses manches, et le rebord d’un casque luisant, tout en bas de la ligne de lumière – ne soit là que pour éclairer de pudeur le sillon de larmes, brillant sous sa paupière gauche. Plutôt que de percer complètement les ténèbres, la lueur de cette torche à trois mèches fait très justement écho, dans le tableau, aux différents plissés des voiles, des robes et des galons de soie.

Tout au bas du tableau, gît le corps de Sébastien, évanoui. Sa position évoque une parfaite imitation du Christ, manière de rappeler la signification du martyre. Son visage est déjà absent, enténébré. Mais malgré cette pénombre prête à l’enserrer tout entier, sa nudité offerte à la vue des femmes ne se dérobe pas, non plus, à l’œil du spectateur. De sa blessure ne perle qu’une seule goutte de sang, dont la larme d’Irène est l’écho lumineux.

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La Tour, Saint-Sébastien pleuré par Irène, Louvre

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15:19 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : la tour, saint-sébastien, sainte-irène, peinture, christianisme | | |

vendredi, 12 avril 2013

Le statut des commentaires

La conception des plateformes impose à tous la même formule : Billet du blogueur/ commentaires des internautes. Ainsi se créent des communautés de blogueurs/commentateurs de toute sorte, sur la base d’affinités en tous genres (politiques, idéologiques, affectives, consuméristes…). Mais le web étant par ailleurs un espace public, nul n’a sa chaise ni son banc réservé ici ou là, et tout le monde peut commenter à sa guise tel ou tel billet : l’administrateur du  blog a en dernier lieu la responsabilité des contenus publiés (y compris dans les commentaires), et la possibilité de modifier ou de supprimer n’importe quel commentaire, ce qui fait de lui une sorte de Mme Verdurin, aussi dérisoire que redoutable, décidant de qui doit faire ou non partie du petit clan.

Pour ne pas tomber dans ce travers, on peut décider soit de laisser chacun dire ce qu’il entend et laisser les débats aller leur train entre commentateurs (dès lors qu’ils ne sont pas injurieux), ce que j’ai tendance à faire, ou, comme un blog ami l’a choisi, de fermer les commentaires, formule plus raidcale. Il s’en explique ICI dans un billet fort intéressant sur le statut des commentaires.

Un des phénomènes observés durant la récente campagne est la présence, parmi les lecteurs de Solko, de gens de diverses sensibilités politiques. J’aurais pour ma part tendance à m’en réjouir, n’étant nullement encarté dans un parti et n’appréciant guère cette tendance qu’ont les politiciens au pouvoir à cliver l’opinion entre les bons pour et les méchants contre, quels que soient les problèmes qu’ils jettent en pâture, de l’identité nationale pour les uns ou du mariage gay pour les autres, et à présent la moralisation, tarte à la crème démagogique derrière laquelle l’impopulaire Hollande tente de se refaire une santé médiatique.  La pensée binaire étant ce qu’elle est (dominante dans la presse et les medias d’opinion), cela aboutit nécessairement à des prises de position dont les démocraties d’opinion et les partis de gouvernements -qui ont besoin de votants dociles et de militants complaisants- se nourrissent, mais qui n’ont pas lieu d’être ici sous des jours aussi caricaturaux.

Par exemple, étant pour ma part convaincu que la privatisation de la monnaie est une rouerie sans précédent dans l’histoire européenne, commise par des dirigeants cyniques contre des peuples insuffisamment vigilants, je reconnais l’intelligence politique de Thatcher qui en a protégé les Anglais, quand Mitterrand a pesé de tout son poids pour que la France cède par référendum à ce qu’on a le droit de considérer comme un bourbier économique et politique. On se serait passé du « pari pascalien » de ce politicien finalement peu visionnaire et plutôt corrompu, n’en déplaise à ses partisans. Et il me semble juste par ailleurs, dès lors que je dénonce l’attitude également criminelle de Thatcher face  à Bobby Sands, de rappeler celle – guère plus brillante – de Mitterrand face aux militants d’Action directe. Et je rappelle à tout le monde que les deux ont fait ensemble de sacrés gueuletons ensemble de sommets en sommets, sur le dos des contribuables que nous sommes.

