samedi, 30 juin 2012
Un temps où la race sonnait à travers un petit nombre de phonèmes exemplaires
C’est bien que la France ait été éliminée de l’Euro. Comme ça, les Français vont pouvoir se concentrer un peu sur leur véritable sport national, même s’ils n’ont pas pour l’instant un champion qui y excelle. Pierre Giffard (1853-1922), rédacteur en chef du tout premier magazine sportif, Le Vélo et inventeur de l’expression « la petite reine » en fut le lointain inspirateur. Comme Maurice Garin, le premier gagnant du tour dont il est aussi question ICI, il portait de fort belles bacchantes.
Fut un temps (les coureurs qui s’engageront sur les route aujourd’hui n’étaient pas nés) la signification régnait partout, et Barthes déchiffrait le Tour comme une épopée. Barthes a écrit pas mal de conneries, exemple celle-ci : « Les noms des coureurs semblent pour la plupart venir d’un age ethnique très ancien, d’un temps où la race sonnait à travers un petit nombre de phonèmes exemplaires ». (1) C’est l’époque où Barthes lisait mal et trop Proust, et s’écoutait beaucoup réfléchir : « C’est dans la mesure où le Nom de coureur est à la fois nourriture et ellipse qu’il forme la figure principale d’un véritable langage poétique » (1) Appréciez aussi : « Le coureur trouve dans la Nature un milieu animé avec lequel il entretient des échanges de nutrition et de sujétion ». (1) En fait, les véritables poètes du tour en ce temps là en étaient plutôt les chroniqueurs. Et si le Tour ne fut jamais une épopée, du moins fut-il l’un des premiers événements sportifs à intégrer le calendrier sportif qui structure désormais les sociétés comme jadis le calendrier religieux.
Ainsi, au temps des transistors Philips, plages, bords de lacs, de rivières et d’étangs de juillet résonnaient de leurs envolées plus ou moins vibrillonnantes selon le coup de pédale du coureur échappé. Ensuite, c’est la télé qui a pris le relai et nous eûmes droit aux prises de vue d'hélicoptères accompagnées de commentaires culturels sur le château de Madame de X que le peloton enrobe gracilement d’un oblique lacet ou le petit pâté aux grives qu’on déguste dans le restaurant devant lequel il se relance. Depuis, les grassouillets du bide peuvent -luxe suprême et pervers – s’échiner sur leur vélo d’appartement devant leur écran en suivant les leçons des successeurs de Robert Chapatte qui lisent leurs fiches. Le tour de France dans son salon. Encore une supériorité du vélo : essayez donc de vivre ça devant une finale de foot ou une descente de ski. Finalement, la petite reine porte bien son nom.
Le Vélo, premier magazine de la presse sportive nationale
1 et 1 et 1 : Barthes, Mythologies, 1955, "le tour de France comme une épopée"
15:01 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : roland barthes, tour de france, pierre giffard, littérature |
Commentaires
Cher Solko,
en matière vélocypédique, ce n'est pas Barthes qu'il faut lire, vous le savez bien (mais j'aime cette dénotation citationnelle de l'écrivant où pointe la distance subjective de l'énonciateur...) mais Blondin. D'ailleurs, lire "L'Equipe" en juillet (même si Blondin n'est plus de ce monde), quand se mélangent les exploits de la Grande Boucle et l'effervescence d'une Ligue 1 de football qui prépare son nouveau visage (sans parler en cette année fastueuse des J.O.), oui, lire "l'Equipe" en juillet, ostensiblement, à la terrasse des cafés, voilà ce qui définit l'homme profond.
(et puisqu'on en est aux belles pages sur le vélo (enfin au sujet du vélo, évidemment), à lire :
http://lantidote.hautetfort.com/archive/2012/06/24/jacques-anquetil-et-le-dopage.html
Écrit par : nauher | samedi, 30 juin 2012
On finit par se demander sérieusement, si si, si le sport ne serait pas le miroir de la société, non ?
Écrit par : solko | samedi, 30 juin 2012
Le Vélo de Griffard, L'Auto de Desgranges... il y avait aussi le journal Le Piéton ?
Intéressant de voir que Solko se penche sur les exploits juillettistes des coureurs, ça fait de la bonne lecture sur un sujet qui me tient à coeur. J'apprécie aussi la redirection vers les bacchantes de Garin. 109 ans plus tard, aujourd'hui nous avons eu la barbe de trois jours de Cancellara.
Le Tour est immortel.
Écrit par : chroniquheureux | samedi, 30 juin 2012
Des bacchantes en guidon de vélo, of course...Giffard donnait des boutons de Dion qui ne trouvait pas son compte dans l'auto vélo....
Écrit par : patrick verroust | samedi, 30 juin 2012
“Ce ne fut pas facile de posséder une bicyclette. Le luxe hésite à frapper à toutes les portes.”
Ou encore je cite à propos de votre "cousin" (?)
“Les métamorphoses dues au phénomène du sacre ne sont plus à dire. L’homme n’est plus le même après qu’on l’a nommé pape, président de la République ou qu’il a décroché un rôle de dictateur. Les ondes de tous – euphorisantes, de soutien ou malveillantes – convergent vers lui. Il les gobe tel un paratonnerre. Bourré de vitamines, d’électricité, de fluide, il brigue le mythique.”
Ceci n'est pas extrait des "Mythologies" de Barthes ; même s'ils ne sont plus de ce monde, n'oublions pas avec Blondin, le "Roi René" de Louis Nucéra...
http://www.mollat.com/cache/Couvertures/9782710330578.jpg
Écrit par : Louis | dimanche, 01 juillet 2012
C'est bien que la France ait été éliminée de l'euro, oui, c'est très bien. Joueurs mauvais, pourris de fric, prétentieux, vulgaires, quelle triste image ils ont donnée de notre pays.
Blondin :"je ne suis pas un écrivain qui boit, je suis un buveur qui écrit", quelle lucidité, quel terrible humour noir. Ses chroniques étaient de véritables bijoux.
Écrit par : Julie des Hauts | lundi, 02 juillet 2012
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