Il est quelque chose de plus grand que la stérile passion politique, c’est le goût pour la pensée, la langue, l’esprit. La Trahison des clercs de Benda demeure une référence de ce point de vue, qui renvoyait dos à dos Jaurès et Barrès.

Le fait que le parti qui vient de produire les deux affaires les plus foireuses de l’année (DSK et Cahuzac) continue à vouloir être un parangon de morale et de vertu face aux autres, le fait aussi que ce parti riche et influent est pour quelques mois encore hégémonique dans presque toutes les assemblées tout en se prétendant le défenseur de tous les exclus et en se jouant de tous les communautarismes, ce fait n’arrange rien à l’ambiance délétère qui pourrit le climat dans ce pays, et clive comme jamais l’opinion, sous ce début de mandat présidentiel  pour le moins catastrophique.

Cela étant dit, je laisse à chacun le droit de penser et de dire ce qu'il entend, ne me sentant ni l'esprit d'une Mme Verdurin, ni l'âme d'un idéologue convaincu, et supposant qu'on peut encore se parler dans ce pays (comme ils disent) sans en venir aux insultes entre les uns et les autres.

07:19 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : verdurin, politique, solko, blog, polémique, benda, littérature, france, société | | |

lundi, 31 décembre 2012

2012 : le changement, c'était maintenant

Cette année, les sourds entendront-ils, les aveugles verront-ils, les imbéciles comprendront-ils mieux ? On ne sait trop. Par la volonté du très horrifique Hollandus et de sa mégère bésiclées de Paris-Match, les homos se marieront devant le maire et la mairesse. Mais tandis que les gueux qui, pour boucler leurs fins de mois, se rallongeaient le salaire par quelques heures supplémentaires payeront encore et encore plus le méchant impôt, le conseil des vieux rats sages continuera à juger bon qu’on ne touche pas aux revenus des vrais riches.

Les pauvres ne s’enrichiront donc pas davantage, les  moyens pauvres s’appauvriront, et les riches s’enrichiront. La gauche ne monopolisera donc pas le cœur, et le porte feuille se portera toujours autant à droite.  Dans la France du Mariage pour tous,  dont un comique décidément  intouchable serait devenu le nouveau pantin officiel, le dérisoire et indécent couple présidentiel sera donc le seul à rester célibataire, et les représentants du Divertissement pour tous les seuls à garder les dents blanches.

L’école sera-t-elle refondée pour autant ? Bien sûr que non !  Des mesurettes placardées ça et là sur les écrans du vingt heures tenteront d’en donner l’impression, mais le fondement de toute chose, surtout dans ce domaine, étant la répétition et l’inertie, rien ne passera le paillasson du Peillon, sauf qu’un peu plus d’ordinateurs permettront aux enfants d’apprendre à non-lire au pays de l’OCDE.

De même qu’à coup sûr, il ne poussera pas un poil sur le crâne du Moscovici, on peut sans grand risque prévoir que rien ne changera en profondeur pour les Français, sinon qu’ils perdront tous un an de plus en même temps qu’ils prendront par la figure un bon revers d’épines. L’art sera toujours aussi contemporain, et pas d’élections en vue pour retoquer tous ces tocards. Ça laissera le temps aux frais nobélisés européens  de se remettre de leurs émotions de crise en payant leurs dettes dans nos porte-monnaies, et en préparant pour la suite de nouvelles arnaques humanitaires qui verrouilleront un peu plus la parole et le système sur la scène internationale.

Ce qu'on retiendra donc de l'année sans saveur qui vient de s'écouler, c'est que le bonheur, la culture, la vérité sont des affaires plus que jamais privées. On souhaite ainsi à tous et toutes les moyens de l'indépendance et les garantis de l'honneur pour y parvenir au mieux. Que l'année qui s'annonce vous soit prospère, libre et légère. Et pour tous les soixante-huitards vieillissants et pleins d'humour qui constituent les troupes du Péhesse, une affiche de leur jeune temps afin de clore ce billet avec une touche de bonne humeur.

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09:30 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : nouvel an, 2012, france, société, politique, impôts, changement, socialisme, voeux. | | |

mardi, 25 décembre 2012

J'entends l'appel des lieux profonds

Pour quelques amis athées

Ceux qui me connaissent savent que je n’aime pas parler de Dieu, de la foi, de la religion, parce qu’on a vite fait de tirer un parti personnel d’un tel discours : pour avoir rencontré dans mon existence bon nombre de gens particulièrement habiles en cet art, et avoir été quelque peu désabusé par leur pratique, je me tiens généralement éloigné de ce type de conversations qui, par ailleurs, finissent rapidement en controverses insolubles.

De retour de la collégiale Saint-Nizier ce soir de Noël, je me sens pourtant de dire ici quelques raisons de ce qui me fait catholique et non pas protestant, bouddhiste, hindouiste ou musulman, et non pas athée.

Ma naissance, tout d’abord. Je suis né dans une famille chrétienne bien que fortement désunie, passablement ruinée et fort peu pratiquante: on a tenu à me baptiser et cela garde à mes yeux un sens séculaire. Par mon baptême et bien au-delà de cette famille, je suis lié - en quelque ville que je me rende - à ces églises parfois somptueuses et parfois délabrées, à cette Eglise et à ce pape décriés par tant d’imbéciles incultes ou de mauvaise foi ; je suis lié à ces siècles d’histoires qui firent la chrétienté sur un plan artistique et culturel autant que spirituel, je suis lié à cette Croix qui fit du Christ ce qu’il est, bien au-delà de tout ce que les uns et les autres murmurent de lui.

Lorsqu’on est un intellectuel dans cette France protestante, maçonnique, républicaine, révolutionnaire, bref, sur ce territoire qui s’est autoproclamé depuis deux siècles  le pays des Droits de l’Homme après avoir été la fille ainée de l’Eglise pendant de nombreux autres, on a pris l’habitude de considérer la naissance et la Résurrection du Christ comme des événements dont on ne peut accepter qu’une lecture métaphorique, tant la réalité d’une conception sans rapports sexuels et d’une résurrection des corps heurte la raison. Cette France a pris goût - depuis Renan - à ne considérer le Christ que dans sa réalité historique, parce qu’elle ne parle plus que cette langue qui méconnait le symbolique et ignore le merveilleux. Partant de là, si l’on concède encore à Dieu d’agir sur la dimension spirituelle ou intellectuelle, il lui est refusé d’agir sur la dimension matérielle, sur laquelle la science seule est autorisée à se prononcer. Pas de naissance miraculeuse, donc, et pas de résurrection.

C’est pourtant de cette action miraculeuse seule qu’il s’agit. Dans le monde fermé où nous vivons, croire à du croyable n’a ni sens ni intérêt, vraiment : dans ce monde fermé, croire n’a de sens et d’intérêt qu’à partir de l’incroyable, afin de conserver ouverte, dans ce monde de la mort, la capacité de croire, telle une (re)naissance, toujours reconduite; voilà pourquoi nier ou remettre en cause la virginité de Marie comme la résurrection du Christ ne relève ni du blasphème ni de l’hérésie, mais plus simplement d’une inutile finitude imposée à la foi, qui est par nature d’aspect infini. Autant, comme le dit Don Juan, croire que 2 et 2 font 4, plutôt que de croire à la façon des protestants ! D’ailleurs avec ma raison, je crois que 2 et 2 font 4, et avec mon cœur, que le Christ est ressuscité. Car il en va de la foi comme de la raison : toutes deux ont besoin de ce qui leur ressemble.

Et puis, si l’on tient à demeurer dans l’histoire des hommes, comment dire le simple émoi que me procure la vision du prêtre consacrant l’hostie ? Joyce, à sa manière burlesque, en fit l’ouverture de son magnifique Ulysse : Buck Mulligan, porteur de son bol de mousse à raser, l’élève dans « l’air suave du matin » de Dublin, en chantant Introïbo ab altare Dei. Ce geste parodique a beau se vouloir évidemment dérisoire, voire blasphématoire, sa présence en ce début d'opus demeure la preuve de son importance fondamentale dans l’histoire occidentale, que l'irlandais Joyce était bien placé pour connaître.

 « Vous ferez cela en mémoire de moi » : La transsubstantiation de l’hostie est l’unique raison d’être de la messe, la pierre sur laquelle s’est construite l’Eglise. On ne demande rien d’autre à un curé, pas même son sermon.  Ce geste m’unit à l’assemblée des fidèles morts et vivants dans le brouhaha de qui chaque communion me plonge, et qui murmurèrent comme moi qu’ils n’étaient pas dignes de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri… Qu’on me cite un autre rite dans la société occidentale qui – les quelques discutables interprétations apportées par Vatican II mises à part – ait subi si peu de modifications qu’il puisse comme lui me transporter au temps de la Cène et faire que la Cène et sa pierre de Béthanie vienne à moi ? Ce rite est le geste le plus parfaitement poétique que je connaisse. Et c’est en homme de théâtre que je parle, étant entendu que le théâtre n’est pas art de fiction comme le roman, mais de représentation.

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Nicolas Poussin, L'Eucharistie

Alors d’accord pour le ridicule des chants d’entrée, les voix de faussets  débitant des lieux communs à la louche, d’accord pour les paroissiennes à l’enthousiasme forcé, et pour l’autosatisfaction bien pensante des familles se congratulant, d’accord pour l’égoïsme petit-bourgeois des heureux, d’accord aussi pour les errances de l’Eglise, errances parmi d’autres errances; je dis simplement que ce geste venu du monde antique et apporté par le Sauveur transcende tout cela, comme la croyance en sa naissance et sa Résurrection donne sens à la frontière entre foi et raison. Faute de comprendre tout ce que ce geste signifie, je sens alors tout ce qu’il vaut.  Il m’est souvent arrivé, en allant communier, de penser à cette mère de Villon qui ne savait pas lire, et pour qui il composa sa Ballade pour prier Notre Dame, tout comme à cette messe de Pentecôte par laquelle commence le roman de Jaufré, tout comme à cette phrase du Journal de Bloy : « J’entends l’appel des lieux profonds » (1)

Sur ce il convient que je me taise. L’histoire sainte comme la moins sainte nous enseignent qu’en terme de foi, rien n’est acquis. Tout comme, d’ailleurs, en terme de raison. Ces quelques arguments, j’avais juste envie de les coucher sur écran, comme on dirait aujourd’hui, de retour de la messe de Noël, pour quelques amis athées.

 

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Godefroy, La Cène, musée de Chambéry

1 Bloy Quatre ans de captivité, 10 juillet 1902


lundi, 01 octobre 2012

Le préjudice d'anxiété

Les rescapés français du Concordia font valoir leurs traumatismes pour obtenir de la justice réparation à ce qu’ils appellent le préjudice d’angoisse. Ils ne sont plus, disent-ils, les mêmes qu’avant la catastrophe. Traumatisés par le vide, le sol quin se dérobe, l'obscurité et la couleur orange, celle des étuis dans lesquels ils ont vu les passagers morts emportés à la morgue. Soit.

Les constructions Mécaniques de Normandie (CMN) ont dû indemniser à hauteur de 8000 euros d’anciens salariés exposés à l’amiante, mais pas malade, pour un préjudice d’anxiété. La cour d’appel de Caen cite dans son arrêt de nombreux témoignages attestant d’une détresse en attente de « l’annonce de la maladie » ou à l’annonce du « décès d’anciens collègues » Soit.

Dix-huit enseignants du lycée Adolphe Chérioux de Vitry sur Seine, témoins d’une agression au gaz et à l’arme blanche sur un élève, ont obtenu de leur côté réparation : le ministère de l’Education Nationale a dû verser 500 euros à chacun d’entre eux, toujours au nom de ce préjudice d’anxiété et du stress qu'il occasionne Soit 

Les avocats en droit civil vont avoir du boulot si ce genre de plaintes se multiplie, la justice médicinale gagnant peu à peu la société. Car en temps de crise, les motifs d’angoisse ou d’anxiété ne manquent pas, ni sur le plan social, ni sur le plan familial. On peut en effet imaginer les procès les plus farfelus, les situations les plus extravagantes. Un patron portant plainte contre un employé sous le motif qu’il craint chaque jour qu’il tombe malade, et ce dernier le déboutant parce qu’il craint d’être licencié. En class actions, les citoyens pourraient porter une  plainte collective contre l’Etat et ses dirigeants successifs en raison de l’angoisse générée par les dettes accumulées depuis quarante ans. On pourrait tous porter plainte contre X pour l'angoisse suscité par la fin du monde. Et chacun contre ses parents, qui nous l'ont refilé ce monde, les inconscients, rien moins qu'une boule de poison.

Pendant ce temps, loin de ces faiblesses psychologiques de plus en plus chroniques  au sein d’une population narcissique et vieillissante, des gens vivent et meurent dans la misère ou sous les bombes. On pourrait aussi porter plainte contre eux, dont les images quotidiennes sur nos écrans plats nous dérobent notre insouciance, au motif qu’ils sont sans s’en douter intolérablement anxiogènes. La paix, la tranquillité d’esprit, c’est un droit aussi, non mais… 

 

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Eugène Grasset, L'anxiété


jeudi, 26 juillet 2012

Leo Ferré, en langue française

Le parler de Ferré, quand il fait mine de chanter,

Le chanter de Ferré quand il fait mine de parler,

Le vent, les bijoux,

La grimace et le clin d’œil, la dérision, l'ironie

Le tâtonnement par la note

La mélodie, la plainte

Chuchotée, articulée, insistée, gueulée, prolongée

La pause ici ou là, l’appui sur la consonne

La dissolution finale

 

Je n’ai jamais aimé le personnage de Ferré, surtout lorsqu’il jouait à l’anarcho-libertaire pour vendre son album  Il n’y a plus rien à des lycéens post-pubères. Avec un groupe de libertaires déjantés, justement, (Groupe insoumission totale), me souviens l’avoir chargé à coups de tomates pendant un concert, du haut du balcon de la Bourse du Travail. Ce qui nous avait mis en colère, c’est la protection policière dont bénéficiait le vieux loup de mer qui crachait sur les CRS. J’étais à l’âge idiot, qui cherche de la cohérence dans les actes. Nous lui gueulions : « Il y a encore le fric et les flics », et lui nous tenait tête en nous traitant de petits cons. Les flics nous avaient virés et la soirée s’était terminée dans un midi-minuit du cours Charlemagne.

Cela dit, le vieux Léo fait partie de cette dernière génération de chansonniers formés à l’école des poètes, et capables de faire la distinction entre les deux, précisément. De l’avant Berger, voyez ce que je veux dire ? Ferré, mort au vingtième crépusculaire d'un quatorze juillet 1994, un des derniers maîtres de l’interprétation en langue française.

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13:38 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : leo feré, chanson française, avec le temps | | |

samedi, 30 juin 2012

Un temps où la race sonnait à travers un petit nombre de phonèmes exemplaires

 C’est bien que la France ait été éliminée de l’Euro. Comme ça, les Français vontroland barthes,tour de france,pierre giffard,littérature pouvoir se concentrer un peu sur leur véritable sport national, même s’ils n’ont pas pour l’instant un champion qui y excelle. Pierre Giffard (1853-1922), rédacteur en chef du tout premier magazine sportif, Le Vélo et inventeur de l’expression « la petite reine »  en fut le lointain inspirateur. Comme Maurice Garin, le premier gagnant du tour dont il est aussi question ICI, il portait de fort belles bacchantes.

Fut un temps (les coureurs qui s’engageront sur les route aujourd’hui n’étaient pas nés) la signification régnait partout, et Barthes déchiffrait le Tour comme une épopée. Barthes a écrit pas mal de conneries, exemple celle-ci : « Les noms des coureurs semblent pour la plupart venir d’un age ethnique très ancien, d’un temps où la race sonnait à travers un petit nombre de phonèmes exemplaires ». (1) C’est l’époque où Barthes lisait mal et trop Proust, et s’écoutait beaucoup réfléchir : « C’est dans la mesure où le Nom de coureur est à la fois nourriture  et ellipse qu’il forme la figure principale d’un véritable langage poétique » (1) Appréciez aussi : « Le coureur trouve dans la Nature un milieu animé avec lequel il entretient des échanges de nutrition et de sujétion ». (1) En fait, les véritables poètes du tour en ce temps là en étaient plutôt les chroniqueurs. Et si le Tour ne fut jamais une épopée, du moins fut-il l’un des premiers événements sportifs à intégrer le calendrier sportif qui structure désormais les sociétés comme jadis le calendrier religieux.

Ainsi, au temps des transistors Philips, plages, bords de lacs, de rivières et d’étangs de juillet résonnaient de leurs envolées plus ou moins vibrillonnantes selon le coup de pédale du coureur échappé. Ensuite, c’est la télé qui a pris le relai et nous eûmes droit aux prises de vue d'hélicoptères accompagnées de commentaires culturels sur le château de Madame de X que le peloton enrobe gracilement d’un oblique lacet ou le petit pâté aux grives qu’on déguste dans le restaurant devant lequel il se relance. Depuis, les grassouillets du bide peuvent -luxe suprême et pervers – s’échiner sur leur vélo d’appartement devant leur écran en suivant les leçons des successeurs de Robert Chapatte qui lisent leurs fiches. Le tour de France dans son salon. Encore une supériorité du vélo : essayez donc de vivre ça devant une finale de foot ou une descente de ski.  Finalement,  la petite reine porte bien son nom.

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Le Vélo, premier magazine de la presse sportive nationale

1 et 1 et 1 : Barthes, Mythologies, 1955, "le tour de France comme une épopée"

 

15:01 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : roland barthes, tour de france, pierre giffard, littérature | | |

mardi, 19 juin 2012

Jazz à Vienne, swing d'un légionnaire

Le centre d’une ville sera toujours sa cathédrale. Voici celle de Vienne, dédiée à Saint-Maurice. Je passerai devant tous les matins de cette semaine, en sortant de la gare, avant de rejoindre un centre d’interrogations orales comme il se dit : drôle de bourg millénaire que ce Vienne en vis-à-vis de Saint-Romain-en-Gal, de l’autre côté du Rhône. Quand le rectorat vole au chevet de la communication de la municipalité ; le lycée du coin se retrouve rebaptisé Ella Fitzgerald, en référence au festival Jazz à Vienne, qui remplit chaque année le théâtre antique. La région swingue. Ce qui s’appelle filer d’un monde à l’autre, de l’orgue au saxo.

 

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En longeant les rues centrales, je retrouve sur les enseignes toutes sortes de vieilles typos, comme dans un croustillant feuilleté d’époques. Les décennies s’empilent sur les boutiques tout comme les siècles sur la cathédrale, sa façade elle-même, toute parcheminée. Les villes européennes nous donnent du temps à lire. Toutes bancales soient-elles, c’est ce qui les rend bien plus propices à la promenade que les villes américaines. Si on s’y perd, c’est rarement dans l’espace, et toujours dans le temps. Celui de leur légende.

 La colonie romaine qui fonda Lyon un peu par hasard, au gré d’une halte à Condate (ce qui est aujourd’hui les bas des pentes de la Croix-Rousse) ne venait-elle pas de Vienne ? Et très curieusement, ce légionnaire romain (un légionnaire de l’envahisseur, ne l’oubliez-pas), ce Plancus, dépêché là ou plutôt mis au placard par Auguste, voilà que mon pas emboite le sien dans je ne sais quelle rêverie… Quelques générations in fine nous séparent. Fonder ? Coloniser, plutôt, car les érudits locaux n’ont jamais été très regardants en matière de sémantique, c'est ça, de l'âme soumise.

Je m’arrête à une boulangerie, j’achète un petit pain au chocolat… Je songe à Munatius Plancus, le légionnaire, flirtant du regard les quelques ruines éparpillées ; Gallo-romains puis burgondes, ici quelques reliquats, rien qu’une putain de forêt inculte jadis, à grand peine agrippée à de vieux sédiments hercyniens, un abri précaire : On peine à imaginer tout ça, désormais, les technos-pingouins que nous sommes et puis les affiches de juillet à venir, le programme en téléchargement ici

Je traverse le puissant Rhône, que tout cela indiffère. Les interrogations du matin commencent, la candidate s’est pomponnée. Foutu métier, quand même. Servir ? Mais à quoi ? Les légionnaires, partout, que nous sommes devenus. Ayant respiré la poussière presque insignifiante des commencements même de l’Europe toute romaine, avec ce peu de fil qui nous lie à l’Histoire, passer le pont du doute et se retrouver sur l’estrade infiniment frêle d’aujourd’hui. J'écoute ce qu'elle a à nous dire, nous, son jury.

jeudi, 10 mai 2012

Vivre sans gouvernement...

Nous avons la chance, et nous ne nous rendons pas compte à quel point c’en est une, de vivre quelques jours sans gouvernement.  Celui de Fillon a tenu hier son dernier Conseil, celui du nouvel élu n’est pas encore constitué. La Belgique a tenu 535 jours sans, rappelant à l’Europe entière cette lapalissade que ce sont les grands Commis d’Etat ainsi que les Hauts Fonctionnaires qui tiennent en réalité le pays. Combien de temps tiendra Hollande, qui semble penser qu’être normal, c’est passer son temps à signer des autographes devant des caméras dès qu'on quitte sa voiture avant d'entrer chez soi ? Le brave bougre nous a promis que nous apprendrons le nom du Premier Ministre le 15. Tous les paysans du pays nantais le connaissent, paraît-il , mais chut…  ça doit être une surprise.

Vivre sans gouvernement : Ces campagnes électorales sont ainsi much ado about nothing. Sauf que ce nothing, c’est l’air du temps plus ou moins pourri dans lequel chroniqueurs et journalistes nous font vivre. On vient de passer un an dans un antisarkozisme frénétique et délétère, qui, comme l’océan se retire, risque de laisser vide la plage sur laquelle le cadavre de la gauche noyée par Mitterrand est en décomposition assez avancée depuis bon nombre d’années. Combien de temps la gôgôche sera-t-elle capable d’illusionner le chaland ?

On nous annonce Vincent Peillon à l’Education nationale. Je peux déjà vous dire que ce sera, comme au beau temps de la cogestion, le bureau national du SNES qui sera ministre, la première mesure de Hollande en la matière étant, paraît-il, d’annuler l’intolérable réforme de la notation des professeurs par leur chef d’établissement que conteste le tout puissant syndicat qui s’apprête à retrouver son café et ses croissants rue de Grenelle. En cet Olympe pédagogique, on doit déjà penser à la réhabilitation prochaine des IUFM ainsi qu’au démantèlement programmé des quelques filières d’excellence qui demeurent en France, à savoir les classes prépas. Ces gens-là sont des forcenés de l’égalitarisme qui ne savent depuis toujours penser les talents et les compétences qu’en termes de pourcentages et de statistiques.

Europe Ecologie Les Verts, une autre officine forte des 2% de Madame Joly, pétitionne (rien que ça) pour faire entrer cette dernière place Vendôme, où elle incarnerait derrière ses lunettes vertes, comme dans une série TV,  « une justice indépendante et irréprochable ». Que fera-t-on de l’inénarrable Cécile Duflot ? J’avoue qu’à la place du bon François, je serais bien embêté. Pas au ministère de la radio, par pitié.

« Qui pourrait tenir les rênes de la Rue de Valois ? Et qui serait à même de relever le gant des années Lang, restées phares aux yeux des socialistes » s’interroge Le Figaro. Ah Ah ! Jack Lang ! Ils n’auront tout de même pas le culot de nous le ressortir du congélateur. On prend peur cependant quand on apprend que circule de nom de Martine Aubry, qui avait déclaré au dernier festival d’Avignon s’intéresser vivement à « la culture ».

Il ne nous reste que quelques jours avant la traditionnelle photo pour profiter de ces instants exceptionnels où les affaires courantes semblent se régler d’elles-mêmes et où la piste du salon Murat, vidée de ses clowns, reste agréable à contempler.

Pendant ce temps-là, l’Islande et la Grèce sont elles aussi plus ou moins sans gouvernement, mais pour de vrai….

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